Chapitre 82 : Une réalité inimaginable

Hissée sur le dos d'Adam, Farca espérait que leurs deux alliés avaient pu rattraper Bélial à temps alors que le gardien passait enfin le seuil du palais. Les regards noirs que lui jetaient les gardes présents lui firent comprendre que la démone avait au moins atteint le palais avant que quelqu'un capable de la ralentir ne parvienne à la rejoindre. L'alchimiste sauta de sa monture improvisée et héla un officier qui la regardait s'approcher comme si elle allait se changer en troll dans la seconde.

– Du calme, je suis la plus calme du groupe, je ne vais pas vous bouffer. Je veux juste...

– Relativement La Plus Calme. Après Moi.

Après avoir remercié Adam pour son intervention avec un regard assassin, la naine adressa un sourire à l'officier et fit de son mieux pour paraître inoffensive. Ce qui, évidement, eut le résultat opposé.

– Comme je disais, je voulais savoir...

– Mais vous allez me foutre la paix ? J'ai dis que j'y allais, alors j'y vais ! Il y a pas à tortiller du fion des plombes !

La sang-mêlée se pencha sur le côté pour distinguer Bélial à l'étage supérieur, flanquée de plusieurs nobles et militaires qui la harcelaient alors qu'elle essayait de partir. À ses côtés, Ahmés et Lorelya essayaient de calmer le jeu.

– Ah, merci, mais je viens de trouver ! s'exclama Farca en ignorant l'officier désormais soulagé pour se diriger vers le reste de son équipe. Hé ! Il se passe quoi, là ?

Un noble se retourna pour chasser l'effrontée qui venait les interrompre mais se mordit la langue pour éviter d'insulter une membre du groupe de la barbare irraisonnable. Espérant avoir affaire à quelqu'un de plus sensé que la jeune femme, il chercha à la place de l'aide en l'alchimiste.

– Pouvez-vous expliquer à votre amie que si elle part maintenant pour le repère de l'Ordre, elle ne ferait que précipiter la guerre que nous espérons enfin empêcher ?

La sang-mêlée ferma les yeux en grognant. Elle n'eut pas besoin de poser plus de questions pour comprendre que Bélial avait mis la main sur un moyen de rejoindre son bien-aimé. Et maintenant, on cherchait à la retenir pour éviter que ses actes ne poussent l'Ordre à ne plus relâcher les otages promis. Ou au moins, attendre la fin de la cérémonie qui ramènerait Raya.

Farca dévisagea Ahmés et Lorelya qui haussèrent les épaules, signe qu'ils avaient tenté de la calmer sans succès. Comme toujours, la naine devait tout faire elle même.

– Béli, je peux te parler trente secondes ? demanda-t-elle en se dressant sur sa route.

– Plus tard ! gronda la démone en écartant l'alchimiste du chemin. On peut pas perdre de...

Farca inspira profondément en attrapant la manche de la furie. Elle ne voulait pas en arriver là, mais elle n'avait pas vraiment le choix.

– Bélial de Sombresang ! Tu vas me faire le plaisir de me regarder et arrêter de faire l'enfant !

Prise de cours, la barbare se figea avant d'adresser à la naine un regard apeuré. La sang-mêlée ne savait pas comment prendre le fait qu'il lui suffisait de crier comme une daronne en colère pour que la jeune femme redevienne mièvre et obéissante comme une enfant. Elle décida de ne pas s'épancher sur le sujet dans immédiat, redoutant de perdre cette opportunité en or.

– Assis ! ordonna Farca en pointant le sol du doigt.

Les genoux de la barbare se plièrent d'eux même avant que leur maîtresse ne réalise ce qui se passait. La naine profita du fait que leurs visages étaient désormais presque au même niveau pour poser ses mains sur ses épaules et la fixer droit dans les yeux.

– Béli, continua l'alchimiste d'une voix plus calme et posée, on m'a dis qu'au début, tu étais prête à te sacrifier si ça voulait dire libérer les otages et protéger le continent. C'est vrai ou non ?

– Bah oui, mais... commença à rétorquer en désignant un talisman dans ses mains.

– Oui, oui, je sais... Tu veux sauver Sieg. Tout le monde veut le sauver. Moi, je veux le tirer de cette merde dans laquelle il s'est enfoui jusqu'au cou pour l'engueuler, parce que je commence à en avoir marre de devoir le sauver tout les trois jours. Pour un héros légendaire, on ne peut pas dire qu'il est tout le temps fiable... Par contre, il ne faut pas oublier qu'il n'a pas pris ta place juste pour te protéger. Lui aussi, il veut arrêter la guerre avant qu'elle ne débute. Et que va-t-il se passer si tu fonces dans le tas ?

La jeune femme prit une expression boudeuse, ne croisant plus le regard de l'alchimiste.

– Ils vont peut-être pas relâcher les otages si on récupère Sieg avant...

– Exactement ! Je comprends que tu es pressée, mais je vais te donner au moins trois raisons d'attendre l'aube de demain avant de te lancer dans ta croisade démonique. La première, c'est que Sieg est prudent, même s'il passe son temps à sauter pieds-joints dans toutes les situations catastrophiques qu'il trouve. Le connaissant, il va insister pour que les otages promis soient libérés avant de les laisser le transformer en dieu. Comme ils auront encore quelques dizaines d'otages sur les bras pour faire pression après, je ne vois pas l'Ordre refuser.

– Probabilités De Cette Possibilité : Quatre-Vingt Quinze Virgule Sept Pour-Cent !

– Là, tu vois ? C'est quasi certain ! La seconde raison, c'est que l'Ordre ne va pas non plus prendre de risques. S'ils ne mentaient pas, ils ont un moyen de contrôler un dieu s'il décide de faire son compliqué. Je n'y connaît rien, mais si je devais trouver une solution, je m'intéresserais à l'hôte. En appliquant des sceaux directement sur le pauvre gars qui doit servir de réceptacle avant la cérémonie ramenant la déité, ils auraient plus de chances de réussir.

– Je suis d'accord avec toi, acquiesça Ahmés. Quand ils m'ont maudit, ils ont d'abord apposé les sécurités avant de passer aux choses sérieuses.

– Et ils vont être particulièrement prudents avec la déesse de la lumière ! enchaîna Farca. Si ça se trouve, ça va leur prendre plus d'un jour pour tout mettre en place ! Sans oublier que ce sera un événement majeur pour leur église. Je les vois mal improviser une petite cérémonie dans un placard. Non, ils vont vouloir faire les choses en grand et inviter du gratin. Et comme j'ai entendu qu'ils avaient commencé par s'assurer que tu avais bien Raya, je ne pense pas qu'ils aient débuté les préparatifs hier.

La naine réprima un cri de victoire en voyant la démone se calmer. Surtout qu'elle avait une dernière bonne raison de ne pas vouloir se précipiter.

– La dernière raison, c'est de loin la plus importante. Nous ne sommes pas prêts. On va débouler en territoire ennemi avec aucune idée de la structure de la forteresse. L'endroit va déborder de fidèles, certains aguerris, mais les plus dangereux à mon avis, ce sera Valence et ses partenaires. Voyons les choses en face, si on croise leur chemin, c'est fini, foutu, terminé, tu as tout misé, mais ton brelan vaut pas un pet d'orque face au carré en face ! À nous cinq, peut-être qu'on pourrait battre les trois aventurières. Contre Valence seul, ce serait coton. Les quatre à la fois avec des centaines de religieux déments ? Tu vois le tableau ?

L'alchimiste embrassa le front de Bélial et l'invita à se relever.

– C'est pour ça que tu vas passer le reste de la journée à te reposer pendant que je travaille sur un plan qui tient la route, d'accord ? Sinon, tu peux oublier l'idée de retrouver ton petit Sieg, OK ?

– Sans oublier que tu es épuisée, ajouta Lorelya. Non seulement tu as passé l'après-midi à courir dans tous les sens, tu n'as pas encore pleinement digéré ce qui s'est passé ce matin. Mentalement et physiquement, tu tiens à peine debout.

– Ouais, vous avez raison... reconnut la barbare en hochant la tête. On a une seule chance de sauver Sieg, on va pas...

– Vous avez perdu la tête ?

Ahuris, le groupe se tourna vers Jodin qui les fixait sévèrement, les poings sur les hanches.

– Vous vous rendez compte de ce que vous vous apprêtez à faire ? Même si vous réussissez, l'Ordre ne va pas laisser le porteur de Raya partir sans rien faire ! Et ils savent que vous avez un lien avec nous ! Faites ça, et Danatal se retrouvera à affronter un ennemi redoutable alors que notre armée est en miettes ! À quoi bon éviter une guerre si c'est pour en provoquer une autre juste après ?

– Sans mentionner que vous avez une autre mission bien plus importante ! s'emporta un noble. Ne me dites pas que vous avez oublié les Déchus ! Si personne ne s'occupe d'eux, le monde cours à sa perte ! Vous êtes les seuls qualifiés pour la mener à bien !

– Si nous avions encore assez de troupes, nous enverrions nos forces après Saga, mais il les a lui même décimées, rappela une troisième personne. Nous savons que nous posons un lourd poids sur vos épaules, mais vous étiez de toute façon sur ses traces, non ?

Une vague de protestation s'abattit sur Bélial et ses compagnons qui n'arrivaient pas à répliquer. Le roi arriva à cet instant et fut désolé de voir sa cour se comporter ainsi. Panaros inspira et s'approcha.

Une vibration magique heurta le palais de plein fouet. Le choc fit perdre l'équilibre à tous ses occupants alors qu'un profond sentiment de malaise les envahissait. Une seconde après l'impact initial, le son d'une titanesque explosion résonna, agressant les tympans, suivit d'un second choc moins important.

Inquiet, le groupe se releva alors que la cour restait prostrée au sol, redoutant un troisième choc.

– Quelqu'un sait ce qui vient de se passer ? demanda Ahmés. Cette impulsion magique... Elle n'avait rien de normal...

– La nature est en train de hurler qu'un bâtiment a explosé ! répondit Lorelya en se frottant la tête, grimaçante. La déflagration aurait aussi emporté quelques structures autour.

– Un attentat ? paniqua Jodin. Ce n'est pas le moment, bon sang !

– Votre Majesté !

L'attention du groupe se reporta sur le comte Nolasia qui arrivait en titubant d'un couloir. Le noble avait les traits déformés par la peur mais il faisait de son mieux pour garder un semblant de fierté.

– Vous devez absolument venir voir ça ! C'est... C'est impensable !

Nolasia guida la cour et l'équipe de Bélial jusqu'au balcon principal du palais qui permettait d'observer le reste de la ville. Du haut l'Éveil où ils se trouvaient, l'un des quartiers de la capitale installé sur une des trois collines de la ville, il était facile de scruter les deux autres monticules où trônaient les institutions les plus importantes du royaume. L'Honneur à l'est semblait ne rien avoir subi. Mais la foi à l'est...

Panaros vacilla en voyant qu'un flanc entier de la colline avait été vaporisée. Un cratère circulaire large de plusieurs centaines de mètre défigurait le paysage, une sinistre fumée à mi chemin entre le mauve et le vert s'en dégageant. Les bâtiments autour du désastre avaient été dévastées, rasés par le souffle de l'explosion. À vu de nez, le monarque estima qu'un cinquième de la Foi, venait de disparaître, un désastre sans précédent.

– Mais... Comment ? s'étrangla Farca en tombant sur ses fesses. Une telle explosion, c'est...

– Que Se Trouvait Au Centre De Cette Zone ? demanda Adam en désignant la zone sinistrée.

Jodin se concentra avant de déglutir.

– Au centre de cet endroit... L'académie des mages !

– Quoi ? s'égosilla Lorelya. Mais c'est là que...

Une apparition se dessina au centre du groupe qui recula de surprise. La figure était celle d'un large mage à la longue barbe. La forme était dorée et tremblante, comme si la chose luttait pour exister. Ses lèvres bougèrent et articulèrent péniblement des mots, entrecoupés de grésillements étranges.

– ... porte... trouvée... èbres... portail... autre monde... découverts... impossible... trop puissant...

Comme une flamme soufflée par une bourrasque, l'apparition se dissipa en laissant son auditoire dans le flou le plus complet.

– Je pense l'avoir reconnu, souffla le roi. C'était Hexion, l'archimage de l'académie. Il a du rassembler ses dernières forces pour nous faire parvenir un message depuis la mort.

– Un acte bien inutile si on entend qu'un mot sur cinq... grommela Jodin. Ce n'est pas ce charabia qui va nous aider à comprendre...

– Pour être dans l'armée, il faut être aussi con que vous, ou vous êtes une exception ?

Indigné, Jodin se tourna vers Farca qui était toujours assise par terre. La sang-mêlée le dissuada de la critiquer avec un regard noir et prit la parole.

– Je ne sais pas pour vous, mais moi, j'ai entendu le mot porte. Et je vous rappelle que l'académie menait des recherches sur la pierre de Saga pour envahir son esprit. Il a aussi parlé de portail et d'autre monde. S'il a aussi essayé de dire ténèbres...

– La dernière porte serait donc dans le monde des ténèbres comme Maître Sieg le pensait ? s'écria un noble.

– On dirait bien... grogna Bélial. Le problème, c'est que j'ai l'impression que Saga a capté qu'on est allé dans sa tête...

La démone observa de nouveau le désastre et ne put s'empêcher de frissonner. Des centaines, voir des milliers de personnes, venaient de disparaître en un claquement de doigt. Ils n'avaient sûrement pas eu le temps de réaliser ce qui se passait avant de périr.

– Et il a vraiment pas aimé ça...

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