Chapitre 37 : Esprits singuliers

Horrifié, Basile scruta son père qui se plantait devant lui, les poings sur les hanches, le fixant avec un air impassible. Clairement, quelque chose était attendu de lui, mais il ne se sentait absolument pas préparé à passer aux aveux avec lui, surtout en publique.

L'invocateur jeta un coup d'œil désespéré vers Sieg qui se contenta de garder le silence en haussant les épaules, bien conscient d'être la raison de cette situation mais ne sachant pas comment l'aider à la gérer. Se sentant abandonné, le prince se racla la gorge et croisa difficilement le regard de son père qui semblait s'impatienter.

– Heu...

– Basile, les trois quarts des conversations que j'ai avec toi peuvent être résumé par ce seul mot... soupira le roi. Mais là, je vais avoir besoin que tu te remues et m'expliques ce que Sieg voulait dire en parlant d'esprits.

– Mais tu as fini de tourmenter ce pauvre Basile ! Je comprend pourquoi il avait peur de te parler !

Un mouvement de recul général saisi l'assemblée. Stupéfait, Blaso fixa la créature qui venait de se matérialiser juste derrière son fils, flottant juste au-dessus du sol. L'entité à la peau bleue nageait dans les airs, la partie inférieure de son corps se finissant en queue de poisson aux écailles de saphirs. Les poings sur les hanches, l'apparition se pencha vers le roi qui se perdait dans l'admiration de ses yeux turquoises sous ses cheveux azurés qui ondulaient autour de son visage comme s'ils étaient bercés par des vagues.

– Oui, c'est à toi que je parle ! Basile est un grand sensible, il a besoin d'encouragements, pas qu'on lui fout la trouille !

– Sasine ? s'étrangla Basile en la fixant avec incompréhension. Mais je ne t'ai pas appelée !

L'esprit cessa de fixer Blaso et se tourna vers son invocateur, son expression passant de l'énervement à l'attendrissement. Avec un rire, elle serra Basile dans ses bras et lui caressa la tête.

– Tu oublies que tu nous invoques surtout avec ton cœur, et là, tu as surtout envie que quelqu'un te réconforte, alors tu m'as invoquée inconsciemment ! Tu sais, j'ai eu beaucoup de pactisant, mais en tout, je n'en ai eu que quatre qui ont juste eu besoin de vouloir me voir pour que j'apparaisse ! Quand je te disais que tu étais spécial !

– Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ? demanda Blaso en faisant signe à ses soldats de baisser leurs armes. Qui es-tu ?

– Oh pardon ! s'exclama l'esprit en semblant se souvenir d'où elle était. Mes hommages, petit roi. Je suis Sasine, esprit majeur de l'eau et de la guérison ! Je suis liée avec ton fils depuis... Cinq ans je dirais ? C'est si court, quand j'y pense ! En même temps, c'est vrai que ça faisait des millénaires que personne dans ce monde ou celui de la lumière avait réussi à m'invoquer...

– Invoquer ? s'écria un membre de la cour. Prince Basile a réussi à vous invoquer ?

– Quoi ? Mais c'est impossible ! répondit quelqu'un. Il n'y a plus eu d'invocateurs depuis plusieurs milliers d'années ! C'est un art perdu !

– Et pourtant... marmonna un troisième individu. Je me souviens avoir lu des livres à ce sujet, et elle est identique aux représentations de l'esprit Sasine...

– Attends, c'est sérieux ? interrogea Onyx en forçant son frère à lui faire face. Tu arrives à invoquer un esprit ?

– Un ? ricana Sasine en flottant devant le cadet pour toucher son nez avec espièglerie. Du tout, il a des pactes avec presque tout les esprits ! Et ça, ce n'est que parce qu'il refuse de me croire quand je lui dis que les esprits les plus sombres seraient ravis de se lier avec lui ! Ton grand-frère est un prodige comme j'en ai jamais vu, et j'existe depuis plus de vingt mille ans !

Sidérés, Onyx et Blaso observèrent Basile qui se tassait sur lui même, ne sachant plus où se mettre.

– Je n'osait pas en parler... Ici, il n'y a que la force qui compte, et... Bah je ne suis pas fait pour ça... J'avais peur que vous me trouveriez encore plus bizarre...

Le roi passa sa main sur le visage en réprimant un soupir avant de poser l'autre sur l'épaule de l'invocateur.

– Bon, je l'avoue, je n'ai pas toujours été tendre avec toi depuis que j'ai compris que tu ne valais rien au combat... J'espérais pouvoir t'endurcir, mais on dirait que j'ai obtenu l'effet opposé... Mais si tu pensais que je n'aurait pas impressionné si tu me révélais que tu pouvais invoquer des esprits, tu te trompes lourdement ! Les livres sur le sujet que tu dévores, je les ais lu aussi avant ta naissance, je sais combien les invocateurs sont incroyables ! Même les moins doués d'entre eux pouvaient rivaliser avec plusieurs de nos guerriers à l'époque à condition d'être lié avec un esprit doué pour le combat ! Et là, tu me dis que tu es lié à plusieurs esprits ? Ça fait de toi un maître dans l'art !

Peu habitué aux compliments de son père, Basile resta muet, ne sachant comment réagir dans cette situation. Onyx fixa Sasine qui le salua de la main, semblant réfléchir intensément.

– Hé ! intervint soudainement le plus jeune prince en dévisageant son aîné. Tu pourrais m'invoquer un guerrier ? Je veux vérifier un truc...

Étonné, Basile hésita avant de se plonger dans ses pensées.

– Voyons, heu... Mofar, tu es disponible ?

– Ah, tu as enfin besoin de moi ?

Le cœur d'onyx s'arrêta quand un colosse se matérialisa juste à côté de lui. Couvert de fourrure orange rayée de blanc, la bête bipède fourra ses pouces dans la ceinture qui maintenait son pagne et tourna son visage félin vers le second prince, le détaillant de son seul œil valide. Onyx tenta de ne pas s'attarder sur la pupille blanche encadrée par une large balafre, préférant se concentrer sur la grande hache accrochée dans son dos.

– Alors c'est toi, le frangin de Basile... feula Mofar en montrant les crocs. De ce qu'il m'a raconté, t'aimes bien le rabaisser... Je ne sais pas ce qui me retiens de t'en coller une...

– Par pitié, Mofar, arrête ! paniqua Basile en s'interposant entre son invocation et son frère. C'est déjà assez compliqué comme ça !

– Oh putain... bafouilla Onyx en faisant un pas en arrière. C'est vraiment Mofar, le fauve d'Eldion... D'après la légende, il aurait tenu presque une minute face à Tarkar quand il est devenu le champion de Fauvia !

– Alors d'un, il est juste là, t'a pas besoin de parler comme si je n'existait pas ! râla Mofar en frappant le torse d'Onyx de son index velu. Et de deux, ouais, ça, c'était de la bonne baston ! J'espère pouvoir remettre ça avec lui un de ces jours !

– Mais... Pourquoi te lier avec Basile ? demanda le prince, les bras ballants. Je ne sais presque rien des esprits, mais j'ai tout lu sur les meilleurs guerriers qui ont jamais vécu, et de ce que j'avais compris, tu ne te liais qu'à des valeureux combattants !

– D'habitude, oui... avoua Mofar en levant les yeux vers le plafond tout en se caressant le menton. Tu sais, un esprit ne peut se lier avec un invocateur que si son âme est compatible. Et forte aussi, n'oublions pas ça ! Alors ouais, le Basile là, il a pas la tête de l'emploi quand on le regarde comme ça, et pourtant...

– Mais c'est parce que son âme est spéciale ! expliqua Sasine. Elle est souple et capable de prendre toutes sortes de formes ! Pour faire simple, Basile est le seul invocateur de toute l'histoire qui est capable de se lier à n'importe quel esprit, car son essence peut s'adapter à n'importe lequel d'entre nous !

– Voila, c'est ça ! reconnut Mofar en claquant des doigts avant d'en pointer un vers Sasine. Et si on n'oublie pas que son âme est très puissante, on n'exagère pas quand on dit que si le petit Basile prend confiance en lui, il peut devenir le plus puissant invocateur de tous les temps !

– Pardon, mais j'aimerais poser une question à Sasine, interrompit Sieg en marchant vers l'esprit. Tu es capable de soigner les blessures, c'est bien ça ? Peut-on te demander de voir ce que tu peux faire pour notre amie ?

– Oh putain, c'est vrai, Farca ! s'écria en posant ses mains sur sa bouche. Avec toutes ces conneries, j'avais oublié qu'elle était blessée !

Sasine pencha sa tête sur le côté en croisant les bras avant de se tourner vers Basile.

– Ah ? Tu veux ma... Bah oui, bien sûr ! Si tu peux aider quelqu'un, je veux que tu le fasses !

– Très bien, dîtes-moi où elle est et je verrais ce que je pourrais faire...

– Mes gardes l'ont sûrement amenée à l'infirmerie, annonça Blaso. Et si tu pouvais voir ce que tu peux faire pour les autres...

Le regard de glace de l'esprit de l'eau coupa court à la demande du roi qui doutait de ses chances de survie si cette dernière s'en prenait à lui. Fort heureusement, Basile s'empressa de calmer le jeu.

– S'il-te-plaît, Sasine ! Ce serait l'occasion idéale pour toi de montrer des talents inimitables !

Un sourire étira les lèvres de l'esprit.

– Tu sais que je ne peux rien te refuser... Allez, c'est bon, je m'occupe de tout le monde ! Et l'infirmerie...

– Toi ! ordonna Blaso en désignant un soldat. Montre lui la voie, et que ça saute !

– J'espère que Farca pourra vite récupérer... soupira Ahmés en regardant l'esprit être escortée hors de la pièce.

– Moi aussi, mais pour le moment, il y a d'autres choses que je veux vérifier... déclara l'écarlate en adressant enfin un regard à la déesse. Tout-à-l'heure, quand tu as réussi à atteindre Lainabe, vous aviez parlé d'une boîte, c'est ça ? De quoi...

– Oh merde ! s'emporta Raya en se tirant les cheveux. Merde, merde et merde ! Comme j'avais failli crever à ce moment là, je n'y avais plus pensé, et je suis restée un moment trop faible pour me concentrer ! Et dire que j'avais réussi à convaincre ce tocard de me confier la boîte vu qu'il ne pouvait pas veiller sur elle pendant qu'il possédait quelqu'un ! Raaaah ! C'était pourtant...

Les portes de la salle du trône furent ouvertes violemment, laissant une dizaine de gardes entrer en rang. Entre chaque paire de soldats, un prisonnier était traîné avant d'être jeté au sol avec mépris.

– Veuillez nous excuser, mais nous avons surpris ces intrus au détour d'un couloir et avons supposé qu'ils étaient liés à l'attaque. Cependant, nous devons admettre qu'ils étaient beaucoup plus faibles que prévus...

– Vous nous avez pris en traître ! hurla Trèvor dont les yeux se posèrent sur les Déicides. Vous ? Bon sang, mais pourquoi est-ce que ce genre de choses arrive quand vous êtes dans les parages ?

– Croyez-moi, nous ne sommes pas plus ravis de vous revoir... grommela Sieg en plissant des yeux. Et de toute façon, ce n'est pas comme si nous avions eu besoin d'intervenir pour que vous finissiez à votre place... Vous liguer avec Saga, franchement...

– Et toi ! rugit Radan en fixant Raya. Qu'est-ce que tu fais là-bas avec eux ? Ne me dis pas que tu nous as trahis ?

La déesse haussa un sourcil, détaillant le demi-orque avec un mélange de mépris et d'exaspération. Lentement, elle s'approcha du guerrier qui se relevait, les mains toujours attachées dans le dos comme ses compères.

– Ah la vache... Et c'est une des vermines qui m'ont attaquée en douce qui me sort ça ? Franchement, si tu ne venais pas de me rendre service en prouvant à quel point tu pues la merde, je t'en collerais bien une...

Ignorant les vociférations de Radan, la blonde le scruta avant de voir sa besace. D'un mouvement vif, elle le lui arracha avant de le repousser du plat de la main avec une aisance déconcertante. La déesse fouilla le sac et se mit à sourire.

– Non, c'est bon, on l'a encore ! ricana Raya en lançant la boîte qu'elle venait de trouver vers Sieg. Et franchement, il était temps qu'on ai du bol ! Avec ça, on pouvoir prendre l'avantage sur Saga !

Intrigué, le bretteur attrapa au vol la boîte et l'entrouvrit, laissant une pâle lueur bleue en sortir. À peine eut-il vu ce que l'objet contenait qu'il rabaissa le couvercle et fixa Raya avec des yeux ronds.

– Oh putain...

– Exactement la réaction que je me suis retenue d'avoir quand j'avais compris que Lainabe se baladait encore avec ça... précisa Raya. On a eu une chance de malade qu'il n'a pas décidé d'apporter ça à Saga avant de venir ici.

– C'est quoi ? demanda Bélial en s'approchant de la boîte.

Sieg se tourna vers le reste de la cour qui était aussi curieuse que sa partenaire. Avec un soupir, l'écarlate l'ouvrit de nouveau et en extirpa le contenu. Il présenta à toute le monde un cube de cristal couvert de symboles ésotériques, au centre duquel une pierre bleue flottait. Alors que la cour la fixait avec un air circonspect, les Déicides ne purent qu'écarquiller les yeux en découvrant l'objet. De son côté, Soren se mit à grogner en sentant l'énergie qui se dégageait de ce dernier.

– Mes amis, déclara le bretteur en levant bien haut la lampe. Sauf erreur de ma part, je tiens là la pierre qui renferme Flegmon, le Déchu de la Paresse... Et si elle est aussi petite, j'imagine que c'est parce que Saga a donné à Lainabe le moyen de la rendre plus facile à transporter...

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