Chapitre 76 : Du rêve au cauchemar

Avec un bâillement, Sieg se réveilla le lendemain matin avec une mineure gueule de bois. Pour une fois, il n'essaya pas de se libérer de sa partenaire qui le dorlotait paisiblement. Le groupe avait décidé la veille qu'ils ne passeraient pas cette journée à six.

Farca, impatiente de reprendre ses recherches, avait déclaré se rendre à la bibliothèque royale qui lui ouvrait ses portes. Adam s'était porté volontaire pour lui tenir compagnie, moins pour la protéger et plus pour dévorer quelques ouvrages de son côté. En grand amateur d'art, Ahmés avait accompli le miracle de décrocher un billet pour un concert le jour précédent et y passerait la journée. Enfin, Lorelya avait pris la décision d'explorer les jardins de Syndras pour se familiariser avec la nature hors de la forêt.

Ce qui laissait les deux amants seuls pour profiter de leur journée, signifiant que Sieg n'avait pas à se presser et pouvait profiter de l'instant présent.

Passer la journée ainsi ne le dérangeait pas, surtout après que ses craintes de la veille s'étaient réalisées. Après un déjeuner mouvementé avec Jan et Sillia, le groupe fut étonné d'apprendre qu'une pièce de théâtre sur les Neuf Sauveurs se déroulerait dans l'après-midi. Après avoir perdu un vote cinq à un, l'écarlate fut contraint d'assister à une représentation de sa vie qui tenait plus de la fiction que du fait historique. En premier lieu, il ne sut pas comment réagir en voyant que son personnage était devenu une femme, provoquant l'hilarité de quatre de ses compagnons qui reçurent des regards noirs de la part des autres spectateurs. À cela s'ajoutait le fait que Rotsali, une autre faute impardonnable, ressemblait à une chienne en chaleur et non pas à une guerrière, ce qui écorcha encore plus son ego.

Le bretteur s'était fait la remarque que si l'auteur savait comment étaient vraiment les Neuf Sauveurs, la pièce n'aurait pas montré huit valeureux héros et leur prostituée de service. Le noble Natas briserait les rotules des passants pour un rien, la généreuse Simetra rabaisserait son entourage et attirerait les beaux garçons et belles femmes dans un endroit reculé pour profiter d'eux, et le pieu Flavio sermonnerait à tout bout de champ. En revanche, Sieg trouvait que les acteurs avaient parfaitement incarné les personnages de Lina la retorse, Péléon le flegmatique et Silania la fière.

Il avait senti Bélial se crisper à ses côtés quand le personnage de Tosagaram avait fait son entrée en scène. Il posa sa main dans la sienne et ils restèrent ainsi pendant toutes la représentation, plus pour réconforter l'écarlate que la démone.

À la sortie du théâtre, un regard noir de Sieg dissuada efficacement ses compagnons de jamais reparler de ce qu'ils venaient de voir. Il manqua tout de même de mettre en pièces Adam quand le gardien lui avait demandé s'il était toujours capable de changer de sexe, étant de justesse retenu par la barbare.

Épuisé, le bretteur n'avait fait que suivre ses compagnons à travers des rues marchandes où ils trouvèrent leur bonheur. Flemmardant sur les bancs disponibles, Sieg ne fit que donner mollement son avis quand on le lui demandait. Du moins, c'était le cas quand ce n'était pas Bélial qui défilait dans des tenues qu'elle avait expressément choisi pour lui remonter le moral. Farca, de son côté, retenait ses larmes en voyant la bourse de leur équipe fondre comme neige au soleil.

Pour terminer cette journée, la démone avait pratiquement supplié son partenaire de lui faire visiter l'Abri, le quartier louche dont elle avait tant entendu parler sans jamais y mettre les pieds. Elle même curieuse, l'archère avait elle aussi insisté.

Sieg avait fini par céder, insistant cependant pour que les deux femmes portent des tenues qui attireraient moins les regards. Il ne désirait pas laisser les galeries de l'Abri jonchés des corps sans vies des inconscients qui oseraient essayer de profiter d'elles. Déçue de ne pas pouvoir porter une de ses nouvelles robes, Bélial avait opté pour sa vielle tenue de voyage, composée d'un pantalon de lin et d'une tunique. Lorelya avait chois une robe simple achetée pour les moments où elle ne voudrait pas attirer l'attention. Les autres membres du groupe n'avaient pas changé de tenue, sachant qu'ils attireraient moins les regards que l'elfe et la démone. Enfin, excepté Ahmés, mais personne imaginait qu'il se ferait agresser par des pervers. L'inverse, en revanche...

Sieg guida son équipe jusqu'à une des entrées de ce qui aurait du servir de refuge pour la population de Syndras en cas d'attaque de démons quatre milles ans plus tôt, transformé en abri pour les plus défavorisés et les criminels de toute trempe. Après avoir descendu un escalier qui s'enfonçait sous terre, mettant la naine à l'aise en se retrouvant dans un environnement qui lui rappelait sa mine natale.

Ils avaient débouchés sur une des plus grandes places souterraines de la capitales, éclairée par des pierres de lumière. Bélial s'était émerveillée de découvrir une véritable ville sous la capitale, trouvant des étals où qu'elle posait les yeux, entendant des enfants rire et jouer entre les jambes des adultes et admirant plusieurs spectacles de rue. La barbare s'était imaginé un lieu plus sinistre vu sa réputation, mais la vérité n'était pas aussi noir qu'elle l'avait cru. Marquée par la misère qu'elle avait vu chez les plus démunis ailleurs, elle avait été soulagée de voir qu'il existait des endroits où ceux qui n'avaient rien pouvaient encore sourire.

Évitant volontairement les territoires où l'accueil serait moins amical, Sieg avait entraîné son équipe dans La porte de l'enfer, un bar géré par une de ses vielles connaissances. Ils étaient d'ailleurs tombés directement sur Maurice, le propriétaire de l'établissement qui était aussi à la tête d'un des plus importants groupes de criminels de Danatal. Accueillant l'écarlate comme un fils rentrant de la guerre, Maurice avait déclaré que c'était soir de fête et que tous les clients étaient invités.

Le plus grand établissement de l'Abri était toujours animé, mais ce soir là avait battu tous les records. Entre les épopées chantées par Ahmés qui avait rejoint le groupe sur la scène, le concours de bras de fer avec droit d'entrée organisé par Farca impliquant Bélial et Adam, et la nourriture et l'alcool qui remplissaient tous les ventres, Sieg oublia vite sa fatigue et profita pleinement de la soirée. Lorelya s'était d'abord tenue sur les côtés, se méfiant des bandits humains, mais les femmes qui l'avaient approchée avec une lueur dans le regard avaient gagné son attention, contrairement aux hommes déçus.

Au final, ils étaient tous rentrés au Pégase d'émeraude ivres morts, encadrés par Adam qui se débrouilla fort bien pour les garder sous contrôle bien que seul. Le défunt et la verdoyante rentraient à l'auberge avec de la compagnie en plus, ce qui leur valut les gros yeux de Gisèle pendant qu'ils montaient les marches vers leurs chambres. Elle accepta cependant de laisser une chambre à Farca qui avait assez dégrisé pour réaliser qu'elle ne voulait pas être témoin des ébats de sa voisine de chambre.

Maintenant qu'il avait les esprits clairs, Sieg devina sans mal qu'il allait se faire remonter les brettelles en beauté par Gisèle, ce qui ne le motiva pas particulièrement à quitter son lit. À la place, il admira le visage de la barbare et écarta des mèches rebelles qui lui bloquaient la vue. Ses doigts caressèrent sa peau, glissant sur son cou puis son torse. Le bretteur descendit jusqu'aux hanches de la démone avant de se diriger vers la base de sa queue. La voyant gémir dans son sommeil quand il toucha une zone sensible pour la jeune femme, l'écarlate serra doucement la queue et commença à la frotter, se régalant des réactions de son amante.

Le visage rouge, Bélial finit par ouvrir les yeux et adressa un sourire charmé à son partenaire.

– Ça, c'est un réveil comme je les aime... murmura la démone en embrassant le front de Sieg. Tu as fait de beaux rêves ?

– Non, mais je pense que je suis en train d'en vivre un...

Et c'est Bélial qui ne sait pas contrôler ses instincts ?

– Ah ouais ? Tu m'en dis plus ? J'ai envie de savoir ce qui se passe dedans...

– Et bien... souffla le bretteur don les lèvres éraflèrent la poitrine de la barbare. Ça commence par un réveil dans les bras de la plus belle femme du monde et une promesse d'une bonne...

Des coups sourds à la porte arracha un grognement de frustration de la part des deux amants. L'écarlate voulut se redresser mais la jeune femme le retint en collant son visage entre ses seins et croisant ses jambes autour de sa taille.

– On fait comme si on est pas là... Si on dit rien, ils vont finir par...

Bien que tenté par le plan de la démone, les coups se répétèrent et devinrent de plus en plus instants. Après trente seconde de ce manège, ils perdirent tous deux leur envie et eurent des envies de meurtre. En demandant à Bélial de se couvrir avec les draps, Sieg ramassa son chapeau et s'en servit pour couvrir son entre-jambe et se dirigea vers la porte.

– Si c'est Adam qui nous dis qu'ils ont enfin balancé Farca au cachot, elle pourra y croupir jusqu'à demain... râla le bretteur dans sa barbe.

Vous êtes cruels...

Renfrogné, Sieg entrouvrit la porte et foudroya la personne qui les importunait. Anoro recula d'un pas en se demandant si Bélial n'était finalement pas le plus démoniaque des deux et perdit le fil de ses pensées.

– Vous avez vraiment intérêt d'avoir une bonne raison de nous déranger. Si le palais n'est pas en feu, vous allez m'entendre...

Du peu qu'il pouvait voir du bretteur, le soldat comprenait parfaitement qu'il risquait sa vie en restant là, mais il avait un devoir à accomplir.

– Navré, mais... Le roi vous réclame... Enfin, surtout Maîtresse Bélial... Je ne sais pas ce qui se passe, mais je ne l'ai jamais vu aussi inquiet.

L'écarlate maintint son regard noir avant de lui dire de les attendre dans le salon au rez-de-chaussé avant de lui claquer la porte au nez. Il se retourna et se morfondit de voir la barbare en train de s'habiller.

– S'il nous fait venir pour des conneries, il va m'entendre... rumina Bélial en ajustant son plastron.

– L'armure du ravageur d'ébène ? s'inquiéta Sieg en attrapant une de ses chemises. Rassure-loi, tu ne vas pas...

– Nan, mais si je leur fous la trouille de leur vie, ils vont peut-être hésiter la prochaine fois qu'ils vont nous demander de venir aussi tôt !

La barbare enfila sa jupe et redressa sa jambe pour mettre un short en dessous. Elle s'arrêta en voyant que l'épéiste la fixait, tenant toujours son pantalon en main, ce qui permit à la jeune femme de constater que son partenaire reprenait du poil de la bête.

Bon, pas besoin de me faire de dessin...

– En même temps... articula-t-il lentement. Même si c'est le roi... Il comprendra si nous avons besoin d'un peu de temps pour nous préparer...

– Ouais... enchaîna Bélial en laissant tomber son short au sol. Ça peut nous prendre... Dix minutes ?

– Si on prend le temps de te coiffer, plutôt vingt... suggéra l'écarlate en s'approchant de sa partenaire. Trente si on veut être parfaitement présentables...

– On va voir large et dire une heure, ça te va ? proposa la démone en se collant au bretteur, faisant lentement remonter sa jupe. Faudrait pas qu'on manque de respect au roi...

Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre...

***

Une heure et demi plus tard, Anoro vit enfin le couple le rejoindre dans le salon. Il ne gaspilla pas sa salive pour leur demander ce qui leur avait pris autant de temps, ils n'avaient pas fait d'efforts pour être discrets et les murs étaient trop fins pour contenir leur passion. Au moins, leur apparence était impeccable, même s'il regardait avec inquiétude l'armure à la fois intimidante et provocante de la démone.

– Nous allons passer par le passage de l'auberge, annonça le soldat en baissant les yeux. Non seulement ce sera plus rapide, mais ça nous évitera de croiser la foule devant le palais.

Sieg fronça les sourcils avant de demander ce qui se passait. Anoro répondit qu'il ne savait pas car il avait été immédiatement dépêché pour les chercher sans explication.

Ils se précipitèrent vers la réserve de l'auberge, essuyant un regard noir de Gisèle.

– J'ai eu des plaintes pour hier soir... grinça-t-elle. Certains de mes clients sont de fidèles habitués, alors quand je leur promet que j'en parlerai avec les responsables, je tiens parole. Je vous laisse y aller parce que ça a l'air urgent, mais à votre retour...

Sans laisser au duo le temps de répondre, la tenancière appela son fils pour qu'il les aide dans la réserve. Le colosse les suivit en grognant et, une fois la porte fermée, il poussa l'étagère qui bloquait l'accès au passage secret.

Sieg éclaira la voie et ils s'enfoncèrent dans le long couloir menant au palais. Une fois arrivés sur place, ils furent escortés par les gardes postés à cet endroit jusqu'à la salle du trône. On leur ouvrit la porte en grand et Bélial manqua de perdre l'équilibre. Devant le trône où siégeait un Panaros déconfis, Artra se retourna et adressa un large sourire à sa fille.

– Ah, Bélial ! Je suis bien heureux de te revoir !

– Ouais, ben c'est pas.. rugit la barbare en faisant un pas en avant.

– Attends ! intervint Sieg en lui barrant le passage avec son bras. Je ne sais pas pourquoi, mais ils sont là...

La démone suivit le regard de l'écarlate et vit, qu'en plus de la cour du roi et d'autres membres de l'Ordre, la compagnie des Lons Pourpres était présente. Elle n'avait pas oublié les mises en-garde à leur encontre qu'elle avait reçu, comprenant que s'ils décidaient de s'impliquer dans une confrontation, les aventuriers feraient pencher la balance d'un côté de façon critique.

– Voilà une armure qui vous va à ravir ! s'exclama Valence. Plus je vous vois, plus je vous désire à mes côtés ! Malheureusement, cela semble compromis désormais...

Sieg eut un mauvais pressentiment. Anoro n'avait pas dis que le roi voulait les voir, il avait seulement parlé de Bélial. Et si l'Ordre était présent, une théorie s'imposa dans son esprit.

– Je suis vraiment désolé... souffla Panaros sans oser croiser les regards de l'écarlate et la démone. Leur prêtresse des glaces avait espionné notre conversation d'il y a deux jours avec son familier...

Oh non... Non, tout mais pas ça... S'ils ont parlé avec l'Ordre...

– Oui, et nous avons appris des choses intéressantes... continua Lanis en caressant un oiseau bleu sur son épaule. Nous qui pensions obtenir des informations sur les plans de défense de Danatal en cas d'attaque, nous avons finalement trouvé de l'or... Divinement, je dois dire...

Paniqué, l'écarlate balaya la pièce du regard et vit deux prêtres dévoiler une large cloche d'or. Il la reconnut immédiatement, la revoyant dans certains de ses cauchemars. Quelqu'un prit un petit marteau et frappa l'instrument. Son timbre se propagea dans toute la pièce. Horrifié, Sieg dévisagea Bélial et trembla. La démone baissa les yeux et vit que son corps entier brillait d'une aura dorée.

– La cloche d'or révèle la vérité ! déclara un des prêtres en s'agenouillant. Nul ne peut douter de sa révélation.

Comprenant ce qui se passait, la jeune femme fit un pas en arrière alors que le bretteur se plaça devant elle avec un air féroce sur le visage. Ne semblant pas remarquer Sieg, Artra marcha en larmes vers sa fille, les bras tendus avec un sourire béa.

– Si j'avais su... Ce jour est béni, ma fille ! Tu n'imagines pas combien je suis fier que mon enfant porte en elle Raya, déesse de la lumière...

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