Chapitre 55 : Libre de vivre

Les nuits s'étaient rafraîchies sur les plaines de Zirconia au cours de la dernière semaine. Le campement des troupes meroniennes se ponctuait de plus de feux de camps qu'auparavant, chassant autant que possible le vent glacial qui sifflait sans arrêt entre les tentes.

Enveloppée d'une épaisse couverture, Lorenya fixa les flammes qui dansaient sous ses yeux, repensant à la journée qu'elle venait de vivre.

Après avoir couru pendant un long moment, elle et ses sauveurs avaient rejoint les waldiens qui n'avaient pas perdu de temps à les escorter jusqu'à lisière de la foret. Là, les forces de Merona les avaient accueillis et s'étaient immédiatement mis en route vers Hydralia. Seul Rinorin était resté avec le groupe tandis que les elfes étaient partis rejoindre leur village avant que les sylvériens ne découvrent qu'ils avaient joué un rôle dans la libération de la condamnée.

Dans la précipitation de la fuite, la verdoyante n'avait pas eu le temps de souffler avant la tombée de la nuit qui avait mené à la levée du camps. Pour la première fois de sa vie, elle s'aventurait au-delà des arbres qui l'avaient abritée du monde extérieur, mais tout ce qu'elle avait pu en voir jusqu'ici se résumait à des plaines vides et des soldats qui montaient des tentes.

L'archère avait vite commencé à grelotter dans sa robe légère de prisonnière, l'obligeant à accepter les vêtements qu'on lui offrait pour la garder au chaud. La ample tunique de la barbare lui tombait juste au dessus des genoux, recouvrant en parti un des pantalons sombres du bretteur. Ses pieds étaient enfoncées dans une paire de bottes réglementaires de l'armée qui peinaient à réchauffer ses orteils, l'elfe n'étant pas habituée à une si soudaine baisse de température.

Lorelya avait demandé à ce qu'on la laisse seule avec ses pensées, affirmant qu'elle devait décider ce qu'elle ferait. Quatre membres du groupes avaient accepté et s'étaient éloignés. La dernière cependant était restée à portée d'oreille d'elle, attendant le meilleur moment pour approcher la verdoyante et lui parler. De toute la bande, elle estimait être la plus à même de comprendre ce que traversait l'elfe.

L'archère éternua avant de se moucher dans sa couverture, hésitant à en réclamer une seconde. Une bouteille d'alcool apparut dans son champ de vision, le liquide brun s'agitant au fonds du récipient.

– Quand il fait froid, rien de tel qu'un peu de gnôle pour se réchauffer les tripes ! scanda Farca en s'asseyant à coté de Lorelya. Et franchement, tu en as bien besoin !

Lorelya inspecta le liquide avec suspicion. Elle regarda la naine qui l'encouragea d'un signe de la tête. La verdoyante prit la bouteille et renifla le goulot, une vive odeur lui irritant les narines.

– Mais c'est quoi cette horreur ? toussa l'elfe en éloignant l'alcool de son visage.

– Quoi, ne me dis pas que tu n'as jamais picolé de ta vie ? s'étonna l'alchimiste avec un mélange de surprise et d'amusement.

– J'ai déjà bu du vin elfique, mais rien d'aussi... incendiaire... J'ai peur que la bouteille va exploser rien qu'en restant aussi prêt des flammes...

– Ma petite recette personnelle ! déclara Farca avec fierté. Ce n'est pas pour les palais trop fins, mais si tu veux oublier quelque chose ou ne pas mourir de froid, deux gorgées suffisent !

Lorelya grimaça, évaluant ses chances de survivre à l'ingurgitation de la mixture artisanale. Elle ferma les yeux et se risqua à prendre une rasade. La boisson lui brûla la langue et la gorge et la verdoyante toussa de plus belle, comme si elle essayait de cracher ses poumons.

– Ah, c'est sûr que ce n'est pas pour les petites filles... se moqua la naine en serrant sa couverture contre elle.

– Je te rappelle que je suis ton aînée de plusieurs siècles... cracha l'archère qui avait les yeux en larmes. Et je ne vois pas pourquoi tu m'as sauvée du billot si c'est pour m'empoisonner quelques heures plus tard...

– Roh, tu exagères... lâcha Farca en reprenant la bouteille pour en boire une lampée. Tu vas finir par t'y habituer...

Lorelya fronça les sourcils et reporta son attention sur les braises.

– Comme on s'habitue à la culpabilité de tuer quelqu'un de sa famille, peut-être ?

Sans rien laisser transparaître, l'alchimiste jeta un regard en coin à la verdoyante qui avait une basse mine avant de soupirer.

– Je l'espère, sinon ça veut dire qu'il n'y a pas beaucoup d'espoir pour moi...

Croyant d'abord à une ruse de la naine pour la réconforter, Lorelya se tourna vers Farca en colère mais n'osa pas lui crier au visage. Une mélancolie qu'elle n'avait pas prévue se dessinait sur le visage de l'alchimiste qui restait concentrée sur sa bouteille.

– Pas longtemps avant de te rencontrer, on a croisé la route de ma famille. Je ne vais pas te faire un dessin sur le bordel que c'était, tu peux comprendre mieux que les autres le sort d'une bâtarde en partie humaine dans une influente famille qui a peu d'égard pour les autres races... Le pire d'entre eux était peut-être Baldar, un de mes frères. Pas une seule fois, il a manqué une occasion de me rabaisser et me faire comprendre que j'avais peut-être le même sang que lui, nous n'étions pas de la même famille. Je ne l'ai pas dis aux autres, surtout pas à ce cœur tendre de Bélial, mais quand j'étais gamine, j'ai parfois... enfin...

– Tu voulais échapper à tout ça en faisant une bêtise ?

Farca se mordit la lèvre, échangeant un regard avec l'elfe qui ne comprenait que trop bien ce sentiment.

– Mais bon, j'ai tenu bon, la preuve... ricana sans humeur l'alchimiste en buvant de nouveau. Mais tu vois, une part de moi ne pourra jamais oublier ou pardonner ce qui m'est arrivé. Alors, quand Baldar s'est mis dans une merde noire et que j'étais sa seule chance de survivre, au lieu de l'aider, j'ai tout fait pour garantir qu'il meure. Et pas une petite mort, non... Il a agonisé avant qu'on ne l'achève...

Lorelya serra les poings, ne sachant pas quoi répondre. Elle savait que la naine lui ressemblait sur autant de points, elle n'aurait jamais deviné qu'elles étaient à ce point similaire.

– Ne le prend pas mal, mais ton frère a l'air d'être un sacré connard...

– Ah ça... Et ta mère une sacrée salope...

La verdoyante souffla et accepta la bouteille tendue pour en reprendre une gorgée. Le breuvage restait fort, mais cette fois, elle sentit un certain réconfort alors qu'il descendait le long de son œsophage.

– Le pire, c'est que c'est la seule personne à part mon grand-père qui m'a jamais montré de l'amour... C'était tordu et elle se servait clairement de moi pour obtenir ce qu'elle voulait, mais elle était tout pour moi...

– Là-dessus, je ne peux pas vraiment comprendre... Il faudra que tu en parles avec Sieg, il est mieux placé que moi...

– Je sais, nous en avons déjà parlé ensemble... Et je crois qu'il se maudit que je vis les mêmes horreurs que lui... Comme si son malheur est héréditaire...

– Je ne serais pas surprise s'il se blâmait pour ça... grommela Farca en fouillant dans ses poches. Mais il faut bien qu'il comprenne que tu as aussi hérité de lui quelque chose de précieux...

Farca trouva un papier qu'elle tendit vers l'archère qui le prit sans comprendre.

– Vous êtes plus aimés que vous ne le pensez, et c'est sincère.

Ne saisissant toujours pas ce qu'on lui disait, Lorelya examina le papier et reconnut l'écriture de Larya.

Ma chère Lorelya,

Si tu lis ces mots, c'est que tout s'est passé comme prévu et que tu es à présent loin de nous et des souffrances que nous t'infligeons chaque jour.

Si tu savais combien mon cœur se brisait à chaque fois que notre famille t'infligeait des supplices que tu n'as jamais mérité. Tant de fois, j'ai voulu intervenir, mais mes devoirs de souveraines m'interdisaient de te favoriser. Si le peuple perd foi en moi, tu sais quel destin funeste nous attendrais tous. Les sylvériens sont unis dans leur haine des humains, c'est ce qui m'a permis de régner sur eux et les protéger. En échange, j'ai dû vous sacrifier, toi, ton grand-père et ta mère.

Je ne me voilerais pas la face, le sort d'Isya est le résultat de mon inaction. Si j'avais bravé ma peur de tout perdre et lui avais montré tout l'amour que j'avais pour elle, non seulement elle serait encore avec nous aujourd'hui, mais elle aurait su t'élever sans te faire souffrir.

Pour ça encore, je me dois d'implorer ton pardon. J'ai fait semblant de ne pas voir ce que ta mère te faisait endurer, j'ai retenu mon instinct de te réconforter lorsque tu pleurais toutes les larmes de ton corps. Pas une seule fois, je me suis montrée digne de toi.

Alors, laisse moi au moins t'offrir cet ultime présent. Si notre cage n'a jamais rien fait que te martyriser tout en t'imposant de nous servir jusqu'à la mort, je vais t'en ouvrir la porte et te laisser t'envoler. Sur un point, je ne peux qu'être d'accord avec ta mère:tes meilleures qualités ne te viennent pas de mon côté de la famille.

Ton arrière-grand-père est l'homme le plus bon et juste que j'ai jamais rencontré. Il a certes commis des erreurs, mais qui est bien placé pour le juger sur ça ? Je ne te forces pas de voyager à ses côtés, après tout, il court vers un danger plus grand que tout ce que nous pouvons imaginer. Mais si tu vas t'aventurer dans ce monde si large et complexe, je n peux pas imaginer de meilleur guide.

Tout ce que je te souhaite, c'est de trouver une vraie famille qui saura te protéger comme tu le mérites. Vis ta vie et fais en sorte qu'elle soit pleine de rires et de larmes de joie.

Sache que où que tu ailles, mon cœur te suivra et souhaitera ton bonheur.

Ne vois pas ça comme la fin de ton existence avec nous. Ceci est le début de ta vraie vie, celle qui mérite d'être vécue.

Rends moi fière et prouve à tous que tu es de loin la meilleure d'entre nous.

Je t'aime.

Ton arrière-grand-mère

Les dernières lignes furent durent à lire, les larmes de Lorelya ayant fait baver l'encre. Si elle avait su ce que Larya ressentait pour elle, si elles n'avaient pas été obligées de suivre la voie de la royauté, combien leurs vies auraient été différentes. Mais par devoir, son arrière-grand-mère avait tût son cœur et elle en souffrait autant que la verdoyante et sa mère.

C'est mots si durs à lire furent cependant une libération pour l'archère. Elle n'était pas une fugitive qui devait fuir son foyer pour survivre. Elle était une femme qui s'était enfin libérée des chaînes de son passé pour vivre.

Farca posa sa main sur l'épaule de Lorelya alors qu'elle sanglotait, lui rappelant que tant qu'elle le voudrait, elle et ses amis ne la laisseraient jamais seule, autant dans le moments de joie que de peine.

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