Chapitre 1 : Tout devient une routine

Aucune civilisation n'a jamais craint, à un moment ou à un autre, les horreurs de la nuit. Même les âmes les plus vaillantes ne peuvent pas pleinement un instinct primaire qui leur susurre des doutes et des craintes à chaque ombre qui peut dissimuler une menace.

Cet effroi vient-il de l'enfance, où les parents bercent leur progéniture d'histoires pour leur intimer de rester sage au risque de finir dévoré par un monstre ? Ou est-ce dû à notre intuition qui nous dicte que ces histoires cachent peut-être un fond de vérité ? Après tout, d'où pourrait bien venir l'idée d'horreurs tapies dans les ténèbres qui s'en prennent à ceux qui font l'erreur de ne pas les craindre ? Et si la réponse est l'imagination, existe-t-il une frontière bien définie entre elle et la réalité ?

Avec de telles craintes, qui peut bien blâmer les mortels de ressentir du soulagement et de l'espoir en apercevant une aurore dorée qui déchire l'obscurité de la nuit, mettant fin à sa terreur ?

Ce ne furent cependant pas les pensées de Darius en voyant les premières lueurs du jour percer le sommet des montagnes. Après un tour de garde interminable où rien ne s'était passé, le soldat se morfondait de savoir que la levée du camps n'allait pas tarder à venir, suivie par une insupportable marche. Il regrettait amèrement de s'être porté volontaire pour cette mission. En souvenant encore de la mine dépitée de ses amis quand ils n'avaient pas été sélectionnées, Darius se disait qu'il échangerait sans hésiter de place avec n'importe lequel d'entre eux.

Le soldat s'était d'abord émerveillé de scruter les paysages de Griganar, une nation si loin de sa Danatal natale, mais même les montagnes qui se profilaient à l'horizon le laissaient désormais de marbre maintenant.

Un bourrade amicale le tira de ses songes, le poussant à se tourner vers Gasik, un demi-elfe qui lui souriait chaleureusement en lui tendant une tasse fumante.

– Hé beh mon coco, ça ne te réussi vraiment pas ces nuits de garde... C'est quoi ? Ta troisième d'affilée ?

Se retenant de battre à mort son comparse avec la tasse tendue pour ne pas perdre une goutte du breuvage salvateur qu'elle contenait, Darius garda le silence et accepta le café qui devait le garder éveillé jusqu'au coucher du soleil. Gasik remarqua son air maussade qui ne le dissuada pas de se montrer taquin.

– En même temps, c'était pas de bol, que le capitaine passe juste à côté pile quand tu affirme qu'il n'a eu son poste que parce qu'il a les bonnes connexions ?

– Ouais, ben je n'ai pas exactement tort, pas vrai ? grommela Darius.

– Pas faux... reconnut Gasik en haussant les épaules. Mais en même temps, ce n'est pas n'importe qui qu'il...

– Rien À Signaler ?

Reconnaissant la voix au timbre métallique qui venait de grincer dans leur dos, les deux soldats se retournèrent pour faire face à une immense armure aux bordures dorées. Sa cape bleue voletait dans la brise matinale, lui donnant un air héroïque renforcée par l'estafilade qui barrait son heaume. Les premières fois que ce colosse s'était glissé derrière eux sans faire de bruit avant de s'annoncer subitement les avaient transis d'effroi, mais ils s'étaient habitué aux facéties du gardien.

– Rien, comme d'habitude, Maître Adam... bailla Darius sans discrétion.

Le titan se pencha en avant et dévisagea le soldat qui fut mit mal à l'aise. Adam ne possédait pas de visage et encore moins d'expression. Quand il fixait quelqu'un, cette personne avait souvent l'impression d'être scruté par un bouclier, une expérience des plus troublantes.

– Analyse Terminée ! clama le gardien en se redressant. Je Vais Parler Avec Anoro Pour Qu'Il Vous Laisse Vous Reposer Ce Soir. Trop Manquer De Sommeil Peut Nuire À Votre Bien-Être. Bonjour, Farca.

Alors que les soldats commençaient à avoir mal au cou à force de lever la tête, ils les sentirent craquer quand ils durent la baisser pour voir passer à côté d'eux une demi-naine aux courts cheveux orange passer près d'eux sans leur prêter attention. Elle grogna péniblement, son regard fixant vaguement un point de l'horizon à travers ses lunettes rondes. La sang-mêlée fit quelques pas de plus vers un tronc d'arbre abandonné au sol et s'assit dessus, ouvrant un traité d'alchimie sur ses genoux avant de boire une gorgée de café.

– Toujours aussi aimable avant sa première tasse du matin... grommela Darius avant de se prendre un coup dans les côtes de la part de Gasik.

– Votre Analyse Est Exacte. Je Devrais Faire Des Recherches Sur Le Sommeil, Peut-Être J'En Suis Aussi Capable.

Les soldats ne relevèrent pas ce commentaire, ne pouvant pas oublier qu'ils discutaient avec un être artificiel de métal qui ne ressentait ni la faim, ni la soif, et certainement pas la fatigue.

– Pourquoi on doit encore monter la garde alors qu'il peut le faire lui même ? Grogna Darius dans sa barbe.

– Parce qu'il le fait déjà, gros malin... lui souffla le demi-elfe. Je te rappelle qu'il y a quatre positions à surveiller. Même lui ne peut pas être partout...

– Ah, bien le bonjour mes très chers compagnons de route ! tonna une voix provenant d'une autre partie du camp. Je vous annonce avec joie que la nuit s'est déroulée sans le moindre encombre. Et maintenant, je vais vous jouer un petit air pour vous Hé !

Las, les soldats fixèrent l'est du camp et aperçurent un homme aux longs cheveux sombres être élevé dans les airs par des branches qui s'entortillèrent autour de son corps, l'empêchant de bouger et surtout de chanter. La victime au teint halé et aux vêtements exubérants gémit brièvement quand son luth lui échappa des doigts et retomba au sol. Le musicien sembla soupirer avec que des lames de sables se mirent à danser pour trancher ses liens.

– Bon, d'accord, je vais attendre un peu avant de sonner le réveil...

– Ils vont vraiment nous faire ce ménage chaque matin ? lâcha Gasik en haussant un sourcil.

– Faut croire... répondit Darius en sirotant son café.

– Je sais qu'il est déjà mort, mais un de ses jours, il risque de vraiment de se faire mal...

Darius jeta un regard vers la femme en armure qui s'approchait d'eux en secouant la tête. Ses cheveux bruns attachés en un chignon renforçaient l'air sévère de son visage fin.

– Bonjour à toi aussi, Nadia... répondit-il. Et sinon, en parlant de scène qui se répète...

Au loin, un homme furieux en armure d'officier marchait d'un pas déterminé vers une tente dont il écarta un pan avant de grimacer en serrant les dents.

– Bordel, vous n'allez pas recommencer ! Vous deux, dehors ! Non, je ne vous laisse pas le temps de vous rhabiller, prenez vos affaires et sortez ! Peut-être que cette leçon en humilité va vous rappeler qui vous donne des ordres ici !

L'officier s'écarta et observa sombrement les deux femmes empourprées qui courraient hors de la tente en serrant contre elles leur équipement, tentant autant que possible de préserver leur intimité devant un campement qui accueillit le spectacle avec des sifflements et des commentaires grivois. L'officier ignora la scène pour au contraire foudroyer du regard la femme qui se présentait à lui.

Encore à moitié endormie et habillée seulement d'une couverture qu'elle resserrait contre son torse, une demi-elfe à la peau et la chevelure intégralement vertes bailla toisa le soldat qui se préparait à lui hurler dessus.

– Vous êtes dur avec elles, Anoro... bailla l'elfe. Elles étaient tendues hier, alors je me suis dis...

– Donc la même excuse qu'hier, c'est ça ? s'énerva le capitaine. Je vous rappelle que nous sommes dans un camps militaire, l'ordre doit régner ! Alors je vous prierais de ne pas semer le désordre, Dame Lorelya !

La froideur de l'expression de la verdoyante ne calma pas l'ardeur d'Anoro qui croisa les bras sur son torse. Après cinq secondes, Lorelya leva les yeux au ciel et retourna dans sa tente.

– Bon, d'accord, je ne les tenterais plus... Par contre, si elles reviennent d'elles même, je ne promets rien...

– Non mais justement, si elles reviennent, vous les...

Anoro voulut suivre l'elfe, mais un mur végétal poussa autour de la tente, bloquant l'accès à quiconque voudrait la pénétrer. Le capitaine réprima un cri de rage avant de se souvenir qu'il était observé et hurler à tout le monde de se remettre au travail.

– Et arrêtez d'empêcher la sonnerie du réveil ! s'égosilla-t-il en s'éloignant. Ce n'est pas parce que vous ne voulez pas vous lever en même temps que tout le monde que...

Le capitaine tituba, évitant de justesse de tomber. Avec un regard assassin, il détailla la branche au sol qui ne s'était pas trouvé là quelques secondes avant.

– Cette routine devient lassante... commenta Nadia.

– Dis plutôt que tu aurais bien envie que la belle Lorelya te remarque, toi aussi... ricana Gasik avant que ses orteils ne soient écrasés par une botte.

– Je n'ai pas le temps pour ces futilités, gronda la brune avec un air farouche. De toute façon, les femmes ne m'intéressent pas du tout.

– Ah, mais dans ce cas, peut-être que nous...

Rien qu'en levant son pied, Nadia dissuada Darius d'aller plus loin.

– Voilà une matinée qui s'annonce mouvementée...

Le trio de soldats sursautèrent et se mirent au garde à vous. Adam se fit une note que même leur capitaine ne les inspirait pas à faire preuve d'autant de respect que son chef.

Un homme aux cheveux blonds retenus en arrière en queue de cheval s'avança vers le groupe. Une épée était accrochée à sa ceinture, attestant de sa vocation de combattant. Vêtu d'un ensemble écarlate parachevé un chapeau à bord large orné d'une plume, le bretteur observait les soldats de ses iris rouges avec un air amusé.

– Je vois que vous commencez à vous habituer de voyager avec nous. Le premier matin, vous aviez l'air tellement effarés face au petit manège de mon groupe.

– Oui, Seigneur Sieg ! aboya Gasik. Voyager avec les célèbres Déicides ne se passe pas comme nous l'avions imaginé, mais ça reste un honneur pour nous de...

– Oui, oui, je sais... tenta de le calmer l'écarlate. Et pour la centième fois, oubliez le Seigneur, je ne suis pas noble.

– Pas Pour Le Moment, Mais Tu Vas Devenir Marquis Quand Nous Rentrerons.

– Ah oui... se morfondit l'épéiste. Je l'avais presque oublié...

– Et Maîtresse Bélial ? s'enquit de savoir Nadia. Est-elle levée ?

– Ouais, et faut vraiment qu'on arrête le délire de se réveiller avec le soleil... Ça va pas nous tuer de dormir plus longtemps...

Sieg fit un pas de côté pour laisser passer la sixième membre des Déicides que le trio n'avait pas encore vu ce matin. Ses cheveux bleus partant dans tous les sens, la démone traînait ses pieds en frottant ses yeux émeraude. Cela faisait bien longtemps que les troupes ne s'attardaient plus sur ses courtes cornes au sommet de son front et sa longue queue noire. Même son mètre quatre-vingt-dix et sa musculature prononcée ne les intimidaient pas. Cependant, ils ne se feraient probablement jamais au fait de la voir déambuler dans le campement couverte uniquement d'une tunique qui ne couvrait presque rien de son corps sombre.

– Et on retourne tout de suite dans notre tente pour finir de nous préparer ! déclara Sieg en prenant la main de la jeune femme pour la traîner après lui.

– Hé ! l'interrompit la barbare en tirant l'écarlate à elle. Tu oublies un truc là !

Se doutant de ce que voulait sa partenaire, l'épéiste releva la tête alors que Bélial baissa la sienne et leurs lèvres se rencontrèrent dans un baiser passionné qui embarrassa les soldats présents.

– Voilà ! s'exclama la jeune femme avec un sourire enfantin. J'avais besoin de ça pour bien commencer la journée !

– Et vu le boucan que vous faîtes chaque soir, on sait tous comment vous la finissez... grommela Darius en finissant son café.

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