Chapitre 58 : Une soirée réussie
L'auberge de Cigogne Aveugle fut le théâtre de plus d'animation que d'ordinaire ce soir là. Quand un groupe de six individus aussi bruyants qu'étranges déboula sur les lieux, ils investirent une large table où ils commandèrent un véritable festin et assez d'alcool pour noyer une mine naine.
Ils rirent de bon cœur toute la soirée durant, ne se souciant pas de la réaction des autres clients. Ces derniers n'osaient pas leur demander de parler moins fort, principalement parce que le poulet géant qui ne touchait pas à la nourriture et la boisson intimidait même les plus sobres des consommateurs.
Adam trônait à un bout de la table, avec à sa droite Bélial et Sieg, à sa gauche Farca et Ahmès, et Lorelya en face de lui.
Pas un centimètre ne séparait les chaises des deux tourtereaux, la démone enlaçant sensuellement l'écarlate qui appréciait la complicité. La jeune femme portait sa nouvelle robe, moins extravagante que celles portées à Hydralia, mais tout de même belle et aguicheuse. La barbare l'aimait particulièrement car la fente qui s'ouvrait sur son dos jusque dans le creux de ses reins laissait sa queue à l'air libre sans avoir à retoucher le vêtement, lui donnant un grand sentiment de liberté. Et il était dur de dire si c'était l'exposition devant ou derrière Bélial qui était la plus torride.
De l'autre côté de la table, l'alchimiste mangeait tranquillement dans sa robe bleue toute simple, ayant lutté pendant des heures avec les autres pour ne pas finir dans une tenue trop tape à l'œil à son goût. À ses côtés, le musicien se prélassait dans sa chaise tel un roi dans les vêtements qu'il s'était trouvé dans l'après-midi. Sa chemise de soie blanche déboutonnée au-delà du respectable exposait son torses et ses bijoux. Ses jambes étaient mises en valeur dans son pantalon si moulant que l'on pouvait facilement discerner toutes ses formes sous la ceinture.
Plus loin, l'archère regardait la table d'un œil critique, peu satisfaite du menu en général. La démone remarqua ce qu'elle prit pour un manque d'appétit et la héla.
– Ben quoi, le porc est pas assez bien pour toi ? Prends le poulet alors, il est génial ! Où le steak ! Il est passé où, le steak ?
Toi, tu as fait d'un art de remuer le couteau dans la plaie...
La verdoyante posa un regard las sur la barbare, se rappelant qu'elle ne pensait pas à mal et avait simplement du mal à comprendre que les elfes suivaient un régime alimentaire bien moins carnassier que les autres races. Lorelya avait souvent entendu parlé des repas riches en viande des peuples hors de la foret, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'autant d'animaux pouvaient être abattus pour un seul repas.
L'elfe passa sa main dans ses cheveux, veillant à ce que le côté droit de sa tête reste caché. Elle les avait toujours gardés courts sur ordre de sa mère car ils étaient plus faciles à dissimuler sous une cagoule, mais la verdoyante envisageait déjà de les laisser pousser. Isya avait aussi contrôlé ce qu'elle portait, sacrifiant les tenues plus élégantes de son peuple qu'elle enviait aux autres pour des habits plus fonctionnels. Lorelya s'y était habituée, mais enfin porter une robe après tant d'années lui apporta un sentiment de légèreté inattendu.
Les vieilles habitudes mourant lentement, elle avait tout de même opté pour un vêtement vert, bien que plus clair que ses précédents. L'archère avait sélectionné une robe qui ne dévoilait que très peu de peau. Elle désirait certes changer, elle ne se sentait pas à l'aise quand elle exposait son épiderme au reste du monde. Pourtant, bien que la robe ne mettait que peu d'atouts en avant, elle attirait les regards, flattant la beauté naturelle de l'elfe sans artifices.
Plusieurs poivrots avaient tenté de les approcher, surtout les demoiselles et plus particulièrement Lorelya, souvent avec des propositions salaces. Ils avaient tous été rapidement éconduits, soit par un refus poli, soit par un regard incendiaire qui aurait pu mettre le feu à l'auberge. Un ivrogne, plus insistant que les autres, n'avait pas compris le message de la barbare et ronflait sur le sol avec trois dents en moins.
Lorelya avait du mal à se faire à l'attention qu'elle recevait mais elle se consolait en se disant qu'au moins, on ne la fixait pas avec haine et mépris. Sieg remarqua que sa descendante ne profitait pas autant de la soirée que lui et sa compagne et posa sa main sur la sienne.
– Hé, tout va bien ? Si c'est trop pour toi, dis le nous et nous rentrerons à l'auberge. Tu n'as pas à te forcer pour...
– Non, ne t'en fais pas, lui répondit l'archère en posant sa seconde main sur celle du bretteur. De toute façon, il faut bien que je commence à m'y habituer. Si je veux laisser mon emprunte sur ce monde, je dois le comprendre et ne pas en rester éloignée. Parc contre, j'espérais qu'il y aurait plus de salades...
– Oh, on peut facilement arranger ça... intervint Farca en attrapant la manche d'une serveuse à sa portée. Une bonne salade pour notre amie ! Et il y a un supplément en jeu si elle l'adore !
– Tout de suite !
Bélial fronça les sourcils en voyant que son partenaire suivait le dandinement du fessier de la serveuse pendant qu'elle s'éloignait. Quand Sieg remarqua la désapprobation de sa moitié, il se dépêcha de trouver une excuse.
– Heu... Je me disais juste...
J'ai hâte d'entendre son excuse...
– Tu sais, s'exclama Ahmés en venant en aide à l'écarlate, les hommes ont parfois des petits fantasmes. Souvent, ils aiment quand leur partenaire a un comportement plus servile et répondent à toutes leurs demandes, si tu vois ce que je veux dire.
– Exactement ! continua l'épéiste qui fut reconnaissant pour la brèche. Toi même, tu m'as dit que tu voulais... pimenter nos soirées. Je m'étais dis que...
La barbare ne lui laissa pas le temps de finir et se leva avant de s'asseoir à califourchon sur les genoux du bretteur qui se retrouva avec une poitrine en plein visage. D'autres clients sifflèrent et acclamèrent ce qu'ils prirent pour le début d'un spectacle.
– Tu sais que t'es mignon quand tu essaye de trouver une excuse ? Je peux comprendre que t'as envie de regarder les autres femmes, mais n'oublie pas que je suis là. Et surtout, si tu vas plus loin que regarder...
– Oh ne t'en fais pas... balbutia Sieg en devenant rouge. Il faudrait que je sois incroyablement stupide pour oser...
Bélial posa son index sur les lèvres de l'écarlate en lui embrassant son front.
– Les excuses, c'est pas avec les mots mais avec les actions. Tu as intérêt d'être à mon service ce soir, d'accord ?
Pris de chaleur, le bretteur ne put répondre que par un hochement de tête qui émoustilla la démone. Lorelya fit de son mieux pour ne pas regarder la scène, ce qui n'échappa pas à Farca.
– Pas l'habitude à autant de mièvrerie ? demanda l'alchimiste. Je sais que la plupart des elfes sot assez coincés mais...
– C'est pas ça... Oui, les elfes ne s'affichent pas autant en public, mais... Enfin, ce n'est pas...
L'alchimiste cerna peu à peu la source du problème et décida de faire preuve de tact. Elle savait qu'elle venait de sauter à pieds joints dans un problème insoupçonné et cherchait une issue de secours.
– Ah.. Tu sais, ce n'est pas inhabituel pour une femme de ton âge de ne pas avoir beaucoup de... En fait, tu as quel âge ?
– Huit cent quarante-sept ans, pourquoi ?
– Heu... répondit la naine.
Traduis en années humaines, elle a presque la vingtaine. Jeune pour une elfe, mais elle reste la troisième plus âgée de votre groupe. Enfin, moi exclue, bien sûr...
– Je peux comprendre que tu ai été dégoûtée du contact des autres et que ton peuple ne t'ait pas approchée, enchaîna Sieg avec délicatesse. Ta vie est tienne, tu la vis comme tu veux. Par contre, tu ne devrais pas te couper de toutes possibilités futures.
Lorelya baissa les yeux. Elle ne pouvait pas nier que son passé la retenait, mais une part d'elle désirait se rapprocher d'une autre personne. L'archère avait cru qu'elle resterait seule toute sa vie, mais maintenant qu'elle s'était libérée des chaînes de son clan...
– Le plus important, c'est d'y aller petit à petit ! exposa Ahmès en prenant une posture noble. Si tu veux, je serais...
Un coup de pied dans le tibia et un regard plus sombre que les abysses de la part de Sieg calma vite les ardeurs du musicien qui décida de rester aussi muet qu'une tombe pour les cinq prochaines minutes. La verdoyante grimaça et tortilla ses doigts.
– C'est gentil, mais...
– Arrête de faire ta chieuse l'allumeuse ! On sait tous que t'en veux !
Surpris, les membres de la tablée se tournèrent vers la source du vacarme. Au bar, trois hommes à l'apparence peu recommandable retenaient une jeune femme brune transie d'effroi qui essayait de s'échapper en vain.
– Je vous ai déjà dis de me lâcher ! Je ne suis pas...
– Ta gueule ! Tu ne peux pas nous faire du gringue toute la soirée pour qu'on te paye des verres pour à la fin nous dire que tu te barres seule ! Tu croyais quoi ? Que tu ne finirais pas par nous repayer notre...
– Excusez-moi... demanda une voix juste derrière la brute.
– Dégage ! rugit le vaurien en se retournant. Tu ne vois pas que je suis...
Un coup porté à sa gorge lui coupa le souffle et il s'effondra au sol en essayant de le récupérer. L'un de ses compères eut juste le temps de voir un plateau entrer son champ de vision avant d'avoir le nez écrasé et s'étaler par terre. Le dernier de la bande réagit à temps et attrapa le poignet de leur agresseuse et lui souffla un air aviné au visage.
– Toi, tu vas regretter ça ! Tu vas aider l'autre salope à régler son ar...
Un tronc d'arbre poussa des planches sous lui et vint lui frapper l'entre-jambe en le sur-élevant de quelques centimètres un instant. Ses yeux se croisèrent et il tomba à genoux. Il leva les yeux vers l'elfe verte qui fit craquer ses phalanges.
– Tes potes et toi, vous êtes la seule sorte de vermine que je ne peux pas accepter...
Lorelya gratifia la mâchoire du troisième homme d'un crochet qui l'envoya au tapis. L'archère remit de l'ordre dans sa coiffure avant de se tourner vers la femme qu'elle venait de sauver. L'intéressée rougissait en sentant que sa sauveuse lui accordait toute son attention.
– Tout va bien ? Ne me dîtes pas que vous êtes seule ? C'est assez risqué avec ce genre d'enflures dans les parages...
La verdoyante ponctua sa dernière phrase en donnant un coup de pied dans le ventre d'une de ses victimes, arrachant un sourire confus de la part de la femme.
– Je... Merci ! Vous avez raison, j'aurais dû me méfier. Comment puis-je vous remercier ?
– Pas besoin, j'y ai pris beaucoup de plaisir, croyez-moi, avoua Lorelya avec un air embarrassé. Je n'ai jamais...
L'inconnue glissa ses doigts entre ceux de Lorelya et approcha son visage de celui de l'elfe.
– J'insiste ! J'habite de l'autre côté de la rue. J'ai vraiment envie de vous montrer toute ma reconnaissance. Et plus encore...
La verdoyante se figea, devenant rouge à son tour. Son regard devint fuyant un instant avant qu'elle ne le pose sur la femme.
– Je n'ai... Enfin, ce n'est pas que je n'ai jamais été curieuse...
La brune sourit tendrement et se pencha pour lui souffler dans l'oreille.
– Ne t'en fais pas, tout le monde a une première fois. Je ferais tout pour qu'elle soit merveilleuse.
Cramoisie malgré son teint vert, Lorelya se laissa guidée vers la sortie. Elle regarda ses compagnons qui la détaillait avec un mélange de confusion et d'encouragement. Sieg leva sa coupe vers elle avant de prendre la parole.
– N'oublie pas, on part tôt demain, alors retrouve nous à la porte ouest et ne fait pas trop de folies ! Et vous, s'il lui arrive quoi que ce soit...
La brune se mit à rire à la menace de l'écarlate et promit de ne rien faire qui déplairait à l'elfe. Les deux femmes sortirent, laissant la tablée dans un silence étrange que Farca fut la première à briser.
– Est-ce que quelqu'un s'est rendu compte qu'elle...
– Vu la façon qu'elle regarde Bélial parfois, je n'en doutais pas... répondit le bretteur en sirotant son vin. Comme quoi, elle a bon goût comme moi...
– Calcul En Cours...
– Laisse tomber si tu n'as pas déjà compris, tu risques de te faire mal... soupira Farca en attrapant un pichet.
J'avais encore mes doutes, mais maintenant j'en suis convaincue. Lorelya va très bien s'intégrer à notre groupe...
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