Chapitre 23 : Grimper les échelons
Un cri de douleur tira Lys de sa torpeur et lui arracha un juron. Encore fatiguée, elle se redressa sur sa couche et bailla sans la moindre gêne. Sur les autres lits, les femmes avec qui elle partageait une chambre commune émergeaient elles aussi de leur repos et regardèrent autour d'elles pour identifier la source du bruit. Ayant vite deviné que la source ne pouvait venir que de l'extérieur, Lys se leva et enfila ses bottes. Elle ignora les pièces de son armure et sa lance, estimant que les cris seraient plus nombreux s'ils étaient attaqués, et sortit dans sa longue jupe fendue et son chemisier. À part les lits, elle n'avait aucun mobilier à contourner, chaque occupante de la chambrée ne pouvant compter que sur son sac pour ranger ses effets personnels.
Une fois dehors, elle s'accouda à la rambarde en face de l'entrée de la chambre et observa attentivement les environs. Perchée à plus de vint mètres du sol, elle avait une vue imprenable du campement depuis son refuge le long de la paroi. Elle remarqua des mouvements du coin de l'oeil et baissa la tête pour fixer le sol
Les derniers crépitements de Ténèbrium du débordement du puits s'atténuaient, absorbés par les piliers qui emmagasinaient leur pouvoir. En se penchant plus en avant, Lys vit une forme sombre et fumante à quelques pas des escaliers qui permettaient de rejoindre l'abri salvateur des hauteurs quand le puits déversait son trop plein. La lancière vit des gens accourir vers le cadavre et se détourna de la scène avant de se tourner vers ses voisines de chambres qui n'avaient toujours pas quitté leurs lits.
– Encore un qui a trop traîné... soupira Lys. Pourtant, ce n'est pas compliqué de se mettre à l'abri avant que le puits ne se réveille, ce n'est pas comme si c'était aléatoire...
– Je pense que c'est encore un des abrutis de coureurs... grommela une femme en s'étirant. Il ne se passe jamais rien ici, alors les plus cons d'entre nous jouent à ce jeu de crétins pour passer le temps.
– J'ai peur d'en savoir plus... souffla Lys qui avait déjà une idée en tête de ce que ça impliquait.
– Tu peux, parce qu'on ne fait pas plus bête... ricana quelqu'un d'autre. Des gars attendent tous prêts du pilier le plus proche de l'escalier et ils se mettent à courir dès que les vibrations commencent. Il faut vraiment que quelqu'un leur dise que le temps entre les premiers signes et la déflagration n'est jamais le même, parce qu'un jour, ça va leur péter à la gueule alors qu'ils n'ont pas fait la moitié du trajet...
– Le pire, c'est qu'ils font les fiers... maugréa la dernière occupante de la chambre. Ces crétins pensent qu'on va être impressionnés par leur soi-disant courage et les laisser nous inviter dans leurs lits pour les récompenser... Moi, je dis, autant les laisser se faire griller, un peu de sélection naturelle nous ferait du bien...
Lys roula les yeux au ciel avant de s'éloigner de la chambre. La stupidité des hommes guidés autant par leur ego que leur libido n'avait de cesse de la démoraliser. Depuis qu'elle était arrivée, elle avait vite réalisé qu'une poignée de recrues n'étaient ici que pour se forger une réputation et gagner la gloire plutôt que la fortune. Ils pensaient aussi que les guerrières et magiciennes qui s'engageaient seraient aussi impressionnables que de simples fermières face à leurs petits manèges et ne semblaient pas comprendre que les femmes présentes n'étaient pas à la recherche d'hommes pour passer la nuit.
La lancière se passa la main dans ses cheveux blonds et s'arrêta, réalisant qu'elle avait oublié de mettre son casque. Si elle pouvait se passer du reste de son armure, elle ne voulait pas laisser son visage à découvert, particulièrement ses yeux. Se sentant idiote d'un tel oubli, elle fit marche arrière en gardant la tête baissée et les yeux mi-clos. Elle n'avait pas encore croisé le regard d'une autre personne jusqu'à présent, mais elle ne voulait pas prendre le risque de laisser quelqu'un voir ses iris. Elle avait eu bien du mal à convaincre le médecin qui l'avait auscultée la veille de ne plus insister pour qu'elle l'ôte, et maintenant, elle se baladait sans comme si rien n'était. La guerrière le savait pourtant, qu'elle ne devait laisser personne voir ses iris.
Ignorant ses compagnons de chambre, Lys revint vers son lit et attrapa son casque qu'elle avait perché sur un de ses coins avant de le poser sur sa tête et soupirer de soulagement.
– Franchement, je ne comprend pourquoi tu te caches comme ça, maugréa une de ses voisines. Tu es si belle, c'est dommage de cacher ton joli visage ! Je n'ai même pas vu tes yeux encore !
– C'est un peu le but... murmura dans sa barbe Lys en ressortant, ignorant la vague de supplications des autres qui souhaitaient elles aussi savoir ce qu'elle dissimulait.
D'une allure plus preste, Lys descendit les marches jusqu'à atteindre le réfectoire déjà bondé de monde. Le problème avec le triple cycle, c'était qu'à chaque moment de la journée, quelqu'un dormait, quelqu'un travaillait, et quelqu'un était de repos. Il n'y avait pas un seul instant où les endroits comme le réfectoire ne débordait pas de monde. Même les chambres n'étaient pas privatives, de nouveaux groupes se relayant dedans à chaque changement de cycle. Cette pensée rappela à Lys qu'elle devrait récupérer ses affaires avant la fin de ce cycle pour laisser sa place au prochain groupe, mais pour le moment, elle avait faim et ne souhaitait s'encombrer d'un sac dans une telle foule.
La lancière se fraya un passage entre les bancs et les tables vers le cuisinier qui assaisonnait une grande marmite. Il ne prit pas le temps de lui demander ce qu'elle désirait, car il n'y avait jamais qu'un plat au menu des troupes, et personne n'avait le courage de demander ce qui mijotait exactement. Avec une grimace de dégoût, Lys accepta le bol fumant où une bouillie verte et rose lui rappelait qu'elle était bien loin du monde de la lumière et de ses ingrédients familiers. Ici, on se servait des ressources locales, même si on ne les connaissait pas. Le cuisinier lui même ne semblait pas savoir ce qu'il préparait, mélangeant des ingrédients sans chercher à savoir ce qu'ils gouttaient ensemble pour créer des mélanges aussi expérimentaux qu'uniques.
Lys se retourna et chercha une place de libre. Pour son plus grand malheur, la seule table où elle pourrait se trouver un espace pour s'asseoir était occupée par de parfaits exemples d'hommes persuadés que trois mots et une démonstration de virilité suffisait à convaincre toutes les femmes d'écarter les cuisses. Ces énergumènes l'avaient remarquée et l'invitaient à les rejoindre, sous-entendant que l'invitation allait plus loin que le simple repas. Elle ignora leurs veines tentatives d'attirer son attention et décida d'aller manger dehors, quitte à le faire debout en se reposant contre la rambarde. Les nigauds la huèrent presque en voyant qu'elle était résolue à les ignorer et l'un d'eux se leva pour l'intercepter.
– Allez, ne fais pas ta timide ! On ne mord pas, promis ! Enfin, sauf si c'est ce que tu veux de nous, ma belle...
– Sans façon, merci, répondit sèchement Lys en esquivant habilement la main qui essayait de lui attraper le bras pour la retenir. Je n'ai pas pour habitude de manger avec des macaques...
L'homme resta muet un moment avant de s'énerver et essayer de rattraper l'insolente qui venait de lui manquer des respect. Un bras fut dressé dans son passage, lui bloquant l'accès.
– Laisse tomber, tu vas y perdre des dents, expliqua le gaillard qui venait d'intervenir. Tu ne dois pas encore la reconnaître vu qu'elle est à peine arrivée et que tu dormais quand elle s'est démarqué, mais c'est Lys que tu t'apprêtes à emmerder...
Le vaurien se calma aussi sec et recula en détaillant le dos de la lancière qui s'éloignait sans demander son reste.
– La Lys ? Celle qui étalé Radan en deux secondes ? Lui qui met tout le monde en pièce durant les entraînements ?
– Celle-là même ! Et n'oublies pas qu'après ça, elle s'est frottée à une dizaine de nos meilleurs combattants les uns après les autres et leur a fait mordre la poussière ! Cette femme, elle a ce qu'il faut pour faire partie de l'élite de l'armée ! J'ai entendu des supérieurs en parler et ils ont l'air de vouloir la recommander pour l'unité spéciale que va former Saga. Cherche la trop, et non seulement elle va te briser en deux, mais personne ne viendra prendre ta défense. Ici, il n'y a que le talent qui compte, alors contre elle, des larbins comme nous n'avons aucune chance...
Blême, la brute abandonna l'idée de se frotter à la guerrière qui s'éloignait. Dans une armée où l'utilité que l'on représente prime sur tout le reste, un élément aussi brillant ne pouvait que représenter que des problèmes pour quelqu'un qui stagne au fonds du panier.
Lys s'éloigna de trente mètres du réfectoire avant de s'asseoir par terre près de la rambarde, laissant ses jambes se balancer dans le vide pendant qu'elle admirait la vue tout en mangeant. Elle oublia rapidement l'altercation, se désintéressant des minables qui ne cessaient jamais de bourdonner autour d'elle pour l'importuner. La lancière demeurait cependant de bonne humeur. Si une forme de caste se format en fonction des compétences de chacun, elle était certaine de ne plus avoir à supporter la présence de Trèvor qui serait sûrement relégué à des taches manuelles. Après avoir eu à supporter sa présence aussi longtemps, ne plus l'avoir sur le dos était une bénédiction.
La blonde sourcilla en voyant le portail s'ouvrir. Une homme couvert de bandages le traversa, titubant en se traînant sur une jambe blessée, un coffret coincé sous son bras. Plusieurs personnes accoururent pour l'aider mais il se laissa tomber au sol comme une loque. Même de là où elle se trouvait, Lys pu entendre les cris de paniques quand une forme vaporeuse émergea du corps meurtri. Elle plissa les yeux pour voir l'apparition prendre forme, dévoilant une forme humanoïde spectrale vêtu d'une tenue de corsaire. Il ne fallu qu'une seconde à la guerrière pour comprendre qui venait d'arriver et se mordre la lèvre. Si Trèvor arrivait à lui parler, elle ne doutait pas que ce petit rat allait pouvoir magouiller pour grimper les échelons et la rejoindre. Sans oublier qu'il risquait aussi d'embrigader les trois autres avec lui. Le peu de tranquillité qu'elle avait pu se trouver se retrouvait menacé.
Ignorant la moitié de son bol qu'elle n'avait de toute façon pas la motivation de finir, Lys se leva et se rua vers sa chambre pour s'équiper à la va vite. Une fois prête, elle hissa son sac sur une de ses épaules et se précipita vers l'extérieur. Maintenant qu'une des pointures de l'armée était arrivée, elle tenait enfin une chance d'accélérer ses plans. La lancière ne comptait pas passer plus de temps que de raison ici à faire ses preuves, elle voulait progresser aussi vite que possible. Alors si se faire remarquer par un des lieutenants de Saga était à portée de main, elle n'allait pas s'en priver.
Dévalant les marches à toute vitesse, elle quitta le complexe suspendu et marcha résolument vers le nouvel arrivant autour de qui se rassemblaient la plupart des responsables du site pour le calmer.
– Allons, ne vous emportez pas ainsi ! Nous vous disons que Maître Saga n'est ps ici ! Ce n'est qu'un camp d'entraînement pour les troupes, il a bien mieux à faire que de...
– Dans ce cas, dîtes-moi où il se trouve ! rugit le spectre. Je n'ai pas de temps à perdre avec vous, je dois lui remettre aussi vite que possible son colis !
Lys vit le fantôme se pencher vers le corps qu'il avait possédé et lui prendre le coffret. Il le serrait contre son torse comme s'il s'agissait du bien le plus précieux qui existait. Elle releva ce détail et comprit que cet objet avait beaucoup de valeur aux yeux de Saga.
– Nous ne le savons pas exactement, il ne partage jamais sa position exact avec qui que ce soit... s'excusa un homme. Mais nous savons qu'il veut que nous envoyons nos meilleurs éléments pour une mission spéciale, alors si ça se trouve, il y sera peut-être...
– Alors je vais m'y joindre ! déclara le fantôme. Dîtes moi où je dois aller et...
– C'est Lainabe, pas vrai ?
Le spectre se tut et dévisagea Lys qui s'était arrêté et le toisait en croisant les bras. Intrigué, le pirate flotta jusqu'à elle et la détailla avec minutie.
– Et où as-tu appris mon nom, toi ? T'aurais-je menacée par le passé ? À moins que nous ayons passé du bon temps ensemble...
Roulant des yeux vers le ciel sous son casque Lys se retint d'attraper l'apparition par la barbe pour tirer son visage devant le sien. De toute façon, elle se doutait que sa main lui passerait au travers.
– Non, nous connaissons juste tous les deux un certain rat... Pour en revenir à des sujets plus intéressants et importants, je sais que tu es plus proche de Saga que tout le monde ici réuni, alors si je veux grimper dans les rangs, j'ai bien compris que tu es le seul à qui j'ai vraiment besoin de parler. Si tu veux retrouver Saga, je suis prête à t'aider. De toute façon, tout le monde ici sait que je suis la meilleure candidate pour la troupe d'élite que tu veux suivre, alors tu as tout avantage de me laisser t'accompagner.
Lainabe étudia encore un peu la lancière avant de lancer un regard vers les responsables du camp.
– Elle dit vrai, Lys est notre meilleure recrue et de très loin ! Vous connaissez Radan, non ? Elle a été capable de le battre ainsi que tous nos autres guerriers de sa trempe. Nous fondons de grands espoirs en elle.
– Ah vraiment ? Voila qui est prometteur ! Soit, j'accepte ton offre ! Aide-moi, et je te promet de louer tes services à notre maître ! Si tu es aussi douée qu'on le prétend, je ne doute pas que tu vas vite...
– Lainabe ! Enfin je vous retrouve !
Lys grinça des dents en reconnaissant la voix insupportable dans son dos. Non sans cacher son exaspération, elle se tourna vers le petit groupe qui se pressait de les rejoindre. Et tout se déroulait si bien jusque-là...
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