Chapitre 83 : Digne d'une déité
Des vents violents frappaient les montagnes de Paladas. La neige dansait une valse sans fin sur les flancs, recouvrant tout sur son passage. Un éternel voile blanc effaçait toute trace de vie dans les hauteurs, peignant un désert glacial qui refusait de se laissait dominer. Même le soleil, à jamais banni derrière des nuages infranchissables, ne pouvait pas montrer à cette région la splendeur de son couché.
Telle était la vue que Sieg voyait à travers la fenêtre de ses apartements, accoudé au mur. Il se serait bien adossé, mais la première couche de tatouages qu'on venait d'apposer sur son corps le faisait souffrir. Bien qu'on lui réservait un traitement princier, les tatoueurs n'avaient pas pu se montrer clément, devant achever aussi vite que possible un travail qui aurait dû être étalé sur plus d'une semaine. Ils devraient reprendre l'opération dans la soirée, pour enfin la clore le lendemain matin. L'écarlate n'avait pas perdu son temps à demander pourquoi son corps devait être autant marqué, se doutant que l'Ordre désirait simplement enchaîner autant que possible leur future déesse pour éviter qu'elle ne se retourne contre eux.
Ils vont trop vite, ils devraient prendre leur temps. Je sais que tu es robuste, mais ils devraient laisser à ton corps le temps de cicatriser.
– Je suis bien d'accord, mais que veux-tu... soupiras Sieg en se redressant. Ils ont peur que s'ils me laissent trop de temps pour réfléchir, je pourrais trouver une façon de m'échapper. J'ai tout de même obtenu à ce qu'ils me prouvent qu'ils ont libéré la moitié des otages promis avant le deuxième séance, et le reste avant la troisième. Tant que nous gardons nos engagements, un minimum de confiance est raisonnable.
Et... Tu es sûr que tu ne peux pas...Après tout, même si mes pouvoirs sont incroyablement réduits, il pourrait m'en rester assez pour que tu te soignes...
Sieg ricana, rappelant que si la déesse avait gardé un semblant de pouvoir après avoir été scellée, il aurait été consumé par les premiers de ses innombrables hôtes.
– Mais bon, entre les soins de leurs prêtres et ma régénération accélérée que m'a offert Saga, j'aurais assez récupéré pour la prochaine séance...
Le bretteur s'éloigna de la fenêtre et arpenta ses quartiers. Il était dans le salon, une pièce qui auraient fait verdir d'envie les plus fortunés des monarques. La soie des rideau était brodées d'or dans des figures élégantes. Le mobilier, des chaises aux placards, étaient finement taillés et incrustés de pierres précieuses. Moins d'un dixième des murs n'était pas couvert de meubles ou œuvres d'art, oppressant ses occupants par un luxe exagéré.
Sieg voulut s'affaler sur le sofa, mais son dos endolori ne lui permit que de s'asseoir dessus pour scruter le banquet qui devait lui servir de collation. Un panier rempli d'une multitude de fruits trônait au centre d'un défilé de mets raffinés dignes des plus grandes tables.
Une des servantes qui attendaient patiemment le long d'un mur s'approcha et posa une coupe sur la table. Elle prit alors un pichet et versa du vin dedans avant de présenter le récipient à l'écarlate en s'inclinant si bas qu'il pouvait voir sa nuque. Il accepta le breuvage et huma son bouquet. Il ne reconnaissait pas sa provenance, mais il en savait assez que même des monarques ne servaient un tel vin que pour les plus grandes des occasions. Sieg porta la boisson à ses lèvres, savourant chaque gorgée.
Tu es bien confiant... Tu n'as pas peur qu'ils essayent de te droguer ?
– Pourquoi faire ? s'exclama Sieg en hésitant entre une figue ou un abricot. Ils ne veulent pas nuire au corps qui doit accueillir leur déité, et ils ont bien compris que je ne serais pas aisé à droguer. De toute façon, s'ils arrivaient à affaiblir mon esprit, ils ont compris que tu es du même avis que moi et que tu ne laisseras pas passer la moindre trahison. Ils ont beau se persuader qu'ils peuvent te soumettre, ils ne sont pas assez inconscients pour te donner une bonne raison de les anéantir.
Oui, tu dois avoir raison... Par contre, pour un homme qui sait vivre ses derniers jours, tu es particulièrement détendu. Surtout vu ce que tu as sacrifié pour qu'on en arrive là...
La figue n'était qu'à quelques centimètres des lèvres du bretteur quand sa mine s'assombrit. Il retourna le fruit dans tous les sens, comme si un secret était gravé dessus.
– Je me suis peut-être préparé à une éventualité comme celle-ci, ça me déchire tout de même le cœur que mon histoire prenne fin ainsi. Et juste quand j'avais trouvé autre chose que le devoir et l'honneur pour motiver mes actes... Enfin, c'est ce même trésor qui a dicté ce choix... J'espère juste qu'elle saura un jour me pardonner mon égoïsme.
Parle pour toi ! Elle n'est pas assez bête pour ne pas comprendre que si je l'avais voulu, j'aurais pu rester en elle et t'épargner ! Je te rappelle que je suis celle de nous deux qui a le plus de chance de la recroiser et encaisser sa colère !
– Un sort peu enviable, je suis bien d'accord...
Sieg mordit dans la figue en se levant. Il savait qu'on viendrait le chercher sous peu pour qu'il assiste à la première vague de libération. L'épéiste redoutait ce moment. Il ne pensait pas que l'Ordre trouverait un moyen de le tromper, mais son instinct lui criait qu'ils allaient le pavaner devant leurs prisonniers comme une idole, un symbole à aduler. Le culte tenait à marquer les esprits des nobles pour qu'ils répètent au monde que l'avènement d'une déité approchait à grand pas.
L'épéiste regretta juste l'absence de son épée. Il doutait qu'il en aurait besoin, mais le poids d'une arme sur sa hanche le rassurait, comme un vieil ami sur lequel il pouvait toujours compter. L'écarlate pouvait de toute façon rappeler sa lame à lui, mais il se passa de cette option. Il avait accepté de la confier à l'Ordre pour prouver sa bonne foi, la reprendre ternirait sa parole.
Sieg se tourna vers la porte quand on frappa à celle-ci. Il fit un pas vers elle par réflexe mais fut pris de vitesse par une des servantes qui ouvrit à sa place. L'acte dévoila Artra qui semblait déstabilisé de trouver Sieg debout, en train de le fixer avec curiosité. Le démon se racla la gorge et s'inclina.
– Seigneur, nous sommes prêts à libérer les premiers otages. Comme promis, nous commencerons par les représentants de Xardar et de leurs plus proches alliés.
Il a bien vite changer d'attitude avec toi... En même temps, vu que tu pourrais le faire exécuter avec une seule phrase, je le vois mal te provoquer...
Se retenant de rire, Sieg ignora le prêtre et qui ses appartements, suivi par deux servantes et son escorte qui s'empressa de passer devant lui pour assurer sa sécurité. Artra resta deux pas derrière l'écarlate, les yeux baissés pour ne pas prendre le risque de croiser son regard.
– Marche donc à mes côtés, lui ordonna Sieg d'une voix qui ne laissait pas de place au refus.
Après une seconde d'hésitation, Artra obéit et se tint à droite de Sieg qui le toisait. Le prêtre n'osa pas le regarder, redoutant de voir la haine dans les yeux de l'écarlate. Le bretteur devina sans mal ses craintes qui n'étaient pas entièrement injustifiées.
– Tu sais, j'ai longtemps rêvé de te tuer de mes mains pour ce que tu m'as coûté. Et j'ai même promis à Bélial de mettre fin à tes jours moi même si j'en avais l'occasion. Ta fille adulait le démon que tu étais, mais est horrifiée par l'homme que tu es devenu. Elle veut juste se souvenir de ce que tu as été pour elle. Alors estime toi chanceux que tu es le seul allié ici en qui je peux avoir un semblant de confiance.
Artra déglutit. Il avait parfaitement bien compris qu'il ne devait sa survie uniquement au lien qui l'unissait à sa fille. Le prêtre continuait d'aimer la femme qui avait conquis le cœur de l'homme à ses côtés. Ils tenaient à la même personne et leur donnait un unique et si précieux point commun alors qu'ils se détestaient tous les deux.
– Si je puis me permettre, mon Seigneur...
– Seulement si tu comprends les risques encourus...
Le prêtre frémit face à cette menace à peine masquée. Le ton glacial de l'écarlate le prévenait que le moindre faux-pas pourrait remettre en cause leur alliance. Cependant, il ne perdit pas ses moyens et persévéra.
– Ma fille... Bélial... Était-elle... heureuse ? Avec vous ?
Sieg attrapa violemment le col du démon et le tira à lui pour le forcer à le regarder droit dans les yeux. Le prêtre se sentit bien sot d'avoir imaginé qu'il y découvrirait de la haine. Aucun poète n'avait jamais inventé de mot assez sombre pour décrire l'intensité de l'émotion qui brillait dans les pupilles écarlates qui le transperçaient.
– De toutes les questions les plus stupides que tu aurais pu me sortir... Tu veux que je te tues en fait, c'est ça ? Retourner ainsi le couteau dans la plaie... Je n'ai jamais entendu de question aussi suicidaire !
Terrifié, Artra claqua des dents face à la fureur sans limite sous ses yeux qui pourrait à elle seule consumer son âme.
– Pardonnez-moi... Mais... En tant que père... Je ne veux que le meilleur pour elle... C'est pour ça que j'ai gravis les échelons de l'Ordre... Pour être sûr de lui garantir une place bénie dans le nouveau monde... Et si elle a déjà trouvé un partenaire qui arrive à la rendre heureuse... Je ne peux que souhaiter que vous soyez réunis... Que vous puissiez vous chérir mutuellement pour l'éternité... Parce que c'est ce qui vous attendra si nous ramenons les dieux d'or... Une paix éternelle où les élus seront à jamais béats... Pour ma Bélial, je ne peux que...
Sieg repoussa le prêtre et le fixa avec un mépris qui reflétait son profond dégoût.
Tues le. Étrangles le, tranches lui la tête, broies lui la cervelle, ça m'est égal ! Mais ne laisse jamais cette ordure approcher Bel, il ne peut que la faire souffrir !
– Tu n'as jamais compris ta fille, ma parole... Bélial, heureuse de vivre dans un paradis au prix de l'enfer pour les autres ? Elle ne cesserait jamais de se haïr de profiter ainsi d'une telle paix alors que des innocents, même si elle ne les connaît pas, seraient condamner à souffrir. Parce que pour atteindre votre but, des océans de sang devront être versés, tu peux me croire là-dessus. Même si vous pouviez brider la haine des dieux d'or, je vous rappelle que votre plan ramènera leurs semblables sur lesquels vous n'aurez aucun contrôle. Vos pantins sauront sûrement vous protéger du désastre qui arrivera, mais le reste du monde sera condamné à vivre un éternel calvaire. Sans oublier les Déchus qui pourraient être libérés à n'importe quel moment. Quel avenir pourrait avoir le monde si les dieux en font leur terrain de jeu ? Si elle comprenait ce qui attendrait ce monde, Bélial te cracherai au visage et refuserai la main que tu lui tendrais pour affronter les dieux, au nom des mortels qu'elle chérit. Alors arrêtes de t'inventer des excuses, parce qu'en empruntant cette voie, c'est toi et toi seul que tu vas sauver, personne d'autre.
Sieg délaissa le prêtre prostré et continua d'avancer. Artra n'arrivait plus à respirer, tourmenté par mille questions. Et si Sieg avait raison ? Agissait-il encore pour le bonheur de sa fille ? Ou pour sa sécurité ? Pour ne plus jamais être celui que l'on torture ? Pour échapper à la souffrance qui hantait encore ses nuits ?
Le démon se prit la tête entre ses mains en s'effondrant sur ses genoux. Quelle voix emprunter ? Quel sentier parcourir pour assurer l'avenir de sa fille ? Pour voir son sourire illuminer de nouveau sa vie prisonnière des ténèbres ? Avait-il encore le pouvoir de protéger son bonheur ?
Ignorant les tourments d'Artra, l'écarlate se dirigea vers l'autel des voyages et ne fut pas surpris d'y trouver Valence, un large sourire sur les lèvres.
– Vous voilà donc, Sieg ! Comment vous portez-vous ? Pas trop épuisé par votre première séance ?
Le bretteur adressa à l'aventurier un regard noir, se moquant de ses inquiétudes feintes.
– Si j'ai bien compris, vous souhaitez devenir le paladin des cinq dieux d'or... Le représentant de leur pouvoir sur le monde et exécuteur de leur volonté. Pensez-vous vraiment qu'ils partageraient leur pouvoir avec vous, alors qu'ils seraient libres d'agir à leur guise ?
– Pas si nous leur privons de cette liberté, expliqua le guerrier avec suffisance. Et s'ils refusent de partager leur pouvoir, rien nous empêchera de l'user à notre guise. Les dieux d'or ne vont finalement servir de symbole, d'idole pour unifier le monde. Ils n'ont pas besoin de faire quoi que ce soit, pas même nous gouverner. Nous sommes largement capables de faire ça nous même. Moi, tant que je peux prouver aux mortels ma supériorité, leur faire comprendre que je suis le seul digne d'être le glaive divin qui pourfend les ennemis de l'Ordre, je me moque de savoir si mon pouvoir m'a été confié volontairement ou non.
Toi, tu peux toujours te gratter pour que je te donne quoi que ce soit ! Faites ce que vous voulez, je refuses de devenir le pion de vos folies !
– Réduire les dieux que vous prétendez servir au statut d'esclave... Votre arrogance n'a vraiment aucune limite...
Valence se pencha vers Sieg, le détaillant comme s'il cherchait à sonder son âme et voir Raya de ses propres yeux.
– N'oubliez jamais. Les forts sont les seuls libres de façonner leur destin. Les faibles, mortels ou divins, ne peuvent que courber l'échine et tout sacrifier pour le bien de ceux qui leur sont supérieurs. Et un jour, le monde de la lumière comprendra que je suis le seul digne de trônait à son sommet.
Ne se laissant pas intimider, Sieg haussa un sourcil et répondit avec un sourire narquois.
– Vous, vraiment ? Et sa Sainteté est d'accord avec cette idée ? D'ailleurs, où est-elle ? J'aurais imaginé qu'elle serait impatiente de rencontrer un de ses déités...
– Dame Zadia ? soupira Valence avec dédain. Pour le moment, elle est utile, mais quand je n'aurais plus besoin d'elle pour amadouer les foules, je lui ferais comprendre qui de nous deux mérite de gouverner ce monde. Vous finirez vite par la rencontrer, elle nous rejoindra pour la cérémonie qui... libérera Raya. Ne me demandez pas pourquoi, mais elle insiste pour ne pas vous croiser avant.
Et vu que personne réagi à ce qu'il est en train de dire, je devine qu'il a déjà commencé à réunir des alliés pour son petit coup-d'état...
Sieg fronça les sourcils face à cette information qui ne faisait aucun sens. La femme à la tête de l'église refuserait de côtoyer Raya avant qu'elle soit libérée ? Était-ce par mépris pour son hôte qui serait indigne de la porter ? Ou se tramait-il quelque chose que Sieg ne pouvait pas deviner ?
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