Chapitre 97 : L'éclaircie entre deux orages

Les fêtes s'improvisaient plus aisément que ce que les gens pensaient. Dès que l'étincelle des festivités était allumée et se propageait tel un feu de forêt, le brasier qui naissait devenait dur à refréner.

Une fois la nouvelle que les Déicides, le groupe formé par Sieg, qui était déjà pratiquement un héros aux yeux de bien des citoyens, avaient arrêté un fléau capable de dévaster la capitale, les habitants de Syndras ne perdirent pas une seconde à les porter en triomphe.

De nombreux commerces cessèrent de travailler, leurs employés entraînés dans l'engouement. D'autres profitèrent au contraire de l'occasion pour faire des ventes records, notamment ceux qui négociaient dans l'alimentation et l'alcool. Si Syndras comptait s'amuser, elle aurait besoin de vivres pour satisfaire ses convives.

Après plusieurs heures de préparations précipitées, le soleil déclinait à peine dans le ciel quand les réjouissances purent battre leur plein, des rires résonnant dans les rues en s'entremêlant à la musique des dizaines de musiciens qui ouvraient à égayer le moment.

Ayant profité d'un moment de répit pour panser leurs blessures, les Déicides sortirent de leur refuge au Pégase d'émeraude, devenu l'établissement le plus convoité de la capitale, pour découvrir haut en couleur et en musique. Des banderoles traversaient les rues de part en part, certaines épelant de façon parfois approximative le nom de leur groupe, et même ceux de chacun de ses membres. Plus aucun véhicule ne déambulait, les routes étant encombrées de tables débordant de nourriture et boissons auxquels s'attaquaient déjà les plus gourmands et les soiffards.

Farca baissa le regard en rougissant, embarrassée de devenir ainsi le centre de l'attention. À l'opposé, Ahmés jubila et s'empressa de rejoindre les musiciens les plus proches pour leur demander s'ils pourraient lui prêter un instrument afin qu'il puisse mener l'orchestre. Lorelya ignora royalement les hommes qui cherchaient à attirer soin attention tout en faisant des signes aux demoiselles qui gloussaient en réponse. Adam scruta la foule, étudiant les réactions de chacun pour les détailler et essayer de les comprendre. Le cœur de Bélial vibra en voyant la plus grande fête de sa vie se dérouler sous ses yeux, ne parvenant pas à se faire à l'idée que tout ceci avait été fait en leur honneur à eux. À ses côtés, Sieg passa son bras autour de la taille de sa partenaire et la tira contre lui en levant vers elle des yeux pétillants de fierté.

– Tu sais, je pense vraiment que quand nous voudrons nous poser...

La démone interrompit l'écarlate en le serrant contre elle, riant comme une enfant à qui on faisait le plus beau des cadeaux.

– Ouais, moi aussi, je veux vivre ici ! Et c'est pas parce que les gens nous adorent, non ! C'est moi qui les aime ! Cette ville... Non, ce pays est génial ! J'ai l'impression d'être chez moi ! Vraiment chez moi ! Et surtout...

La barbare se détacha de l'épéiste, faisant quelques pas dans la foule qui ne détachait pas son regard d'elle. Elle avait troqué sa tenue de combat pour une robe blanche aux motifs floraux brodés d'or descendant en dessous de ses genoux. Ses manches s'étendaient jusqu'à ses poignets ornés de bracelets argentés qui scintillaient sous le soleil. Ses cheveux tressés grâce aux efforts combinés de Farca et Lorelya se balançaient derrière elle comme pour battre la mesure de sa joie. Bélial porta sa main à son cou, le caressant sans que ses doigts ne rencontrent le pendentif qu'elle avait prit l'habitude de porter. Ses cornes et sa queue étaient à la vue de tous, mais pas une seule personne la fixait avec autre chose que de l'admiration et du bonheur.

– Je peux enfin être moi-même avec eux... souffla la jeune femme en sentant ses yeux picoter.

Dans un costume brun élégant, Sieg glissa sa main dans celle de la démone et lui sourit.

– Je suis vraiment heureux pour toi. Tu mérites de vivre entourée de sourires.

– Oui, oui, vous êtes adorables tous les deux... soupira la verdoyante dans sa robe pourpre fendue sur le côté, roulant les yeux vers le ciel. Bon, si vous comptez roucouler, je pense que je vais me trouver de plus charmantes compagnies pour profiter de la fête...

L'alchimiste secoua la tête en observant l'archère s'approcher sensuellement d'un groupe de femmes, repoussant sans un regard les messieurs qui cherchaient à l'accoster. La naine fixa alors la table qui venait de se métamorphoser en scène où leur musicien se pavanait dans son costume bleu à plumes qui lui donnait un air plus exubérant que d'habitude. La sang-mêlée baissa le regard sur ses propres vêtements de tout les jours, commençant à regretter de ne pas avoir suivi l'exemple de ses compagnons.

– Excusez-nous, mais... Seriez vous Dame Acieroux ?

Déstabilisée par qui venait de résonner derrière elle, Farca se retourna pour s'apercevoir qu'un petit groupe d'hommes et de femmes s'était rassemblé dans son dos et posait des regards curieux sur elle. Se retenant de les chasser en se disant qu'ils étaient étonnés de voir une enfant parmi les Déicides, la naine les toisa en croisant les bras. Après tout, ils avaient employé son nom de famille, indiquant qu'ils s'étaient un minimum renseignés sur elle.

– En effet, je suis bien Farca Acieroux. Par contre, vous pouvez oublier le Dame, j'ai horreur des flatteries exagérées.

– Bien sûr, bien sûr ! s'exclama celui qui servait de représentant pour cette délégation. Veuillez m'excuser, je suis Vincent Dador, propriétaire des commerces Dador...

L'alchimiste eut du mal à ne pas rire au nez de son interlocuteur. Elle avait plus d'une fois pu voir son nom au détours de bien des rues, les enseignes Dador étant dans toute la capitale. La naine en avait même vu à Port-Écume quelques mois plus tôt. Farca avait la certitude que ce riche commerçant cherchait à s'attirer les faveurs des nouveaux héros de Danatal et pensait qu'elle serait la cible la plus facile.

– ... ainsi que le président de l'association des recherches sur le Laboratoire des Origines.

La sang-mêlée écarquilla les yeux, doutant qu'elle ait bien entendu ce qui venait de lui être annoncé. Ses yeux se posèrent tour à tour sur les expressions embarrassées bien qu'admiratives du groupe qui, maintenant qu'elle y faisait attention, ne se composait finalement pas que de gens fortunés. Même un homme portant un tablier de forgeron faisait parti du groupe.

– Je ne serais pas étonné si vous nous disiez que vous n'avez jamais entendu parlé de nous... toussa Dador. Après tout, notre association est peu connue du grand publique. Le Laboratoire des Origines tient plus du conte pour enfant que du fait historique, alors personne ne prend au sérieux les recherches sur lui. Mais nous, nous y croyons réellement et nous réunissons régulièrement pour en discuter. Alors quand nous avons appris que l'un des membres des Déicides ne se cachait pas d'avoir la même passion que nous, parvenant même à convaincre le roi en personne de lui donner accès à la bibliothèque royale pour ses recherches...

– Nous devions absolument vous rencontrer ! intervint une dame dans la cinquantaine en bousculant Dador pour présenter sa main à la naine. Comtesse Babilla, pour vous servir. Nous sommes curieux de savoir ce que vous avez appris jusqu'à présent ! Et bien sûr, le fruit de nos propres recherches est entièrement à votre disposition, ma chère Farca !

Ne sachant quoi dire, l'alchimiste serra la main de la comtesse avec un air vacant. Elle n'avait jamais envisagé que d'autres individus s'intéresserait au Laboratoire des Origines, encore moins un marchand influent et une noble. Et pourtant, elle avait sous les yeux des personnes de différents milieux sociaux qui s'étaient regroupés, se moquant de leurs différences pour parler de leur passion. Découvrir que le rêve de sa mère n'appartenait pas qu'à elle revigora Farca.

– Vous savez, ça fait un moment que je voulais partager le fruit de mes recherches avec des personnes capables de les comprendre... répondit Farca avec un air songeur. Et apprendre ce que vous savez pourra toujours m'aider avant de retourner à Hydralia pour explorer ses bibliothèques...

– Vous avez aussi l'autorisation de faire des recherches à Hydralia ? s'extasia Dador.

– Mais oui, bien sûr ! s'exclama la comtesse en invitant la naine avec les suivre. Je me disais bien que j'avais déjà entendu votre nom avant aujourd'hui ! C'est vous qui avez sauvé la princesse et les autres invités quand la célébration de l'hydre de lumière a été attaquée ! Cet exploit a été étouffé par le drame des enlèvements commis par l'ordre, mais beaucoup de personnes ont eu vent de vos exploits !

– Oh, vous savez, je n'ai pas fait grand chose... marmonna la naine en repensant au frère qu'elle avait sacrifié sans hésiter ce soir là.

– Et sinon ? Que pensez vous des plans d'existence alternatifs ? intervint un jeune homme aux vêtements d'érudit. Je pense que si la Laboratoire n'a jamais été trouvé, c'est parce qu'il n'est même pas dans le monde de la lumière.

– Ce que je pense de cette théorie ? ricana Farca. Je vous rappelle que je voyage avec une démone dont les ancêtres viennent d'un autre monde et un héros qui a vécu pendant des millénaires dans une dimension divine. Je crois que je suis ouverte à la possibilité...

Sieg et Bélial regardèrent l'alchimiste s'éloigner en conversant avec des personnes qui partageaient la même passion qu'elle.

– Bon, si elle aussi, elle a trouvé comment passer le temps... commenta le bretteur.

– Tiens, Adam aussi a disparu ! remarqua Bélial en regardant autours d'elle. Je crois bien qu'on est seuls...

– Ne me dis pas que tu veux déjà retourner dans notre chambre ? soupira l'écarlate d'un ton las.

– Mais non ! s'écria la démone en entraînant son partenaire après elle en riant. Je me dis juste qu'on peut enfin nous balader juste tous les deux ! Depuis Port-Écume, on avait toujours les autres avec nous, ou on devait s'inquiéter d'être attaqués ! Là, on peut juste s'amuser tous les deux sans penser à rien !

Admettant qu'elle avait raison, Sieg laissa Bélial le guider à travers une foule réjouie, se laissant enfin aller après de si éprouvantes journées.

***

Panaros avait une vue imprenable de la ville depuis le balcon principal de son palais. Les rires de son peuple parvinrent faiblement jusqu'à ses oreilles, prouvant que son peuple ne se laissait pas perturber par les désastres récents qui avaient meurtri la capitale.

Mais le monarque n'avait pas la tête à s'amuser. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser à l'Ordre et à ses potentielles représailles après que les Déicides soient parvenus à se jouer d'eux aussi spectaculairement. Le roi avait déjà ordonné à ce que l'on fasse parvenir un messager à Xardar pour leur faire part de ce qu'il savait, espérant pouvoir former une alliance avec cette nation qui avait déjà projeté de s'opposer à l'Ordre. Panaros espérait que le sauvetage de leurs représentants par les héros de Danatal leur ferait oublier que son pays avait déjà refusé de s'allier à eux avant.

Le souverain se tourna d'un quart vers Anoro qui s'inclina.

– Vous n'avez rien d'autre à rapporter ? demanda Panaros.

– Non Sire, je vous ai tout relaté. Mis à part cependant que nous pouvons peut-être trouver des alliés insoupçonnés dans les bas-fonds de la capitale. J'avais d'abord cru que les résidents de l'Abri auraient fui dès que la compagnie des Lions Pourpres nous ont attaqués, mais ils ont fait front avec nous. Si nous devons nous préparer à une éventuelle guerre avec l'Ordre, dans l'état actuel de notre armée, peut-être pourrions nous trouver un arrangement avec eux pour assurer la sécurité de la capitale ?

Le roi ne répondit rien mais partagea l'avis du soldat. Si les Déicides avaient prouvé une chose, c'était que la grandeur pouvait se trouver là où personne le soupçonnerait. Alors si les criminels de sa nation pouvaient être convaincus d'œuvrer pour le bien commun, il ne se retiendrait pas d'y faire appel.

Panaros dévisagea son majordome qui s'inclina à son tour.

– Comme demandé, j'ai envoyé un serviteur à l'église de Vauracia. Normalement, le haut-prêtre doit se tenir prêt à recevoir Maître Sieg demain matin.

Le monarque hocha la tête, satisfait. Il se doutait que l'écarlate ne désirerait pas garder les tatouages que lui avaient imposé l'Ordre, mais se serait montré trop préoccupé par la tournure de la journée pour préparer leur effacement. Lui retirer cette charge était une façon pour Panaros d'essuyer une petite partie de sa dette envers Sieg. Surtout s'il considérait ce qu'il allait demander de lui après.

– Fort bien. Anoro, je veux que vous retrouviez Sieg ce soir pour lui dire qu'il pourra se débarrasser de ses entraves demain, puis que je veux voir son groupe entier juste après pour aborder un sujet délicat. En début d'après-midi, je m'adresserais au peuple pour faire une annonce de première importance.

– Bien votre Majesté !

Le soldat s'éclipsa, laissant son souverain avec Cédric qui prit un air songeur.

– Pensez-vous qu'ils accepteront ? Après tout, ils ont plus l'âme de voyageurs que de...

– Je l'espère. S'ils sont réticents, nous pourrons leur dire que ce serait purement à titre symbolique. La nation se réjouit, mais les jours sombres que nous redoutions ne se sont pas dissipés pour autant. L'Ordre, Saga... Bien des menaces planent sur nous, nous serions sots de ne pas nous préparer à les affronter.

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