Chapitre 78 : Assumer ses choix
C'était à peine si on osait respirer dans la salle du trône. Bien qu'y ayant assisté en personne avec une preuve irréfutable, aucun des occupants de la pièce n'arrivait vraiment à croire ce qu'ils venaient de voir.
Continuant de scintiller grâce à l'influence de la cloche d'or, Sieg ramassa le miroir à ses pieds et s'avança d'un pas sûr vers Artra qui ne pouvait s'empêcher de trembler. L'homme qui avait perdu un être cher lors de leur première rencontre et contre qui il ne pouvait désormais plus lever la main s'approcher de lui avec un air de menace. Le prêtre tenta de se calmer et se composer un masque confiant.
– Attendez, vous n'allez pas...
L'écarlate mit court à l'intervention de l'associé d'Artra d'un regard aussi menaçant qu'une sanction divine. Il se campa devant le démon et le toisa, bien qu'il devait lever la tête pour le faire.
– Vous n'imaginez pas combien j'ai envie de vous mettre en pièce, ici et maintenant... souffla-t-il avec hargne. Et le plus beau, c'est que personne ici m'en empêcherait. Je suis devenu bien trop important pour ça...
Artra déglutit et baissa les yeux vers le miroir.
– Dame Raya, ma loyauté envers...
Tu la boucles et tu écoutes le monsieur. Moi aussi, je tenais à Alice, et tu peux deviner ce que je ressens pour Bel, alors n'imagines pas pouvoir attirer ma sympathie. Pas quand nous sommes d'accord sur ce point.
Le prêtre ferma les yeux et inspira profondément. Il ne voulait pas mourir, pas avant de voir les dieux d'or ramener son village à la vie. Mais si c'était ce que voulait la déesse de la lumière, il devait accepter son sort.
– Je vous demanderais juste une fav...
Le bretteur attrapa le col du démon et le tira vers lui pour coller son visage à quelques centimètres du sien. Les yeux de l'écarlate brûlaient d'une fureur sans nom qui fit frémir Artra qui ne trouvait plus le courage de parler.
– Qu'est-ce qui te donnes le droit de demander quoi que ce soit, ordure ? Ici, c'est moi qui décide ce que tu peux ou ne peux pas faire, c'est bien compris ?
Terrifié, Artra ne put que hocher la tête. Sieg le repoussa avec dégoût avant de le pointer du doigt.
– Tu as de la chance, parce que tous les membres de l'Ordre, tu es le seul à qui je peux confier cet ordre. Quoi qu'il arrive, même si tu dois trahir sa Sainteté en personne, tu dois veiller à ce que vous ne fassiez rien de plus pour nuire Bélial, c'est bien clair ?
Et ne nous sors pas que tu ne peux obéir, parce qu'avant sa Sainteté, ce sont les commandements d'une de tes déesses que tu dois suivre. Nous comptons répéter cet ordre à toute ton église, mais nous espérons que tu as en toi encore assez d'honneur et d'amour pour ta fille pour être intransigeant sur sa protection.
Le prêtre cligna plusieurs fois des yeux, n'arrivant pas à croire ce qu'il entendait. L'humain et la déité qui le haïssaient le plus au monde lui donnaient une échappatoire à la mort. Pour veiller à la sécurité de sa fille ?
Artra se pencha sur le côté pour regarder le corps étendu de Bélial. Ses joues brillant encore de ses larmes, elle semblait encore apaisée pour le moment, mais viendrait le moment de son réveil qui déchirera ses doux rêves et la forcera dans une cruelle réalité.
– Elle devrait nous... suggéra le démon.
– Non, dirent d'une seule voix le bretteur et l'esprit.
Comme par automatisme, Sieg jeta une dague dans le sol à quelques mètres sur sa droite, juste devant les pieds de Valence. L'aventurier ne sourcilla pas et lança simplement un regard en coin à l'épéiste.
– Où pensez vous qu'elle sera le mieux traité ? demanda le guerrier. Ici, ou dans notre église, où elle sera adorée comme étant la fille d'un de nos plus éminents prêtres, l'ancienne porteuse de la déesse Raya, et l'amante de l'actuel porteur ? Sans oublier que je n'ai...
Sieg fut sur lui en un instant. Bien que son épée était restée au sol quand il s'était levé, l'arme était maintenant dans sa main et laissait une légère entaille dans la gorge contre laquelle elle était plaquée. Les trois aventurières paniquées s'apprêtèrent à intervenir mais leur chef les en dissuada en levant une main.
– Ce pauvre Artra n'est pas le seul qui ne peut rien contre vous... Même moi, je risquerais gros à lever la main sur vous. Alors soit, si vous y tenez autant, je ne toucherais pas à Bélial. Par contre, vous ne voulez pas l'avoir à vos côté pendant la cérémonie ? Les prêtres croient dur comme fer que nous pourrons ramener les porteurs une fois les cinq dieux de retour, mais vu que leurs corps d'origines seront occupés à ce moment là, j'ai des doutes. Voulez-vous vraiment que ceci soit votre dernière conversation ?
Avec un regard froid, Sieg rengaina son épée et se dirigea vers le roi.
– Depuis que nous avons croisé l'ordre à Hydralia, je me doutais que ce jour viendrait. Je me suis résolu à ce destin bien que je l'ai perverti pour donner à la femme que j'aime une chance de vivre. Ne sous-estimez pas ma détermination, Valence.
L'aventurier ricana en retournant auprès de ses compagnes qui s'inquiétèrent pour sa blessure.
– Croyez- moi, je regrette de ne pas pouvoir faire plus pour vous... s'excusa le roi quand le bretteur s'arrêta à quelques mètres de lui. Vous avez tant...
Sans attendre la suite, Sieg s'agenouilla en baissant la tête, une marque de respect de la part d'un être à la limite du divin qui troubla le monarque.
– Sire, suivre vos ordres a été un honneur. Ne vous reprochez rien, vous avez toujours agis dans l'intérêt de votre pays, personne ne peut vous le reprocher. Je vous demande simplement de continuer d'apporter votre soutien à mes compagnons. Même si elle s'arrête ici pour moi, ils doivent aller jusqu'au bout de leur quête, quoi qu'il arrive.
Ému par les paroles du seul héros qu'il ait jamais rencontré en chair et en os, Panaros hocha la tête. L'écarlate se leva et adressa un regard meurtrier aux autres prêtres de l'Ordre qui manquèrent de s'évanouir.
Vous nous avez entendus tout à l'heure. Oubliez de libérer un seul des otages qui n'ont pas de sang royal, et je rappellerais à ce monde pourquoi les mortels doivent craindre l'ire des dieux.
La mise en garde de la déesse leur glaça le sang. Ils ne purent qu'acquiescer en silence de peur qu'elle trouve leurs voix insultantes.
Sieg s'éloigna du trône en direction de la sortie. Il s'arrêta quand il arriva au niveau de la barbare, lui adressant un dernier regard alors que les dernières miettes de son cœur se désagrégeaient. Aujourd'hui encore, bien qu'il était déjà résolu à se sacrifier pour elle si ce moment venait, il avait continué d'espérer qu'ils accompliraient l'exploit de vivre paisiblement ensemble sans que personne puisse ruiner leur bonheur. Malheureusement, le bretteur réalisait que la fatalité elle même semblait condamner leur amour.
L'écarlate se tourna d'un quart vers le roi.
– Veillez à ce qu'elle ne manque de rien.
– Je la chérirais comme si c'était ma fille, vous avez ma parole.
Sieg sourit, sachant que ces mots n'étaient pas prononcés en vain.
– Bon, vous venez ? ordonna Sieg en poussant la porte. Nous ferions mieux de partir au plus vite. Je n'imagine pas que mes autres compagnons vont simplement nous laisser nous éclipser s'ils nous tombent dessus.
Déstabilisés, les prêtres lui emboîtèrent le pas, talonnés par les aventuriers.
– Vous êtes arrivés par l'autel j'imagine... souffla le bretteur et arpentant les couloirs du palais. Est-ce aussi par là que nous allons quitter Danatal ?
Les membres de l'Ordre échangèrent des regards perplexes. Ils ne s'étaient pas attendus à ce que le porteur de la déesse soit celui qui les pressent autant de progresser.
– Heu, certes, reconnut un d'entre eux en accourant aux côtés de l'écarlate. Par contre, je suis navré, mais tant que nous sommes en territoire ennemi, nous ne pouvons pas prendre le risque de vous révéler où nous...
– Pensez-vous que je suis un idiot qui ne peut deviner quelque chose d'aussi évident par lui même ?
– Quoi ? Mais non, je...
– Alors taisez-vous et dites vous que je suis cinq fois plus intelligent que vous tous réunis. Ce n'est qu'une fraction de la vérité, mais vos minuscules esprits ne peuvent que concevoir que l'exemple que je viens de vous donner.
Les prêtres se murèrent dans un silence consterné. Ils ne pouvaient pas nier qu'ils mouraient d'envie de corriger l'écarlate pour son insulte, mais ils étaient pieds et poings liés face à lui.
– J'en ai rien à secouer de vos ordres ! Je veux sortir prendre l'air alors je le fais !
Sieg grimaça, réalisant qu'il aurait dû faire un détour au lieu d'emprunter le chemin le plus court vers la sortie. Ils approchaient de la bibliothèque royale où Farca bousculait les deux gardes qui ne voulaient pas la laisser sortir. Ils essayèrent de la retenir, mais deux mains métalliques se posèrent sur leurs épaules pour les en dissuader.
– Non mais je rêve ! pesta l'alchimiste. Je suis une invitée du roi, pas une prisonnière ! Quand j'ai dis que j'ai besoin de prendre l'air, ce n'est pas pour faire les cent...
La naine se figea en apercevant du coin de l'œil son chef en une bien étrange compagnie. Elle n'eut besoin que d'une seconde pour comprendre à son aura dorée que l'écarlate avait encore fait une folie.
– Bordel Sieg, ne me dis pas que c'est toi qui leur a dis de...
– Non, je pense que c'est un ordre du roi, déclara l'épéiste en contournant la sang-mêlée. Je te confie la suite, l'aventure s'arrête ici pour moi.
Sidérée, Farca comprit immédiatement ce qu'elle devait faire. Elle attrapa le manteau de l'écarlate et le força à s'arrêter.
– Tu abandonnes vraiment aussi facilement ? Sérieusement ? On a buté Narcission, merde ! À elles seules, Bélial et Lorelya ont anéanti le Néfaste ! Des pays entiers doivent revoir toutes leurs politiques quand nous foulons leurs terres ! Mais là, tu veux juste...
S'il te plaît Farca... Bélial va avoir besoin de toi... De vous quatre...
La naine écarquilla les yeux. Elle fixa le miroir que tenait encore Sieg et réalisa jusqu'où était allé le bretteur pour protéger la démone.
– Elle est encore dans la salle du trône, expliqua Sieg sans accorder de regard à l'alchimiste. Le transfert l'a assommée, elle doit encore être dans les vapes. Quelqu'un de confiance devrait s'assurer qu'elle s'en remettra.
Farca serra les dents. Elle avait envisagé d'innombrables possibilités, mais elle n'avait pas envisagé cet avenir ci. Dépitée, elle lâcha la veste de l'écarlate et tourna les talons.
– Et tu veux que je fasse quoi exactement ? Il n'y a pas de remède pour les cœurs brisés...
– Je sais. Fais ce que tu peux pour lui...
Adam se dressa dans le chemin de Sieg tel un mur infranchissable.
– Négatif ! Tu Ne Peux Pas...
– Ne mets pas Farca en danger le tas de boulons ! hurla Sieg.
Pris de cours par l'insulte de l'écarlate qui n'en avait jamais lancé à son encontre, le gardien recalcula la situation. Il ne comprenait pas pourquoi, bien qu'il avait relevé la présence du groupe de Valence, il n'avait pas déterminé qu'intervenir n'était pas juste futile mais périlleux pour les personnes présentes. Comme si une part de lui avait étouffé toute logique et l'avait poussé à protéger Sieg à tout prix.
Voyant que les aventuriers commençaient à s'impatienter, Adam s'écarta pour laisser passer son compagnon et son escorte. L'écarlate donna un faible coup dans le plastron du gardien et lui sourit faiblement.
– Je suis désolé. Protèges bien tout le monde pour moi, d'accord ?
Adam hocha la tête pendant que Farca fulminait. Elle se détestait d'être si impuissante alors que l'on déchirait sa famille de cœur. Jusqu'à présent, l'alchimiste arrivait à excuser son impuissance quand il fallait faire parler les muscles en se souvenant que ses talents résidaient ailleurs. Cependant, être confrontée à une situation où ses potions, ses bombes et son esprit vif ne servaient à rien écorcha sa fierté. Sans un mot, la sang-mêlée se dirigea vers la salle du trône pour accomplir la seule chose à sa portée pour le moment.
– Suis moi Adam. Je vais avoir besoin de toi pour porter Bélial.
Le gardien regarda tour à tour ses deux compagnons qui partaient dans des directions opposées avant de suivre la naine.
Le cœur alourdi par cette rencontre, Sieg pressa le pas et quitta le château. La foule qu'il croisa lui lança des regards surpris. L'écarlate ne put que ricaner en se souvenant qu'il brillait encore comme un phare en pleine nuit.
Avec les membres de l'ordre qui faisaient de leur mieux pour suivre sa cadence, l'épéiste marcha jusqu'à, l'autel des voyages où les gardes postés l regardaient avec surprise et méfiance. Sieg serra les dents en voyant qu'ils étaient en train de nettoyer du sang et adressa un regard accusateur aux aventuriers.
– Nous n'avions pas le choix, ce n'est pas comme s'ils nous auraient ouvert le passage juste parce que nous le demandions gentiment... déclara Kiria avec nonchalance.
– N'approchez pas ! s'écria un garde en dégainant son épée plus par instinct que professionnalisme. L'accès est...
Sieg attrapa au vol un flèche qui aurait perforé la poitrine du garde sans prêter attention à ce qui se passa derrière lui. Il la brisa en comprimant son poing et laissa ses miettes tomber au sol sous le regard abasourdi des troupes en faction.
– Croyez-moi, je ne veux pas vous faire de mal. Cependant, je n'ai pas de contrôle sur les brutes impatientes qui ne feront qu'une bouchée de vous.
Effrayés, les gardes laissèrent passer le groupe qui prit place autour du dispositif de téléportation et le réactivèrent.
– C'était bien froid de ta part... commenta Artra.
– Je veux simplement éviter que trop de sang coule à cause de cette farce... grogna Sieg en posant sa main sur l'autel.
Le processus de transfert commença et Sieg quitta Syndras sans espérer pouvoir un jour la revoir, tout comme ceux qu'il délaissait pour leur propre bien.
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