Chapitre 98 : Vers un monde de ténèbres
L'aube perçait à peine le ciel sombre qui recouvrait Syndras. Ses habitants sortaient déjà de leur torpeur, se préparant à attaquer une nouvelle journée après une journée et une nuit de réjouissances improvisées.
La rue dévastée par le chaos de la veille restait principalement désertée, l'emprunter étant devenu compliqué et les échoppes s'y trouvant ayant elles aussi été dévastées. Pourtant, au fond du cratère où Valence avait perdu la vie, cinq figures se dressaient autour d'une sixième, agenouillée au sol en tenant un objet enrobé de tissu.
Bélial caressa tout ce qu'il lui restait de son père, se souvenant de ses plus jeunes années et de la joie qu'elle avait pu ressentir en sa compagnie. Elle ne pouvait pas oublier le dégoût et la honte qu'elle avait enduré quand leurs routes s'étaient de nouveaux croisées, surtout après le mal qu'il avait fait, en particulier à Sieg. Cependant, le voir retrouver sa fierté et son honneur avait dissipé la sombre vision que la démone avait d'Artra, lui laissant le droit de le pleurer en cet instant.
Les cinq autres Déicides restèrent silencieux. Ils n'étaient là que parce que la barbare l'avait réclamé, mais ils savaient que rien de plus était attendu d'eux. La jeune femme tenait à rendre cet ultime hommage elle même, mais elle n'avait pas la force de le faire sans soutien.
Quand que les premiers rayons solaires caressèrent le visage strié de larmes de Bélial, elle serra la tête de son père contre son torse d'une main et se servit de l'autre pour creuser. Une fois satisfaite par la profondeur de la tombe, elle posa délicatement les derniers vestiges d'Artra dedans avant de reboucher le trou.
Une fois la tache accomplie, Bélial se redressa avant de tituber, laissant son partenaire la rattraper et l'aider à garder l'équilibre. Elle lui adressa un léger sourire et se reposa sur lui.
– Dans mon clan, on a une tradition. Un guerrier mort peut trouver le repos que là où il a perdu la vie. Je sais pas ce qui est arrivé au reste de son corps, mais pour sa tête, je peux au moins lui faire l'honneur de reposer là où son assassin est mort. J'espère que comme ça, son âme pourra être en paix...
Sieg se mordit la langue, restant interdit. Tout comme la démone, l'écarlate était tiraillé par la mort d'Artra, celui qui lui avait arraché Alice, mais qui était aussi le père de celle qu'il aimait aujourd'hui. Le silence fut la seule réponse qu'il put fournir à la barbare qui comprenait ce qui poussait son amant à rester muet. Elle lui embrassa le front, lui montrant qu'elle comprenait et qu'il n'avait rien à se faire pardonner.
Sans un mot de plus, les Déicides sortirent de la crevasse avant de retrouver Anoro et quelques un de ses hommes. Le soldat les invita à le suivre au temple de Voracia où ils étaient attendus. Le groupe se laissa guider sans rien ajouter, méditant sur ce que leur avenir leur réservait. Ils savaient déjà que la journée qui les attendait ne serait pas de tout repos.
Après avoir fait quelques pas, Bélial leva les yeux vers le ciel, le fixant comme si elle y cherchait quelque chose.
– Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ta route recroisera un jour celle de Raya.
Surprise, La démone baissa le regard vers son partenaire qui prenait de l'avance sur elle.
– Après tout, sans même la chercher, je suis tombé sur deux de ses porteuses d'affilé. Avec ma veine, je vais trouver la troisième aussi...
La barbare sourit et rattrapa son partenaire pour l'enlacer dans le dos.
– Dans ce cas, j'ai hâte que tu me la retrouves, mon petit porte-bonheur !
***
La foule devant le palais ne cessait de s'élargir. Quand le peuple avait appris que le roi allait s'adresser à sa nation directement en début d'après-midi pour partager avec eux une information capitale, la nouvelle ne mit que peu de temps à faire le tour de la capitale. Même des habitants de l'Abri s'étaient présenté, des ambassadeurs du sombre quartier qui devraient répéter ce qu'ils allaient entendre.
Personne n'osait parler fort, mais l'accumulation de tous les murmures généra un brouhaha discret sans être oppressant. Certaines personnes attendaient depuis des heures, bien qu'ils savaient à quelle heure exactement le discours allait avoir lieu. Tous se doutaient que les événements de la veille seraient abordé, et même si la joie avait dominé les cœurs des résidents une fois le désastre passait, l'inquiétude restait. Comment pourrait réagir l'Ordre de la Première Vérité en apprenant que l'un de ses plus puissants guerriers avait perdu la vie dans les rues de Syndras ? Que Danatal avait festoyé après son trépas ?
Après une interminable attente, le roi se présenta au balcon, obtenant un silence absolu sans même avoir besoin de le réclamer. Panaros III avait su gagner le respect de ses sujets, comme ses ancêtres qui se voulaient tous de servir d'exemple pour leur peuple. Même les criminels n'avaient pas la volonté de lui manquer de respect.
Le souverain scruta la foule qui se profilait sous ses yeux, se sentant toujours humble en voyant son peuple toujours prêt à l'écouter. Cédric s'approcha discrètement, restant hors de vue du publique, mais restant disponible à son seigneur si sa présence était requise. Panaros inspira et leva devant sa bouche une pierre magique qui amplifia sa voix pour que tous puisse l'entendre.
– Peuple de Danatal. Je comprend qu'après les ordalies de ces derniers jours, l'ombre du doute et de la crainte s'est propagée et vous inquiète. Le présage de la guerre avec tout Legenia. La menace de l'Ordre de la Première Vérité. L'anéantissement de l'académie de magie. Enfin, la destruction semée par la compagnie des Lions Pourpres. Toutes ces épreuves ne sont malheureusement qu'un sombre présage de ce qu'il nous reste à affronter. Non seulement notre nation, mais le monde lui même est menacé par un désastre dont le seul précédent date de notre origine à tous.
Panaros marqua une courte pause pour reprendre son souffle, surpris de n'entendre aucune consternation de la part de son peuple. Il avait redouté que présenter la situation aussi sombrement aurait secoué les citoyens, mais il n'en était rien. Après tout, comme lui, ils avaient trouvé un espoir qui leur permettait de s'accrocher à la lumière.
– Tout d'abord, laissez moi vous parler des rumeurs qui se sont propagées hier. Rumeurs, parmi lesquelles, on prétendrait que Sieg, un homme bien connu pour ses exploits, serait en réalité Rotsala, un des Neuf Sauveurs. Qu'il aurait quitté le domaine des dieux pour nous venir en aide à nouveau en sentant l'ombre d'une nouvelle menace planer sur le monde. Laissez-moi donc dissiper les doutes et vous certifier que cette rumeur est vraie. Son propre frère, Tosagaram, aussi connu sous le nom de Saga, s'est détourné du droit chemin et ourdit un plan inimaginable impliquant le pouvoir des sept Déchus. Les pleines implications de ses projets nous restent inconnus, mais les Déicides en personne attestent avoir vu de leurs propres yeux le Déchu de l'orgueil, prouvant que le danger est bien réel. De ces sept dieux maudits, nous savons que Saga en a déjà trouvé cinq.
Le roi inspira de nouveau, reprenant d'une voix calme et posée.
– En toute honnêteté, le sixième Déchu est hors de notre portée, nous ne pourrons pas empêcher Saga de l'obtenir. Cependant, le désespoir n'a aucun droit sur nos cœurs, car nous misons tous sur le dernier Déchu, celui de l'avarice, reposant dans le monde des ténèbres.
Pour la première fois, la foule exprima son inquiétude. Les histoires sur la guerre du Crépuscule étaient ignorées de personne, les cicatrices de cette légendaire confrontation entre deux mondes marquant encore celui de la lumière. Panaros leva les mains en réclamant le silence.
– Je comprend votre émoi, mais le présent n'est pas à la panique. Nous ne risquons pas de nouvelle guerre avec les démons, mais la situation impose que nous rouvrions des portes que nous pensions garder scellées à jamais. L'ennemi les a closes lui même, il sait donc comment les entrebâiller pour voyager entre les mondes. Cependant, c'est aussi le cas qu'un des héros de Syndras. C'est pourquoi la couronne s'engage à soutenir les Déicides dans leur quête pour mettre un terme définitif à la menace de Saga et des Déchus ! Ils s'aventureront avec le soutien d'une troupe d'élite dans le monde des ténèbres et traqueront cet ennemi de la paix du monde ! Laissez moi l'honneur de vous présenter les héros de Danatal, défenseurs officiels du royaume !
Le roi s'écarta et désigna les Déicides qui s'approchèrent du bord du balcon. De somptueuses tenues leur avaient été proposées pour se mettre en valeur, mais ils les avaient refusées. Le groupe avait délibéré et décidé que, pour se présenter en tant que protecteurs, ils ne devaient pas s'habiller comme des nobles, mais plutôt comme les combattants qu'ils étaient.
Vêtus de leurs habituelles tenues de combat, les Déicides se dressèrent devant le peuple qui les acclama sans retenue, les félicitant pour leurs exploits passés et les encourageant pour ceux à venir.
– Chaque labeur mérite sa récompense, continua Panaros en essayant de se faire entendre. Nous ne pourrons pas la leur remettre dans l'immédiat car des détails restent à travailler, mais à leurs retour, ces six valeureux héros se verront accordés des titres de noblesse digne de leur grandeur ! Notamment leur meneur, Sieg, qui se verra nommer marquis de son propre domaine ! Vous saisissez pourquoi nous ne pouvons pas lui présenter une telle récompense !
L'engouement de la foule s'intensifia, la nouvelle dépassant toutes les attentes du peuple. Fière de l'ascension de son partenaire, Bélial serra la main de Sieg qui se tourna vers elle avec un lueur dans le regard.
Oubliant où ils étaient, le couple s'embrassa devant un publique dont la joie redoubla face à un tel acte d'amour. Leurs héros étaient confiants, permettant d'espérer à un lendemain meilleur.
***
Loin des festivités de Syndras, une délégation se téléporta dans une forteresse isolée au milieu de montagnes glacées. Cette procession fut menée par deux hommes en armure qui s'avancèrent dans les couloirs en repoussant ceux qui se tenaient dans leurs chemins. Juste derrière eux s'avançait un homme aux allures nobles, une fine moustache brune dessinée sur ses lèvres étirées en un sourire narquois, une épée battant son flanc. Il était talonné d'une femme rousse aux habits de mage émeraude, serrant dans une main crispée un long bâton de bois torsadé. Enfin, fermant la marche, une religieuse aux habits sombres qui voilaient son visage marchait avec une grâce qui marqua ceux qui posaient les yeux sur elle.
Pas une personne ignorait qui venait d'arriver. Une vive panique envahit rapidement la forteresse alors que les figures d'autorité étaient cherchées avec empressement.
Cinq minutes après leur arrivée, les nouveaux venus croisèrent enfin la route d'un groupe de hauts prêtres qui se dépêchaient de les rejoindre avec embarras.
– Votre Sainteté ! s'ébahit un homme en se prosternant presque devant la religieuse qui ne lui accordait pas le moindre regard. Nous sommes si confus ! Nous ne pensions pas que vous viendriez après...
Le moustachu rejoignit le prêtre et l'invita à se relever tout en le poussant hors du chemin de ma procession.
– Justement, pour cette raison, Dame Zadia a estimé qu'il était important pour elle de venir et rassurer en personne ses fidèles. Même si nous avons perdu une de nos déités, ce ne sera pas éternel ! Tant que nous gardons la foi, nous finirons par ramener les dieux d'or et rétablir l'ordre divin originel !
Les prêtres burent les paroles du beau parleur, oubliant le reste du groupe qui s'éloignait.
– Je ne sais pas comment Kidon fait pour supporter la présence de ces larves insipides... souffla la magicienne à l'oreille de Zadia. Surtout qu'ils ont prouvé leur inutilité, en ne parvenant même pas à garder sous contrôle le porteur de Raya. Surtout qu'il était venu ici de son plein grès...
– Contrairement à toi, Flaroria, Kidon comprend l'utilité de garder sous la main des insectes, même s'ils sont incompétents, répondit la prêtresse avec d'une voix si basse quelle ne fut entendue que par la magicienne. Notre pouvoir n'est pas complet, alors pour le moment, nous devons continuer de nous rabaisser à cette sordide comédie...
Entendant Kidon promettre aux prêtres que sa maîtresse prendrait la parole devant la congrégation une fois qu'elle se serait reposée, Zadia se laissa guidée dans un salon où elle ne fut accompagnée que par Flaroria, les hommes en armure restant dehors pour monter la garde. La prêtresse lança un regard désintéressé au luxe qui l'entourait, comme si elle trouvait la salle insignifiante. Ignorant les œuvres d'art et l'or qui l'entourait, elle s'assit dans un fauteuil et prit une poire dans une corbeille devant elle.
– Mais bon, soupira Zadia, comme toi, je commence à trouver la compagnie de ces insectes plus qu'insupportable... Et dire que nous ne sommes pas passés loin de récupérer une des clés du royaume divin...
– Je me blâme pour cette déconvenue... avoua la magicienne en s'allongeant sans retenue sur un fauteuil. J'aurais du écouter Kidon quand il nous a dis que nous n'aurions pas dû faire confiance à Valence pour veiller sur Raya en attendant que nous arrivions... Au lieu de ça, nous avons confié une tache aussi vitale à un bouffon qui ne peut que se vanter de descendre d'un dieu... Comparé à nous, il n'est rien... Ou du moins, l'était... Quoi que maintenant, il est encore moins que ça...
– Et dire qu'il convoitait ma place... ricana Zadia en mordant dans la poire, laissant son jus couler le long de sa joue. Je n'arrive toujours pas à croire qu'il pensait être discret... Au moins, son incompétence nous a permis de vite identifier les potentiels traîtres. Une fois que nous les aurons identifiés, nous pourrons quitter ce lieu sordide...
– Rappelle moi, pourquoi avons nous décidé de récupérer ce trou perdu au milieu de nul part ? Certes, c'est un refuge à l'abri des regards, mais le temple principal n'est même pas sur ce plan d'existence, ce qui en fait un abri plus sûr...
Même avec son voile, le regard de Zadia poignarda Flaroria qui se redressa et se tint droite, se sentant sotte d'avoir abordé la question.
– Déjà que nous tolérons une poignée de larves chez nous, tu voudrais en inviter plus encore ? Cette forteresse, c'est de la poudre aux yeux de ces stupides mortels, qu'ils se croient au centre du pouvoir alors qu'ils ne font preuve que de figuration. Voilà pourquoi nous avons pris ce taudis.
– Allons, calmez-vous, toutes les deux... les gronda faussement Kidon en entrant à son tour, laissant leurs gardes refermer la porte derrière eux. Ce qui est fait est fait, prévoyons la prochaine bataille au lieu de perdre notre temps à ressasser nos défaites.
– Oui, tu as raison, Kidon. Nous devrions...
Le moustachu s'installa sur le fauteuil en face de celui de Zadia et dressa un doigt accusateur.
– Pas de ça entre nous, loin des oreilles des mortels. Faire la comédie devant est déjà si épuisant...
Zadia hocha la tête en levant les mains.
– Excuse moi, Dévastak, l'habitude...
– Mais sinon, ça fait quoi de savoir que même son meilleur descendant n'est finalement qu'un raté comme tous les autres ? s'amusa Flaroria avec malice. Toi qui rêve d'un combat contre un adversaire de valeur...
– On ne peut pas être déçu si on ne s'attendait à rien au départ... soupira le dieu de la guerre. Il n'était même pas digne que je lui dise qui je suis vraiment. Au sommet de sa forme, il n'arrivait pas au tiers de ma puissance actuelle, elle même l'ombre de ma force d'antan... Que j'ai hâte de rouvrir les portes vers le domaine divin, que je puisse récupérer ma gloire passée et commencer ma guerre sans fin... Ces enfoirés qui m'ont banni vont vite regretter leur erreur...
– Et moi donc... soupira Flaroria en tendant sa main devant elle, fixant des vignes qui s'entortillaient autour de ses doigts. Ma nature était si belle quand je l'entretenais, mais regardez là maintenant... Ces fleurs devant lesquelles s'émerveillent les mortels sont si fades en comparaison à mes vieilles créations... Et les arbres qui deviennent de simples meubles ou même du combustibles pour ces singes tremblotants de froid... Oh, que je suis impatiente de faire de ce monde un paradis végétal où les mortels retrouveront leur place d'engrais...
– J'ai moi aussi hâte de voir ça, Verdiri... acquiesça Zadia en penchant sa tête en arrière. Quant-à moi, vous savez ce que je compte faire une fois que je serais enfin redevenue moi-même...
***
Les cris de douleur et de terreur arrivèrent aux oreilles de Tyrian bien avant qu'il ne pousse la porte de la salle d'entraînement pour découvrir le carnage qui s'y passait.
Le démon pénétra dans la vaste pièce au sol matelassé couvert de sang, ignorant les blessés qui agonisaient au sol, non loin de ceux qui avaient eu moins de chance qu'eux. Un trentaine d'homme robustes bien portants tremblaient comme de jeunes enfants en fixant avec horreur le centre de la salle où une pauvre victime se lançait dans un dernier assaut désespéré contre son invincible adversaire. La personne qui avait déjà massacré tant d'individus para sans mal l'assaut de son agresseur et riposta par un coup de paume dans sa jugulaire. L'individu ainsi frapper toussa et s'effondra au sol en cherchant à récupérer son souffle.
– Vous commencez à vous relâcher ! s'écria le combattant encore debout. Je vous avais pourtant demandé de tout donner pour que cet entraînement en vaille la peine !
– Je ne pense pas que te voir massacrer leurs potes soit très encourageant, Saga... soupira le démon.
L'arcaniste se retourna et fit signe au guerrier.
– Ah, tu es là toi aussi ! Envie d'une petite remise en forme, toi aussi ?
– Je venais voir si on se payait ma tête... grommela Tyrian. Quand on m'a raconté que tu t'entraînais au combat à mains-nues, j'ai pensé qu'on me faisait une mauvaise blague, et pourtant...
Le démon profita de la semi nudité du mage pour détailler son corps, ne s'étant pas attendu à ce qu'il soit aussi musclé. Il était loin d'avoir la musculature du guerrier, mais gardait un physique que l'on ne trouvait pas d'ordinaire chez un magicien. En voyant ses précédentes victimes, Tyrian comprit que Saga n'avait pas besoin de sa magie pour brise en deux un homme qui le dépassait d'une tête.
– Ma dernière confrontation contre mon frère m'a appris une dure leçon... avoua Saga en s'étirant. Je me suis trop reposé sur ma magie, j'ai perdu l'habitude de me servir de mon corps. Il y a quatre mille ans, j'entraînais mon corps autant que mon esprit, même si j'étais loin d'atteindre les niveaux de Rostala, Zéléon, et encore moins Natas. Mais après des siècles à faire des recherches, je me suis clairement ramolli, j'ai perdu l'habitude de vraiment me battre. À part à Taouy et chez les sylvériens, je n'ai pas été dans un vrai combat digne de ce nom, et ces deux exceptions m'ont à chaque fois laissé dans un état déplorable. Alors je me suis lancé un petit sort pour récupérer ma forme d'auparavant, puis j'ai décidé de m'entraîner sans faire appel à ma magie afin de réveiller mes vieux instincts.
Tyrian décida de rester muet, réévaluant ses chances d'un jour éliminer l'arcaniste. Le démon s'était persuadé que la faiblesse du mage résidait dans sa condition physique, comme tout ses semblables, mais force était de constater qu'il s'était lourdement trompé. Certes, le guerrier évaluait que Saga n'avait pas la moitié de sa force et son talent au combat, mais il demeurait assez redoutable pour combler les lacunes de sa magie. Surtout que le mage ne semblait pas vouloir cesser de s'améliorer.
Une fois de plus, le démon dût se rappeler qu'il avait encore besoin de Saga, que le tuer avant qu'il ne devienne trop puissant pour lui le priverait du seul moyen existant pour lui d'atteindre la terre de ses ancêtres. Le guerrier redoutait que l'arcaniste prenait justement son temps parce qu'il se doutait que son second avait de tels projets, préparant minutieusement la suite de ses projets pour s'assurer qu'il ne soit pas trop facile à trahir. Cette sensation de n'être qu'un pantin, même quand il complotait, laissait un goût amer à Tyrian qui se revoyait comme il était avant sa rencontre avec le mage.
– Bon, je pense qu'une pause s'impose... déclara Saga, soulageant ses futures adversaires qui se crurent sauvés. Mais avant ça...
L'arcaniste invoqua une sphère noire dans le creux de sa main avant de la comprimer dans son poing. La moitié de ceux qui avaient survécu à l'entraînement se tordirent de douleur en hurlant de plus bel, des symboles écarlates recouvrant leurs corps. Mis à part Tyrian, tout le monde fixa avec terreur le supplice de ces âmes torturées qui ne trouvèrent le repos que quand leurs cœurs abandonnèrent. Sans un regard en arrière, Saga s'éloigna paisiblement.
– Trente seconde, c'est le minimum. Tenez moi occupé moins que ça, et vous pouvez deviner ce qui vous attend...
Délaissant des combattants tétanisés, Tyrian suivit Saga, réprimant ses doutes lui criant que le psychopathe devant lui pourrait un jour cesser d'avoir besoin de lui, le privant de la sécurité qu'il bénéficiait pour le moment.
– Avons-nous des nouvelles de ce bon Lainabe ? demanda Saga en essuyant le sang sur ses mains.
– Oui, il semblerait que ça fait trois jours que sa flotte est en position. Il nous rapporte d'ailleurs que ses hommes s'ennuient ferme et attendent les prochains ordres.
– Donc, tout se passe comme prévu... résuma Saga. Si les sceaux ont été bien apposés sur leurs navires comme demandé, leurs esprits combatifs ont déjà commencé à faiblir, ce qui évitera qu'ils décident de se mutiner par ennui. Donnons leur encore une bonne semaine, qu'ils sombrent bien dans la lassitude et la paresse, et ils seront assez mûrs pour être sacrifiés... Les quelques bombes qui jonchent leurs bateaux devraient suffire à tous les tuer et ouvrir la porte. Il ne me reste donc plus qu'à la localiser exactement et me tenir près à récupérer ma sixième pierre. Après ça, je pense qu'il sera grand temps pour moi de tenir parole.
– Parole ? répéta Tyrian en fronçant les sourcils.
L'arcaniste ricana et se retourna pour adresser un regard malsain au démon à travers ses lunettes.
– Nos actions ici on trop attiré l'attention à mon goût... Que dirais-tu de visiter un autre monde le temps qu'on nous oublie ? Et si un certain Déchu nous y attend, nous pourrions en profiter pour le récupérer, tu ne crois pas ?
Fin
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