Chapitre 91 : Machines à tuer

Calculant qu'il avait peut-être fait une erreur, Adam scruta chaque recoin de l'échoppe dans laquelle il avait pourchassé Kiria. L'assassin restait introuvable, peu importe le temps qu'il passait à la chercher. Toute logique insinuait que la tueuse se serait échappée et attendait le bon moment pour attaquer les alliés du gardien dehors, mais il restait tout de même dans le commerce.

Adam ignorait pourquoi, mais il avait le pressentiment que Kiria chercherait à l'éliminer lui en premier, maintenant qu'il était, comme elle, isolé de ses alliés. Il ne comprenait pas pourquoi cette idée lui était apparue et prenait le pas sur son programme de logique. Était-ce là ce fameux instinct dont parlaient les organiques ? Ce don qui ne reposait sur aucun raisonnement mais qui pouvait cependant surpasser la logique ?

Le gardien étudia les rangées de tissus qui l'entouraient avant d'apercevoir une porte entrouverte qui le mit en alerte.

Il était certain qu'elle était fermée la dernière fois qu'il l'avait aperçue.

Calculant que les chances qu'une porte s'ouvre d'elle même sans raison étaient quasiment nulle et que le propriétaire des lieux avait déjà fui depuis un moment, il marcha aussi discrètement que possible vers l'ouverture. Il savait la manœuvre vaine, car son poids faisait grincer le parquet à chaque pas. Mais il persévéra, ne voulant pas abandonner la mission qui lui avait été confiée. De toute façon, il avait réalisé pourquoi il était le plus adapté du groupe pour neutraliser Kiria, et ce n'était pas simplement parce que l'archère et la prêtresse se battaient de trop loin pour lui.

Adam posa sa main sur la poignée de la porte et ne vit plus rien. Réalisant qu'un tissu épais venait de lui être passé devant les yeux, le gardien recula soudainement et tenta de le retirer. Quelque chose se planta dans l'articulation de son coude et il sentit ses jointures se faire taillader. Le gardien chercha à repousser son agresseur, mais son bras droit refusait de bouger. Il pivota sur lui même en balayant l'air d'un revers du gauche mais ne frappa rien. Préventivement, il déploya sa barrière autour de son coude et épaule gauche, mais ce fut l'arrière de son genoux qui fut entaillé cette fois-ci.

Forcé à poser un genoux au sol, Adam arracha enfin à déchirer le tissu qui lui bloquait la vue et scruta chaque recoin du commerce. Kiria avait échappé à sa vigilance, lui tendant un piège pour qu'il se place là où elle le voulait. Le gardien se pensait invincible, avec un corps qui ne pouvait pas mourir, mais l'assassin venait de lui prouver qu'elle se moquait de sa robustesse. Il calcula qu'il lui faudrait au moins une demi-heure pour assez réparer les dégâts causé pour qu'il puisse au moins se déplacer convenablement, même si une course luis serait impossible.

Si au moins son agresseuse essayait de le narguer, il pourrait la repérer au son, mais il avait affaire à une professionnelle. Elle ne se précipiterait pas, elle attendrait le bon moment pour frapper sans qu'il ne la voit venir. Dans un silence qui aurait donné la chair de poule au gardien, Kiria attendait le meilleur moment pour achever le gardien.

Le moment qu'Adam attendait avec tout autant de patience qu'elle.

Kiria aurait pu frapper directement sa nuque pour mettre fin au combat, il en était parfaitement conscient. Dans les livres qu'il dévorait, Adam avait appris que les vrais assassins ne perdaient pas de temps à torturer leurs proies pour le plaisir, ils les éliminaient sans la moindre pitié. Hors, elle avait pris le temps de réduire ses capacités offensives et mobiles. Si elle avait fait des recherches et découvert qu'il était artificiel, cela expliquerait pourquoi elle avait préféré prendre son temps, car il n'avait pas les faiblesses qu'elle avait l'habitude d'exploiter. Elle ne voulait pas se risquer à lui planter une dague dans la nuque sans savoir où étaient ses points faibles.

Pour la première fois de son existence, Adam se sentit incroyablement vulnérable. Son armure qui avait repoussé le pire des assauts gardait des failles à ses jointures, mais jusqu'à présent, il ne s'en était pas soucié, car ce que cachait sa carapace de métal n'était que plus de métal. Il ne pouvait pas mourir d'exsanguination, d'asphyxie ou de brûlure. En fait, il ne pouvait pas mourir.

Du moins, c'était ce qu'il avait toujours pensé.

Même quand Saga et Kira l'avaient attaqué en même temps, il n'avait pas une seule seconde envisagé que son existence pourrait prendre fin. Le duo avait prévu de le reprogrammer de toute façon, pas de le détruire, alors il n'avait jamais été confronté à l'idée de sa propre mort. Mais dans cette boutique étriquée, seul avec une tueuse qu'il ne pouvait pas percevoir, Adam était confronté à une nouvelle expérience qu'il avait seulement lu dans ses livres ou vu chez les autres.

La sensation que la fin approchait.

Une sensation.

Ce n'était pas logique ou cohérent, cependant il ne pouvait pas traduire les pensées qui le traversaient autrement. Cette idée de mort balayait lentement toute réflexion, l'obnubilant avec l'idée de sa fin. Était-ce là ce que ressentaient ses compagnons à chaque fois qu'ils se battaient contre un adversaire redoutable ? Luttaient-ils tous avec ce poids, cette notion qu'à la moindre erreur, ils pouvaient mourir ? Qu'avaient pensé ses ennemis quand il voyaient que le gardien allait les tuer ?

Un déluge de pensées tourbillonna dans sa tête, donnant un air vacant dont profita Kiria pour mettre un terme à la confrontation. Juste à l'instant où le gardien sentit la lame se glisser entre les jointures de son plastron et son heaume, une notion lui revint. Une idée qu'il avait déjà lue avant, mais dont la véritable signification lui avait échappé jusqu'à ce qu'il soit confronté à sa propre fin.

Seuls les forts survivent.

La dague n'avait pas traversé deux centimètres de son corps qu'il riposta. Son corps n'avait pas bougé d'un pouce, et pourtant sa réponse à l'assaut de l'assassin invisible avait était dévastatrice, il le savait. Un faible gémissement étouffé lui avait prouvé que son adversaire venait de faire les frais de sa précipitation. Adam empoigna de sa main libre ce qui dépassait encore de son cou et l'analysa.

Le gardien tenait une lame sombre, possiblement magique, qui avait été en mesure de l'entailler. Une main tenait toujours sa poignée, du sang coulant doucement là où elle avait été sectionnée.

Le jeu venait de changer. Il n'y avait plus de proie, uniquement deux chasseurs blessés qui devront tout miser sur leur prochaine attaque pour assurer leur propre survie.

Écrasant une étagère avec assez de violence pour la fissurer, le gardien se redressa difficilement. Avec son genoux droit neutralisé, il savait que lâcher son appui lui ferait perdre l'équilibre mais il devait se tenir debout s'il voulait avoir la moindre chance de gagner. Il s'appuya sur un meuble avec son bras droit inutilisable, laissant son gauche disponible pour lancer une ultime attaque.

Adam pencha sa tête sur le côté, exposant l'endroit où la dernière attaque de Kiria l'avait endommagé, avant de la provoquer.

– Prépares-Toi À Mourir.

Un son cristallin remplit la boutique, occupant tout l'espace disponible. Ce son d'une goutte heurtant le sol dicta chaque geste du gardien en une fraction de seconde, le poussant à pivoter sur lui même. Son bras droit fondit vers la source du bruit avec l'inéluctabilité d'une météorite, prêt à pulvériser ce que son poing rencontrerait.

Dans le cas ci-présent, rien du tout.

Entraîné par son mouvement, Adam tomba en avant, s'étalant de tout son long sur le sol qui se craquela sous son poids. Entièrement exposé, incapable de se défendre, il offrit son dos à son adversaire qui ne se fit pas prier. Le gardien vit une ombre bouger sur le sol, se superposant à la sienne.

Son piège avait marché.

Adam déploya son bouclier derrière lui, mais pas parallèlement par rapport à son corps pour se protéger. La protection s'étendit de son dos au plafond, formant une lame implacable qui trancha impitoyablement tout ce qui osait se dresser sur son chemin.

Après une seconde de silence, deux bruits sourds retentirent tel le glas d'une cloche. Un hoquet de douleur attira le regard du gardien vers sa droite. Crachant du sang sous son masque en tremblant, Kiria transperça le gardien avec des yeux remplis d'incompréhension et de terreur. Sa main valide approcha sa lame du visage d'Adam qui ne bougea pas. La pointe de l'arme atteignit à peine sa visière, laissant une fine marque dessus.

L'assassin était trop loin pour porter un coup mortel au gardien. Elle ne pouvait pas s'approcher cependant, le reste de son corps, de ses pieds à la moitié de son ventre, gisant à un mètre d'elle. Cette fine cicatrice était la seule vengeance qu'elle pouvait prendre sur celui qui venait de se jouer d'elle avec une telle aisance.

Adam ne perdit pas une miette des derniers instants de Kiria. Il avait déjà assisté à la mort d'autrui, mais elle lui avait toujours semblé si étrangère, il n'était jamais atteint par elle. Ce combat en revanche venait de changer ça. Confronté à la possibilité de sa propre fin, l'automate réalisa combien l'instant qui précédait le néant était précieux. La tueuse, fidèle à elle même, consacrait ses dernières forces dans une tentative d'entraîner son meurtrier avec elle. Lui même, quand il avait sentit que son existence arrivait à un terme, s'était exclusivement focalisé sur sa propre survie, une notion unique et si précieuse.

Découvrant un respect étrange pour celle qui avait failli l'éliminer, Adam la laissa vivre ses ultimes secondes tel qu'elle le désirait, se refusant à lui cracher au visage en lui retirant le dernier privilège qu'il lui restait. Elle avait le droit de choisir quelle serait la dernière image d'elle qu'elle lui laisserait. Pas celle d'une proie apeurée, celle d'une chasseuse fière.

La dague échappa des doigts de Kiria qui tombèrent au sol à sa suite. La lueur qui lutait encore dans les yeux de l'assassin perdit son combat et s'éteignit. Adam observa ses prunelles vides avant de lentement approcher sa main de son visage. Avec délicatesse, il lui ferma les yeux, lui donant un air serin qui trahissait la brutalité de sa mort.

Dasn un grincement métallique, le gardien se redressa et s'assit par terre, le dos plaqué contre une étagère. Face à lui, un miroir reflétait l'état dans lequel il se trouvait. Les dégâts à son coude et son genoux n'étaient pas perceptibles à l'œil nu, mais l'estafilade qui barrait sa visière telle une citatrice ressortait telle une balafre que nul pouvait ignorer. Adam toucha la marque du bout de ses doigts et la caressa.

Quand il sentit son système de réparation se mettre en marche et tenté de réparer son casque, il y mit un terme immédiatement et frappa le sol avec violence. Adam ne comprenait pas pourquoi il se refusait à laisser cette marque s'évanouir. Elle était si légère qu'il ne lui faudrait pas même une minute pour la résorber. Pourtant, aussi minime était-elle, cette cicatrice avait plus d'importance que les blessures qui le clouaient au sol.

Dans l'incompréhension qui le tourmentait, torturant sa logique qui lui hurlait presque de simplement effacer toute trace de ce combat, il perçut un début de réponse. La volonté de s'opposer à la cohérence, le désir d'embrasser l'irrationnel.

Une émotion dictait sa conduite.

Il ne la comprenait pas, ne sachant pas si c'était de l'orgueil, de la compassion ou n'importe quel autre sentiment qui l'influençait, mais sa nature n'importait pas. Il tenait enfin une émotion, le but de sa quête, et il se refusait à l'abandonner. Si cette marque était la source de ce trouble qui remettait en cause tout ce qu'il connaissait, alors il la porterait aussi longtemps qu'il le faudrait, jusqu'à ce qu'il en perce les mystères.

Avec beaucoup de concentration, Adam laissa son système de réparation reprendre du service avec comme consigne de ne pas toucher à son heaume. Une part de lui résista, mais ses ordres furent obéis.

Après un instant de contemplation, il délaissa aussi pour l'instant la réparation de son bras droit, concentrant tous ses efforts sur son genoux. Il se doutait que le combat était loin d'être terminé. Ses compagnons avaient besoin de lui, alors récupéré l'usage de sa jambe aussi vite que possible était devenu la priorité.

Il était hors de question de laisser la vie quitter leurs yeux.

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