Chapitre 86 : Rien de plus précieux

Girdo ne put réprimer un bâillement en regardant des larbins acheminer des caisses sous ses yeux. Le réveil avait été difficile pour le garde qui détestait être de poste le matin. Blasé, il ignora les remontrances de son supérieur.

– Et imagine que sa Sainteté, ou pire, le poteur de notre déesse, te voient en train de flemmarder alors que tu as le devoir de veiller sur notre seul lien avec le monde extérieur ! Ils seraient mortifiés !

Le sous-fifre fut heureux de porter une visière, empêchant son capitaine de le voir rouler les yeux vers le ciel. Il n'arrivait pas à imaginer qu'une attaque puisse être lancée sur eux. D'une part, ils étaient isolés au beau milieu des montagnes, personne ne serait assez fou, mis à part les têtes pensantes de l'Ordre, pour forcer une armée à se frayer un chemin dans ces pics glacés au risque que tous les soldats perdent la vie avant d'atteindre la forteresse. D'autre part, pour utiliser l'autel qu'il surveillait en compagnie d'une dizaine de gardes, il fallait posséder un talisman spécial en plus de savoir où se trouvait la forteresse. Personne d'indésirée ne pourrait jamais débouler ici, sans oublier que si ça arrivait, ils seraient probablement encore sonnés par le voyage, leur laissant le temps de les appréhender sans soucis. Sans oublier le fait que l'autel brillait pendant trente secondes avant la fin de la téléportation, plus qu'assez de temps pour se mettre en position.

– Tu m'écoutes, Girdo ? s'écria le capitaine en le secouant. Si tu n'étais pas le neveu du général Kort, ça fait un moment déjà que je t'aurais...

Une vibration magique interrompit la dispute et attira le regard des deux hommes. L'autel venait de se réactiver juste quand les derniers larbins venaient de transporter les dernières caisses hors de la salle. Surpris, le capitaine délaissa Girdo et héla ses troupes.

– Restez sur vos gardes, nous ne devions avoir qu'un...

La téléportation prit fin alors que les plus vifs des gardes posaient à peine leurs mains sur la garde de leurs épées. Ils clignèrent les yeux de surprise de voir le transfert prendre fin bien plus tôt que prévu. Ce moment de flottement fut la plus grosse erreur de leurs carrières.

Une elfe intégralement verte fit pousser un arc et des flèches dans ses mains et abattit trois gardes avec des tirs dans la jugulaire. Un musicien joua un air et les ombres attrapèrent deux autres, s'entortillant autour de leurs corps et recouvrant leurs bouches pour les empêcher de parler. Un second archer et un mage éliminèrent chacun un adversaire juste quand le capitaine réalisait ce qui était en train de se passer, venant de perdre plus de la moitié de ses hommes.

– Sonnez l'a...

Le cri du capitaine fut éteint par un coup de genoux dans le ventre d'une guerrière colossale qui avait fondu sur lui en un battement de cil. La victime fut propulsée contre un mur où il finit encastré et cessa de bouger.

Encore à moitié avachi contre un mur, Girdo avait assisté à la scène avec des yeux ronds. Il se tourna vers son dernier allié en vie quand il l'entendit gémir et le vit détaler comme un lapin. Mais il n'avait pas fait trois pas quand un poing traversa la salle et serra sa gorge pour le tracter jusqu'à l'autel. Le combattant en armure qui venait d'attraper le garde hissa son visage au niveau de son heaume.

– Question : Voulez-Vous Vivre Ou Essayer De Jouer Aux...

– Laisse tomber... soupira Farca en tapotant la jambe d'Adam. Vu sa tête et l'angle de son cou, je croit que tu lui as déjà brisé la nuque...

Le gardien examina sa prise avant de la lâcher. Le corps s'étala lamentablement au sol sous le regard courroucé de l'employée de l'autel des voyage de Syndras.

– Vous allez me faire le plaisir de nettoyer ça ! Je vous rappelle que nous allons avoir besoin de dégager la zone pour éviter les accidents de téléportation !

Bélial ne prêta pas attention à ces remarques pour à la place fixer le dernier garde encore en état de faire quoi que ce soit qui levait lentement les mains.

– Houla, du calme... souffla Girdo. Aucune solde m'oblige à me faire tuer juste pour l'honneur, alors je me rends, vous n'êtes pas obligés de me faire du mal...

– Surveillez-le les gamins ! ordonna l'alchimiste en balayant la salle du regard. S'il décide de jouer au plus malin, n'hésitez pas à le buter.

La naine fut impressionnée par la taille de la salle. Trônant au centre d'une pièce large de trente mètres, l'autel disposait de toute la place possible pour transporter des livraisons, une conception logique si on considérait que l'artefact était le seul lien avec le monde extérieur et les vivres dont dépendaient les occupants de la forteresse. Aucune fenêtre n'était présente, la laissant présager qu'ils devaient se trouver dans le centre de la forteresse, voir même en sous-sol.

La sang-mêlée se retourna et vit l'employée déjà en train de travailler sur l'autel pour accélérer les prochains voyages. Zanita profita de l'instant de calme pour s'approcher de la seule sortie de la pièce et scruter le couloir. À droite et à gauche, nulle âme était visible, leur attaque éclaire semblait être passée inaperçue.

– Tout se passe bien pour le moment... souffla-t-elle juste assez fort pour être entendue. On va pouvoir téléporter les autres avant que l'alerte soit donnée.

– Et vu la taille de la pièce, nous n'aurons finalement besoin que de quatre voyages pour les faire venir, déclara l'employée en apportant les dernières modifications. Je n'avais jamais entendu parlé d'un autel aussi large, surtout qu'il n'y a pas de décorations comme à Syndras.

La démone se contenta de hausser les épaules. Pour elle, la beauté n'était intéressante que si elle ne se mettait pas sur le chemin de ce qui était pratique.

Suivant les instructions de l'employée, le groupe s'écarta autant que possible de l'autel et la regarda disparaître. Quatre minutes plus tard, l'artefact se remit à briller et près de quarante personnes apparurent.

– On va commencer à investir la forteresse, prévint Anoro en faisant signe à ses troupes de le suivre. Après tout, si nous restons tous ici, les autres n'auront pas de place pour arriver sans danger.

– Ça marche, on va commencer à bouger aussi, annonça Farca en sortant sa boussole de sa poche. Vous autres, vous restez ici pour prévenir les prochains de ce qui se passe. N'oubliez pas, nous avons besoin qu'une vingtaine de personnes restent ici pour surveiller l'autel, c'est la clé du plan. On le perd, on est tous foutus.

Après avoir entendu bien des acquiescements, l'alchimiste guida ses quatre compagnons dans les couloirs en fixant l'aiguille rouge. Cette dernière était légèrement relevée, signe que Sieg se trouvait à un étage supérieur, signe qu'ils devaient trouver un escalier. Ahmés prit le temps de lancer une illusion sur eux pour leur donner l'apparence de gardes, leur permettant de croiser du monde sans causer de panique ou devoir les éliminer. Laisser des corps dans les couloirs risquait de trahir trop vite leur présence dans cette section de la forteresse, compromettant leurs chances de réussir.

Ils arrivèrent enfin à un escalier et l'empruntèrent pour grimper trois étages jusqu'à ce que l'aiguille se tienne droite. Farca siffla en voyant le sol et les murs tapissés du couloir devant eux, des œuvres d'art ponctuant leur progression.

– Ils n'ont clairement pas fait attention à la dépense... commenta-t-elle. Si j'avais le temps, je ferais bien le tour de quelques chambres pour voir les trésors qu'elles renferment.

– Oui, et si tu tombais par accident sur un vase qui pouvait rentrer dans ton sac... grommela Lorleya en soupirant.

– Il n'y a pas de petit profit ! s'exclama la naine. Surtout que vos dernières courses ont Stop !

Les serviteurs dans le couloir adressèrent des regards suspicieux aux cinq gardes qui venaient de soudainement s'arrêter de marcher suite à ce cri. Farca attendit qu'ils soient seuls avant de désigner une porte sur leur droite.

– C'est là que pointe l'aiguille, on doit toucher au...

Prise d'un espoir intense, Bélial n'attendit pas la fin de la phrase et ouvrit la porte pour rentrer en trombe dans la pièce. Elle ignora le luxe qui faisait de l'œil à la sang-mêlée et chercha du regard la moindre trace de son partenaire dans cette chambre. Cependant, personne s'y trouvait.

– Bordel ! hurla la barbare en envoyant valdinguer une table contre un mur d'un coup de pied. T'avais dis qu'il serait ici !

Suivant sa boussole, l'alchimiste se dirigea vers un placard qu'elle ouvrit. La naine grogna de frustration en voyant pendre des vêtements rouges qu'elle ne connaissait que trop bien.

– Oh splendide... maugréa Ahmés en se grattant la tête. Et comment on va faire pour retrouver Sieg s'il ne porte pas sa veste ? Nous sommes trop pressés pour juste attendre qu'il revienne ici, l'alerte pourrait être...

Le son de cloches retentirent à cet instant, résonnant dans la forteresse dans un chaos vite identifiable.

– Question : Quel Est Le Plan De Secours ?

– Moi !

Lorelya se concentra et fit pousser des fleurs dans des recoins sombres du couloir, hors de vue des passants. À travers elles, l'archère put se dresser un plan mental des lieux et repérer où faire pousser les prochaines. Peu à peu, la verdoyante recouvrit la moitié de la forteresse avec ses discrets espions avant d'enfin trouver ce qu'elle cherchait.

– Il est deux étages en dessous, à cinquante mètres d'ici je dirais ! Il est en train de se rhabiller, on dirait qu'il vient de se faire tatouer quelque chose...

– Peut-être les sceaux qui doivent garder Raya sous contrôle quand elle sera réincarnée en lui... grommela Farca en fourrant les vêtements de Sieg dan son sac. Tu vois du monde avec lui ? Et pitié, ne me dis pas qu'un gars trop confiant en armure lui colle aux basques !

– Si tu veux parler de Valence, non, il n'est pas avec lui. Par contre, je pense que je l'ai repéré. Il y a une chambre de l'autre côté de la forteresse où un homme et trois femmes sont en train de s'équiper rapidement.

– S'ils doivent encore s'habiller, on a encore une chance ! s'écria Ahmés en encourageant Lorelya à presser le pas. Récupérons Sieg avant de tomber sur eux, on doit éviter de les affronter ! Et comme c'est la panique, personne sera étonné de voir cinq gardes courir dans les couloirs, alors on se dépêche !

Reconnaissant la sagesse dans les paroles du musicien, le groupe se précipita vers leur objectif. Lorelya prévint que l'écarlate était flanqué par une demi-douzaine de soldats et quelques prêtres. Bélial lui demanda si elle voyait son père, mais l'elfe lui rappela qu'elle ne l'avait jamais vu avant. Cependant, comme aucun prêtre n'approchait la taille de la barbare, il était peu probables qu'ils étaient démoniaques. L'archère mentit en disant qu'elle n'avait pas d'idée où il pouvait se trouver, ne voulant pas que la jeune femme se déconcentre en pensant trop à Artra.

Après une vive course, Lorelya prévint que Sieg se trouvait juste à droite. Motivée, la démone dépassa l'elfe et s'engouffra dans le couloir. Elle ne vit pas les gardes qui étaient pourtant durs à manquer. Elle ne prêta pas attention aux prêtres qui la fixaient étrangement, apercevant un garde qui les détaillait sans rien dire. Tout ce qui accaparait son attention, c'était l'homme blond aux yeux rouges, habillé d'une longue toge blanche, un air curieux sur le visage. Une joie indescriptible envahit la jeune femme pour qui plus rien au monde comptait.

– Sieg !

Le cri avait échappé la bouche de la barbare au même moment que ses jambes la propulsaient en avant. Le bretteur écarquilla les yeux en reconnaissant la voix qui venait de mettre en garde son escorte. Il aurait mentit s'il affirmait qu'entendre la femme qu'il aimait l'appeler n'avait pas fait s'emballer son cœur, mais il était surtout horrifié de la découvrir ici.

Mais... Comment ? Comment t-a-t-elle retrouvé ? C'est impossible !

Lâchant une insulte en elfique face à l'inconscience de la barbare, l'archère bandit son arc et décocha deux flèches qui touchèrent les gardes les plus proches de Bélial qui courrait comme si aucun obstacle se dressait sur son chemin. Le monde s'écroulerait autour d'elle, la jeune femme ne s'en rendrait même pas compte.

Deux gardes dégainèrent leurs épées mais deux lames de sable incantées par Ahmés fendirent l'air pour les décapiter. Son illusion se dissipa, révélant la forme de la démone à Sieg. Il put voir ses yeux brillants de larmes et son sourire qui lui avait tellement manqué.

Les derniers soldats tentèrent d'occire la furie qui fondait sur eux, mais une barrière se dressa dans leur chemin au dernier moment et la protégea. Ne remarquant pas qu'Adam venait de la sauver, Bélial percuta les deux gardes engourdis qui tombèrent au sol où des racines les ligotèrent sur place. Les prêtres abasourdis ne bougèrent pas un orteil en regardant la barbare enlacer l'écarlate et le soulever du sol en tournant sur elle même.

– Pitié, dis moi que c'est encore toi ! Qu'on est pas arrivés trop tard ! Je veux pas te perdre ! Si tu meurs, j'ai plus de raison de vivre !

– Mais enfin, que faîtes vous ? demanda un prêtre en attrapant le bras de Bélial. Qui vous donne le droit de...

Par pur réflexe, la démone frappa le prêtre en plein visage du dos de sa main et l'assomma. Ses congénères eurent un mouvement de recul, redoutant d'être les prochains. Mais ils furent ignorés par la démone qui n'avait qu'une envie : continuer de chérir son bien-aimé.

Un tourbillon de pensées et sentiments fit des ravages dans l'esprit de Sieg. Il était en colère de voir sa partenaire se mettre en danger pour lui alors qu'il s'était sacrifié pour la protéger. Il voulait lui hurler qu'elle n'était qu'une brute insensée et qu'elle devait fuir en le laissant derrière. Il savait qu'il devait lui briser le cœur pour la sauver et lui éviter de subir le courroux de l'Ordre. Il désirait... désirait...

Les bras de l'écarlate glissèrent autour du torse de la barbare et il la serra contre lui en sentant ses yeux lui piquer à son tour.

Il désirait que cet instant dure pour l'éternité.

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