Chapitre 45 : La force de l'âge
Le silence le plus absolu fut réclamé pour que les femme-dragons puissent se concentrer et un chant mélodieux résonna dans les lieux. La fontaine vibra au grès des intonations, avant de se mettre à tourner pour former un siphon. Les remous de l'eau prirent peu à peu du volume, prenant forme en s'élevant dans les airs en tournant en cercle. Admirative, Bélial regarda le liquide valser dans les airs en prenant des formes artistiques où se reflétaient les éclats des pierres. L'eau scintilla de toutes les couleurs imaginable avant de commencer à prendre la forme d'une arche aux colonnes resplendissantes. Une surface lisse comme un miroir se forma dans la structure formée sur laquelle une vision se dessina lentement.
À travers la fenêtre créée, un démon apparut de plus en plus nettement, laissant discerner son air inquisiteur qui trahissait sa stupeur de découvrir qui cherchait à ouvrir un passage avec lui.
– Des homme-dragons ? demanda-t-il d'une voix déformée comme si elle traversait une masse d'eau. Vous nous contactez d'où ?
Voyant que Basile s'était statufié, Sieg le poussa doucement mais fermement vers l'avant, réveillant l'invocateur qui se pressa de fouiller ses affaires.
– Oui, heu... Je suis le prince Basile du royaume de Fangia. Comme tu peux le voir, je viens ici avec l'invitation de courtoisie à Eclipisa.
Le démon sourcilla en entendant l'homme-dragon le tutoyer, se souvenant à peine des coutumes de son peuple, avant que ses yeux ne s'élargissent. Il se pencha en avant, sortant des lunettes d'une de ses poches et s'en servit pour lire la lettre que Basile pressait contre la vitre du passage.
– Le... le document est en effet officiel... bafouilla le démon. Excusez-moi, c'est juste que c'est la première fois...
– Oui, je sais... soupira Basile. Si tu veux demander l'autorisation à un de tes supérieurs, je comprendrais. Par contre, j'ai aussi une missive de prince Lardzar de Dredia qu'il a adressé à sa sœur. C'est de la plus haute importance.
– Tu veux dire quand ton peuple a fait assassiner toute la famille royale de Dredia ? Demanda le démon avec un regard noir et du venin dans sa voix.
– Non, c'était une ruse des vampires qui s'en sont aussi pris à nous ! démentit Basile en secouant la tête et les mains. Nous avons eu la chance de repousser l'attaque, et c'est grâce à ça que nous avons appris ce qui s'est passé ! Lardzar a tout expliqué dans sa lettre !
Sieg, resté en retrait pendant toute la conversation, devint pensif. Relativement peu de temps s'était écoulé entre l'attaque simultanée et leur arrivée, pourtant Eclipsia était déjà au courant de l'incident. Ils n'avaient certes pas quitté Scurgia immédiatement après l'attaque, leur équipe avait cependant battu tous les records de vitesse pour rejoindre la fontaine la plus proche. Normalement, ils auraient dû arriver à Eclipisa avant même que la rumeur n'ait eu le temps de se propager, cependant...
L'écarlate claqua des doigts et désigna son ombre. Reconnaissant l'antique qu'ils avaient partagé des millénaires plus tôt, Soren n'hésita pas et sauta dans l'obscurité pour y demeurer cacher. Le démon crut voir un mouvement et scruta le groupe en plissant les yeux, ne décelant rien d'anormal. En dehors d'un prince homme-dragons escorté par une démone, des humains, une elfe verte, une demi-portion et un colosse en armure.
– Rappelle-moi pourquoi vous n'utilisez pas vos talismans pour passer pour des démons ? murmura Bélial dans l'oreille de Sieg en griganien.
– Parce que s'ils nous perçaient à jour, nous perdrions leur confiance... répondit le bretteur. Mieux vaut être honnêtes quant à notre nature. Par contre, je sens que quelque chose ne tourne pas rond alors j'ai demandé à Soren de se cacher et d'attendre dedans. Non seulement les démons pourraient se méfier d'un loup à moitié vampire, mais si mes doutes sont avérés, je préfère garder un atout dans ma manche...
– Tu crois que ton frangin a déjà prévu un truc ? interrogea Farca qui ne se sentit pas rassurée. Il a peut-être répandu la rumeur de l'attaque de Fangia contre Dredia...
– Pas sûr, il veut que nous le retrouvions là-bas, rappela l'épéiste. Même s'il est possible qu'il ne veut pas que nous arrivions trop tôt à Eclipsia pour comploter en paix, je le vois mal nous décourager de venir... Le problème...
– Laisse-moi deviner : on n'a pas la moindre idée de ce qui nous attend ? grommela la naine. C'est un peu notre problème depuis le début de notre aventure...
Basile continua de converser avec le démon, le convainquant d'au moins aller chercher un responsable qualifié pour trancher sur la question de leur visite inattendue et indésirée. Moins de cinq minutes plus tard, une démone en armure rutilante se présenta au groupe et les toisa d'un regard dur et autoritaire.
– Je suis Zania Mercia, capitaine de la garde d'Eclispia. On me dit que vous êtes des représentants de Fangia, une nation que l'on accuse d'avoir attaqué sans raison la famille royale de Dredia, et que vous voulez utiliser l'invitation de courtoisie pour pénétrer notre terre la plus sacrée. Sans même parler de votre escorte qui ne semble absolument pas réglementaire, je ne vois pas pourquoi je devrais vous faire confiance. Du moins, pas tant que nous n'aurons pas enquêté sur ce qui s'est réellement passé. Pour l'instant, je dois vous demander de patienter quelques jours et...
– Tu te fous de nous ? explosa Bélial qui fit un pas en avant vers la vitre et posa son poing contre elle au niveau du visage de Zania. On a pas le temps pour vos conneries, il se passe des trucs trop importants pour ça ! Les vampires sont en train de faire les marioles et se sont alliés à un type pire que toute leur race réunie ! On a besoin de parler avec le Ténèbraile maintenant, sinon le monde pourrait...
– Comment oses-tu, insolente ! hurla Zania en frappant la vitre de rage. Je suis la petite-fille du Ténèbraile lui même et tu oses me parler sur ce ton ? Où est ton respect ?
– Le respect, ça se mérite, et t'as rien fait pour ! Continua la barbare qui ne remarqua les tentatives désespérées de Sieg de calmer la situation. On te dit que le sort du monde est en jeu, et toi, tu nous parles de qui est ton grand-père ? Ça veut pas dire que toi, tu es intéressante !
– Assez ! rugit Zania avant de désigner une direction hors de vue des Déicides. Vous, interrompez le lien, il est hors de question de...
– Mais c'est que nous avons là une demoiselle fort distrayante... Comment te nommes-tu, mon enfant ?
Zania se statufia, ses yeux écarquillés au possible. Les Déicides baissèrent le regard pour découvrir un vieux démon, aussi grand que Farca, se tenant avachi à côté de la capitaine. Vêtu d'un haut chapeau enfoncé presque jusqu'à ses sourcils et d'une espèce de cape en cuir par dessus des vêtements soyeux, le vielliard sembla se moquer de tout ce qui l'entourait. Son visage fripé ne laissa personne distinguer ses yeux, mais ils étaient certains qu'il était en train de fixer Bélial avec fascination, se lissant sa longue barbe qui tombait jusqu'au sol. La barbare jaugea le sourire insouciant del'ancien avec un haussement de sourcil avant de s'accroupir et se mettre à son niveau.
– Moi ? C'est Bélial. T'es le chef de l'autre folle ?
– De quoi ? explosa Zania. Espèce de...
Le vieux démon leva une main à la peau semblable à du papier froissé, coupant instantanément Zania qui se mordit la lèvre.
– Juste Bélial ? interrogea l'ancien d'une voix fébrile. Pas de nom de famille ?
Bélial leva les yeux et plongea dans une intense réflexion.
– Bah non, on a jamais eu besoin de ça dans mon village... J'appartiens au clan Sombresang, c'est tout...
– Alors je t'appellerais Bélial Sombresang... décréta le démon en hochant la tête. Tu sais, je n'avais jamais vu personne tenir tête à Zania comme ça avant... Je suis très impressionné...
– Bah justement, vu qu'on en parle, tu peux lui dire d'arrêter de jouer à la plus conne et nous laisser passer ? On doit vraiment parler au Ténèbraile, c'est important.
– Oh ? Et qu'est-ce qui pourrait être si important que toi et tes compagnons devaient déranger le Ténèbraile en personne ? C'est quelqu'un de très important, tu sais, il n'a pas le temps de rencontrer juste n'importe qui...
– Un enfoiré essaye de ramener les sept Déchus et il est pote avec les vampires. Alors vu qu'il en a déjà cinq, tu crois pas qu'on devrais s'occuper de ça rapidement avant qu'il trouve Cupidor ?
Le sourire du démon tressauta brièvement, trahissant sa surprise en entendant les paroles de la jeune femme. Zania ricana et tapota la vitre de son doigt.
– Rien que ça ? Quelqu'un cherche à réveiller une légende à laquelle personne ne croit ? Les Déchus, non mais vraiment... Plus personne...
– Zania...
La capitaine s'étrangla et osa à peine baisser les yeux vers le vieillard. Même en sachant qu'il était loin de lui, Sieg eut des sueurs froides en voyant le regard lourd de reproche qu'adressait le vieux démon à la militaire. Toute trace de sa bonhomie s'était volatilisée, laissant place à un sérieux immuable.
Puis, l'ancien se retourna rapidement vers Bélial et lui adressa de nouveau son sourire de vieux gâteux.
– Mais c'est que tu viens avec des avertissements bien graves, ma petite... Enfin, si tu peux prouver qu'ils sont fondés... Et de ce que j'ai entendu le princillon dire, les homme-dragons ne seraient finalement pas coupables du massacre de Dredia ?
– Hein ? lâcha Basile en s'apercevant que l'on parlait de lui ? Heu oui, c'est ça ! J'ai une lettre du prince Lardzar que je dois remettre...
– Oui, à sa sœur , n'est-ce pas ? Celle-là même qui nous a appris avoir eu vent du massacre de sa famille, y comprit Lardzar alors qu'il était en visite chez vous...
Basile fronça les sourcils, étudiant l'expression de l'ancien qui semblait ne pas plaisanter sur le sujet. Sieg décida de s'avancer et s'exprimer.
– J'ignore pourquoi la princesse a avancé une telle chose, mais quand nous avons quitté Lardzar il y a à peine quelques heures, il était bel et bien en vie. À l'heure qu'il est, il doit être en route pour son pays afin de stabiliser les troubles qui doivent sévir.
Pour la seconde fois, le vieillard se départit de son air joyeux et prit une expression sérieuse. Cependant, s'il avait semblé reprocher à Zania son attitude plus tôt, cette fois-ci, la méfiance et le défi dominaient l'aura qu'il dégageait en se concentrant sur l'écarlate. Le bretteur fit de son mieux pour ne pas déglutir et trahir son ébranlement pour se donner de la contenance.
– Dis moi, petite... susurra l'ancien sans quitter Sieg du regard. Cet humain, tu lui fais confiance ?
– Quoi, Sieg ? Bah ouais, évidement ! s'exclama la barbare en attrapant le bras de son partenaire. Je peux lui confier ma vie sans hésiter !
Le vieillard plissa des yeux, toujours focalisé sur l'épéiste comme s'il guettait ses réactions.
– Dirais-tu la même chose si tu savais qui il est vraiment ? Ce qu'il a fait à notre peuple ?
La remarque fit mouche, plongeant les Déicides dans un état d'inquiétude intense. Si l'ancienne identité de Sieg venait à être ébruitée ici et maintenant, tout les démons du monde apprendraient vite que l'un des Sauveurs qui s'étaient dressés contre leur peuple était non seulement en vie, mais une proie de choix pour quiconque voudrait s'arroger la gloire de le vaincre.
Mais seuls huit des Déicides furent inquiétés par cette perspective.
Avec un calme transcendant, Bélial posa son poing fermé contre la vitre et rapprocha le plus possible son visage de son interlocuteur.
– Ouais, et si je pense pas que je pourrais pardonner sept de ses huit potes, dont un en particulier, ça fait des plombes que j'ai dis à Sieg que je lui en voulais pas. Par contre, si un seul démon essaye de lui faire du mal à cause de ces conneries, je te jure de raser Eclpisia, c'est clair ?
Pour une fois, Zania n'essaya pas de corriger Bélial. Au contraire, à la voir si sereinement et avec une telle assurance promettre d'annihiler le siège du pouvoir démoniaque, la capitaine ne put s'empêcher de trembler, se demandant si elle serait de taille face à la furie si elles devaient s'affronter. Sous ce masque de calme, elle crut voir un brasier de rage capable d'engouffrer le monde entier sans que rien puisse lui résister.
L'ancien, en revanche, étudia avec quiétude l'attitude de la jeune femme sans broncher, comme pour jauger sa résolution.
– Je vois... cracha le vieux démon. Heureusement pour vous, j'ai un moyen de savoir si Lardzar est encore en vie ou pas... Je ne m'en étais pas servi plus tôt parce que je n'avais pas de raison de douter de la princesse, mais maintenant, je me dis que vérifier ses dires ne serait pas une mauvaise idée...
Le vieillard se tourna vers une direction hors du champ de vision des Déicides et claqua des doigts.
– Ouvrez le passage, je veux qu'ils soient présents pour ça.
– Mais enfin...
Un nouveau regard noir dissuada Zania d'aller plus loin. Les poings tremblants de rage, elle fixa ses bottes, furieuse et honteuse d'être ainsi traitée.
Des sons métalliques résonnèrent à travers le passage, suivis d'un grésillement strident, puis l'image qui séparait les Décides d'Eclipisia devint plus nette. Voyant l'hésitation chez ses invités, l'ancien avança sa main vers eux, la laissant traverser la vitre aqueuse pour les rejoindre.
– Allons, pas besoin de vous inquiéter... les rassura-t-il avec son comportement de vieil homme inoffensif. C'est sans danger, vous verrez.
Bélial fit la moue en haussant les épaules et prit la main offerte en évitant de la serrer trop fort. Contre toute attente, la prise du vieux démon fut plus ferme que celle d'un troll, se resserrant sur Bélial tel un étau dont elle ne pourrait pas s'échapper, même avec ses pouvoirs. La démone ne se laissa pas démonter, faisant un pas à travers le miroir avec résolution.
– Bienvenue à Eclipisa ! ricana le vieux démon alors que les compagnons de la jeune suivaient son exemple. J'espère que ça vous plaira !
L'ancien relâcha la main de Bélial qui résista à la tentation de la frotter et à la place scruta la pièce où elle se trouvait. Loin de la caverne aux mille pierres lumineuses, la démone se tenait à présent dans une salle aux murs bleu pale jonché de plusieurs instruments étranges. Elle ne vit pas de chanteuses comme chez les homme-dragons pour contrôler à la portail, les démons semblant se servir de dispositifs singuliers connectés à des flasques de Ténèbrium pour dompter la fontaine à la place. Des individus portant des uniformes blancs regardaient leurs invités avec méfiance, se demandant qu'elles étaient leurs intentions.
– Bon, nous n'allons pas rester ici pendant trois ans, hein ? s'exclama le vieillard en se dirigeant vers une porte. J'imagine que vous avez hâte de visiter l'endroit !
– Ouais, mais avant ça, je voudrais te demander un truc...
Intrigué, L'ancien dévisagea qui le toisa les poings sur les hanches.
– Enlève le chapeau, tu me caches rien du tout avec.
Un silence de mort prit possession de la pièce. Zania n'osa plus respirer, comme bien des démons présents. Seuls trois Déicides comprirent où voulait en venir leur amie, et ce seulement parce qu'ils avaient tout comme elle deviné ce qui se passait.
Puis le rire éclata.
Primal, intense, sans la moindre retenue, l'éclat de rire du vieux démon, semblable à un sac de graviers que l'on agitait, fit vibrer les murs et les tympans.
– Ah, ça m'avais manqué ! Des décennies que plus personne n'avait osé me dire quoi faire ou juste me tenir tête ! Ah, si je t'avais rencontré dans ma jeunesse, j'aurais définitivement fait de toi ma femme, Bélial Sombresang !
Sans plus de cérémonies, le vieux démon attrapa son chapeau et le cala sous son bras. Plusieurs yeux s'écarquillèrent quand leurs possesseurs remarquèrent ses cornes, bien plus longues que celles des autres démons. Ce qui avait été pris pour une cape se déplia et s'étira en deux imposantes ailes de cuir dans le dos de l'ancien qui s'étira en grognant.
– Bon, à mon tour de me présenter ! Sirocion, le Ténèbraile qui veille sur les démons depuis... Oh, qu'importe ! Tout le monde se moque de ce genre de détails, pas vrai ?
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