Chapitre 64 : Visages du passé
Farca se pinça l'arrête du nez en se demandant comment la situation allait évoluer. Une partie d'elle savait que ce jour viendrait, que le monde finirait par apprendre la véritable identité de l'écarlate, mais elle avait espéré qu'ils auraient au moins le contrôle sur la propagation de la révélation. Malheureusement, en vendant la mèche dans les premières minutes de leurs retrouvailles, Larya avait poussé un premier domino qui avait mené la cour de Danatal à découvrir le secret avant même qu'ils ne puissent rentrer.
L'alchimiste étudia les expressions des généraux et autres nobles présents. Pas loin d'elle le comte Nolasia était le plus déstabilisé, la menant à comprendre qu'il apprenait à l'instant ce secret. Pourtant, bien qu'il assimilait encore l'ampleur d'une telle révélation, la naine n'avait pas l'impression qu'il doutait de la véracité de celle-ci. Au contraire, on aurait dis qu'un de ses doutes venait juste de s'envoler.
Le reste de la salle n'était pas aussi convaincue que lui. Ou du moins, elle était à présent hésitante. La certitude dans l'intervention de Bélial et les mots de Panaros avaient semé le trouble dans les esprits de l'assemblée. Ils n'avaient pas cru en l'identité secrète de Sieg jusqu'à maintenant, mais le mépris qui avait régné dans leurs yeux venait d'êtres remplacé par le doute. Ils n'étaient pas convaincus, mais ils ne semblaient pas pour autant fermés à la possibilité.
Les analyses de l'alchimiste furent coupés par Panaros qui se racla la gorge en se levant.
– Bon, je vois que nous n'allons pas pouvoir continuer dans l'état... Veuillez me suivre...
Consternés, les membres de la cour suivirent leur roi alors qu'il quittait la pièce. Sentant plusieurs regards sur lui, Sieg décida d'en faire de même, sentant que l'invitation leur était aussi adressée. Panaros guida le groupe à travers son palais avant de s'arrêter devant une vaste porte gardée par deux hommes qui le saluèrent avant de l'ouvrir.
Farca ressentit un picotement dans ses doigts quand elle vit l'or briller avant même que le contenu de la salle devienne distinguable. Le roi venait de leur ouvrir la porte de la trésorerie de Danatal, une pièce immense débordant de pièces, bijoux et œuvres d'art trop précieuses pour être exposées même dans les couloirs du palais. Réalisant qu'elle commençait à saliver, la kleptomane s'essuya la bouche et réalisa que ses cinq compagnons venaient de se déployer autour d'elle, l'empêchant de s'approcher de quoi que ce soit sans avoir à les bousculer. Bien qu'elle était vexée par leur réaction, elle savait qu'ils étaient justifiés.
C'est vraiment le dernier moment pour entraîner cette détrousseuse ici... Déjà que la confiance que la cour a en Sieg est fragilisée...
Ignorant les richesses qui l'entouraient, Panaros se rendit de l'autre côté de la salle, arrivant devant une double porte en fer sertie de joyaux. Quelqu'un lâcha un cri de stupeur qui interpella tout le monde.
– Ne me dites pas... La rumeur serait donc vraie ? Je pensais que ce n'était qu'une histoire sans fondement !
– Et pourtant, c'est bien vrai... déclara le roi en sortant de sa poche une clé en or. Comme vous le savez tous, l'église des Neuf Sauveurs a interdit les représentations trop fidèles de ces héros. Dur de déifier des individus quand une personne peut regarder leur image et dire que l'un d'entre eux leur fait penser à un cousin germain. Tous les tableaux et sculptures les représentant ont été détruits par l'église, mais mes ancêtres ne l'entendaient pas de cette oreille et je partage leur avis. Si nous devons le respect aux Sauveurs, alors nous devons préserver leur héritage, ce qui inclus leur apparence. Ma famille a gardée secrète l'existence de neuf statues taillées au cours de la guerre du Crépuscule avec comme modèles les Neuf Sauveurs. Je vous demanderait à tous de garder ce que vous allez voir secret, je ne veux pas avoir un autre culte sur le dos...
Une vague d'acquiescement résonna dans la salle du trésor alors que Sieg sentait le poids de plusieurs regards sur lui. Maintenant qu'ils étaient si proches d'une preuve formelle, les nobles qui l'entouraient semblaient bien plus prêts à accepter sa véritable identité.
Les portes furent ouvertes, laissant un fin jet de lumière s'immiscer dans la pièce close. Celle ci se posa sur une statue qui était exactement en face de l'entrée et l'écarlate déglutit en reconnaissant immédiatement la personne représentait. À mesure que la porte s'ouvrait, les traits de la statue représentant une splendide femme en armure devinrent plus nets, donnant au bretteur l'impression de se retrouver face à Silania, la femme qu'il avait suivi jusqu'au bout du monde des millénaires plus tôt.
La réaction de Sieg n'échappa pas à sa partenaire qui se pencha sur lui avec une expression mêlant respect et agacement.
– Ouais, bon, j'avoue qu'elle est jolie... Je comprendrais si tu me disais que tu en pinçais pour elle...
Choisis bien tes prochains mots Sieg, je sens qu'ils vont compter...
L'écarlate fit un bond sur le côté et détailla Bélial de la tête au pied alors que son visage devenait pivoine.
– Mais... Mais non ! Je la respectais, elle était la femme la plus noble et déterminée de l'époque ! Pas une seule personne n'était pas admiratifs devant sa beauté, mais pas une seule fois je n'ai eu de pensée...
Sieg se tut en réalisant que tout le monde avait les yeux rivés sur lui. Dans son embarras le plus absolu, il ne réalisa pas que son comportement venait de dissiper les derniers doutes que la moitié d'entre eux avaient en lui. Une telle réaction, si naturelle et spontanée, ne semblait pas être le résultat d'une mascarade. De son côté, la démone était satisfaite et rassurée.
– Passons... soupira le roi en faisant signe à des gardes d'éclairer la pièce. Ce qui nous intéresse est un peu plus loin...
Le groupe entra dans la salle scellée, une pièce de dix mètres sur cinq, particulièrement spacieuse quand on considérait que seulement neuf statues étaient présentes. Avec celle de Silania au fonds, les huit autres étaient alignées le long des deux murs à sa droite et sa gauche, comme pour lui former une haie d'honneur.
Ahmés ne savait pas à quoi il s'attendait, mais il n'était pas déçu. La beauté de Silania était sans égale, celle de Simétra lui faisant presque jeu égal. La représentation de Lina lui donnait un air sauvage fascinant et celle de Flavio respirait la piété. Le musicien pouvait ressentir toute la férocité dans la statue de Natas, contrebalancée dans la force tranquille qui se dégageait de celle de Zelon. Le défunt délaissa bien vite celle de Péléon, dont les traits tirés prouvaient qu'il avait vite était fatigué de poser pour le sculpteur. À la place, il suivit le regard des autres qui intéressaient à la seconde statue à droite de celle qui trônait au centre de cet autel à la gloire des Neuf Sauveurs. Il laissa un sifflement lui échapper alors qu'il reconnaissait presque parfaitement les traits de son compagnon de voyage.
La statue de Rotsala représentait une apparence plus jeune de Sieg, ce qui ne jeta pas d'ombre sur leur lien, bien au contraire. Ayant passé cinq ans dans le monde des mortels après quatre millénaires dans celui des dieux, il aurait était étonnant que le plus jeune des Sauveurs ne se serait pas défait de ses derniers traits enfantins pour une apparence plus mature. Ébahis, les membres de la cour regardaient tour à tour l'œuvre et son original sans douter de leur lien apparent.
– J'avoue que quand vous êtes venu à notre secours il y a quatre ans, j'ai cru que l'un des Sauveurs était descendu du domaine divin en personne pour me sauver... commenta le roi en fixant Sieg. Mais cette pensée absurde a quitté mon esprit, je me suis juste dis que vous deviez être son descendant. Si un jour, vous veniez à accepter de jouer un rôle plus important dans cette nation, je comptais vous amener ici et vous dévoiler vos origines. Cependant, il semblerait que ce n'était pas ma seconde impression qui était la bonne...
Ah, l'importance des premières impressions...
Sieg soupira, ne s'étant pas imaginé une seule seconde que le roi cachait un tel secret. L'écarlate ne s'était pas douté que Panaros ne lui accordait pas seulement sa confiance parce qu'il avait sauvé sa vie ainsi que celle de sa fille. Le souverain savait qu'il était lié d'une quelconque façon aux plus grands héros du monde de la lumière, fondant en lui de grands espoirs. Dans ces conditions, Panaros avait dû aisément croire que le bretteur était bel et bien Rotsala quand les waldiens lui avaient apporté la nouvelle.
– Veuillez accepter mes excuses Maître... Non, Seigneur Rotsala ! bafouilla Jodin qui ne savait plus où se mettre. Veuillez me comprendre, imaginer que j'étais en présence d'un héros ancestral tel que vous, c'était... Comment dire...
– Inenvisageable ? lui suggéra l'écarlate en secouant la tête. Vous comprenez pourquoi j'ai gardé cette information pour moi. Sans preuve à l'appui ou une confiance absolue en moi, personne de sensé ne me croirait si je déclarais être un des Sauveurs. Même le roi, qui a d'abord cru que c'était le cas, s'est lui même convaincu que je n'étais qu'un simple descendant...
– Et il est où le mal d'être ta descendance ? demanda sournoisement Lorelya avec un ton faussement accusateur.
– Oui, j'avais failli oublier cette information ! s'exclama Panaros en s'inclinant devant l'elfe. Mes hommages, princesse Lorelya. Toutes mes excuses de ne pas vous...
– Vous n'avez pas autant de manières à faire avec moi... soupira la verdoyante. J'ai été reniée par ma famille, je ne suis plus une princesse. Alors s'il-vous-plaît majesté, adressez-vous à moi comme si j'étais Bélial ou un autre de nos compagnons.
Vu le statut actuel de Sieg, rien qu'être son ami est semblable à être un saint ou même un ange, alors je pense que tu vas avoir droit à plus d'éloges que si tu étais juste une princesse... Surtout que tu es de sa famille...
– Allons, que dites-vous ! intervint Cirdan. Vous êtes l'arrière petite-fille de Rotsala, vous êtes...
– Sieg.
Ce mot n'avait été prononcé que par cinq individus, et pourtant, il avait résonné dans la salle comme un édit divin que nul mortel pouvait ignorer. L'écarlate regarda tour à tour ses compagnons qui posaient un regard sévère sur le noble qui n'osait plus parler.
– Rotsala, c'est le type qui a été invité dans le domaine divin pour y souffrir, expliqua la barbare d'une voix glaciale.
– En clair, ce n'est pas la même personne qui en ressortie quatre mille ans plus tard, continua Farca.
– Nous ne Connaissons Que Sieg. Pour Nous, Rotsala Est un Inconnu, grinça Adam de sa voix métallique.
– Il désire plus que tout oublier les calvaires qu'il a été contraint d'endurer, chose que je suis capable de comprendre, enchaîna Ahmés.
– Donc il s'appelle Sieg, conclut sévérement Lorelya. Oui, c'est un des Neuf Sauveurs, mais aujourd'hui, il vit une nouvelle vie où il n'est plus contraint de rester dans l'ombre des huit autres. Personnes n'a le droit de critiquer ses faits d'arme en les rattachant à d'autres héros. Il est digne de tout les compliments et toutes les félicitations que vous souhaitez lui accorder, alors ne le forcez pas à endosser une fois de plus le poids de son lien avec eux.
Cirdain était déstabilisé, n'ayant jamais envisagé les choses sous cet angle. Il en avait oublié que Rotsala était le moins respecté et admiré des Neuf Sauveurs, sa gloire étant étouffée sous celle des autres Sauveurs. Pourtant, les exploits de Sieg étaient irréfutables et dignes de louanges. Face à cette réalité, comment continuer de comparer l'écarlate à son passé qui ne reflétait pas sa vraie valeur ?
– Oui, vous avez raison... s'excusa le noble. Je n'aurais jamais...
– Oh bon sang ! Non, ce n'est... Mais qu'ai-je...
Le cri de panique d'un général attira l'attention du groupe sur lui. Il fixait avec horreur la statue qui était juste à droite de celle de Silania, portant ses mains à sa bouche alors qu'il titubait en arrière. Sieg détailla la statue de son frère et n'eut aucun mal à comprendre ce qui paniquait autant le pauvre homme.
– Vous avez rencontré Saga ? Quand et où ? Comment ?
– Mais... C'est impossible... Il était dans mon rêve !
– Votre rêve ? répéta Panaros, incrédule. Vous paniquez pour un simple rêve, Seigneur Sanders ?
– Où il a vu un visage qu'il n'a jamais croisé avant, lui rappela le bretteur. Sans oublier que nous parlons de Tosagaram, le meilleur mage de toute l'histoire. J'imagine qu'il ne lui a fallu que quelques minutes pour inventer un sort lui permettant d'envahir les rêves de quelqu'un.
– C'était tellement réel... J'ai fini par croire que j'étais réveillé et que j'assistais à une réunion normale... Vous étiez là, Majesté, tout comme le reste de l'état-major. Vous déclariez qu'un nouveau général se joindrait à nous et... C'était lui !
Sanders désigna la statue d'un index tremblant. Un horrible doute envahit Sieg qui attrapa par les épaules le général qui était pale comme un fantôme.
– Vous dites que vous étiez en pleine réunion dans votre rêve ? Pitié, ce n'était pas au sujet de...
Des larmes coulèrent le long des joues de Sanders alors qu'il hochait la tête.
– Le roi de mon rêve m'a ordonné de partager avec lui les détails de l'opération de la porte au sud. Je... j'ai tout expliqué... Y compris les codes secrets mis en place pour ordonner le déplacement des troupes...
Sieg sentit ses forces le quitter. Bélial lui agrippa les épaules pour l'empêcher de tomber. Panaros s'approcha de Sanders et lui attrapa le col.
– Y compris l'ordre de converger vers la porte ? De briser la règle interdisant de l'approcher de moins d'un kilomètre ?
Une fois encore, Sanders hocha la tête, ne pouvant plus articuler ses paroles.
– Bon sang... maugréa le souverain. À quand remonte ce rêve ?
– Cinq... Cinq jours... La nuit qui a précédé l'arrivée du message du clan Waldia...
– Cinq...
Panaros lâcha le général, ses mains tremblantes. Il ordonna à ce que l'on envoie un message d'alerte aux troupes sur place. Malheureusement, personne, pas même lui, parvenait à se convaincre qu'ils avaient découvert la supercherie à temps.
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