Chapitre 44 : Un rayon de soleil dans un monde sans jour
Solidement agrippée à la fourrure de Soren, Bélial vit le paysage autour d'elle défiler à une vitesse folle à mesure que le loup parcourrait les kilomètres tel une bourasque de vent. Jamais la démone ne s'était déplacée à une telle vitesse, ayant parcouru en quelques heures plus de distance que si elle avait couru pendant trois jours. Non loin d'eux, Otion et ses passagers maintenaient la même allure, le fauve refusant de se laisser distancer par son nouveau rival qui semblait pourtant avoir une légère avance.
En arrivant en bordure d'une foret au feuillage carmin, Basile fit s'arrêter Otion, chose que Soren remarqua trois secondes plus tard, le menant à freiner sa course et faire demi-tour. Les cavaliers descendirent de leurs montures avec plaisir, la course effrénée leur ayant donné des courbatures. Se rétablissant plus vite que ce que certains auraient pensé, Basile fit quelques pas vers la foret et en scruta les ombres.
– La fontaine est à cinq minutes de marche dans cette direction, exposa l'invocateur en désignant les arbres. Et dire que normalement, un tel voyage prendrait plusieurs jours... La lune dorée n'a même pas disparu derrière l'horizon, c'est incroyable...
– Ouais, ben je ne sais pas si je voudrais voyager souvent comme ça... grinça Farca qui s'étirait. J'ai le derrière en compote, je ne vous raconte pas, c'est horrible... Et toi, t'as pas eu envie de gerber?
Réalisant que l'on s'adressait à elle, la démone fixa Soren un instant avant de hausser les épaules.
– Bah non, je sais pas pourquoi... Quand Sieg m'a fait monter à cheval une fois, j'ai failli lui dégobiller dessus direct...
– Et ce, moins de deux heures après lui avoir effectivement vomi dessus... précisa Raya en souriant.
– Ah oui, j'avais oublié que tu étais là à l'époque... grommela Sieg avant de secouer la tête. Moi, je pense qu'à force de voyager, Bélial a fini par s'habituer et ne se sent plus mal quand elle est dans un chariot, alors ça doit être la même chose pour les animaux...
– T'entends ça mon petit Soren ? gazouilla la barbare en prenant la tête du loup entre ses deux mains avant de coller son nez contre sa truffe. On peut se faire plein de balades, toi et moi !
– Il a l'air d'aimer l'idée... ricana Lorelya en caressant la fourrure de Soren pendant qu'il se frottait contre la démone. Il est bien amical, ton vieil ami...
– Oui, et je dois admettre que je suis surpris... avoua l'écarlate en croisant les bras. Il y a quatre mille ans, à part Lina, il refusait de laisser les autres Sauveurs...
En entendant ce dernier mot, Soren se mit à grogner avec fureur, une expression de rage déformant ses traits auparavant si doux. Cette réaction surprit Bélial qui recula avec inquiètude. Soren vit l'expression apeurée de la jeune femme et baissa la tête en gémissant.
– Je pense qu'il voyait que c'était des connards... suggéra Bélial en caressant le loup pour le rassurer. Ils t'ont fait du mal pendant que vous étiez coincés dans le domaine divin, j'ai pas besoin d'autres preuves.
– Après, n'oublions pas que nous ne savons pas encore s'il nous aime tous... ajouta Ahmés qui s'approcha lentement de Soren. Jusqu'à présent, il n'a pas été proche de beaucoup de personnes, à part Sieg, évidement, Bélial qui doit baigner dans son odeur, Lorelya qui est carrément la descendante de Sieg, et Raya à qui il doit la vie...
– Lorelya est quoi ? s'étrangla Basile en fixant tour à tour l'épéiste et l'archère.
– Ah oui, c'est vrai que nous n'avons jamais eu besoin de le mentionner... reconnut la verdoyante. Avant d'être enfermé dans le domaine divin, Sieg et mon arrière-grand-mère ont partagé une nuit passionnée, je te laisse deviner la suite...
– Si tu n'en étais pas le résultat final, je continuerais encore de regretter cette nuit... grommela Sieg. Le pire, c'est que j'étais rond comme une barrique, je ne me souviens absolument pas de ce qui s'était passé...
– Pour en revenir à des sujets plus concrets, Ahmés marque un point... coupa Farca en regardant le loup avec méfiance. Pour le moment, les seuls qui ont approché Soren ont de bonnes raisons d'êtres dans ses bonnes grâces, mais nous...
– Tout doux... souffla le musicien en approchant une main de Soren qui l'observait intensément. C'est un bon loup, ça...
Bien qu'il ai vu ce que le loup allait faire, Sieg ne bougea pas et laissa Soren mordre la main du défunt jusqu'à l'avant-bras. Alors que les autres lâchaient des cris de stupeur, Ahmés écarquilla les yeux et scruta l'animal.
– Heu, Sieg... commença à dire Bélial.
– Oh, ne vous en faites pas... ricana le bretteur. Normalement, si quelqu'un qu'il n'aime pas l'approche, Soren se contente de le snober et va s'enfuir si besoin. Ce n'est que s'il se sent menacé qu'il mord.
– Analyse Terminée ! Soren N'Aime Vraiment Pas Ahmés.
– Non, je crois que je vois où Sieg veut en venir... démentit le musicien en fixant la queue du loup qui s'agitait dans tous les sens. Il n'est pas agressif, j'ai plutôt l'impression qu'il est en train de jouer. Je sens qu'il n'essaye pas de serrer la mâchoire trop fort.
– Comme les loups arcaniques ont des sens beaucoup plus aiguisés que n'importe quel humain ou même elfe, je pense qu'il voit à travers ton illusion, expliqua Sieg.
– Ah ouais, je vois... soupira Farca en levant les yeux au ciel. En clair, quand il regarde Ahmés, il voit un tas d'os qui bougent...
– Alors, je suis bien heureux qu'il m'aime bien, mais est-ce que tu peux lui demander de me rendre mon bras s'il-te-plaît ? supplia Ahmés qui n'arrivais pas à se libérer. Parce que j'ai essayé de me changer en sable, mais je ne sais pas pourquoi, mon corps reste le même...
– Ah ? Je ne pensais pas que les morsures de Soren auraient un tel effet... déclara Sieg en carressant la nuque du loup pour qu'il lâche sa prise. C'est bon à savoir...
Peu rassuré de voir que le canidé continuait de le fixer avec une langue pendant par le côté de sa bouche, le musicien se recula, laissant la place à Adam qui tenta à son tour de fraterniser avec leur plus récente recrue.
– Protocole De Salu...
– Soren, non ! cria Sieg en faisant les gros yeux au loup.
Bélial fronça les sourcils, se demandant si elle avait bien perçut le début du mouvement de Soren, comme s'il allait lever une de ses pattes arrières en direction du gardien. Le loup baissa la tête en gémissant de honte. Adam s'agenouilla et posa doucement sa main sur la tête de Soren dont les oreilles se dressèrent vivement. Guettant la réaction de Soren, Adam demeura immobile, ne bronchant pas quand Soren se tourna vers lui avant de se frotter contre son casque.
– Mouais, si ça ne vous fait rien, je vais rester là, moi... décida Farca qui gardait résolument ses distances. Moi et les bestioles de toute façon, ça fait deux...
Soudainement, Soren plongea dans l'ombre du gardien, avant de fondre vers celle de l'alchimiste et en bondir, ne mesurant alors que trente centimètres de long. Paniquée, la naine attrapa le loup entre ses mains fébriles et fut agressée par d'avides coups de langues sur le visage.
– Hé, je savais pas qu'il pouvait aussi devenir tout petit ! s'extasia Bélial.
– Bon, j'avoue que comme ça, il est très adorable... reconnut Farca en berçant Soren dans ses bras.
– Les loups arcaniques ont décidément plus d'un tour dans leurs sacs... analysa Basile en approchant doucement une main vers le loup.
Soren renifla les doigts de l'homme-dragon avant de les lécher et laisser l'invocateur le cajoler à son tour.
– Bah c'est clair je crois... résuma Bélial. Tes anciens potes étaient de vrais crevards ! Enfin, à part Lina, quand tu en parles, c'est toujours en bien !
– Oui, c'était bien la seule qui ne m'a jamais traité avec mépris... avoua Sieg en baissant les yeux. Si je le peux, j'aimerais au moins pouvoir la sauver, elle...
– Ouais, Saga avait volé leurs âmes, c'est ça ? Si on trouve là où il garde la sienne...Bah, je sais pas, on trouvera un moyen de l'aider...
– Oui, parce que sans corps, elle ne va pas pouvoir faire grand chose... soupira Raya. Et même si je donne l'impression que c'est facile, être une simple passagère dans la vie des autres, ce n'est pas simple tout les jours...
– Et une chose de plus que nous rajoutons sur la liste des tâches à accomplir une fois que nous aurons sauvé le monde... lâcha Farca en souriant. Il n'y a pas à dire, je ne suis pas prête de m'ennuyer à vos côtés...
Sieg hocha la tête de reconnaissance en voyant que personne n'était contre l'idée. Pour eux, Lina n'était qu'une inconnue, mais parce qu'elle était importante à ses yeux, ils n'hésiteraient pas à l'aider la sauver.
– Sinon, je viens de penser à quelque chose, intervint Raya. Sieg, tu dis que Soren est encore en partie vampire, mais est-ce que tu sais à quel point ?
Ne sachant que répondre, l'écarlate dévisagea le loup avant de hausser les épaules en grognant. La déesse s'approcha du canidé qui la regardait approcher, toujours bien confortablement installé dans les bras de la naine.
– Tu m'excuseras si je me trompes, mais...
La lancière leva une main vers Soren et créa une boule de lumière aussi éblouissante que le soleil. Soren couina en fermant les yeux, se débattant dans l'emprise de Farca qui fut elle aussi éblouie. Cependant, Soren se clama rapidement quand il sentit qu'au lieu de brûler, il était comme baigné d'une douce chaleur. Il entrouvrit un œil, fixant péniblement la lueur qui l'aurait si récemment incendié.
– C'est bien ce que je pensais... déclara Raya. J'ai utilisé un éclat aussi intense pour écraser Malnar, et pourtant, Soren n'est pas plus incommodé que nous. Ça veut dire que quand nous rentrerons dans le monde de la lumière...
– Soren pourra venir avec nous ! s'emporta Bélial qui prit le loup miniature dans ses mains pour le lever vers le ciel. T'entends ça ? Peu importe où on va, tu pourras venir !
Soren reprit sa taille normale, tombant sur la barbare qui se retrouva allongée sur le sol et fut agressée par de joyeux coups de langue lui arrachant des rires. Sieg s'agenouilla à leurs côtés et tenta de dégager sa partenaire, se prenant à son tour des léchouilles.
– Je suis vraiment content que nous n'avons plus de raison de nous dire adieux... souffla le bretteur en caressant la tête du loup.
– Pour le moment, nous devons encore nous rendre à Eclipsia, rappela Basile en s'aventurant vers la foret. Une fois là-bas, nous verrons bien ce que nous ferons.
Les autres Déicides emboîtèrent le pas à l'invocateur qui se fraya un chemin à travers les arbres. Lorelya se sentit revivre, ce contact avec la nature la requinquant après autant de temps passé dans un environnement plus désertique. Elle se retint de mentionner qu'elle sentait la présence d'animaux dans les parages, se souvenant d'à quelle vitesse la barbare avait fondu sur sa proie la dernière fois qu'elle avait mentionné une telle chose.
Comme l'avait promit Basile, le groupe atteignit une petite clairière. Quelques cabanes, certaines en pierre et d'autres en bois, se dressaient là, occupées par des homme-dragons et même quelques humains qui se tournèrent vers les nouveaux arrivants avec surprise et méfiance. L'un d'eux reconnut l'invocateur et l'approcha.
– Prince Basile ! s'écria l'homme-dragon sans masquer sa joie de cette rencontre. Il est rare de te voir en dehors de la capitale ! Je ne m'attendais pas à une telle visite ! Surtout pas avec une escorte aussi...
Le représentant du campement se pencha sur le côté, inspectant les sept personnes et le loup qui scrutaient les environs à la façon de touristes.
– ... hétéroclite... conclut-il pour souligner l'absence d'homme-dragons.
– Oui, mes compagnons de voyage ont besoin de mon aide pour rejoindre Eclipsia. Voici une lettre de mon père qui explique tout ça.
Basile remit un missive qui fut lue avec attention.
– L'invitation de courtoisie, sérieusement ? Je ne crois pas qu'elle a jamais été utilisée par quiconque... Enfin, les ordres sont les ordres, suivez-moi.
Les Déicides furent guidés vers le centre de la clairière où deux gardes veillaient sur l'entrée d'un souterrain. Ils s'écartèrent pour laisser passer le groupe qui s'enfonça sous terre. Ils explorèrent les profondeurs une pleine minute avant d'atteindre le fond et se retrouver devant un large couloir naturel dont les parois étaient couvertes de pierres brillantes aux milles teintes. Après avoir parcouru ce court passage, ils débouchèrent sur une caverne somme toute modeste, mais les scintillements des pierres leur donnèrent l'impression qu'ils se retrouvaient sous un ciel nocturne constellé d'astres aux couleurs plus variées que n'importe quelle palette d'artistes.
Cependant, le centre de l'attention fut la fontaine, un point d'eau si limpide qu'ils faillirent ne pas la distinguer, croyant d'abord qu'une crevasse vide trônait au centre de la caverne. Trois femme-dragons vêtues de robes blanches étaient agenouillées autour d'elle, chantant des chants harmonieux qui se réverbérèrent contre les parois du souterrain.
– Nous avons besoin de vous, mesdemoiselles ! s'exclama le représentant en interrompant les chants de sa voix puissante. Nous avons besoin d'un portail vers Eclipsia !
Les femmes se regardèrent avec étonnement avant de s'adresser au groupe.
– Eclipsia, vraiment ? Nous pouvons faire ça, mais ça n'a jamais été fait depuis cette fontaine...
– Je sais, mais c'est une mesure exceptionnelle ! Le prince Basile va utiliser l'invitation de courtoisie pour assister à l'épreuve de Tarkar avec les démons cette année !
Une fois de plus, les femmes se dévisagèrent pour partager leur incompréhension mais finirent par hausser les épaules. Leur devoir était d'ouvrir le passage où on le leur demandait, pas de questionner les raisons des voyages.
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