Chapitre 69 : Une sortie sous le signe de l'inquiétude

L'après-midi approchait déjà de son terme quand Sieg descendit les marches de l'auberge en direction du salon. Il ne fut pas surpris d'y retrouver Bélial, Ahmés, Adam et Lorelya, mais la présence de Farca l'étonna. Pendant leurs précédentes visites, quand elle était à l'auberge, l'alchimiste restait enfermée dans sa chambre à préparer des concoctions. La naine vit qu'il était perplexe de la voir et indiqua la verdoyante de son pouce.

– On a besoin de lui commander un philtre de vers si on veut qu'elle suive les prochaines conversations. On pourrait choper un clampin dans la rue et le saigner pour lui apprendre le danatalien à la rigueur, mais non seulement ça pourrait faire jaser, mieux vaut qu'elle comprenne aussi le griganien et une autre langue, ça pourrait l'aider.

L'écarlate grogna en se massant le front. Il avait complètement oublié que sa descendante était plus limitée que le reste du groupe en communication et qu'ils devaient régler ce problème. Lorelya s'approcha de son ancêtre et lui avoua qu'elle aimerait aussi apprendre le taouyen, qu'elle puisse comprendre les paroles de la plupart des chansons d'Ahmés. Le bretteur resta de marbre, se demandant si elle avait vraiment envie de comprendre son registre le plus grivois.

– Allez, on y va ? s'extasia Bélial en agrippant le bras de son partenaire pour le tirer vers la sortie. On pourra aussi faire un saut dans quelques boutiques si on a le temps !

Et dire qu'il n'y a pas si longtemps, tu te moquais de ce que tu portais... Avoir quelqu'un à charmer t'a bien changé dans le bon sens, je suis si fière de toi.

– J'aimerais en profiter pour faire un crochet sur la forge Gregory, intervint Farca. J'ai parlé avec Anoro, et il m'a obtenu une autorisation officielle du roi de passer une commande chez les meilleurs forgerons de la capitale aux frais du royaume. Vu qu'on va rester un moment dans le coin, je veux en profiter pour refaire le plein de composants pour mes bombes, il ne me reste presque rien.

– Très bon choix, acquiesça le bretteur. La forge Gregory est réputé pour ses ouvrages précis et minutieux, ils ne devraient pas avoir du mal à te fabriquer ce dont tu as besoin. Et ça tombe bien, c'est à deux rues d'un temple de Vauracia. Je vais y faire un passage pour prendre un rendez-vous pour nous.

– Quoi, la déesse des des sceaux ? s'exclama la naine avec méfiance. Mais tu mijotes quoi encore ?

– Mis-à part notre survie ? rétorqua l'écarlate avec humeur. Saga a montré que son éventail de sorts n'est pas à sous-estimer. Non seulement il a envoûté une armée entière avec un seul sort, mais il a aussi amélioré les pouvoirs d'Isya pour la rendre capable de contrôler les esprits faibles. Dans ces conditions, je ne pense pas que nous protéger contre les influences extérieures soit une mauvaise idée...

Vu comme ça, c'est clair que vous ne voulez pas qu'il entre dans vos cerveaux comme dans un moulin...

Le groupe quitta l'auberge en direction du premier commerce sur leur liste, les Mélanges Étranges, une boutique d'alchimie et de magie dont plusieurs d'entre eux commençaient à connaître le propriétaire.

L'elfe en question fut ravi de revoir des clients réguliers, notamment parce qu'ils en amenaient une nouvelle. Il devina facilement ce qu'on attendait de lui et invita Sieg à s'installer pour qu'il lui prélève un peu de sang, non seulement pour la préparation du philtre, mais aussi pour le paiement. Cette dernière remarque fit frissonner l'archère avant qu'on ne lui explique que l'alchimiste comptait utiliser le reste du sang pour préparer d'autres mixtures à revendre plus tard. Un arrangement étrange, mais tout le monde y trouvait son compte au final, donc ils n'avaient pas à s'en plaindre.

Le propriétaire de l'échoppe pris le temps de discuter avec Lorelya, curieux d'apprendre de quel clan elle venait. L'archère hésita avant de répondre timidement qu'elle était originaire du village des sylvériens. Elle s'était attendu à de la déception de la part de son interlocuteur, mais il s'était contenté de lui sourire en déclarant qu'il avait toujours voulu le visiter. Il avoua venir d'un petit village plus au nord de Danatal, un clan isolé qui ne se souciait pas de la politique elfique. Leurs échanges furent cependant écourtés par l'impatience de la barbare qui n'en pouvait plus de rester assise sans rien faire.

Quand ils quittèrent la boutique, ils virent que les commerces ne resteraient pas ouverts plus d'une heure et décidèrent de se séparer. Après un vif échange, Bélial et Ahmés entraîneraient Lorelya avec eux pour s'acheter des vêtements. Farca eut du mal à cacher sa joie d'avoir une bonne excuse pour échapper à ce supplice et invita Adam à l'accompagner à la forge. Sieg, lui, se résolut à aller à l'église seul pour y rencontrer un prêtre.

– Et pas de conneries, hein ? le gronda la démone en le pointant du doigt. Je te rappelle que la dernière fois qu'on t'a laissé seul ici, on a été obligés de te sauver les fesses ! Et je parle pas de Port-Écume...

– On peut vraiment te laisser sans supervision ? ricana Farca en admirant la mine déconfite du chef de leur groupe.

– C'est ça, faites les malins... maugréa le bretteur. D'un, je suis au sommet de ma forme, et de deux, nous sommes en territoire ami. Je m'inquiète plus pour vous, sérieusement...

Je suis curieuse de savoir quel groupe va s'attirer le plus d'ennuis en une heure...

Après avoir embrassé son amant une nouvelle fois, la démone le laissa s'éloigner avec un pincement au cœur. Elle se consola en se disant qu'elle pourrait trouver une tenue pour le soir qui raviverai les ardeurs de l'écarlate.

Sieg arpenta quelques rues en compagnie de Farca et Adam avant d'arriver à une intersection. Ses compagnons allaient le délaisser quand il les retint en fouillant dans son sac.

– Je vais profiter que nous sommes loin des autres, surtout Bélial. Je ne veux pas qu'ils soient au courant. Pas pour le moment en tout cas...

Inquiétée par le ton grave que l'épéiste prenait, la naine le regarda extraire une épaisse enveloppe et la lui tendre.

– Tu t'es reconverti en facteur ? plaisanta l'alchimiste en essayant de détendre l'ambiance.

Le trait d'humour ne dérida pas l'écarlate qui resta silencieux plusieurs secondes avant de continuer.

– Farca, je veux que tu me fasse un serment... Sur l'honneur de Xipar l'Éminent...

La sang-mêlée manqua de laisser tomber la lettre sous le choc de la demande de son ami. Affolée, elle le fixa, essayant de se convaincre qu'il plaisantait. Pas un seul nain n'était plus respecté que Xipar, le plus grand héros de leur peuple. Invoquer son nom ne se faisait jamais à la légère, et le peuple des montagnes ne plaisantait pas quand il affirmait qu'ils préféreraient se raser la barbe plutôt que de manquer de respect envers cet aïeul.

Farca se doutait que Sieg n'ignorait pas l'ampleur de ce qu'il lui demandait. Si elle acceptait de faire un serment sur l'honneur de Xipar, le trahir la couvrirait d'une honte éternelle qu'elle ne pourrait jamais supporter. Même pour un humain, aller aussi loin impliquait des raisons de la plus haute importance.

– Attends, tu nous fais quoi là ? s'étrangla l'alchimiste en se sentant vaciller. Parce que là, tu me fous pas dans la merde ! Si je dis non, ça signifie que je ne te fais pas confiance ! Ça reviendrai à dire que je ne peux pas te confier mes arrières et inversement ! Demi-naine ou pas, si ça arrive, je ne pourrai plus voyager à tes côtés ! Tu viens de me poser un putain d'ultimatum sans prévenir !

– Je sais, et crois moi, si je pouvais éviter d'en arriver là...

– Éviter ? hurla Farca hors d'elle. Mais merde, c'est trop tard, on ne peut plus revenir en arrière là ! Dès que tu as mentionné Xipar, tu ne m'as plus laissé le choix ! Soit je dis oui, soit un de nous deux doit se barrer du groupe ! Et quand je dis un de nous, c'est clair que ça va être moi, parce que...

– Non, ce sera...

– Arrête, on sait tous les deux que si ce groupe tient la route plus de deux secondes, c'est parce que tu es à la barre ! Sans toi, on ne ferait pas deux mètres sans se retrouver au fond d'un fossé ! Bordel, si je ne t'avais pas rencontré à Cressia, je serais peut-être morte aujourd'hui !

– Et moi, je le serais définitivement. Et je ne fais pas simplement allusion à tes talents d'alchimiste.

La naine fronça les sourcils, détaillant le bretteur d'un œil critique, le mettant au défis de la convaincre qu'il ne se payait pas sa tête.

– J'ai peut-être su mener ce groupe, mais c'est toi qui nous garde la tête hors de l'eau. Tu as certes des rêves, tu restes une réaliste dans l'âme. Quand les choses partent de travers, tu gardes la tête sur les épaules et trouve toujours la meilleure des solutions. Je suis peut-être doué pour les grands-discours et élaborer des stratégies, mais tu es le membre de ce groupe sur qui tout le monde peut compter. Pas une seule fois tu nous a laissé tomber. Honnêtement, si tu veux atteindre ton but de découvrir le laboratoire des Origines, tu n'es plus obligée de nous suivre. Si tu nous quittait maintenant, deux nations entières se plieraient en quatre pour t'épauler dans tes recherches. Pourtant, tu es avec nous, et ça, ce n'est pas parce que tu attends quelque chose de nous, mais parce que tu sais que nous dépendons de toi. Bélial a peut-être l'âme la plus pure et la bienveillante que je connaisse, mais toi, sous tes airs de kleptomane, tu es la générosité incarnée à mes yeux. Et c'est pour ça que tu es la seule vers qui je peux me tourner avec ça.

Farca détourna le regard en serrant les poings. Ce qui l'enrageait le plus, c'était qu'il avait raison sur toute la ligne. Bien qu'elle était tentée de refuser et le laisser se débrouiller rien que pour lui donner tort, elle ne trouvait pas la force de l'abandonner. Pas quand il semblait prêt à lui confier sa vie et plus encore.

La sang-mêlée cracha par terre, ferma les yeux et se redressa en inspirant profondément.

– Je jure sur Xipar l'Éminent de ne pas trahir ta confiance. Maintenant explique moi ce qui se passe avant que je ne t'oblige à t'asseoir sur ton épée jusqu'à la garde.

En grimaçant, Sieg se tourna vers le gardien qui attesta être témoin de ce qui se passait. L'écarlate soupira et dévisagea Farca.

– S'il m'arrive quoi que ce soit, je veux tu lises cette lettre et appliques les consignes appropriées dans l'ordre. J'ai envisagé plusieurs raisons qui m'empêcheraient de continuer à voyager avec vous ainsi que les meilleures façons pour vous de réagir dans chaque cas. Tu ne dois en aucun cas en parler aux autres, ils ne peuvent pas savoir.

La naine pesa la lettre dans ses mains, estimant qu'elle contenait une vingtaine de pages. Elle avait du mal à croire qu'il ai pu prévoir tant d'options en une après-midi, l'écarlate avait clairement réfléchi à tout ceci depuis un moment. S'il s'était senti obligé de lui donner cette lettre maintenant, ça ne pouvait signifier qu'une chose : il doutait de ses chances de survie. Elle aurait juste aimé savoir ce qui l'inquiétait autant si soudainement.

– Bordel, vous m'aurez tous fait chier jusqu'au bout, c'est pas vrai... Mais bon, une promesse est une promesse... Et toi, de ton côté, tu as intérêt de ne pas me donner une bonne raison de lire ce qu'il y a là-dedans, c'est clair ?

Sieg hocha la tête pendant que la naine fourrait sa lettre dans son sac.

– Et toi Adam, je compte sur toi pour ne rien dire aux autres non plus.

Le gardien fixa l'écarlate en silence, comme s'il essayait de scruter son âme.

– Affirmatif ! En Échange, Tu Dois Veiller À Ce Que Ton Intégrité Physique Ne Soit Pas Compromise.

Ravi, Sieg posa sa main sur l'épaule d'Adam en lui souriant.

– Tu as ma parole, mon ami.

Sur ces bonnes paroles, l'écarlate s'éloigna du gardien et l'alchimiste qui le regardèrent s'éloigner avec inquiétude. Si le plus expérimenté d'entre eux commençait à craindre les aléas du futur, les prochains jours s'annonçaient bien sombres.

Le bretteur se dirigea vers sa destination d'un pas rapide, s'arrêtant devant l'entrée du temple dont il détailla l'imposante entrée. La façade du bâtiment était flanquée de colonnes sans fioritures, pas une seule fenêtre ne donnait sur l'intérieur. Le culte de Vauracia était l'un des rares qui prônaient le secret et tentait de rester discret.

Sieg s'approcha d'un des gardes postés à l'entrée qui lui fit signe de rester où il était.

– Navré, mais le haut prêtre est en plein milieu d'une cérémonie importante, les visiteurs ne peuvent pas entrer. Veuillez revenir demain.

– J'imagine, mais il est important que je lui parle justement, déclara l'épéiste. Si vous pouviez juste lui annoncer que le vagabond de Gargor demande à le voir, je pense qu'il sera de mon avis...

Les deux gardes écarquillèrent les yeux. Depuis qu'ils étaient en poste ici, ils avaient du retenir bien des consignes, et l'une des plus importantes venait d'être invoquée. Ils échangèrent un regard incertain avant que l'un d'entre eux se dévoue.

– Restez ici, je vais vérifier.

Il entrouvrit la porte, laissant filtrer dans la rue des cris de paniques et d'autres hurlements inaudibles. Sieg ne broncha pas, connaissant assez l'église pour ne pas être perturbé. Deux minutes plus tard, le garde revint et invita le bretteur à le suivre.

L'écarlate entra dans l'église, attardant à peine son regard sur les rangées de bancs qui n'étaient plus alignées face à l'autel. Le manque de décorations ne l'étonna pas de la part d'une religion aussi pieuse, la sobriété du lieu n'étant perturbé que par la cérémonie qu'il venait d'interrompre.

Plus loin, une dizaine d'hommes en bure tenaient péniblement des cordes qui s'enroulaient autour de la taille et les membres d'une femme lévitant deux mètres au-dessus du sol. Son teint était blafard et ses cheveux grisonnants étaient hérissés dans tous les sens, lui donnant l'allure d'un soleil sombre et dément.

– Bande de larves impotentes ! hurla la femme d'une voix qui semblait en mêler plusieurs. Vous croyez pourvoir faire quoi face à...

– Oh la ferme... gronda un ecclésiastique en allant la rencontre de Sieg. Les possédés, je vous jure... Toi, je ne m'attendais pas à te revoir de si tôt !

– Je dérange, peut-être ? demanda avec une inquiétude feinte le bretteur en fixant la possédée qui déversait des litres de vomi sur les moines.

– Toi ? Non ! s'exclama le prêtre en écartant les bras. Après ce que tu as fait à Gargor, tout notre ordre t'en dois une ! Et puis, ce n'est qu'un esprit faible, il peut au pire nous vexer et salir nos vêtements, rien de bien méchant ! Il peut attendre dix minutes...

Après avoir patiné sur un sol rendu glissant, plusieurs moins perdirent l'équilibre et s'écroulèrent. Profitant du leste gagné, la possédée se mit à voler dans tous les sens, forçant plusieurs personnes à lâcher prise à leur tour. Un seul homme persista à s'accrocher à sa corde et se retrouva traîné sur le sol couvert de vomis en hurlant alors que la possédée riait comme une démente en faisant des tours de la pièce. Les premiers moines à avoir retrouvé l'équilibre se mirent à courser la cible de leur exorcisme, donnant lieu à une course poursuite que Sieg observa un moment.

– J'avoue que comparé à ce qui s'est passé à Gargor...

– Tu vois ? Mais bon, vu la dangerosité de l'esprit, je n'ai fait venir que des novices pour cette cérémonie, il faut qu'ils apprennent sur le tas. Allez, suis moi, on va discuter dans mon bureau pendant que mes adeptes gardent les choses sous contrôle ici.

Faisant bien attention à où il mettait les pieds, Sieg suivit le prêtre alors que des cris de paniques et des rires continuaient à résonner.

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