Chapitre 60 : Le début de la désolation

Après plusieurs jours de voyage sans péripéties, le convoi traversa les portes d'Hydralia. Rien qu'à cet instant, Sieg réalisa que quelque chose ne tournait pas rond.

Leur arrivée avait été retardée d'une bonne heure à cause de l'important groupe de chariots, chevaux et piétons qui s'agglutinait à l'entrée. Quand il fut assez proche, il devint évident que ce qui ralentissait autant la circulation était un contrôle intensif des allés et venus de la capitale. Leur groupe put passer sans vérification grâce à la présence du lieutenant Matthias dont le retour était attendu. Cependant, l'écarlate restait convaincu qu'il se passait quelque chose de grave.

Ils se rendirent directement au palais, passant par des rues où tout les occupants des voitures pouvaient sentir une tension palpable. L'inquiétude se lisait sur tous les visages, beaucoup d'étals n'étaient qu'à moitié remplis, de nombreux gardes patrouillaient les rues.

À peine eurent-ils pénétré l'enceinte du palais furent-ils assaillis par des soldats qui ne leur laissèrent pas le temps de s'étirer après leur long voyage. Ils furent sommés de les suivre immédiatement, mettant sur la défensive Bélial et la plupart de ses compagnons. Sieg tenta de les calmer, signalant qu'ils n'avaient rien fait de répréhensible et qu'ils ne devaient donc pas commencer.

L'équipe fut escortée à travers les couloirs du palais jusqu'à la salle du trône où ils interrompirent une réunion. Plusieurs nobles et généraux adressèrent des regards furieux aux intrus qui n'avaient pas leur place ici mais le roi Vlaran ne leur laissa pas le temps de se plaindre.

– Ah, vous êtes de retour ! s'exclama le monarque en se levant de son trône, un acte qui surprit la moitié de sa cour. J'ose espérais que votre mission s'est soldé par un succès. Je vous avouerais que tout Legenia aurait besoin de vos services.

Choqués par cette annonce, le groupe se dévisagea pour partager leur incompréhension.

– Non, malheureusement, rien ne s'est passé comme prévu... Nous comptions nous rendre à Danatal pour protéger la dernière porte accessible, mais je ne peux que redouter l'importance de vos mots, Majesté.

– Et que voulez vous que de simples gueux puissent... commença à râler un noble.

Ça ne m'avait pas manqué, l'arrogance des nantis...

Vlaran leva une main pour réclamer le silence et se rassit sur son trône, épuisé. À sa droite, Raccan fit un pas un avant sur un signe de la main de son père et développa la situation.

– Nous sommes ravis de vous revoir, malheureusement, l'heure n'est pas aux retrouvailles. Nous avons sous-estimé l'ingéniosité de l'Ordre de la Première Vérité qui s'est joué de nous tous. Moins d'un dixième de nos invités pour notre dernière fête sont rentrés chez eux. Le reste a disparu de la nature après avoir emprunté l'autel des voyages.

La révélation eut l'effet d'un coup de marteau manié par un troll sur la troupe. Plusieurs d'entre eux s'étaient demandés pourquoi aucune tentative d'enlèvement avait été relevé alors que le roi Panaros avait entendu des rumeurs sur une potentielle tentative. Ils avaient mis ça sur le compte de l'attaque de Shan qui aurait pu ruiner leurs plans, mais ils apprenaient maintenant que le projet de l'ennemi n'avait commencé qu'à la fin de la fête, quand toutes les gardes étaient baissées.

– Nous ne savons pas encore comment ils ont procédé, continua Raccan. Nous avons analysé de font en comble l'autel à la recherche du moindre signe de sabotage, mais nous n'avons rien trouvé pour le moment. Notre théorie actuelle serait que ce soient les talismans eux mêmes qui auraient été trafiqués. Cela expliquerait pourquoi certaines délégations ont put rentrer sans problème, tout comme les autres voyageurs depuis.

– Je pense que je commence à cerner la situation... souffla Sieg en se pinçant l'arrête du nez. Ceux qui ont pu rentrer chez eux sont les représentants de nations qui ont déjà accepté l'ordre, n'est-ce pas ?

– J'aimerais que ce soit aussi simple... grommela le roi.

L'écarlate dévisagea tour à tour le roi et le prince qui semblaient mal à l'aise, comme s'ils essayaient de cacher la véritable raison du trouble qui avait envahi Hydralia. La reine ne tint plus et prit la parole.

– En un sens, vous avez raison. Aucun pays ouvertement allié à l'Ordre n'a de perte à déplorer. Malheureusement, d'autres nations sont dans le même cas...

Sieg fronça les sourcils, ayant du mal à saisir où le problème résidait. Ce fut Farca qui éclaira sa lanterne après avoir laissé s'échapper un cri de surprise.

– Si leurs représentants n'ont pas été enlevés, les autres nations vont croire qu'ils étaient secrètement liés à l'Ordre. Et à leurs yeux...

– Exactement, Dame Farca, acquiesça la reine. Actuellement, les nations du continent sont répartis dans quatre groupes. Les états qui ont officiellement accepté le culte de l'Ordre, ceux qui sont maintenant suspectés d'en faire autant, les pays où les héritiers du trône ont disparu et qui ne peuvent plus agir comme ils le souhaitent, et, enfin, les nations où seuls des nobles influents ont été enlevés. Ces derniers sont les plus problématiques car leurs disparus ne sont pas assez importants pour que l'ordre fasse pression sur eux, mais assez conséquents pour que l'incident puisse mener à une guerre.

– Ces derniers pays suivent actuellement Xardar qui se veut le porte-parole de leur indignation, continua Raccan. Ils réclament à ce que les otages leur soient rendus et menace de partir en guerre. Ils ont envoyés aux autres nations affligées des demande d'aide. Quand aux pays restant, je peux vous laisser deviner ce qu'ils avaient à nous dire...

– Et évidement, Merona est aussi vu comme un ennemi parce que tout s'est passé ici sans que vous ne perdiez quoi que ce soit... comprit l'écarlate. Le continent est sur le point d'entrer en guerre et ça joue en faveur de l'Ordre... Si la faction de Xardar doit représenter une large partie du territoire, elle risque de se heurter à un mur trop conséquent...

– Exactement, reconnut le roi. Le camp de Xardar représente plus d'un tiers du continent. S'il montait une armée, cela représenterait une force encore jamais vu dans le monde. En face, les nations officiellement alliés à l'Ordre représentent moins d'un dixième du continent. Cependant, ils ne seront pas les seuls impliqués si guerre il y a lieu.

– Ceux qui veulent se venger de l'Ordre ne feront pas la différence entre ceux qui sont sous sa coupe et ceux qui n'ont pas fait les frais de leurs manigances. Rien n'est sûr, mais il semblerait que des pays sans lien apparent avec ce culte se sont rapprochés de nations ouvertement liés. Dans le pire des cas, ça représenterait un dixième du continent contre une force trois fois plus grande.

– Mais le vrai problème vient des six-dixièmes qui restent... analysa le bretteur. L'Ordre a le moyen de faire pression sur eux et personne l'ignore. J'imagine que plusieurs de ces pays ne vont pas être durs à convaincre de rejoindre l'Ordre pour sauver leurs otages. Il suffit qu'un tiers d'entre eux se lient à l'Ordre pour équilibrer les forces, ce qui laisserait quarante pour-cent des états qui devraient choisir leur camps. Dans tout les cas, la faction la plus large a un choix à faire : soit ils jouent la sécurité et se lient à l'Ordre contre l'alliance de Xardar, soient ils se lient au camp belliqueux le plus large à ce jour au risque de perdre leurs otages.

Vlaran soupira et résuma la situation.

– D'un côté, nous avons une faction improvisée qui a maintenant de fortes chances de gagner. De l'autre, un groupe qui a tout préparé minutieusement et tient la majorité des cartes en main. Entre eux, il reste la clé de la victoire, des nations qui devront choisir un camp et décideront qui aura l'avantage du nombre. Tant que ces derniers restent indécis, la guerre ne pourra pas commencer, mais j'imagine que l'Ordre ne va pas leur donner l'éternité pour se décider, ce qui risque d'autant plus influencer leur choix. Legenia vit de bien sombres jours, je crains que nous mettions des siècles à nous en remettre, même si nous pouvions régler ce problème rapidement.

– Le pire, c'est que nous ne parlons pas d'un conflit habituel... ajouta Raccan. Ce n'est pas une règle inflexible, mais en général, quand un grand nombre de pays entent en guerre, les alliances rassemblent souvent des pays voisins ensemble contre un autre regroupement de nations. Cela créait une ligne de front claire et définie, le conflit est plus facile à contrôler. Malheureusement, dans notre cas ci-présent, la répartition des camps est chaotique, les différentes factions sont éparpillées sur tout le continent. Selon comment la situation évolue, nous pourrions voir d'anciens alliés s'entre-tuer alors que des ennemis de longue date s'allient ensemble. Oublions le fait que le continent serait parsemé d'innombrables champ de bataille, le paysage politique pourrait être brisé à jamais sans espoir de recoller les morceaux !

C'est une catastrophe... Même la guerre qui nous a opposé aux Déchus serait un modèle d'ordre et de raison comparé à ce nouveau conflit ! Et à l'époque, nos alliés pouvaient vite être changés en ennemis !

N'en pouvant plus, Farca tomba sur ses fesses et tenta de calmer sa respiration. Jusqu'à présent, elle avait impliquée dans des situations qui pouvaient potentiellement faire sombrer le monde dans le chaos. Maintenant, la naine réalisait que ce n'était plus une crainte mais une réalité. Bien qu'elle ait accompli de grandes choses, elle ne se voyait pas comme une sauveuse de nation mais une simple alchimiste qui n'avait rien à voir avec les enjeux mondiaux.

Bélial s'accroupit à côté de son amie et tenta de la réconforter, cachant mal sa propre inquiétude. Lorelya échangea un regard avec Adam et Ahmés, partageant leurs craintes. Bien que bouleversé par ces révélations, Sieg fit de son mieux pour tenir son rôle de meneur et essaya de garder les idées claires.

– Je dois vous poser quelques questions, articula-t-il clairement en fixant la famille royale. Je peux comprendre que je n'ai pas ma place ici et que je ne devrais pas vous imposer mes interrogations, mais vous me connaissez tous au moins de renom. Vous vous doutez que je ne m'apprête pas à aborder des sujets difficiles si la situation ne l'imposait pas.

La majorité de la cour lui adressa un regard noir, se demandant même pourquoi son groupe avait été permis de rester aussi longtemps. Le roi se racla la gorge et prit la parole.

– À mes yeux, vous avez plus que le droit d'être franc avec nous. Par ces temps troublés où les nations n'ont que peu de marges de manœuvres, je crois que ce sont les groupes libres d'agir à leur guise comme le votre qui seront la clé du succès. En cet instant, je vois en votre équipe un allié mille fois plus précieux que n'importe quel autre pays.

L'écarlate hocha la tête en retirant son chapeau pour faire preuve de plus de respect.

– Dans ce cas, quelles actions prévoyez-vous d'entreprendre ? Quel côté allez-vous rejoindre ?

Une question valable et si simple qui risquait pourtant de décider leur potentielle alliance. Cela n'avait pas échappé à Vlaran qui savait quoi répondre pour calmer les craintes de Sieg.

– Aucun des camps mentionnés jusqu'ici. Nous avons déjà envoyé un message à Danatal confirmant que nous acceptons de rallier leur cause et essayer d'empêcher cette guerre avant qu'elle n'éclate.

La réponse coupa le souffle du bretteur et plongea dans la perplexité son équipe. Jusqu'à présent, ce détail n'avait pas été relevé.

– Oui, je comprend votre étonnement, alors laissez-moi vous expliquer. Comme vous devez vous en douter, la princesse Finora est rentrée saine et sauve à Syndras, ce qui les rend malheureusement suspects. Cependant, Panaros n'a pas attendu une seule seconde pour déclarer ouvertement que Danatal ne rejoindrait aucun camp dans ce conflit, souhaitant garder sa neutralité.

Il est sérieux ? Il risque gros là-dessus !

– Une position dangereuse, car dès que la guerre éclatera, les pays suspectés par la faction de Xardar et qui ne rallieraient pas l'Ordre seront les premières cibles pour une invasion. Cependant, Panaros tient à rester neutre car il a encore espoir de régler cette histoire. Nous, de notre côté, souhaitons aussi éviter la guerre. Même si nous rejoignons le côté des vainqueurs, notre pays risque de ne pas se remettre d'une guerre de cette ampleur. Les conséquences sur notre économie et notre population seraient désastreuses, il nous faudrait des décennies pour guérir de nos potentielles blessures. Beaucoup de mes conseillers sont contre mon choix, mais si nous voulons un futur où nous ne vivrons pas dans la misère, nous devons absolument éviter ce conflit.

Sieg hocha la tête. Il venait de recevoir les réponses à plus de questions qu'il ne l'aurait cru et le bretteur était ravi d'apprendre que des individus œuvraient encore à la paix, même quand les ténèbres menaçaient de tout engloutir.

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