Chapitre 73 : L'appel de l'arène
Après être passé par l'auberge du Pégase d'émeraude pour prendre discrètement des nouvelles du palais et, pour deux d'entre eux, recevoir des remontrances de la part le la tenancière, le groupe constata que leur présence n'était toujours pas requise. Prenant ça pour une opportunité de souffler, ils décidèrent de faire un peu de tourisme. Bien que Sieg connaissait la capitale comme sa poche et que trois de ses compagnons avaient déjà eu l'occasion de la visiter, Syndras recelait d'innombrables lieux à explorer et découvrir. En faire le tour pourrait prendre plus d'une semaine.
Une réunion improvisée dans une de leurs chambres plus tard, ils se mirent d'accord sur un itinéraire.
Leur première étape fut l'échoppe des Mélanges étranges, la préparation du philtre de vers de Lorelya aboutissant au moment de leur arrivée. L'archère regarda avec suspicion le breuvage qu'on lui tendait, avant de se résigner à l'engloutir d'un trait. Elle manqua de s'étrangler, trouvant son goût trop amère pour son palais. Sieg frotta son dos et lui demanda si elle allait bien, ce qui enragea la verdoyante, rétorquant que la réponse était évidente. Elle fronça les sourcils quand ses amis arborèrent des mines réjouies avant qu'on ne lui explique que la question avait été posée en danatalien et qu'elle avait répondu dans la même langue, prouvant que sa souffrance n'avait pas été inutile.
Leurs pas les menèrent après devant une arène où ils apprirent que la finale d'un tournoi de combat devait s'y dérouler d'ici peu. Bélial devint incontrôlable en entendant cela, insistant pour y assister. Incapables de l'en faire démordre, même quand on les prévint que toutes les places étaient déjà vendues, ses compagnons durent trouver une solution pour satisfaire la puce surexcitée qui ne tenait pas en place. Ahmés fournit la meilleure solution en rendant tout le monde invisible pour leur permettre de se faufiler dans le stade sans se faire repérer. Ils se perdirent dans les couloirs avant d'accidentellement déboucher dans les vestiaires d'un des finalistes.
Ils faillirent se faire repérer quand Farca cria de stupeur en apercevant le robuste combattant entièrement nu. Bien qu'invisibles, les autres purent voir que la naine venait de virer au rouge et ses yeux ne se décrochaient pas d'une partie de l'anatomie due l'homme qui regardait dans leur direction avec incompréhension. La démone décida de taquiner son amant en lui soufflant qu'elle aimait ce qu'elle avait sous les yeux. L'écarlate serra les dents en tentant de se convaincre qu'elle essayait simplement de le voir paniquer pour son amusement.
Bien que Lorelya voulait partir, n'aimant pas l'idée d'admirer un homme en train de s'habiller, Adam leur fit remarquer que s'ils le suivaient, il les guiderait naturellement vers l'arène. Le défunt ne perdit pas une miette du spectacle alléchant sous ses yeux, et la naine fit mal semblant de ne pas s'y intéresser elle aussi. L'archère ne prêta pas attention à ce qui se passait, préférant ignorer la scène, et ne réalisa que trop tard que ses amis tentaient de la prévenir de l'approche du combattant qui voulait prendre la ceinture qui pendait à un crochet derrière elle.
Le finaliste fronça les sourcils quand sa main empoigna une boule molle invisible qu'il trouva fort confortable. Un soudain cri elfique fit exploser son cœur de panique et il se prit un crochet du droit fulgurant qui l'envoya au tapis. Outrée avec les bras croisés sur sa poitrine, la verdoyante voulut achever sa victime à coups de pieds, mais fut retenue par Adam qui lui attrapa les bras et la souleva du sol, hargneuse et vengeresse.
L'alchimiste se porta au chevet du combattant à moitié nu et tenta de le réveiller. Malheureusement, bien que vivant, le pauvre bougre ne se réveillait pas malgré les soins prodigués. Farca vint à en doute qu'il serait en mesure de se battre correctement, même si elle parvenait à le ramener à lui.
Trois clans se formèrent dans le vestiaire. Celle qui voulait simplement partir et nier être responsable de ce désastre, celui qui restait en toutes circonstances neutre et ne voyait pas où était le problème, et ceux qui se sentaient indirectement coupables et voulaient réparer leur erreur. De son côté, Raya attendait de voir comment ils allaient empirer la situation.
Une fois de plus, Ahmés fut celui qui sauva la situation en faisant remarquer que Sieg et l'homme au sol étaient de gabarits similaires.
Avec hâte, ils aidèrent le bretteur à revêtir la tenue de combat du finaliste, une combinaison de cuir intégral avec un casque, un bouclier circulaire et une épée ordinaire. Le musicien paracheva l'illusion en lançant un sort sur l'épéiste pour lui donner les mêmes traits bourrus, cheveux bruns et yeux gris. L'original fut caché dans une armoire où il pourrait finir de roupiller. Se demandant comment ils faisaient toujours pour se fourrer dans ce genre de situations, l'écarlate s'aventura dans le stade, toujours aussi perdu qu'avant, et chercha l'arène.
Il fut hélé par une femme furibonde qui marcha droit sur lui. Pris de cours, il la laissa lui cracher son venin alors qu'elle l'accusait de lui avoir promis de quitter sa femme pour elle. Ne sachant pas quelle voix avait le finaliste, Ahmés ne pouvait pas simuler sa voix, forçant Sieg à répondre avec des grognements et des mouvements de la tête adaptés. La femme ne sembla pas remarquer la supercherie, s'effondrant en larmes contre le torse de son supposé amant avant de lui révéler être enceinte. Le bretteur ne voulut pas imaginer comment se déroulerait la prochaine conversation entre elle et le combattant.
Sachant pertinemment que Bélial épiait ses moindres faits et gestes, Sieg ne sut pas comment réconforter la femme contre lui sans se mettre dans une position embarrassante. Il décida que poser ses mains sur les épaules de la personne devant lui serait un bon compromis entre réconfort et fidélité. Lisant quelque chose d'absent dans le geste de l'épéiste, la femme enroula ses bras autour de son cou et se hissa pour l'embrasser. Le baiser fut interrompu par un bruis sourd et Sieg n'eut pas besoin de se retourner pour savoir qu'un cratère venait d'apparaître dans un mur.
Sentant une aura meurtrière sortir de nul part, la femme bafouilla qu'elle attendrait son bien-aimé dans son vestiaire, qu'il soit victorieux ou non. Sieg la laissa s'en aller en grognant faiblement, redoutant plus le combat qui l'attendait à l'extérieur de l'arène que celui à l'intérieur.
Se doutant qu'il était sur le bon chemin étant donné l'embuscade qu'il venait d'essuyer, Sieg continua d'avancer jusqu'à déboucher dans l'arène où de vives acclamations l'accueillirent.
Ce n'était pas ma première fois qu'il mettait les pieds dans une arène, mais on se s'habituait pas à la clameur et l'énergie d'un publique qui vous attend. Il fit quelques pas vers, examinant les gradins débordant de monde. Devant lui se dressait un homme trop svelte et peu armé pour être son adversaire qui le fixait avec agacement avant de hurler dans une pierre.
– Ah, nous reconnaissons bien là Cyril l'Incivil, un des grands favoris de ce tournoi qui a prouvé qu'il mérite sa place parmi nous ! Si impatient qu'il n'a pas attendu que je l'annonce !
Des rires fusèrent de toutes part alors qu'on se moquait de son manque de respect envers les codes. Au moins, Sieg savait au moins à quel nom répondre.
– Et il semblerait que son adversaire n'est pas en reste ! s'écria l'annonceur en se tournant vers l'autre entrée. Que dire de ces deux forces de la nature qui ont soif de carnage ! Vous le connaissez tous, vous l'admirez ! Il nous vient tout droit de Port-Écume...
La mâchoire de Sieg se décrocha quand il reconnut son adversaire qui fit une entrée théâtrale en saluant la foule. Dans son short bleu et son masque aux motifs de vague, il était dur de ne pas reconnaître le colosse qui dépassait même Bélial de plus d'une tête et pouvait rivaliser avec elle en force brute et en technique. Assise contre le mur de l'arène, la démone écarquilla les yeux en comprenant dans quoi venait de s'engager son partenaire. Le lutteur portait des pièces d'armure qui protégeaient son torse et ses membres en prévision d'un combat contre un adversaire armé, mais il comptait l'affronter à mains nues.
– Le champion venu de l'ouest qui ne manque pas de surnoms, la vague qui écrase tout sur son passage, le Boucher des mers, Jan Cohen !
Ah merde... Ça aurait difficilement pu être pire...
Souriant comme un enfant devant son premier cadeau, Jan s'avança droit vers Sieg qui était bien plus hésitant. L'annonceur se retira, laissant aux combattants la possibilité d'échanger avant le début du combat.
– Bah alors Cyril ! s'esclaffa le Boucher. Je t'ai connu plus hargneux ! Pourquoi tu ne chauffes pas la salle comme d'habitude ?
– Parce que c'est moi... murmura le bretteur assez bas pour que l'annonceur ne remarque rien.
Jan dévisagea son adversaire sans comprendre avant de se souvenir où il avait déjà entendu la voix de l'imposteur.
– Sieg ? Mais qu'est-ce que tu fous là ? Si tu voulais m'affronter, tu n'avais qu'à le demander ! Pas la peine de prendre la place de Cyril !
Sieg leva les yeux au ciel. Il savait que Jan verrait les choses sous cet angle, mais il avait préféré faire franc jeu avec lui d'entrée de jeu. Le lutteur connaissait la façon de se battre de l'écarlate, il se serait vite rendu compte de la supercherie, alors autant tout lui expliquer directement.
– C'est pas ça, une des nôtres a merdé et Cyril est dans les vapes. Alors évidement, c'est à moi de payer les pots cassés...
– Une des vôtres, hein ? Ça veut dire que Bélial est dans le coin ?
– Tu pourras te défouler avec elle plus tard si ça te chante, mais pour l'instant, on fait de notre mieux pour que la foule ne remarque rien, grinça Sieg avec agacement. Et pour ta gouverne, elle n'y est pour rien dans cette situation.
– Oh, pas de problème ! s'amusa Jan en frappant ses poings l'un contre l'autre. Cyril est bon, mais un combat contre toi... Il n'y a pas à dire, il n'y a plus que toi et ta copine qui m'excitez autant ! Bon, à part ma femme bien sûr, mais tu vois ce que je veux dire...
– Oh oui... soupira Sieg qui ne comprenait que trop bien. Bon, on y va sérieusement alors ? Ce serait dommage de ne pas offrir à ce publique un spectacle digne de ce nom...
– Et comment ! Ça va être un combat d'anthologie !
– C'est moi, ou Sieg le connaît ? demanda Lorelya qui avait pu suivre une partie de la conversation grâce à son ouïe perçante.
– Ouais, moi aussi je le connais... grimaça Bélial. C'est un combattant qu'on a rencontré à Port-Écume. Je l'ai affronté et il a failli me mettre une raclée. Je suis devenue plus forte depuis, mais je pense que lui aussi s'est entraîné depuis...
– Attends, c'est lui ? s'étrangla Farca qui avait déjà entendu l'histoire. On est sûrs qu'on va récupérer Sieg en un seul morceau ? Je veux bien qu'il peut voir les auras maintenant ou je sais pas quoi, mais toi, tu peux deviner comment va se dérouler un combat et il t'en a fait baver !
– Calcul Des Chances De Survie...
– Je pense que je pourrais le ramener à la vie avec un chant, mais il risque de ne plus être le même qu'avant...
Vous l'enterrez bien vite...
– Vous inquiétez pas, ça va aller, les rassura la démone avec un sourire confiant. Je vous rappelle que j'ai jamais gagné contre Sieg, même quand il avait pas sa nouvelle épée. Il va en faire une bouchée...
Les deux combattants se firent face dans un silence presque religieux. Les spectateurs attendaient ce moment depuis longtemps et ne comptaient pas en manquer une miette. Sieg inspira, chassant les pensées intrusives de son esprit. Il oublia Saga, l'Ordre, ses compagnons et même Bélial. Il savait que pour vaincre un adversaire de la trempe de Jan, il se devait de redevenir en partie le Sauveur qu'il avait laissé derrière. Bien que honteux de son passé, l'écarlate savait qu'à l'époque, devenir une machine à tuer lui avait permis de se sortir des pires périls. Face au Boucher des mers, autant de prudence n'était pas absurde.
L'annonceur annonça le début du combat. Les deux guerriers bondirent simultanément l'un vers l'autre, leurs sens aux aguets de la moindre ouverture. À leur niveau, une seule erreur pouvait entraîner une défaite et ils en étaient parfaitement conscients.
Bien qu'il pouvait voir les actions de Jan venir, Sieg ne se risqua pas à riposter, se contentant de bloquer et esquiver les coups. Le lutteur enchaînait les attaques bien trop vite et n'offrait aucune occasion de répliquer. Ses mouvements étaient trop précis et vifs, sans oublier qu'il restait assez en retrait pour réagir aux moindres mouvements du bretteur.
Peu habitué à l'usage d'un bouclier, Sieg était tout de même heureux de l'avoir car sans magie, il n'aurait pas été en mesure d'éviter tous les coups de Jan. Cependant, les chocs des attaques se réverbéraient dans son bras et commençaient à l'engourdir. S'il ne changeait pas de stratégie, l'écarlate savait qu'il finirait par ne plus pouvoir l'utiliser.
L'épéiste pivota sur son pied gauche, se glissant dans le flanc de Jan et frappa ses côtes protégés par son armure. Jan grimaça et repoussa Sieg d'un coup de pied. Bien que les combattants à mains nues avaient normalement moins d'allonge que les manieurs d'arme, la différence entre leurs gabarits permettait au lutteur de neutraliser cette faiblesse et restait redoutable même en gardant ses distances. Il savait que ses assauts affaiblissaient son adversaire, il n'avait pas besoin de se presser. Il lui suffisait de rester patient et continuer de faire pression.
Une nouvelle averse de coups força Sieg sur la défensive. Sans sa capacité de voir les âmes, il doutait qu'il aurait réussi à tenir aussi longtemps, évitant à peine un coup décisif. Jan était moins puissant que Tyrian ou Saga contre qui l'écarlate avait pu prendre l'ascendant, mais sa technique et sa vitesse étaient mieux adaptées que leur force ou leur magie contre quelqu'un qui pouvait pratiquement voir l'avenir.
Jan tenta soudainement d'attraper le bras de l'écarlate qui bondit aussi loin que possible pour l'éviter. Aussi qu'il était, la véritable force du lutteur résidait dans ses prises de soumission qui terrassait ceux qui les subissaient. Sans magie pour foudroyer Jan s'il l'attrapait, Sieg savait qu'il n'aurait aucune chance de se libérer s'il se faisait avoir.
Trop laisser Jan l'approcher laissait Sieg ouvert à une prise, mais le garder loin le mettait à une distance parfaite pour pleinement déchaîner la violence de ses coups. Tant que le combat se faisait en rapproché, Jan était pratiquement invincible.
Perdant lentement ses sensations dans son bras droit, Sieg comprit qu'il devait mettre immédiatement fin au combat. Les affrontements de longue haleine n'étaient de toute façon pas sa spécialité, préférant une victoire rapide et efficace.
Se permettant un soupçon de tricherie, Sieg se campa sur ses jambes et canalisa sa magie de la terre dans la plante de ses pieds. Bien que peu adapté à son style de combat, cet attribut élémentaire lui permettait de puiser dans la force du sol pour mieux s'ancrer et encaisser plus facilement les attaques. Plus que les sept autres éléments, la terre représentait la défense et la résilience, ce qui en faisait ironiquement la meilleure option pour une riposte dévastatrice.
Se servant de cette nouvelle force qui le rendait pratiquement impossible à repousser, Sieg se propulsa contre Jan, bouclier en avant. L'arme défensive repoussa le poing du lutteur avant de s'écraser contre sa poitrine, lui coupant le souffle. Continuant de canaliser l'énergie de la terre sous ses pieds, Sieg continua de charger en donnant un nouveau coup de bouclier, visant cette fois le bras droit de Jan en prévision d'un crochet de ce dernier.
L'écarlate changea sa prise sur son épée et frappa la tête de Jan du plat de la lame pour le sonner dans trop le blesser. Le lutteur vacilla, offrant une nouvelle ouverture que le bretteur ne laissa pas passer. Il se pencha et lui donna un coup de pommeau dans le genoux pour forcer le lutteur au sol, le mettant à une hauteur parfaite pour lui asséner une ultime charge de bouclier en pleine face.
La foule sombra dans un silence assourdissant en regardant le Boucher lentement s'effondrer au sol, explosant en une cacophonie assourdissante une fois qu'il fut étalé de tout son long. L'annonceur s'approcha lentement du corps de Jan et attesta qu'il était non seulement en vie mais assommé.
– Quel combat mes amis ! Si bref, et pourtant, j'en ai eu le souffle coupé ! Le verdict est sans appel ! La victoire revient à Cyril l'Incivil !
La foule acclama son nouveau champion qui hurla sa joie d'avoir remporté la victoire. Sieg avait oublié l'intense excitation que l'on ressentait en terrassant un redoutable adversaire qui aurait tout aussi bien pu gagner. L'écarlate se sentit plus léger, tout le stress et la tension des jours passés semblant fondre.
Bien qu'ils devaient rester discrets, ses compagnons hurlèrent aussi, partageant leur fierté de voir leur chef prouver de façon si incroyable son indéniable talent au combat. Sa partenaire, en particulier, eut l'impression de tomber à nouveau amoureuse, en oubliant même le baiser qui l'avait enragée quelques minutes plus tôt. Après un tel exploit, la démone n'avait qu'une envie : féliciter son amant de toute son âme.
Et aussi son corps, mais ça, elle le ferait en grande partie pour elle même.
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