Chapitre 75 : Les présages de la nuit

Cela faisait plus d'une journée que Hexion, l'archimage de l'académie de magie de Syndras, n'avait pas quitté le laboratoire principal. S'il avait d'abord pesté quand le roi leur avait imposé d'étudier une simple pierre de communication en prévision d'une invasion mentale, considérant que la couronne n'avait pas l'autorité requise pour forcer la main de la plus importante institution magique du pays, il lui était désormais reconnaissant pour cette opportunité unique.

La pierre qu'il admirait presque sans discontinuer depuis des heures le fascinait plus que n'importe quel ouvrage écris par ses plus illustres prédécesseurs. Bien que de niveau relativement avancée, la magie de communication restait simple, bien que dure à appliquer sur une large échelle. Sans une pierre magique de très bonne qualité, même lui aurait du mal à façonner un outil de communication assez puissant pour en joindre une autre hors des frontières de ce pays.

Hors, cette pierre n'était pas d'origine magique.

Bien que valant un bon prix, le minerai ne possédait qu'une très faible magie artificielle, forcée à l'intérieur par un mage. Cependant, Hexion s'était immédiatement rendu compte que la pierre était une véritable pépite quand il s'agissait de la complexité du schéma magique qu'il trouvait plus extraordinaire que les œuvres d'arts les plus adulées du monde. Plusieurs niveau d'incantations ne faisaient pas que s'agglutiner dans la pierre, ils s'entremêlaient de façon harmonieuse, chaque ligne en affectait d'autres et gagnait en puissance avec ces connexions.

Même en consacrant des siècles sur des recherches en magie de communication, Hexion doutait qu'il arriverait au quart du travail requis pour créer un outil aussi puissant. Et surtout, il n'aurait jamais eu l'idée de génie qui rendait cette pierre capable de joindre toutes ses semblables n'importe où dans le monde.

Même si elles étaient si faibles qu'il était impossible d'en tirer la moindre puissance, des veines de mana s'entrecroisaient sous le sol de la planète, parcourant son intégralité. La moitié des incantations de la pierre avaient pour but de transformer les ondes sonores qu'elles captaient en magie pure et transférer cette énergie dans les veines qui les transporteraient jusqu'à la cible du message qui était capable de le décoder. Et tout ça, potentiellement en moins d'une seconde.

Hexion n'osait pas confirmer ses théories. Il n'avait même pas osé effleurer la pierre, redoutant que son admiration sans borne le mette accidentellement en contact avec le créateur d'une telle merveille. Et de ce que l'archimage avait entendu, le génie derrière cette invention en possédait assez pour se permettre d'en détruire des dizaines pour ne laisser aucune trace de son œuvre.

Les mages autour de lui travaillaient ardemment, mais il était le seul qui n'avait pas pris de pause pour manger, boire ou dormir depuis qu'ils avaient reçu cette pierre. Non seulement ils étaient chargés de l'étudier pour en comprendre le fonctionnement, ils devaient aussi trouver un moyen de l'utiliser pour envahir l'esprit de son créateur et récupérer une seule et unique information.

Hexion avait d'abord ris au nez du messager quand il lui avait annoncé que l'on désirait découvrir l'emplacement d'une porte dissimulant un des sept Déchus, n'ayant jamais entendu une sornette pareille. Cependant, en réalisant qu'il existait un génie comparable à Tosagaram, un prodige que l'on croyait inégalable, l'archimage n'eut aucun mal que celui-ci jouait sur un échiquier cosmique dont l'ampleur il ne pouvait suspecter. Si lui croyait en cette porte, alors il était impossible qu'elle n'existe pas.

Un de ses assistants posa la main sur son épaule et le coupa dans l'admiration des dernières données qu'il avait reçu.

– Maître Hexion ? Vous devez vraiment prendre le temps de souffler. Vous êtes toujours le premier à dire qu'un mage ne doit jamais abandonner sa santé pour...

– Et j'étais irresponsable de vous inculquer une telle idiotie ! pesta l'archimage en repoussant son assistant. Ne me dîtes pas que ce joyau d'ingéniosité ne vous donne pas l'impression de caresser des doigts les mystères les plus insondables de la mana ? Où est le mal en sacrifiant une demi-journée pour...

– Demi-journée ? Mais... Voila plus de trente heures que vous êtes ici ! Le soleil a eu le temps de se coucher deux fois depuis que nous avons reçu cette pierre !

Hexion cligna des yeux en fixant son assistant d'un air hagard. Tant de temps lui avait vraiment échappé ? Il ne s'en était pas rendu compte. Voyant l'incertitude chez son maître, l'assistant profita de la brèche et s'engouffra dedans.

– Vous savez aussi bien que moi qu'un mage épuisé perd sa capacité à voir ce qui est évident. Voulez-vous vraiment prendre le risque de perdre la moindre miette d'information sur cette pierre parce que vous n'étiez pas en état de comprendre ce que vous voyez ? Faites nous confiance, nous travaillerons toute la nuit si ça peut vous rassurer, mais quand vous reviendrez, vous aurez droit à un rapport complet.

Voyant la sagesse dans les paroles de son assistant, l'archimage hocha la tête et fut immédiatement assommé par sa faim, sa soif et sa fatigue. Il était épuisé mais ne s'en était pas rendu compte jusqu'à cet instant.

– Oui, vous avez raison... Je devrais regagner mes quartiers pour la nuit. J'ai vraiment besoin de me reposer...

Soulagé, l'assistant regarda son maître s'éloigner d'un pas las. Il fit signe à une de ses collègues de le suivre pour s'assurer qu'il ne tombe pas dans les pommes et lui faire préparer un repas par la cuisine. Il se retourna et adressa un regard suspicieux à la source de l'état de son maître. La pierre semblait les narguer, promettant les réponses à tout les mystères mais se jouant d'eux alors qu'ils tournaient en rond.

Et si, comme il le redoutait, cette pierre n'était qu'une invention parmi tant d'autres aux yeux de son créateur, il redoutait de voir le genre d'armes il pourrait façonner.

***

Si tard dans la nuit que l'on pouvait commencer à dire qu'il était bien trop tôt le matin pour être levé, les soldats luttaient contre le sommeil dans l'hôtel des voyages de Syndras. Bien que l'importance de leur mission était évidente, les hommes et femmes en poste mourraient d'ennui. Veiller à ce que personne ne réactive l'autel sans permission ne représentait aucune difficulté et les secondes s'égrenaient comme des heurs qui ressemelaient à des semaines.

Prenant appui sur sa lance, un garde posté devant la porte menaçait de s'écrouler de fatigue, gardant à peine les yeux ouverts. Un coup de coude le sortit de sa léthargie et il adressa un regard noir à la femme qui se mit à bailler à ses côtés.

– Comme si j'allais te laisser roupiller alors que je fais de mon mieux pour rester réveillée, Claude...

– Oh merci, ce que c'est sympathique, Agnès... grommela le premier garde. On peut toujours compter sur toi.

– Tout le plaisir est pour moi... souffla avec lassitude Agnès. Et ta femme ? Elle ne te prend pas trop la tête parce que tu n'es pas là pour t'occuper de vos enfants ?

Réussissant le miracle de sembler encore plus épuisé, Claude se passa la main sur le visage en grognant.

– À ton avis ? Quand je suis parti de chez moi ce soir, elle m'a menacé de prendre les gamins avec elle et aller chez sa sœur à Deison si je ne m'impliquais pas plus dans leur vie... Je la comprends, mais je ne peux pas exactement désobéir à un ordre qui vient d'en haut.

– Comme je te comprends... Je commence à craindre que Stephan va perdre patience et me tromper avec une autre femme... Ça fait plus d'une semaine qu'on dort toute la journée pour partir travailler dès notre réveil. Je veux bien que nous manquons d'effectifs avec toutes les troupes qu'on a envoyé au sud, mais quand même ! Quand est-ce qu'ils vont revenir au lieu de se tourner les pouces en pleine cambrousse ?

– Vous n'avez pas entendu la nouvelle ? intervint un troisième garde. Il paraît qu'ils ont été décimés ! Hier, pendant qu'on dormait, ce qui restait des forces envoyées est rentré et ce n'était pas beau à voir.

– Hein ? T'es sûr de toi, Robert ? Mais quoi, ils étaient partis en guerre contre un de nos voisins ?

– Aucune idée, mais si c'est vrai, ça veut dire qu'on a perdu la majorité de nos troupes. Si on se fait attaquer...

– Pitié, je ne veux pas y penser... grogna Agnès en levant les yeux au ciel. Tout ce que je veux, c'est retrouver mon mari et qu'il me fasse oublier cette semaine de galère...

– Oui, moi aussi, j'ai un mariage à sauver... marmonna Claude.

– Vous m'en voyez désolé, bonnes-gens...

Passant d'une posture avachie à une mise en garde, le trio sonda les ombres de la rue. Une figure se dessina dans l'une d'entre elles. Un guerrier en armure scintillante qui n'aurait pas dû passe inaperçue s'approcha d'eux avec un sourire confiant.

– Halte-là ! s'écria Robert. L'accès à l'autel est interdit aux civils ! Veuillez faire demi-tour et...

– Attends, je l'ai déjà vu avant... souffla Claude. C'est un aventurier célèbre.

– Ah, le poids de la célébrité... soupira l'intrus. Même quand il n'y a pas une âme qui vive dans les rues, je ne peux pas éviter de croiser des admirateurs... Les dieux sont bien cruels, de me donner plus de qualité que ce qu'une nation saurait en faire...

– Pas de doute, c'est bien Valence... grinça Agnès. Une vraie plaie, celui-là...

– Oh ! Mais de tels outrages ne devraient pas traverser de si belles lèvres ! ricana le guerrier en continuant d'approcher. J'imagine qu'une belle fleur peut finir ternie si elle passe trop de temps en présence de mauvaise herbe, quel désastre.

– Veuillez ne plus approcher ! menaça Claude en dressant sa lance vers la gorge de l'aventurier. Qui que vous soyez, vous...

Trois flèches se plantèrent simultanément dans les jugulaires des trois gardes qui lâchèrent leurs armes sous le choc de l'attaque. Le plus vif d'entre eux allait rassembler ses dernières forces pour appeler à l'aide quand leurs têtes volèrent suite à un coup d'épée fulgurant de Valence. L'aventurier soupira en essuyant sa lame sur l'uniforme d'un d'entre eux et adressa un regard agacé vers le toit d'un des bâtiments en face de l'autel. Toujours dissimulée dans les ténèbres, Rani encocha une nouvelle flèche, prête à abattre tout obstacle qui oserait se dresser sur la route du guerrier.

– Et moi qui pensait au moins convaincre la demoiselle de baisser les armes... soupira Valence. Décidément, mes coéquipières peuvent être si jalouses...

Un croassement attira son attention. Un oiseau bleu se posa sur son épaule et le dévisagea.

Si vous pouviez rester un peu sérieux, Seigneur Valence... résonna une voix cristaline. Cette mission est trop importante pour que vous batifoliez avec une simple soldate...

– Que tu es dure avec moi, Lanis... Mais bon, c'est ce qui te permet de me garder concentré sur nos objectifs. Kiria a-t-elle fini ?

Voyez par vous même...

La porte de l'autel s'ouvrit d'elle même, dévoilant une scène de carnage. Plus de douze corps gisaient au sol en sang. Au centre de cette hécatombe, une femme entièrement vêtue de cuir noir aiguisait une lame, paisiblement assise sur une de ses victimes.

– Vous m'avez presque fait attendre... soupira-t-elle en rengainant son arme. Dans le temps qu'il vous a fallu pour en abattre trois à deux, j'en ai facilement éliminé le quadruple...

– Et j'imagine qu'ils ne se sont rendus compte de rien ? demanda Valence avec un rictus moqueur.

– Le dernier est mort avant que le premier ne touche le sol... affirma l'assassin, s'approchant de l'aventurier en retirant son masque et abaissant sa capuche, révélant ses cheveux d'ébène. Comme promis, j'ai été la plus efficace de nous quatre...

– Comme toujours, dans nos missions d'infiltration, reconnut Valence en attrapant Kiria par la hanche pour la tirer à lui. Tu as plus que mérité ta récompense. Et comme avant-goût...

Kiria frémit de plaisir quand Valence l'embrassa passionnément, laissant sa main libre caresser la poitrine de l'assassin par dessus le cuir. Haletante, elle regarda l'homme qu'elle aimait quand leurs lèvres se détachèrent.

– Si vous saviez ce que je veux vous faire, ici et maintenant, au milieu de de tout ces morts...

– Tu es vraiment une détraquée... grinça une prêtresse en entrant dans la pièce avec un air désapprobateur. Une telle proposition n'est pas digne du Seigneur Valence.

– Allons, cessons de nous chamailler... souffla l'aventurier en caressant le visage de Kiria qui trembla de plaisir. Sois donc patiente, nous en avons presque fini ici.

L'assassin hocha la tête et s'écarta du chemin. Irritée de voir une autre concubine recevoir autant d'attention de la part de Valence, Lanis se dirigea vers l'autel et leva une main baignée d'énergie bleue vers elle.

– Donnez-moi un instant, je vais vite réactiver l'autel, je ne serais pas longue...

– Le vert te va moins bien que le bleu... se moqua Kiria en se trémoussant contre le guerrier. Abandonne, tu ne feras pas mieux que moi, Seigneur Valence est à moi seule ce soir...

Serrant les dents pour retenir un flot d'injures, la prêtresse réactiva l'autel et recula. Quelques secondes plus tard, la pièce se mit à briller, signalant qu'une téléportation avait lieux. Cinq individus encapuchonnées se matérialisèrent, deux d'entre eux tenant une large cloche dorée aux motifs ésotériques.

– J'espère que vous avez fait bon voyage... les accueillis Valence en s'inclinant vers eux.

– Vous devriez plutôt espérer que nous ne perdons pas notre temps, gronda le plus grand des encapuchonnés. Nous ne somme pas les bienvenus ici !

– Oh, ne vous inquiétez pas... Nous sommes sûrs de ce que nous avançons... Et si vous doutiez de nous, vous ne seriez pas venu en personne, Artra.

Le prêtre démoniaque toisa le guerrier. Cet aventurier l'horripilait, mais il ne pouvait nier qu'il était efficace. De tous les agents de l'Ordre, il était l'un des cinq plus puissants, et, s'il avait vraiment trouvé ce qu'il affirmait, son influence dans l'église ne serait surpassée que par sa Sainteté en personne. Rester dans ses bonnes grâces tant que ses dires n'étaient pas démentis était à son avantage.

– Je suis ici parce que j'ai du mal à croire votre rapport. Si ce que vous dîtes est vrai...

Valence passa son bras autour des épaules du prêtre et l'invita à le suivre.

– Je sens que nous allons assister à une réunion de famille légendaire...

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