Chapitre 85 : Un groupe contre-nature

Après avoir fait leurs adieux à Gisèle et Adrien qui leur souhaitèrent bonne chance, le groupe se dirigea vers la forge Gregory pour que Farca puisse y récupérer les pièces que l'artisan avait eu le temps de lui forger. Une fois cela fait, l'équipe arpenta les rues encore calmes de la capitale en direction de l'autel des voyages.

Personne ne parlait, le poids de ce qui les attendait les écrasant. Ils avaient accomplis bien des hauts-faits, mais s'en prendre à une église qui avait le contrôle sur une large partie du continent ferait d'eux les ennemis de dizaines de nations. Même en quittant Legenia, ils seraient perpétuellement pourchassés par l'Ordre de la Première Vérité qui refuserait de laisser passer l'affront qui leur serait fait.

L'agitation commençait enfin à gagner Syndras quand ils arrivèrent en vue de l'autel des voyages. Comme ils s'y étaient attendus, ils étaient les premiers arrivés, mais les gardes en poste étaient au courant de l'opération et les guidèrent vers un salon où ils pourraient patienter. La pièce sobre mais confortable consistait en deux canapés et autant de fauteuils avec une simple table basse pour tout mobilier. On leur proposa de leur apporter à boire, mais personne n'accepta. Tous avaient l'esprit ailleurs.

Lorelya se prélassa dans un fauteuil, une jambe par-dessus un des accoudoirs avec un air ennuyé. Farca s'assit en face pour reprendre sa lecture. Ahmés s'allongea sur un des canapés et fixa le plafond, les mains derrière la tête, chantonnant doucement un air guerrier. Adam resta debout dans une immobilité qui ne reflétait pas l'agitation dans sa tête alors qu'il calculait toutes les possibilités.

Bélial regarda le canapé libre mais le délaissa. À la place, elle se trouva un coin de la pièce où s'étira avant de s'échauffer. Les enjeux étaient trop importants pour elle, elle ne prendrait pas le risque de ne pas pouvoir déployer tous ses moyens.

Après une demi-heure d'attente, on vint les prévenir qu'il y avait du mouvement devant l'autel. Le groupe quitta le salon pour sortir et restèrent dubitatifs. La rue était noire de monde, les passants devant lutter pour se frayer un passage à travers la foule statique qui discutait. Des armes de toutes natures étaient arborées de toutes part, laissant présager qu'ils n'étaient pas là pour parler poésie.

– Mais c'est quoi ce foutoir ? ne put se retenir de lâcher Farca. Je pensais qu'ils seraient au mieux quarante-cinquante ! Là, on a de quoi envahir une ville !

– Ah, vous voilà ! s'exclama Anoro en tenue de voyage, une épée de bonne facture battant son flanc. On commençait à croire que vous n'étiez pas encore arrivés !

Réalisant que les principaux acteurs de l'opération étaient là, la foule se déplaça pour englober les cinq nouveaux-venus qui ne savaient pas quoi dire face à un tel rassemblement.

– Je Pensais Que Seulement Quelques hommes Seraient Envoyés.

– Alors, le roi a été forcé de se plier face au refus de ses généraux, avoua le militaire. Ils ne voulaient pas perdre plus de troupes en cas d'attaque, ce qui est louable. Par contre, le roi a alors décrété que les soldats qui le souhaitaient pouvaient prendre une permission pour aujourd'hui...

– Et... vous êtes combien à... balbutia l'alchimiste.

– Nous avons perdu le compte à soixante-deux, quand d'autres personnes que nous ne connaissions pas ont commencé à nous rejoindre.

– Et j'avoue que je ne m'attendais pas à voir un tel attroupement en me pointant... soupira une femme vêtue de cuir avec deux dagues accrochées à ses hanches. Je vous ai déjà rencontré il y a quelques mois, je m'appelle Zanita. Quand Maurice a demandé hier soir quinze volontaires pour vous prêter main-forte, tout le monde dans le bar a levé la main. Et quand le reste de l'Abri a appris que Sieg avait besoin d'aide, on a du faire un tri et ne garder que les cinquante meilleurs pour éviter qu'on se marche tous sur les pieds. J'ai entendu dire que même Wilma a motivé ses gars pour qu'ils participent.

– Combien ? explosa Farca qui faillit faire tomber ses lunettes. Mais avec vos deux groupes, on a déjà plus du double de ce que j'espérais !

– Faut pas s'étonner ! s'esclaffa un soldat. Moi, j'étais là pour l'élimination du dragon rubis ! Et croyez-moi, sans Sieg, je ne serais pas ici aujourd'hui ! Même chose pour beaucoup d'entre nous ! Le reste, ils ont de la famille et des amis à Port-Écume, alors ils ont une sacrée dette envers vous !

– Ah, c'est sûr qu'il est doué pour aider, le Sieg !

Un nain chauve à la barbe frisée se fraya un passage pour se camper aux côtés de Zanita. Un homme-lézard le suivit sans rien dire et dévisagea les personnes présentes.

– Pyrka, pour vous servir ! claironna le nain en tendant une main amicale à la barbare qui la serra. Mon pote M'ganok et moi, on aurait fini en confiture si on n'avait pas rencontré Sieg, alors si des connards veulent le sacrifier pour une déesse à la ramasse, ils vont vite faire connaissance avec ma hache, c'est moi qui vous le dis !

L'homme lézard, un korak, frappa son torse avant de pousser un cri puissant qui encouragea le reste de la foule à hurler divers cris de guerre. À droite et à gauche, on pouvait entendre des gens raconter leurs motivations, se résumant à chaque fois à une dette que l'on ne pouvait pas laisser impayée. Bélial sentit les larmes lui monter aux yeux en découvrant qu'autant de personnes se souciaient assez pour le bien être de son amant pour se mobiliser ainsi.

– Hé ! s'écria quelqu'un ! Faites gaffe, des aventuriers sont en train de se pointer !

– Rah, fait chier ! râla Pyrka en empoignant sa hache. La guilde n'a jamais aimé Sieg, alors s'ils ont appris qu'ils peuvent se débarrasser de lui en nous empêchant de partir...

La foule s'écarta pour laisser passer les aventuriers dans un silence de mort. Des regards noirs les accueillirent, les mettant au défis de tenter quoi que ce soit. La sang-mêlée était elle aussi sur ses gardes avant d'apercevoir quelques visages connus.

– Attendez, vous me dîtes un truc, les jeunes... souffla la naine en désignant certains aventuriers.

– Je suis bien content que vous nous ayez reconnus ! s'exclama un jeune bretteur en devançant le reste du groupe. Je suis Jilias, de la compagnie de la Rafale Cinglante ! On s'est rencontrés ici même il n'y a pas si longtemps ! M'sieur Sieg était dans un sale état !

– Ah mais ouais ! se souvint Bélial en donnant une tape dans l'épaule du guerrier en herbe. Vous alliez à Merona, non ? On en revient, d'ailleurs !

– Ah ça... grommela une guerrière en armure qui ne laissait personne voir son visage. On a vraiment eu une idée de génie, d'essayer de faire carrière là-bas alors qu'un seul d'entre nous parle la langue locale... Après deux semaines d'emmerdes, on a galéré à essayer de rentrer à Danatal...

– Ne me regarde pas comme ça Borma, je te rappelle que c'était une décision de groupe ! s'énerva Jilias.

– C'est drôle, tes décisions devient toujours les choix du groupe quand elles vont de travers... fit sournoisement remarquer un archer.

– Ne le provoque pas, on n'a pas le temps pour une dispute ! paniqua un mage qui nageait un peu dans sa robe. Surtout qu'on est en publique !

– Bref ! trancha Jilias avant de fixer Bélial. Des aventuriers ont appris que M'sieur Sieg avait des ennuis, alors on s'est tous portés volontaires pour venir l'aider. La guilde ne l'aime pas parce qu'il encourage les aventuriers à se débrouiller seuls et à ne pas dépendre d'eux, mais franchement, nous, on l'aime bien ! Quand M'sieur Sieg tombe sur des aventuriers en galère, il les aide toujours sans rien demander en retour !

– Alors quand la guilde nous a menacé de nous radier si on venait vous aider, on a déchiré nos cartes de membre sous leurs yeux ! déclara un colosse plus loin en levant son marteau. De toute façon, la guilde d'ici, c'est du grand n'importe quoi ! Il paraît que la nouvelle organisation de Port-Écume ne traite pas ses aventuriers comme de la merde, alors on va y aller après cette petite mission bénévole !

Les aventuriers renchérirent ce commentaire avec maintes remarques qui eurent raison de la méfiance des soldats et des voleurs. Ils avaient sous-estimé le sens de l'honneur des aventuriers et révisaient leurs jugements.

Émue, Bélial enlaça Jilias, Zanita et Anoro en pleurant de chaudes larmes.

– Bordel les gars, vous êtes les meilleurs ! Si vous avez jamais besoin de moi, je serais là !

– On a surtout besoin que tu nous laisses respirer, espèce de brute... articula avec peine Zanita qui étouffait au même rythme que les deux autres.

La démone relâcha ses nouveaux alliés et adressa un sourire radieux à ses compagnons qui ne cachaient pas leur propre joie. Du moins, excepté Farca.

– Ça ne va pas être de la tarte, transporter tout le monde... grogna la naine en se pinçant l'arrête du nez. Je vous rappelle que maximum huit personnes peuvent utiliser l'autel en même temps, et ça prend trente secondes...

– Ce ne sera pas un problème, la rassura un des gardes en désignant une employée de l'autel. Hier, nous leur avons demandé s'ils pouvaient retirer une partie des sécurités de l'autel.

– Les sécurités ? s'égosilla l'alchimiste en écarquillant les yeux. On veut arriver là-bas vivants, merci !

– Ne vous en faîtes pas, nous ne parlons que des restrictions sur la durée du transfert, la calma la femme. Pour le moment, l'autel ne prendra que cinq secondes pour faire le transfert. C'est risqué, certes, parce que ça ne laisse presque pas de temps pour quitter la zone d'arrivée de l'autre côté, mais si vous êtes les seuls à l'utiliser une fois là-bas, ça devrait aller. Je vais d'ailleurs accompagner le premier groupe pour ajuster l'autel sur place te l'accélérer aussi. Et nous avons aussi décidé de vous autoriser à utiliser ceci...

L'employée ouvrit un coffre devant elle, dévoilant une corde dorée qui laissa de marbre Farca.

– Quoi, c'est pour nous pendre avec à l'arrivée ?

– Oui, je me disais bien que vous n'en avez jamais entendu parlé... soupira l'employée. C'est la corde de lien de notre autel. Si une personne en train de se faire téléporter est attaché à celle-ci, toutes les personnes qui la tiennent seront aussi téléportées, pas besoin de toucher l'autel.

– De quoi ? hurla la sang-mêlée en extirpant l'objet pour l'examiner. Mais... Il y en a pour au moins vingt mètres ! Avec ça, pas besoin de plus de dix voyages !

– Cinq je dirais même. Mais on va plutôt partir sur six, je veux m'assurer personnellement qu'il y a assez de place de l'autre côté pour téléporter plus de trente personnes en même temps. Donc, le premier voyage se fera à maximum douze, dont moi et vous cinq. Qui d'autre ?

– Vu ce que nous avons vécu ensemble, il serait déplacé de ma part de ne pas les suivre maintenant, annonça Anoro. Je prendrais des hommes avec moi.

– Je ne vais pas laisser un petit soldat à deux balles et ses pantins nous prendre de court ! Ricana Zanita en donnant un coup de coude à Anoro qui lui adressa un regard froid. Pour ce genre d'opération, il faut être rusé et pas trop rigide !

– On vient aussi ! cria Jilias, suivi de ses trois compagnons. La compagnie de la Rafale Cinglante va ouvrir la voie !

– J'ai hâte de voir ça... se moqua doucement Lorelya en évaluant du regard les quatre jeunes.

– Houla stop, ça commence à faire trop de monde ! intervint l'employée. D'accord pour le soldat, la voleuse et les quatre aventuriers, mais pas plus ! Je ne sais pas s'il y aura de la place pour une personne de plus là-bas !

– Ça va aller, sans tes petits copains ? demanda avec moquerie Zanita en passant son bras autour des épaules d'Anoro. Faudrait pas que tu te sentes seul, sans personne à commander...

– Oui, ça ira, merci... répondit Anoro avec humeur en se libérant. Je n'ai pas besoin de la sympathie d'une brigande...

Borma se pencha vers Jilias qui regardait la scène avec consternation.

– Finalement, toi et moi, on s'entend plutôt bien, en comparaison...

– Faut avouer...

L'employée de l'autel attacha la corde autour de sa taille avant d'entrer. Elle tendit le reste de l'objet aux personnes qui allaient faire le premier voyage avec elle et posa la main sur l'autel.

– Bon, je compte sur vous tous pour me protéger une fois sur place, sinon vous allez m'entendre !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top