Chapitre 66 : Prestance divine

Les secondes s'égrenèrent dans une tension tellement palpable que l'on pourrait nager dedans. Pas un regard ne guettait les réactions de Sieg, assis avec un air morose, tapotant la table de ses doigts dans un rythme sinistre qui faisait penser à une marche funeste pour ceux qui devaient l'écouter.

Bélial savait que l'écarlate était à deux doigts de simplement abandonner le projet de dévoiler la présence de Raya pour assurer sa sécurité, ce qui lui fit plaisir en un sens. Mais elle avait fait son choix, aussi dangereux était-il, et la jeune femme pouvait compter sur le soutien de son partenaire.

Lorelya avait tenté de tirer les vers du nez de ses compagnons, mais elle n'avait eu pour réponse que des regards gênés alors qu'on lui répondait qu'il serait immensément plus simple pour elle de comprendre si elle faisait preuve de patience. On lui affirma cependant qu'ils comptaient lui en parler de toute façon, que si ça n'avait pas encore été fait jusqu'à cet instant, ce n'était que par manque de matériel et d'occasions où ils ne seraient pas espionnés. Bien que les arguments étés logiques, l'elfe ne pouvait s'empêcher de se sentir quelque peu trahie de ne pas avoir été mise dans la confidence plus tôt.

Après une interminable attente, Cédric revint en compagnie de deux serviteurs qui soufflaient comme des bœufs en poussant un large miroir qui ne pouvait passer la porte qu'en étant incliné. Ils le placèrent dans un coin de la pièce selon les consignes de Sieg avant d'être congédiés.

– D'ailleurs, s'il y a qui que ce soit ici qui ne veut pas entrer dans la confidence au péril de sa vie, ceci est votre dernière occasion de partir.

Les nobles se regardèrent avec une gêne notable. Timidement, trois d'entre eux se levèrent et s'excusèrent auprès de leur souverain qui leur donna sa permission de se retirer. Une fois ces personnes parties, Adam fut posté dehors devant la porte de la salle de réunion pour empêcher les oreilles indiscrètes de les épier.

Le bretteur se dévisagea dans le miroir, n'en revenant pas qu'il s'apprêtait à révéler ainsi un tel secret. Il prit une grande inspiration, sortit une dague d'un pli de son manteau et s'entailla la main gauche. La cour sursauta, personne ne s'étant pas attendu à un tel acte. Cependant, à mesure que Sieg peignait un symbole sur le miroir, certains nobles commencèrent à comprendre.

– Un sceau de l'œil absolu ? commenta Nolasia. Avec ça, nous pouvons être au moins sûr que vous ne nous mentez pas.

– Ou tout simplement que vous pensez ce que vous nous direz... grommela quelqu'un. Il faut plus que votre certitude pour nous convaincre que les dieux d'or n'ont pas voulu être sacrifiés.

– Dans ce cas, pourquoi ne pas leur poser directement la question ? soupira Sieg en activant le sceau.

L'écarlate activa le sceau en murmurant le sort, baignant le miroir de magie. Quelque chose apparut lentement dans la glace, poussant les spectateurs à plisser les yeux pour mieux cerner la forme qui enveloppait Bélial.

J'aurais vraiment préféré ne pas en arriver là... résonna une voix éthérée qui fit sursauter les nobles et le roi. Malheureusement, nous ne pouvons pas prendre le risque de voir les dieux d'or revenir...

– Mais quelle est donc cette chose ? paniqua quelqu'un en se levant. Cette femme est possédée ?

– Oui, et je pense que vous pouvez deviner par qui, vu notre conversation jusqu'ici... grogna Farca qui était déjà fatiguée.

Des nobles écarquillèrent les yeux, devinant sans mal ce qu'on leur révélait. Lisant le doute dans leurs yeux, l'esprit reprit la parole.

Oui, je suis bel et bien Raya, Déesse d'or de la lumière, une des cinq premières déités de ce monde. J'ai passé d'innombrables millénaires à passer d'une hôte à une autre, observant le monde des mortels sans pouvoir en profiter moi même.

Surpris par cette déclaration, Panaros détailla le visage de la démone qui se contentait de hausser les épaules avant de se concentrer sur l'aura dans le miroir.

– J'ai énormément de mal à croire que je suis bien en train de parler à une déesse, mais le sceau prouve que vous n'essayez pas de nous tromper. Alors soyez franche avec nous je vous pie. Comment ont été scellés les Déchus ? Dame Bélial nous a-t-elle dis la vérité ?

La plupart des nobles encore présents commencèrent à regretter de ne pas être partis quand on leur en avait laissé l'occasion. Ils n'avaient pas réalisé qu'ils seraient en mesure d'interagir avec l'une des déesses les plus importantes de l'ère du Chaos, leur donnant un sentiment d'insignifiance qu'ils n'avaient jamais ressentis avant.

Bél vous a dis la vérité...Moi et mes semblables ne sommes pas derrière le scellement des Déchus. Tout ce que nous avons été en mesure de faire, c'était nous battre et fomenter des plans qui ne donnaient pas de résultats. Nous n'arrivions pas à vaincre l'ennemi où à purifier ceux qui étés corrompus par leurs péchés. Nous avons ignoré les mortels, ces races que nous avons jugé insignifiante, une erreur imitée par les Déchus, et les deux camps en ont fait les frais. Pour assurer leur propre survie, les mortels ont arraché notre puissance divine de nos âmes et s'en sont servis pour enfermer les Déchus dans des pierres magiques. Ils ont alors utilisé ce qu'il restait de nos pouvoirs pour faire deux choses. La première fut de créer des sanctuaires dont ils ont condamné les portes avec un puissant sort de protection. La seconde a été de lier les âmes des Dieux d'or aux leurs, nous privant de notre liberté.

– Mais... Pourquoi ? bafouilla Nolasia qui n'en revenait pas que les premiers mortels avaient créé un sort ayant mit en échec les douze déités les plus puissantes du panthéon. Après vous avoir déjà trahi, pourquoi vous infliger ça en plus ?

Sûrement par terreur... Même dépossédés de nos pouvoirs et même de nos corps, rien garantissait que nous ne serions pas capable de puiser dans la mana pure qui nous avait vu naître pour regagner nos forces et nous venger. Et sans leurs meneurs, les autres dieux ont non seulement perdu leur désir de se battre, mais ils ont gagné la liberté d'agir à leur guise. Je dois admettre que nous avions pour habitude de régir le moindre aspect de leurs existence, alors si notre disparition était le prix de la paix, ils n'allaient pas... se faire prier...

Sieg fronça les sourcils avant de partager la consternation qui venait de frapper l'assemblée.

– Sérieusement ? Tu n'as rien trouvé de mieux qu'une blague à deux pièces d'argent pour faire ton intéressante ?

Non, je ne voulais pas amuser la galerie... Je me suis rendue compte de la connerie que j'allais dire et je l'ai regrettée avant même qu'elle ne sorte...

Connerie... La majorité des mortels présents crurent faire une attaque en entendant une déesse parler aussi grossièrement. Beaucoup d'illusions s'effondrèrent en cet instant.

Après avoir obtenu une rapide traduction de la part de Farca, Lorelya se racla la gorge, obtenant l'attention de Raya.

– Si j'ai bien compris, vous n'avez plus vos pouvoirs ? Vous ne pouvez pas les récupérer en puisant dans la mana du monde, comme vous venez de le mentionner ? Je suis bien placée pour savoir que la nature seule a encore...

Ce n'est pas comparable... La magie qui subsiste ici ne représente qu'une bribe du pouvoir infini qui a tout créé. La source de la mana d'où tout est né est désormais hors de notre portée. Quand les trois mondes de la lumière, des ténèbres et des divins se sont séparés, l'origine de la magie est restée isolée de ses trois plans, inaccessible même pour les dieux.

– Les trois mondes n'en faisaient qu'un ? s'exclama Nolasia. Mais alors, les démons que nous avons affronté il y a quatre mille ans ont les mêmes origines que nous ?

– Nous parlerons de tout ça plus tard, le coupa le roi. Pour le moment, je relève surtout que, même si nous libérions les Dieux d'or, ils ne seraient pas assez puissants pour vaincre les Déchus...

Ce qui n'est pas une mauvaise chose... Si nous pouvions récupérer nos pleins pouvoirs, la fin du monde serait garantie.

– Une confrontation entre les déchus et les Dieux d'or serait vraiment si cataclysmique ? s'étrangla Leron. Je me sens si sot d'avoir suggéré un plan si stupide ! À quoi bon arrêter les Déchus s'il ne reste plus rien à la fin ?

– Ce n'est pas ça qui pose vraiment problème... grommela Sieg. Vous pensez que nous serons anéantis parce que nous deviendrions des dommages collatéraux. Malheureusement, nous ne serions pas si chanceux...

Leron se mordit la langue. Il se refusait à imaginer ce que sous-entendait l'écarlate, promettant une réalité terrifiante. Raya ne prit cependant pas ses craintes en compte avant de continuer.

Dans le temps, j'avais un surnom : la Clémente. De tous les dieux, j'étais celle qui pardonnait le plus aisément les erreurs des autres. Ce qui n'est pas compliqué si on considère que même des dieux mineurs pouvaient détruire un continent jusque parce qu'on le bousculait. Alors si je vous dis qu'il m'a fallu des siècles pour pardonner les mortels pour leur trahison, que j'avais pris plaisir à vous torturer pour me passer les nerfs avant de comprendre que rien de ce que je pouvais vous faire égalerais la cruauté que vous vous infligez vous même, imaginez ce que doivent ressentir les quatre autres. Pour vous donner un indice, chacun d'entre eux est bien moins tolérant que le reste du panthéon réuni...

Le roi se pinça le nez en soufflant par la bouche.

– Décidément, plus nous en apprenons, plus je viens à penser que nous sommes maudits des dieux... Si les déchus nous détruiraient parce que c'est dans leur nature, les Dieux d'or nous annihileraient pour le plaisir...

Si j'avais pu récupérer mes pleins pouvoirs avant de me prendre d'affection pour vous, je sais que je n'aurais pas hésité à incinérer ce monde dans une brillante déflagration de lumière. Et croyez moi, vous ne voulez pas imaginer les cauchemars dans lesquels Songia pourrait vous enfermer... Si un seul des autres venait à retrouver sa vraie nature, ce serait...

– Les trois mondes n'en faisaient qu'un...

Plusieurs regards interrogateurs se tournèrent vers Sieg qui était plongé dans ses pensées, ne semblant pas avoir suivi le reste de la conversation.

– Oh, ne fais pas ta Bélial, toi ! lui reprocha Farca en le secouant. On est passé à autre chose, essaye de suivre un peu !

– Et toi, tu devrais ralentir un peu si tu ne veux pas ignorer les détails importants, rouspéta l'écarlate. Suis-je vraiment le seul qui vient d'avoir une idée en entendant ça ?

Un rapide tour de table confirma que non, épuisant le bretteur qui se retint de grogner.

– Faisons la chronologie des événements, vous voulez bien ? Les Déchus ont été scellés. Puis, le monde s'est divisé en trois. Des millénaires plus tard, nous ne connaissons l'emplacement que de six portes. Vous voyez où je veux en venir ?

Alors que l'on se demandait si Sieg ne travaillait pas trop et avait besoin de s'allonger, l'alchimiste se frappa le front en lâchant une injure en nain.

– Putain que je suis conne ! J'aurais dû y penser, c'est tellement évident !

– Hein ? commenta Bélial qui avait l'impression de marcher en plein brouillard. Comment ça ?

– Oh bon sang ! s'exclama le roi en posant sa main devant sa bouche. Comment avons-nous pu écarter cette hypothèse sans même y penser ?

– Vous avez compris ce qu'insinue Maître Sieg ? s'étonna Nolasia. Je vous avoue que je ne vois toujours pas.

– C'est assez simple, expliqua l'écarlate. Nous avons cru que les sept portes se trouvaient dans le monde de la lumière parce que nous y avons identifié six. Hors, elles n'ont pas été créées ici précisément, puisque tout ça remonte à avant la division des mondes.

Enfin, la réponse frappa ceux qui peinaient à suivre. Ils avaient manqué de recul, oubliant un détail crucial.

Le monde des ténèbres... Rien n'empêche la porte de l'avarice de se trouver là-bas...

La déclaration eut l'effet d'une claque sur Bélial. On parlait du monde d'origine de son peuple. Bien qu'elle s'était souvent demandé à quoi il ressemblait, la démone n'avait pas envisagé y aller un jour. Et pourtant, si la dernière porte s'y trouvait, s'y rendre pourrait bien être la clé de la victoire contre Saga.

– Mais c'est fantastique ! s'écria un noble. Les portails qui reliaient nos deux mondes ont été scellés, il est impossible de...

Son visage se décomposa, repensant à la raison pour laquelle les mondes de la lumière et des ténèbres n'étaient plus connectés. Sieg soupira et résuma ses pensées.

– Oui, les mondes sont séparés parce que Tosagaram a fermé les portails. Ce qui veut aussi dire qu'il est le plus à même de les rouvrir...

– C'est pire que ne pas savoir où est cette fichue porte... se lamenta Leron. Si vous avez raison, nous n'avons aucune chance d'arrêter Saga... Nous ne pouvons pas deviner quel portail il pourrait rouvrir. Déjà que nous ne savons pas où ils se trouvent tous...

– N'oubliez pas que je suis là...

Le bretteur attira tous les regards, souriant comme un joueur de cartes qui allait poser son atout et rafler la mise.

– Ne me dites pas que vous avez oublié qui était son assistant et l'a épaulé dans tous ses travaux... Tout ce qu'il sait concernant la fermeture des portails, je l'ai appris à ses côtés. Y compris comment inverser le processus.

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