Chapitre 10 : Un voyage insupportable

Après une interminable attente qui manqua d'avoir raison de la patience de Lys, elle et son indésirable compagnon de voyage arrivèrent dans l'autel des voyages de Cressia, capitale de Griganar.

À cause des incidents qui avaient secoué Danatal les semaines passées, l'autel du pays avait demeuré fermé au grand public un long moment, créant une tension qui ne se ressentait pleinement qu'une fois cette interdiction levée. Une fois l'accès à l'autel rouvert, une horde de marchands et aventuriers avides de richesses et de gloire s'étaient mis à affluer sur l'autel, créant des files d'attente interminables. Lys avait même entendu dire que les premiers jours, il fallait s'enregistrer sur une liste d'attente pour espérer pouvoir voyager avant la fin de la semaine. Fort heureusement, la situation s'était calmée quand elle et Trévor s'étaient rendu sur place, mais la tache n'en restait pas moins ardue.

La surveillance de l'autel avait été renforcée à l'extrême, un véritable bataillon de gardes restant en poste à toute heure de la journée en prévision d'une attaque de la même ampleur que celle qui avait ravagé la ville récemment. L'incident ayant dégénéré en un carnage perpétré par un demi-dieu en pleine rue et à peine contenu par les héros de Danatal, personne ne souhaitait revivre un tel cataclysme. Surtout en l'absence de ceux qui avaient mis un terme à la dernière crise.

Trévor n'avait pas rendu le passage plus facile, s'indignant comme seul un noble égocentrique le pouvait de devoir patienter comme le reste de la plèbe. Quand on lui avait demandé de présenter ses affaires pour inspection, le bougre s'emporta si bien que Lys fut contrainte de présenter à son ventre son coude avec une violence qui fit sourciller les gardes qui étaient à deux doigts de les jeter tous les deux dehors.

Après avoir traîné son horripilant acolyte jusqu'à l'autel sous les regards suspicieux des gardes et des employés, Lys le contraint à lui dire quelle ville elle devait cibler, lui rappelant que cette information seule ne suffirait pas pour rencontrer le recruteur de Saga. Contrarié, Trévor céda l'information, leur permettant de franchir le plus grand obstacle de leur voyage.

Lys eut une soudaine envie de vomir à la fin de la téléportation, ses jambes tremblant sous le contrecoup du transfert. Elle n'avait jamais vécu de pareille expérience, la dégouttant à vie des transports magiques. À ses côtés, le noble déchu fit preuve de bien moins de retenu, vidant ses tripes sur les dalles immaculées de l'autel sous les regards sombres des employés qui cherchaient déjà de quoi nettoyer le désastre.

Presque chassés du bâtiment, le duo tituba dans les rues de Cressia et tentèrent de trouver leurs repaires. Ville plus ostentatoire et arrogante que Syndras, les bâtiments étaient richement décorés, vomissant le luxe et la fortune de ses habitants au visage des visiteurs qui ne pouvaient que se sentir inférieurs. Une désagréable impression d'être jugée par la foule serra de nouveau le ventre de Lys, comme si tout le monde la méprisait rien que pour son existence. Refoulant une intense envie de baffer le premier passant venu, la lancière attrapa la manche de Trévor qui trottina à sa suite alors qu'elle les guidait vers une ruelle où ils pourraient reprendre leur souffle.

– Mais putain, Cressia, tu es sérieux ? râla la guerrière en frappant l'épaule du noble. Ne me dis pas que tes deux potes ne t'ont vraiment pas donné d'adresse moins éloignée !

– Saga est bien moins actif sur ce continent qu'à Legenia, se défendit Trévor. Enfin, c'est ce qu'ils m'ont dis. C'est pourquoi il essaye de faire un maximum de recrutement à Seralin plutôt que là-bas, il est moins recherché ici.

– Mouais... grommela Lys en toisant son associé. Bon, on va où maintenant ? Doit-on quitter la capitale ?

– Non, nul besoin d'aller trop loin... Nous devons juste chercher la taverne du Renard éméché. Nous pourrons y attendre le recruteur, je pourrais facilement le reconnaître à la description qu'on m'en a fait.

– Et tu sais parler le griganien, j'espère ?

Le froncement de sourcils du noble arrachèrent un sifflement rageur d'entre les lèvres de la lancière. Son compagnon de route n'avait pas pris en compte la barrière de la langue dans ses calculs. Elle saurait se débrouiller, mais comme le petit rat refusait de partager des détails avec elle de peur d'être abandonné, il devait converser lui même avec les locaux.

Se forçant à se souvenir qu'elle avait encore besoin de lui et qu'elle ne devait pas lui nourrir ses globes oculaires, Lys quitta férocement la ruelle, attrapant par le col un passant qui passa de l'arrogance à la panique en subissant ce soudain assaut.

– Où est l'alchimiste le plus proche ? De préférence un qui sait faire des philtres de vers.

Malgré son épais accent danatalien, elle se fit comprendre sans mal et une direction approximative lui fut indiquée par un doigt tremblant. Satisfaite par la réponse, la guerrière aboya à Trévor de la suivre, le noble trop tétanisé par sa violence pour oser rétorquer.

Lys pressa le pas, se doutant que les boutiques ne resteraient pas ouvertes longtemps. S'il avait été le matin quand ils avaient quitté Danatal, ici à Griganar, le soleil avait presque entièrement disparu derrière l'horizon. Alors qu'elle se sentait d'attaque à affronter la journée, le reste du monde se préparer à clôturer la leur.

Une fois la boutique recherchée atteinte, Lys pénétra l'établissement et chercha du regard le propriétaire entre les étagères débordants de flacons aux contenus variés et souvent inquiétants. Elle repéra l'alchimiste derrière son comptoir, un petit homme grassouillet qui la fixait avec surprise à travers d'épaisses lunettes.

– Bonjour, désolée de débarquer comme le malheur sur le bas peuple, mais c'est une urgence, déclara la lancière en s'avançant vers le commerçant d'une démarche aguerrie. Nous avons besoin d'un philtre de vers pour que ce demeuré puisse parler le griganien, vous avez ce qu'il faut ?

L'alchimiste se pencha sur le côté pour détailler Trévor qui n'avait pas relevé l'insulte de Lys, prouvant qu'il ne comprenait pas un traître mot de ce qui venait d'être dis. L'ancien noble scrutait avec une fascination horrifiée la marchandise, perdant lentement ses couleurs.

– Je n'en ai pas en réserve, mais je peux en préparer un, répondit l'alchimiste en reportant son attention sur Lys comme pour évaluer sa richesse. Un philtre, pas deux ? Parce que vous me donnez bien l'impression de ne pas être du pays...

– Oui, un, je me débrouille assez bien sans pour m'en passer, clama la lancière avec un claquement de langue. Et arrêtez de me déshabiller du regard comme ça, j'ai de quoi payer.

Joignant le geste à la parole, Lys sortit de sa poche le talisman qui lui avait servi à voyager entre les continents moins de dix minutes plus tôt. Trévor écarquilla les yeux en voyant la valeur de ce que la guerrière allait marchander avec et voulu reprendre l'objet en question.

– Mais tu n'y penses pas ! Cet objet est...

– Inutile à mes yeux pour le moment, trancha Lys telle une lame acérée. Dans le meilleur des cas, nous n'aurons pas besoin de nous téléporter, et dans le pire, je sais déjà où voler un talisman si on doit se téléporter à...

Lys se mordit la lèvre, réalisant que sa hargne l'avait poussée à parler plus vite qu'elle ne le voulait. Elle regarda par dessus son épaule et fut soulagée de voir le commerçant les observer avec curiosité, n'ayant pas compris le moindre mot de leur échange en danatalien.

– Bref, on a plus besoin du philtre que du talisman pour le moment, conclut Lys avant d'enchaîner en griganien. Nous avons besoin d'un philtre aussi vite que possible, vous pourrez garder la monnaie !

Après avoir étudié le talisman pour s'assurer qu'il n'était pas factice, l'alchimiste adressa un sourire radieux typique des commerçants sur le point de faire un profit conséquent.

– Je vais même vous offrir trois potions de soins pour la peine, annonça le marchand en se dirigeant vers l'arrière boutique. Revenez dans deux heures, votre commande sera prête.

Lys resta pensive un moment, effectuant des calculs dans sa tête. Elle avait l'habitude d'attendre plus longtemps d'ordinaire pour la préparation d'un philtre de vers, mais d'habitude, ces mixtures devaient enseigner au moins trois langues. Si un philtre à une langue était plus aisée à faire, la courte attente se trouvait justifiée.

– Nous serons dans le bar en face, déclara Lys en traînant après elle Trévor qui ne savait plus où donner de la tête. Nous reviendrons bientôt.

La lancière amena son acolyte dans le commerce d'en face, lui faisant vite comprendre qu'il avait intérêt de bien déguster sa bière, car il n'en aurait pas de deuxième ici. Après l'incident qu'il avait causé à Syndras la veille après avoir trop bu, elle ne désirait pas lui donner une chance de récidiver. Au moins, pour le moment, il ne parlait pas la langue locale, limitant les risques qu'il ne déclenche un nouvel incident.

Dépité, Trévor fit de son mieux pour faire durer son plaisir, mais au bout d'une heure, il se retrouva à scruter le fonds d'une choppe vide, et il savait que ses suppliques ne suffiraient pas à faire plier sa compagne. La seconde heure se passa dans un silence consterné, où le noble déchu continua de fixer le récipient comme s'il pourrait le remplir à la seule force de sa volonté.

Une fois le philtre préparé et ingurgité par Trévor qui aurait sûrement dégobillé s'il avait su que le sang de l'alchimiste avait fait parti des ingrédients, le duo partit enfin chercher l'adresse de la taverne qu'ils cherchaient et apprirent qu'elle se trouvait de l'autre côté de la ville. Frustrée, Lys se mit à marcher, suivie du noble.

Ils finirent par quitter le quartier le plus cossu de la capitale, s'enfonçant dans des rues plus modestes mais loin d'être misérables. Le luxe laissait place ici à un confort moyen, peu prononcé, bien qu'il indiquait que les habitats ne manquaient de rien. Après avoir confirmé la direction à prendre par deux fois auprès de passants et de commerçants, ils arrivèrent au Renard éméché, un établissement à la devanture avenante d'où s'échappaient des rires en ce début de soirée.

– Nous devrions en profiter pour dîner, déclara Lys avant de voir la lueur qui brilla dans les yeux de Trévor. Par contre, force trop sur la boisson, et je te laisse te débrouiller avec les ennuis que tu attireras !

– Je ne te permet pas de me parler sur ce ton ! s'indigna l'ancien noble. Je suis un modèle de...

– ... de bien des choses, mais je n'ai pas envie de déballer toute la liste ce soir... grinça la lancière en poussant la porte de la taverne.

Ils repérèrent une table encore déserte et y prirent place, Trévor analysant la décoration intérieur avec un mépris à peine dissimulé. Le mobilier était simple, nulle œuvre d'art ne décorait les murs et les musiciens étaient passables. Les clients ne venaient pas ici pour l'ambiance, juste pour vider des choppes et créer leur propre amusement.

– En voilà un endroit bien misérable... grogna Trévor. Si je n'y étais pas contraint, je ne resterai pas une seconde de plus...

– Mais rien ne t'y oblige... souffla Lys en danatalien, invitant subtilement le noble à en faire de même s'il compte insulter les employés d'un lieu qu'ils étaient contraints de fréquenter. Tu peux juste me décrire la personne que je dois rencontrer et tu pourras aller te saouler tout seul dans un autre bar...

– Navré, mais c'est non... rétorqua Trévor avec sévérité. Tu n'es pas la seule qui veut rejoindre Saga et...

– Commet ça, je ne ferais pas un bon chef ? Et tu crois pouvoir faire un meilleur travail que moi ?

Interrompus par un éclat de voix qui mit un terme à toutes les autres conversations en même temps, Lys et Trévor se tournèrent vers la table voisine où un trio amorçait une dispute. Un guerrier en armure déjà ivre s'était levé en renversant sa chaise pour toiser le demi-elfe assis devant lui qui levait les bras en essayant d'être conciliant.

– Ce que je cherche à dire, c'est que ta dernière idée d'enle... commença le demi-elfe avant de se reprendre en se souvenant qu'ils étaient en publique. Enfin, ce plan a bien failli nous renvoyer dans la prison que nous quittons à peine. Et je ne souhaite pas réitérer l'expérience...

– Il a raison, admit la prêtresse de la terre qui complétait leur groupe. Je sais que nous avons besoin d'argent, mais si nous pouvions éviter les coups foireux...

– Si les autres étaient encore là, le plan se serait bien passé... pesta le guerrier en frappant la table du poing, envoyant voler deux assiettes.

– Si les autres étaient encore là, notre vrai chef aurait trouvé une meilleure idée, précisa le demi-elfe en sirotant sa bière. Mais elle est morte et nous devons trouver une solution pour redresser la...

– Encore des sornettes de moins que rien... ricana Trévor en secouant la tête. Voila pourquoi je préfère éviter ce genre de taudis...

Il ne vit pas les gros yeux que lui faisait Lys sous son casque, mais il entendit la chaise du demi-elfe grincer sur le sol alors que la personne assise dessus se lever pour adresser un regard assassin au noble qui avait oublié de parler en danatalien.

– Ah vraiment ? cracha le demi-elfe avec humeur. Des mots forts intéressants de la part d'un homme à la tenue si délabrée... Je n'ai pas l'impression que tu es mieux loti que nous... Du point de vue de l'échec, j'ai l'impression que tu nous bas à plate couture...

Outré, Trévor ignora les avertissements de Lys et se leva à son tour pour défier du regard le demi-elfe dont les doigts caressaient son arc, prêt à l'empoigner. En retour, le noble joua avec la garde de son épée.

– Un vaurien comme toi ne sait pas par quoi je suis passé ! J'avais tout ! La fortune, la gloire... J'étais un noble respecté jusqu'à ce qu'on me vole tout ! J'étais même aventurier, et un bon !

– Tu n'es pas le seul ! s'emporta l'archer. Nous étions réputés dans le milieu, on commençait à nous respecter, mais tout s'est effondré quand la moitié d'entre nous ont été massacré et qu'on a fini en prison !

Le ton monta vite. Le guerrier faisait le tour de la table pour rejoindre son associé, à peine retenu par la prêtresse qui cherchait à calmer le jeu. Lys restait assise, d'abord amusée par la scène, mais maintenant, elle ne pouvait pas s'empêcher de détailler le trio avec curiosité.

Simultanément, Trévor et le demi-elfe s'empoignèrent le col et se rapprochèrent pour se hurler dessus de concert.

– Si je n'avais pas rencontré Bélial, je te garanti que...

Les deux hommes se turent et se dévisagèrent avec consternation, réalisant que chacun de leurs mots avaient été identiques. Se relâchant lentement, ils se fixèrent avec plus d'attention. Derrière chacun d'entre eux, leurs compagnons respectifs se dévisageaient avec surprise, ne s'étant pas attendus à se trouver un tel point commun.

– Grande ? demanda Trévor en levant une main loin au-dessus de sa tête. La peau sombre ? Beaucoup trop musclée pour une femme ?

– Alors oui, mais j'ai surtout remarqué que c'était une démone... répondit l'archer.

– Ah oui, c'est vrai, j'ai appris récemment qu'elle cachait sa vraie nature derrière une illusion...

La salle retint son souffle, ses occupants impatients de voir ce qui allait se passer ensuite. À la surprise générale, Trévor tendit une main vers le demi-elfe.

– Trévor Nolasia. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que nous avons tout intérêt à converser... Après-tout, je suis sur le point de réclamer vengeance contre la raison de mon déclin...

L'archer observa la main avec minutie avant de la serrer avec un sourire mauvais.

– Erandel. Laisse moi donc te présenter mes compagnons, je sens qu'ils sont aussi impatients que moi de t'écouter...

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