Chapitre 24 : Sanglante alliance

Le vif éclat de la lune dorée balayait la citée de Tios quand un convoi quitta son enceinte vers l'ouest. Douze véhicules alimentés par des flasques de Ténèbrium parcoururent les routes d'un bon train, chacun accueillant six occupants. Dans une voiture du milieu, Lardzar et Udia échangeaient passionnément, ayant tout deux trouvé en l'autre un compagnon de route partageant la même soif d'en apprendre plus sur le monde de l'autre.

Faisant abstraction de leurs échanges incessants, Anoro conversait plus sobrement avec le Capitaine Donce assis devant lui, un Cendressang chargé de la sécurité du prince. Après s'être assuré que lui aussi partageait les idéaux de Lardzar, Anoro avait décidé de s'entretenir avec lui, le capitaine acceptant le dialogue plus facilement que le soldat ne l'aurait cru. Donce affirmait qu'il souhaitait en apprendre plus sur les tactiques militaires du monde de la lumière, ce qui pourrait lui permettre d'adopter ne stratégie que leurs adversaires d'ici ne pourraient pas prévoir en cas d'attaque.

De leur côté, Sieg et Bélial demeuraient silencieux. Assis côte-à-côte, La démone s'était attendue à ce qu'ils passent le temps en discutant de ce qu'ils avaient vu jusqu'à présent et en émettant des hypothèses sur ce qui les attendait, mais l'écarlate lui répondait à peine, gardant les yeux rivé sur le paysage qui défilait. La patience de la barbare atteignit vite ses limites et elle décida de réveiller son partenaire.

– Bon, je commence à avoir chaud moi ! Je pense que je vais me déshabiller, je serais plus à l'aise !

– Hmm, oui, c'est une...

Sieg écarquilla les yeux quand il réalisa enfin ce qu'il venait d'entendre et se tourna vers la jeune femme qui lui adressait un sourire victorieux accompagné d'un regard agacé.

– Ah, enfin, tu réagis ! Sérieux, c'était pas sympa de m'ignorer comme ça ! Si un truc te dérange, tu devrais en parler !

– Mais non, il n'y a... commença le bretteur avant de soupirer et abdiquer. Non, tu as raison, je ne peux pas m'empêcher de penser à quelque chose... Enfin, quelqu'un...

– Ah ouais ? Qui ? Parce que c'est la première fois que je te vois comme ça...

– Disons... Que c'est lié à mon passé... Mon passé lointain...

Lardzar remarqua le regard appuyé que posait Sieg sur Donce, le menant à comprendre où l'écarlate voulait en venir. Le prince se racla la gorge.

– Capitaine, ce qui va être dit ici risque de vous choquer, et vous aurez l'interdiction absolu d'en parler à quiconque. Si cela vous pose problème, nous pouvons vous laisser descendre pour que vous puissiez continuer la route dans une autre voiture en attendant que vous ayez terminé.

Donce dévisagea son prince avant de prendre un air pensif.

– J'ai confiance en votre jugement, Votre Altesse. J'ignore de quoi vous allez parler, mais si vous avez confiance en eux malgré ce secret, j'imagine que je pourrais moi aussi l'accepter. Vous pouvez continuer, je resterais aussi muet qu'une tombe.

Sieg hocha la tête, partiellement rassuré par cette promesse. Il joignit ses mains ensemble et les fixa quelques secondes avant de se livrer.

– Pendant la guerre, j'avais un ami irremplaçable... Un compagnon sur qui je pouvais toujours compter... Quoi que je faisais, il était toujours à mes côtés... Mais quand les homme-chau... Quand les vampires se sont rebellés, ils s'en sont pris à lui et l'ont transformé... Je l'ai vu résister à la soif qui le dévorait, mais il ne pouvait pas y résister éternellement... Il a fini par se nourrir, et s'il ne m'a jamais fait de mal, je pense que c'est uniquement à cause du lien qui nous unissait. La dernière fois que je l'ai vu, c'était quand il s'est enfui avec les autres à travers un portail. Cette séparation m'avait brisé le cœur, je pensais m'en être remis, mais...

Bélial serra le bretteur dans ses bras et lui fit poser sa tête sur son épaule pendant qu'elle le cajolait.

– S'il était aussi important, c'est normal que t'ai encore mal... Personne a le droit de te dire d'oublier ceux que tu aimes... Si tu sens que tu veux pleurer pour lui, je suis là pour toi...

Sieg sentit sa tension le quitter et se laissa bercer par les paroles réconfortantes de sa partenaire. Du moins, jusqu'à ce qu'un raclement de gorge d'Anoro ne lui rappelle où ils étaient. L'écarlate se redressa soudainement et évita les regards amusés de Lardzar et Udia qui se délectaient de la scène alors que les militaires tachaient de rester neutres. Anoro trouva que Donce acceptait fort bien la révélation que Sieg avait combattu dans la guerre du Crépuscule, bien qu'il l'ait vu devenir blême quand il avait compris ce détail. Le soldat redoutait cependant sa réaction s'il apprenait qu'il voyageait dans la même voiture que le Raizak.

– Je ne sais pas si c'est une si bonne nouvelle, mais il y a une chance que votre ami soit encore parmi nous...

Surpris, l'écarlate fixa le capitaine qui observait son prince, guettant sa réaction. Lardzar hocha la tête, lui donnant son approbation.

– Si vous avez vraiment vécu il y a quatre mille ans, je ne peux pas vous blâmer pour votre ignorance sur ce point, mais les vampires sont presque immortels. Tant que l'on ne détruit pas leur tête ou leur cœur, ils ne meurent pas, même si des siècles passent. Alors s'il n'est pas tombé au combat, il doit être encore en vie.

Sieg baissa la tête, troublé par cette révélation. Il avait depuis longtemps accepté l'idée que jamais plus il ne reverrait son ami, aussi pénible était cette réalisation. Mais maintenant, une lueur d'espoir osait éclairer ses souvenirs. Mais plus une lumière est vive, plus les ombres qu'elle créait sont épaisses.

– J'adorerais le revoir, mais... J'ai vu ce que cette transformation fait à ceux qui la subissent.. Devenir l'esclave d'une telle faim...

– Je comprends votre crainte, acquiesça Lardzar en se penchant en avant pour poser sa main sur l'épaule de l'épéiste. Je n'ai que rarement rencontré des vampires, mais ceux que j'ai rencontré étaient viciés par leurs désirs, et le plus âgé d'entre eux n'avait qu'au mieux cinq siècles. Je ne veux pas vous blesser, mais si votre ami est aussi vieux que...

– Je suis sûre qu'il a pas changé.

Tous les regards se posèrent sur Bélial qui regardait résolument son partenaire, ses yeux brillants de certitude.

– C'était ton meilleur ami, non ? Je te connais, tu serais pas pote avec un crevard, je sais qu'il est fort. Alors je sais que c'est pas un monstre. Ou pas totalement. Si vous vous retrouvez, je suis certaine que tout ira bien, qu'il sera toujours le gars en qui tu as toujours eu confiance.

Un sourire étira les lèvres du bretteur. Comme toujours, l'optimisme de sa partenaire arrivait à le tirer de ses doutes, lui permettant d'espérer le meilleur alors que le monde semblait lui promettre de la douleur.

– J'espère que tu as raison...

– Mais ouais, tu verras ! Ça se passera bien ! Et sinon, tu peux nous dire comment il s'appelle, ton pote ?

***

– Hé Malnar, réveille-toi ! On est arrivé !

S'éveillant en sursautant, le dénommé Malnar cligna des yeux avant de regarder autour de lui. Il vit le sourire moqueur d'un de ses associés qui s'éloignait et ne se retint de l'étriper que pour éviter d'avoir à se laver les mains après. Il s'étira et se leva de sa banquette dans la calèche qu'il avait l'impression de ne pas avoir quitté depuis des semaines.

Il avait beau savoir que ses ordres venaient d'en haut, il avait été bien tenté de refuser sa mission quand il avait appris qu'elle le mènerait aussi loin de Plasmia et son bétail bien docile éduqué à se laisser dévorer. Contrairement à beaucoup de ses congénères, Malnar ne voyait aucun intérêt à chasser quand son peuple avait œuvré pendant des siècles pour se garantir un garde-manger satisfaisant. Mais non, les vampires les plus jeunes ne se départaient que très tard de leur soif de traque et de peur, alors que les anciens comme lui s'en étaient déjà lassés.

Avec un soupir, Malnar quitta le carrosse et huma l'air frais avec plaisir. Il jeta un regard en arrière et secoua la tête. Les deux dernières occupantes de la voiture étaient toujours affalées sur les banquettes, à peine vêtues et le regard vitreux. C'était toujours comme ça quand lui et son ami Foron voyageaient, ça leur creusait l'appétit. Heureusement, les vampires s'étaient retenus, ce qui leur évitait d'avoir à trouver de nouveaux encas pour la suite du voyage. Quand il vit une d'elle se redresser, dévoilant une trace de morsure sur sa nuque, Malnar pensa que trouver une troisième victime pour passer le temps ne serait pas une mauvaise idée.

– Toi là ! s'exclama Malnar en interpellant un de ses serviteurs en train de décharger la voiture. Veille à ce qu'elles soient lavées et bien nourries avant notre départ ! Tu n'as pas intérêt de traîner, sinon tu devras les aider à étancher notre soif !

Malnar ne put s'empêcher de rire en voyant le visage horrifié du larbin qui laissa tomber le sac qu'il tenait pour se ruer vers les deux femmes. S'il n'aimait pas chasser, il ne pouvait cependant pas se défaire de sa joie en voyant la terreur dominer chez ses victimes potentielles. Le vampire extirpa un petit boîtier de la poche de sa longue veste carmin et l'ouvrit pour dévoiler un petit miroir. Il s'en servit pour remettre de l'ordre dans ses cheveux blancs avant de voir qu'une tache de sang ruinait son visage blafard. Il entrouvrit les lèvres, révélant deux canines aiguisées, et tira sa langue qui s'étira jusqu'au coin de son œil rouge pour lécher la souillure et profiter de cette petite douceur trouvée. Une fois satisfait, il remisa le miroir dans sa poche et partit rejoindre Foron qui était déjà loin.

Bien qu'habitué à son manège, Malnar n'avait que peu de patience pour son partenaire forcé, un jeunot d'à peine quatre siècles qui avait appartenu au peuple des elfes noirs avant sa transformation. Ses cheveux et sa peau avaient la même couleur que les siens, mais ses yeux écarlates avaient une teinte plus sombre, comme pour refléter la cruauté avec laquelle il aimait traquer ses proies.

L'ancien vampire se retint d'insulter Foron en publique quand il le vit s'approcher d'un groupe de guerriers avec une démarche de fauve qui les effrayait, il le savait à l'odeur qu'ils dégageaient. Son jeune acolyte aimait se faire passer pour une bête pour faire paniquer ses cibles, mais ils n'avaient pas fait tout ce voyage juste pour se nourrir.

Délaissant son associé trop occupé à terroriser son entourage, le vampire scruta le puits de Ténèbrium qu'il foulait et ne put qu'admirer les installations. Le sol était couvert de piliers pour capter l'énergie quand elle débordait, alors que les murs étaient couverts d'échafauds, d'échelles et de cabanes où une véritable colonie vivait. De ce qu'il avait entendu concernant le nouvel associé de son maître, ce mystérieux allié promettait d'accomplir quelques services pour Plasmia en échange d'information. Malnar ignorait s'il pouvait faire confiance à cet inconnu qu'il n'avait jamais rencontré avant, mais ses ordres ne pouvaient pas êtres discutés.

– Ah, vous voilà ! Nous vous attendions !

Malnar se tourna vers l'humain qui venait de l'interpeller, s'approchant de lui flanqué de plusieurs guerriers et mages qui ne masquaient pas leur peur en le voyant. Du moins, sauf une femme en armure. Intrigué, le vampire s'était focalisé sur elle, ignorant tous les bruits parasites et se concentrant sur son pouls qui était calme et mesuré. Elle était un modèle de quiétude dans cette foule effrayée dont il pouvait ressentir la panique grandissante. Il ignora l'homme qui lui tendait la main pour le saluer et s'approcha de la lancière qui la fascinait si complètement.

– Mais que voilà donc... susurra-t-il en approchant ses doigts du casque de la guerrière. Et moi qui pensait que le voyage serait...

La guerrière voulu chasser sa main d'un revers de la sienne, mais il fut plus rapide, se glissant dans son dos comme une ombre et l'enlaçant par derrière.

– ennuyeux... continua-t-il alors que ses lèvres effleuraient la nuque de sa proie. Ah ce que j'aime les...

Malnar écarquilla les yeux en sentant les os de son pied droit se briser. Il vacilla alors que sa supposée victime pivotait sur une jambe pour attraper le vampire par les cheveux et le forcer à s'agenouiller.

– Si tu savais combien de fois j'ai entendu des petites frappes comme toi me sortir des conneries pareilles... cracha la lancière. Je ne sais pas ce qui me retiens de...

– Tes ordres, Lys, voilà ce qui t'oblige de rester polie... intervint un homme en la forçant à lâcher le vampire qui tituba en arrière. Veuillez l'excuser, elle n'en fait qu'à sa tête. Mais comme vous venez de le voir, elle est diablement efficace.

Le vampire répondit avec un sourire qui ne rassura personne excepté Lys qui détourna le regard en haussant les épaules. Lui qui n'avait plus eu envie de transformer quelqu'un depuis des siècles, il sentait le désir de faire sien la belle et farouche guerrière qui le toisait avec un superbe mépris. Elle avait tout le potentiel d'une excellente vampire, la laisser continuer sa vie d'humaine serait un gâchis colossal. Mais pour l'heure, il devait se concentrer sur sa mission.

– Oh, ne vous en faîtes pas, je suis ravi d'avoir pu la voir à l'œuvre... ricana Malnar alors que sa blessure finissait de guerrier. On nous a demandé de rencontrer...

Un cri de panique interpella le groupe et le masque de sérénité de Malnar fondit sous l'intensité de sa rage quand il découvrit la source du trouble. Des gens s'éloignaient de Foron qui était à califourchon sur une femme qui hurlait, arrachant son armure et ses vêtements en riant comme un dément. Dans le temps qu'il fallut aux autres spectateurs de cligner des yeux, Malnar fondit sur le second vampire et prit sa tête entre ses mains. D'un mouvement sec, il lui brisa la nuque et laissa son corps flasque tomber au sol avant de le pousser sur le côté d'un coup de pied pour dégager la victime sanglotante. D'ordinaire, il n'aurait pas sourcillé en voyant un de ses congénères agresser ainsi une inconnue, mais ils n'étaient plus à Plasmia, les règles étaient différentes et ils se devaient de donner une meilleure image d'eux même.

– Veuillez excuser cet abruti... lâcha Malnar en enlevant son manteau avant de le tendre à celle qu'il venait de sauver. Croyez moi, quand il reviendra à lui, je lui ferais amèrement regretter son manque de savoir-vivre...

Il la vit rougir du coin de l'œil et réprima un sourire en se disant que cet incident venait peut-être de lui ouvrir une porte vers un divertissement futur.

– Que votre ami ne recommence pas si vous voulez qu'il garde sa tête là où elle est... gronda un gaillard. On nous a demandé de travailler avec vous, mais si vous devenez une gêne, nous avons ordre de...

Aussi vite que quand il avait rejoint Foron, Malnar fut sur son interlocuteur et empoigna sa gorge d'une main. Sa victime se débattit en gémissant, mais sa force ne pouvait pas rivaliser avec celle du vampire.

– Ordre de quoi ? se moqua Malnar. De se faire étriper pathé...

Un bras spectral émergea du torse de l'homme malmené et enserra à son tour la gorge de Malnar. Le vampire tenta de se libérer, mais si la poigne qu'il subissait semblait réelle, le corps qui le maintenait en respect était aussi intangible que l'air. Une figure vaporeuse sortit du corps de la victime relâchée et souleva le suceur de sang qui ne toucha plus le sol.

– Oh, vous ne voulez pas savoir ce que je peux vous faire ! prévint Lainabe. Quand Maître Saga nous a envoyé un message il y a quelques heures nous ordonnant de travailler avec vous, j'avoue que j'avais les boules ! Alors soyez gentil et ne jouez pas au plus pénible !

Contenant sa rage, Malnar hocha sa tête et fut libéré. En se massant le cou, il se jura de trouver un moyen de se venger de l'apparition mais se calma pour le moment.

– Bon, je vous propose de ne pas traîner et partir dès que possible ! déclara le fantôme. Je dois encore rejoindre mon maître pour lui remettre ce qu'il m'a demandé quand on aura fini de vous aider. On doit aller à Fangia, c'est ça ? Nos mages ont déjà préparé le sort de téléportation pour y aller directement, nous pouvons partir dès que vous serez prêts.

– Vraiment ? s'étonna Malnar. Mais Fangia est à des centaines de kilomètres, un tel sort...

– Ne nous sous-estimez pas, la sangsue... ricana Lainabe. Nous avons bien des ressources qui dépassent votre petite cervelle. Ce n'est pas pour rien que...

Un râle bestial coupa le spectre qui se tourna vers les véhicules des vampires. L'un d'eux était recouvert par une bâche qui dissimulait ce qu'il contenait et reluait dans tout les sens. Des hurlements sauvages finirent d'achever les forces de Saga qui ne purent détacher leurs yeux du chariot qui semblait possédé.

– Mais bordel, c'est quoi ce...

– Oh trois fois rien... ricana Malnar en s'éloignant. Juste une petite ressource qui dépasse vos petites cervelles...

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