Chapitre 35 : Un cœur tiraillé

Lainabe observa les visages paniqués de ses adversaires et prit son pied. Maintenant qu'il avait en sa possession le corps de Sieg, plus rien l'empêchait de s'amuser, et il avait déjà une idée bien arrêtée concernant par quoi il allait commencer.

Le pirate fixa Bélial dont l'expression de désespoir le faisait jubiler.

– Alors ma jolie ? Ne me dis pas que ce corps ne te fais plus plaisir ? Si tu es sage, je te promet de l'utiliser mieux que Sieg, rien que pour toi...

– Sors de lui tout de suite si tu veux pas...

– Pas quoi ? ricana Lainabe en écartant les bras. Que tu me frappes ? Mais vas-y, je t'en prie, fais toi plaisir !

Soren grogna en s'approchant du spectre qui regarda le loup avec mépris.

– Toi, par contre, si tu ne te calmes pas, tu vas finir en descente de lit...

Bien qu'il sentait que l'être qui parlait n'était pas Sieg, entendre sa voix le menacer ainsi blessa Soren qui baissa la tête en rentrant la queue. Bélial serra les dents, comprenant la douleur que devait ressentir l'ancien compagnon de son partenaire. Adam fut tiraillé entre deux objectifs différents, ne sachant pas comment accomplir un seul d'entre eux.

Plus loin, Blaso ordonna à ses gardes de rester sur leurs gardes, ne sachant pas ce qui allait se passer ensuite. Il fut rejoint par ses deux fils qui surveillaient le déroulement des choses.

Lys profita de l'état de choc des soldats qui la retenaient pour se libérer et vaciller sur ses jambes, marchant lentement vers Lainabe. Elle avait perdu trop de sang pour se déplacer normalement, mais elle lutta pour avancer. Plusieurs gardes voulurent la rattraper, mais Malnar leur ordonna de rester où ils étaient s'ils ne voulaient pas qu'il mette sa menace à exécution.

L'esprit lourd, la lancière usa du peu de forces qui lui restaient pour tituber, espérant ne pas tomber avant d'avoir atteint son but car elle savait qu'elle n'arriverait pas à se relever. Chaque pas représentait pour elle un miracle qu'elle s'évertua de recommencer, ne se laissant pas le droit d'échouer. Elle tenait là sa dernière chance d'atteindre son but, et elle ne comptait pas la laisser lui échapper.

Intrigué, Lainabe s'approcha de Lys et la laissa tomber dans ses bras, serrant son corps affaibli contre son torse.

– Tu es tenace, je te l'accorde... s'amusa le fantôme. Rien que pour ça, je te promets de punir les enfoirés qui t'ont attaqué dans le dos. Mais avant ça, la boîte...

– Radan... Volée...

– Bon, au moins, je sais où elle est... souffla le pirate en aidant Lys à redresser la tête. En tout cas, ne t'en fais pas, quand je parlerais de tout ça à Saga, je...

Avec un ultime effort, Lys enroula ses mains autour de la nuque de Sieg et se hissa jusqu'à son visage pour l'embrasser. Lainabe écarquilla les yeux, ne s'étant pas attendu à un tel comportement de la part d'une mourante. De là où elle se trouvait, Bélial observa la scène avec dégoût, se jurant de faire payer à la guerrière d'embrasser son homme juste sous ses yeux.

Après la surprise passée, Lainabe rendit le baiser de Lys, mais réalisa vite que quelque chose clochait. Une partie de l'énergie de Sieg était siphonnée par Lys, rendant ses forces à la lancière qui resserra sa prise sur lui. Le pirate tenta de se libérer, mais elle lui résista, s'accrochant au bretteur pour continuer d'absorber sa mana.

Quand elle fut satisfaite, Lys repoussa Lainabe qui tomba en arrière. Le corps de la guerrière se mit à briller comme un phare en pleine nuit, arrachant un cri de douleur à Malnar qui ne relâcha pas sa prise sur Lardzar. La lumière se dissipa, laissant une foule aveuglée retrouver lentement la vue alors que la lancière se mettait à rire.

– La vache, ce n'est pas passé loin ! Un peu plus, et tout partait vraiment de travers ! J'avais eu énormément de chance jusque-là, ça aurait été dommage d'échouer alors que j'ai enfin réussi à retrouver tout le monde !

– Mais qu'est-ce que tu...

Malnar ne termina pas sa phrase, secoué par un choc soudain. Il sentit Ladzar échapper à son étreinte, bien que les doigts du vampire étaient toujours enfoncés dans sa gorge. Choqué, Malnar fixa son bras sectionné au niveau de son coude, une plaie fumante qui ne voulait pas guérir. Paniqué, le vampire dévisagea Lys, en pleine possession de ses moyens, marchant vers lui avec une assurance absolue.

– Mais qu'est-ce que tu...

Tiré de son admiration de la scène par le cri de Lainabe, Ahmés se souvint que plus rien le retenait d'intervenir et incanta des chaînes autour de Sieg, restreignant le spectre qui fut arraché de son corps et plaqué au sol. L'écarlate tituba et se laissa tomber en arrière, rejoint par Bélial qui le prit dans ses bras.

– Merde, ça va ? Tu te sens comment ?

– Comment as-tu osé ?

Surprise, la démone vit son amant se libérer de son étreinte et se relever. Le bretteur tremblait de rage et l'air vibrait alors qu'il essayait de contenir la magie qui bouillonnait en lui.

– Tu n'avais pas le doit ! hurla Sieg en désignant la lancière. Tu devais avoir une autre option ! Elle mérite de reposer en paix !

Lys se tourna d'un quart vers le bretteur, tête baissée. Après une seconde sans réagir, elle leva ses mains et ôta son casque. Ses cheveux blonds ondulèrent telles des vagues de lumière alors qu'un visage radieux était révélé à tous. Cependant, plus que sa beauté à couper le souffle, ce furent ses yeux qui en surprirent plus d'un. D'une tristesse plus profonde que l'océan, rayonnant de regrets, ses deux pupilles d'or se posèrent sur Sieg qui serra ses poings fumants, prêts à s'embraser.

– Je ne voulais pas, crois moi... Quand nous nous sommes quittés, je pensais que ça se passerait comme d'habitude, mais au final... À mon réveil, car oui, je me suis réveillée, j'étais sous terre, j'ai cru que j'allais étouffer. J'ai du creuser pour atteindre la surface avant de mourir. Je n'ai vraiment compris ce qui m'étais arrivé que quand j'ai vu mon reflet dans le cours d'une rivière...

Avec un cri de colère, Sieg frappa un mur d'un poing qui s'embrasa. La roche céda, créant une explosion de débris et de poussière dans un vacarme terrible. Même les homme-dragons, pourtant si valeureux, tremblèrent face à l'ire de l'écarlate qui semblait sans limite.

Bien qu'il ne comprenait pas ce qui se passait, Malnar vit en cet instant sa dernière chance de s'échapper. Le vampire tourna les talons, prêt à détaler, quand il bascula vers l'avant et s'effondra au sol. Avec une grimace, il finit par ressentir la douleur qui l'avait frappé si vite qu'il ne l'avait pas ressenti au début et fixa ses deux jambes tranchées au-dessus des genoux.

– Parce que tu pensais que je t'avais oublié ?

Pour la première fois depuis des millénaires, Malnar sentit son sang se glacer dans ses veines. Ces quelques mots avaient été proférés avec tant de hargne que ses instincts les plus primitifs s'étaient réveillés, balayant sa fierté de vampire et laissant un simple animal traqué.

Lys s'était détourné de Sieg, sa tristesse laissant place à une colère sourde alors qu'elle s'approchait du vampire rampant au sol pour s'éloigner vainement d'elle.

– Tu n'es rien de plus qu'un parasite... lâcha froidement la guerrière en regardant le vampire avec un mépris absolu. Une sangsue dans tous les sens du terme, qui ne peut pas vivre sans prendre, encore et encore, sans jamais rien donner... Même durant mon ancienne existence où j'étais incapable de quoi que ce soit, je n'étais pas une vermine comme toi...

D'ordinaire, Malnar n'employait jamais sa magie contre une seule personne. Dans son orgueil, il ne voyait personne assez digne de mériter autant d'efforts de sa part, préférant garder sa mana pour quand il voulait massacrer des dizaines de personnes en une fois. Pourtant, face à cette humaine, il n'hésita pas une seule seconde et invoqua des tentacules des ombres aux alentours pour les projeter sur Lys. L'attaque n'était qu'à quelques centimètres d'elle quand le corps de la lancière s'illumina de nouveau, plus fort que la première fois, dissipant les ombres et frappant le vampire avec un éclat qui consuma sa peau et une partie des muscles de son visage, meurtrissant sa chair jusqu'à l'os. Les pupilles du vampires se consumèrent, le privant de la vue alors que son corps entier agonisait. Il sentit quelque chose s'enrouler autour de sa gorge, le brûlant au contact, avant de le soulever du sol et le hisser dans les airs. De sa main restante, incinérée et décharnée, il tenta de retirer la corde qui le retenait, mais ses doigts se désagrégèrent à son contact.

– Oh, ne t'en fais pas, je ne compte pas te tuer... résonna la voix de Lys dans ses oreilles. Tu vas d'abord tout nous raconter... Quels arrangements Saga a trouvé avec les tiens, ce que tu sais de ses plans, tout... Après seulement, tu auras ma permission pour crever comme un rat...

– Heu, Sieg ? demanda Ahmés d'une petite voix avant de se reprendre. Tu la connais d'où, exactement ? Parce que là, elle commence à vraiment me faire peur...

Lys se désintéressa du vampire et fit face aux quatre Déicides présents qui la dévisageaient. Si le musicien et le bretteur la regardaient respectivement avec de l'effroi et de la colère, le gardien resta neutre. Quand à la démone, son expression perdue se dissipa lentement, une idée se dessinant dans son esprit.

– ... Raya ? osa à peine demander Bélial.

Surprise, la lancière scruta le visage de la barbare, ses yeux se perlant de larmes et ses lèvres tremblantes.

– Décidément, tu n'arrêteras jamais de me surprendre, Bel... murmura la déesse de la lumière en baissant les yeux. Crois moi, j'aurais préféré de meilleures retrou...

La démone ferma la distance entre elles en une fraction de seconde, enlaçant sa plus vielle de toutes ses forces alors que ses larmes coulaient à flots sur sa tête.

– Rayaaaaaaa ! Tu m'avais tellement manquée ! Je voulais te retrouver depuis un bail !

– Tu vas me briser en deux... articula difficilement Raya qui chercha en vain un moyen de se libérer.

Bélial relâcha la lancière et posa ses mains sur ses épaules pour se pencher en avant. Leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre, la barbare étudia chaque trait de la déesse avec une expression sérieuse.

– Mais attends... T'es genre... Raya, Raya ? Pas un esprit en train de posséder quelqu'un ? T'es toute seule là-dedans ?

– Oh non... s'exclama Ahmés en portant la main à sa bouche. Quand tu as quitté le corps de Sieg, l'Ordre essayait de t'éveiller en lui... Mais alors...

– Non... dévoila Raya en secouant la tête. Je n'ai pas effacé la conscience d'une innocente en prenant possession de son corps... C'est... Ce qui s'est passé... C'est peut-être pire encore...

La déesse tourna le regard vers l'écarlate qui se détourna en retour, refusant de poser les yeux sur elle. Bélial écarquilla les siens quand elle comprit pourquoi son partenaire était aussi furieux avec Raya depuis qu'elle l'avait embrassé.

– Oh merde... Ce corps... c'est le sien, c'est ça ? Le corps d'Alice ?

Raya hocha la tête, la honte se lisant dans son expression.

– Je ne saurais pas dire pas dire comment c'est arrivé... Comme j'étais en train de m'éveiller à ce moment là, je pense que j'avais en moi juste assez d'énergie divine pour ramener le corps d'Alice à la vie, mais son âme n'est pas revenue. Je me suis donc réincarnée dans son corps, par un coup du destin que je n'arrive pas à comprendre...

En réalisant la pleine détresse que devait ressentir l'écarlate, la démone se tourna vers lui. Soren se frottait à sa jambe, sentant sa tristesse et cherchant à le réconforter. Bélial ne savait pas comment réagir, tiraillée entre milles émotions qui partaient dans tous les sens. Comment réconcilier la joie de retrouver sa plus précieuse amie avec le désespoir de voir l'élu de son cœur souffrir ?

Un raclement de gorge tira le groupe de leurs pensées, les poussant à prêter attention au roi qui les fixait sombrement.

– J'ai une multitude de questions à vous poser, et franchement, je ne sais pas par où commencer...

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