Chapitre 67 : En quête de ténèbres

Après une longue réunion où nul espoir semblait permis, enfin une faible étincelle commençait à éclairer l'obscurité. Il existait un moyen pour eux de rejoindre le monde des ténèbres où reposait probablement la dernière porte. Cependant, une voix vint ramener tout le monde sur terre.

– Je ne doutes pas de votre capacité à ouvrir ces portails, Maîre Sieg, grommela Nolasia. Cependant, nous n'avons pour le moment aucune preuve définitive que la porte de l'avarice ne se trouve pas ici, comme les autres. Je peux comprendre que votre théorie tient la route vu que c'est la seule dont nous ignorons l'emplacement, mais avant de nous mettre à explorer un monde dont nous ne savons rien, peuplé de races probablement aussi puissantes que les démons qui ont faillis causer notre perte il y a quatre mille ans, nous devrions au moins nous assurer que la porte n'est pas ici.

Les paroles pleines de bon sens du comte calma les ardeurs de tous, les poussant à réfléchir.

– Oui, il a raison... soupira Leron. Sans oublier que, même si nous apprenions avec certitude que la porte est là-bas, nous ne saurions pas où exactement. Oublions le paysage politique qui doit y exister, nous ne savons rien de la géographie du monde des ténèbres. Y chercher une porte qui, comme les nôtres, est sûrement cachée quelque part, serait à la limite de l'impossible sans aide locale.

– Que nous aurions du mal à obtenir... conclut Sieg. Oui, je comprends vos points de vue. Je ne suis pas en train de clamer que la porte est bien là-bas, mais nous ne pouvons pas rester aveugle devant cette possibilité qui n'est pas hors de notre portée. Cependant, sans piste sérieuse pour la localiser, nous naviguons à vue. Si ça se trouve, Saga sait pertinemment bien où est la porte de l'avarice. Le connaissant, il a du passer ces cinq dernières années à toutes les traquer, ne passant à l'acte qu'une fois qu'il les a toutes localisées. Il ne prendrait pas le risque de montrer son jeu alors qu'il n'a pas effacé toutes les inconnues.

– Si seulement nous pouvions mettre la main sur un de ses lieutenants, quelqu'un d'assez haut placé pour connaître ses secrets... se plaignit Cédric. Que nous sachions une bonne fois pour toute où il va frapper ensuite...

– Si seulement il n'avait pas détruit toutes les pierres de communication à Hydralia... gémit Ahmés. Si nous avions pu en conserver ne serait-ce qu'une seule, je suis sûr que des mages pourraient s'en servir pour espionner toutes les conversations entre les forces de Saga...

Farca se mit mentalement une centaine de coups de pieds dans l'arrière train. Elle avait complètement oublié plusieurs détails de cette soirée, dont un d'une importance capitale. Dans un mouvement lent emprunt d'un embarras sans fin, l'alchimiste plongea sa main dans son sac et posa un objet sur la table dans un tintement impossible à ignorer. Tous les regards convergèrent sur la pierre qui reposait devant eux, hypnotisant vite ceux qui la reconnurent. Les yeux ronds, Sieg se tourna vers la naine qui baissait les yeux.

– Ne me dis pas que tu avais ça avec toi depuis tout ce temps ?

– Je l'avais fourrée dans mon sac pour être sûre que je ne sois pas découverte si on essayait de me contacter. Puis, avec tout ce qui s'est passé, je n'avais pas pensé à vérifier si Saga avait réussi à la détruire en même temps que les autres. Il semblerait que mon sac l'a protégée...

Se retenant d'incendier Farca pour un tel oubli le soir où elle avait causé la mort de son demi-frère, le bretteur tendit la main vers la pierre de communication mais se retint au dernier moment.Ce genre d'objet réagissait aux pensées de la personne qui la tenait. Rien qu'en la touchant, il lui suffirait d'avoir une pensée pour son frère pour qu'elle le mette en relation avec lui, dévoilant ainsi cet ultime atout qu'ils avaient en leur possession. Un avantage que l'arcaniste n'hésiterait pas à leur retirer d'un claquement de doigt.

Sieg retira sa main et fit signe au roi qui restait ébahi face à ce retournement de situation.

– Votre Majesté, nous devons au plus vite contacter des mages spécialisés en sorts de télépathie et de transfert. Avec le rituel approprié, nous devrions pouvoir extraire l'information de notre choix de l'esprit de Saga.

– Pourquoi une seule ? s'égosilla un noble. Nous pourrions apprendre tout ses plans ! Ou même lancer une attaque mentale et le tuer sans même avoir à le trouver ou l'approcher !

Brutal et sournois, mais vu le morceau en face, j'avoue que l'option est à considérer...

– Face à n'importe qui d'autre, je pencherais moi même pour la seconde option, acquiesça l'écarlate. Cependant, n'oubliez pas à qui nous avons affaire. Saga a eut quatre mille ans à préparer son plan, ce qui, pour un génie de la magie, implique qu'il a dû prévoir que quelqu'un s'en prendrait indirectement à lui. Même pendant la guerre du Crépuscule, il repoussait sans broncher les attaques mentales des mages démoniaques, et je les ai vu plier sans mal l'esprit de nos soldats. Si j'ai pu y résister, ce n'est que parce que Saga m'avait protégé avec des sorts qui ont servi de prototypes à ceux qu'il utilise actuellement.

– Alors être gourmand pourrait se retourner contre nous... grinça Farca. Vu comme ça, c'est clair que nous ne pouvons pas faire n'importe quoi. J'imagine qu'il le remarquerait tout de suite si quelqu'un essayait de lui bousiller le cerveau... Alors, une seule information...

– Deux choix sont possibles. La première option serait de localiser la porte de l'avarice. La deuxième, trouver où se cache Saga.

– Nous devrions opter pour cette seconde option finalement, suggéra Leron. Si nous pouvons mettre la main sur lui rapidement, nous n'aurons même pas besoin de...

– Nan, c'est une idée à la con. On va trouver la porte.

Abasourdi, le noble dévisagea Bélial comme si elle venait de le gifler avant de lui cracher au visage en riant. En voyant l'incompréhension dans le regard de l'intéressé, la démone soupira et posa sur lui un regard condescendant.

– Sérieux, c'est moi qui doit t'expliquer un truc aussi basique ? Saga, c'est pas un bouffon, c'est le meilleur mage du monde. Si trois clampins vont lire ses pensées, ils vont se faire griller en une seconde. Tu crois qu'il va faire quoi après ça ? Poireauter pendant trois plombes là où il est ?

Peu probable, en effet... La prudence a été son maître mot jusqu'ici. Il a toujours méticuleusement préparé ses plans et déteste les voir partir de travers... S'il sent que sa cachette est compromise, il ne perdra pas un seul instant avant de détaler dans un autre refuge. Je vous rappelle que nous faisons face à un mage capable de téléporter des armées entières et qui agi sur le plan mondial. Des repères, il ne doit pas en manquer...

– Alors que la porte, c'est une autre histoire... ajouta Farca en se massant le menton. Ce n'est pas comme si il pourrait la déplacer rien que par la force de son esprit. Au pire, s'il découvre que nous savons où elle est, il pourrait accélérer ses plans la concernant, mais au moins, nous saurons où agir.

– Vous semblez oublier que les autels du continent son condamnés, grogna quelqu'un dans l'assemblée. Si la dernière porte se trouve à Legenia, c'est terminé, il faudra obligatoirement voyager à pied jusqu'à elle, ce qui pourrait prendre des semaines, voir des mois si elle est de l'autre côté du continent.

– Mais si elle est bien dans le monde des ténèbres, il nous suffirait de trouver un portail, rappela Sieg. Si nous pouvions en localiser un dans une autre région du monde...

– Je pense que nous pouvons vous aider là-dessus... intervint Panaros en faisant signe à Cédric qui s'inclina avant de sortir de la salle. Nous avons dans notre bibliothèque un ouvrage écris par un mage qui s'est fasciné de ces portails, il me semble qu'il a noté l'emplacement de tous les portails connus.

Farca ouvrit la bouche pour parler mais fut interrompue par Lorelya qui lui tira la manche et lui avoua qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait. Se souvenant que l'archère ne parlait pas le danatalien, l'alchimiste décida de s'excuser et entraîna avec elle la verdoyante hors de la salle de réunion pour lui résumer la situation. Le roi leur donna son accord et ordonna à un garde qui attendait dehors de les escorter dans un salon où elles pourraient être à l'aise.

Une fois les demoiselles sorties, le souverain donna des instructions pour que la pierre de communication soit étudiée dans les plus brefs délais afin de préparer l'invasion mentale qui devait leur apporter la réponse qu'ils convoitaient. L'objet fut récupéré par des mages qui disparurent rapidement quand Cédric revint avec un épais ouvrage sous le bras.

– Veuillez m'excuser pour l'attente, mais j'ai trouvé le traité que vous désiriez. Portails démoniaques et voyages dimensionnels, de Fidon Dardo.

Le majordome présenta le livre à son souverain qui le posa devant lui et l'ouvrit. Tous se levèrent et se rassemblèrent autour de lui pour examiner son contenu. Des pages furent tournées, ignorant les parties qui faisaient allusion à la théorie des transferts dimensionnels qui étaient trop pointues pour des non initiés. Une gravure entra dans le champs de vision de la barbare qui glaça son sang. Elle arracha l'ouvrage des mains du monarque pour mieux l'examinant, indignant sa cour.

– Mais allez-y, ne vous gênez pas ! cria Leron. Ce n'est pas parce que vous êtes une alliée de Maître Sieg qu'il faut vous croire...

– C'est pas vrai... lâcha la démone d'une voix tremblante. Dites mois que c'est une connerie... C'était si près de nous ?

La jeune femme tomba à genoux, laissant l'ouvrage lui échapper des mains. Paniqué, le bretteur s'agenouilla à ses côtés et la secoua. Il vit qu'elle était pale et tremblait légèrement.

– Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu n'es pas dans ton état normal !

C'est le livre... Cette page, elle montre à quoi ressemble un portail. Et nous l'avons déjà vu quelque part...

– Hein ? explosa Sieg, incrédule. Mais... Mais où ? Nous avons voyagé partout ensemble, et je ne me souviens pas avoir...

– Mon village...

Bouche bée, Sieg fixa sa partenaire qui se recroquevillait sur elle même alors qu'elle faisait face à une réalité aussi absurde que cruelle.

– Dans ce qu'on appelle la salle des cérémonies, il y a un drôle de symbole... C'est le même que dans le livre. Ça veut dire que mes ancêtres se sont installés près d'un des portails quand ils ont été bloqués dans ce monde. Peut-être qu'ils pensaient qu'il finirait par se rouvrir. Ils ont attendus si longtemps de pouvoir renter chez eux que nous avons fini par oublier pourquoi nous avons bâti le village là. On pensait que c'était juste pour rester cacher des humains et les autres... Mais en fait, on a oublié d'attendre... Si Tyrian avait su que la clé pour rentrer chez nous était juste là, peut-être qu'il aurait essayé d'ouvrir le portail au lieu d'essayer de partir en guerre avec le monde de la lumière...

Les nobles autour de Bélial réalisèrent peu à peu le sous-entendu derrière les mots de la jeune femme. Comprenant qu'ils avaient devant eux une descendante des démons qui avaient envahi leur monde des millénaires plus tôt, ils échangèrent des regards lourds de sens, se demandant s'ils devaient la faire enfermer par sécurité.

Le roi remarqua leur petit manège et leur fit comprendre sans un mot que le premier qui tenterait de nuire à la barbare subirait sa pleine colère. Ceci leur fit penser à Sieg dont la colère ils craignaient plus encore, étouffant dans l'œuf tout projet de complot contre Bélial.

L'écarlate prit sa partenaire dans ses bras et lui souffla des paroles réconfortantes pour la calmer. Ahmés en profita pour reporter l'attention de la cour sur lui pour leur laisser un moment de répit.

– Nous devrions vérifier si ce Dardo ne nous a pas donné plus d'information utile, vous ne croyez pas ? déclara le musicien en ramassant le livre. Même si Sieg sait comment rouvrir un portail, il serait sot de ne pas essayer d'en apprendre d'avantage.

– Oui, vous avez raison Maître Ahmés, encouragea Panaros en indiquant à sa cour de s'intéresser à autre chose que la démone en pleine crise existentielle.

Le roi fit mine de s'intéresser au livre mais ses pensées étaient ailleurs. Bien que de nombreuses pistes s'ouvraient à eux, aucune ne garantissait de les mener sur la bonne voix. Sans oublier la guerre qui menaçait d'engloutir son royaume affaibli par la perte d'une large partie de l'armée. Panaros avait beau faire bonne figure, il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter pour l'avenir de sa patrie, même quand le monde entier était au bord du précipice.

Au dessus de leurs têtes, à une lucarne, un oiseau assistait à la scène, passant complètement inaperçu. Blanc comme la neige et le regard aussi limpide que le cristal, le volatile ne perdait pas une miette des échanges. Puis, comme s'il en avait reçu l'ordre, il déplia ses ailes et s'envola en direction de la ville.

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