Chapitre 54 : Appartenance

Aucun mot ne traversa les lèvres de Lorelya. Aucune pensée ne traversa son esprit. Après s'être convaincue qu'elle était abandonnée de tous, voir un sauveur braver tous les dangers pour elle venait de la laisser sans voix.

Les soldats qui encerclaient Sieg et l'archère les menacèrent sans oser approcher. Ils avaient vu de leurs propres yeux les talents de combattant de l'écarlate, l'affronter sans plan, même avec un tel avantage du nombre, ne pourrait que les mener à leur perte.

Plusieurs regards glissèrent vers le balcon où la famille royale était divisée entre ceux qui étaient tétanisés et ceux qui réclamaient la tête de l'intrus. En levant la main, la reine obtint le calme et s'approcha de la rambarde pour toiser son ancien amant.

– Je vais de surprises en surprises décidément... Tu as toujours été un des hommes les plus prudents et réfléchis que j'ai jamais rencontré, alors te voir te jeter aussi inconsciemment dans une situation périlleuse me laisse perplexe...

– Périlleuse ? se moqua Sieg avec un sourire narquois. Parce que tu penses que j'ai une raison de redouter la plus empotée des armées de ce monde ? Que tes archers décochent leurs flèches, que l'ont voit combien d'entre eux vont se blesser eux même...

– Connard ! hurla un soldat en tirant sur Sieg dans son dos.

Alerté par le cri, le bretteur pivota sur lui même, attrapant la flèche au vol. Il infusa sa mana dans le projectile, l'enrobant de vent, avant de le renvoyer dans l'épaule de son agresseur qui gémit de douleur.

– Un bien bel exemple de la médiocrité sylvérienne... soupira Sieg en balayant le reste des troupes du regard. Allons, qu'attendez-vous ? Un ordre de votre souveraine ? C'est tout à votre honneur, mais je vous conseille de ne pas oublier un détail capital me concernant...

– Quoi, que même toi, tu ne peux pas attraper une vingtaine de flèches en un instant ? s'énerva un des princes en levant son bras. Archers...

Le prince grimaça en sentant que son poignet était subitement comprimé. Il fixa son bras retenu et vit une femme apparaître à ses côtés, lui adressant un sourire carnassier.

– Vas-y, essaye de leur donner un ordre... le provoqua Bélial en resserrant sa prise sur lui. On va voir ce qui est le plus rapide : ta langue ou mon bras ?

La démone posa sa mains libre sur le dos de l'elfe et le força à s'agenouiller. Elle ne lâcha pas le poignet de sa proie quand elle appuya sa botte sur sa victime, menaçant de déboîter l'épaule au moindre acte suspect. Le reste de la famille royale recula, ne voyant pas comment intervenir. Les gardes postés sur le balcon firent un pas vers la barbare qui les dissuada d'en faire une second en arrachant un cri de douleur à son prisonnier.

– Si un d'entre vous fait le con, j'arrache le bras de ce naze et je bas tout le monde à mort avec !

Comme si la réputation des démons n'était pas déjà assez catastrophique...

Larya n'accorda qu'un coup d'œil à sa rivale pour le cœur de Sieg avant de dévisager l'écarlate comme si un de ses descendants n'était pas en train de souffrir à un mètre d'elle.

– Et j'imagine que les trois autres sont postés à d'autres lieux stratégiques, prêts à intervenir en cas de besoin... Et les waldiens...

– Oh, eux ? commenta Sieg avec un air de dédain. Nous leur avons faussé compagnie dans la nuit, après que Farca les ait drogués pour s'assurer qu'ils n'essayeraient pas de nous retenir. Ce n'est pas comme s'ils allaient risquer une guerre contre nous juste pour sauver la princesse déchue de leurs rivaux. Décidément, à la fin de cette histoire, nous n'auront vraiment plus le moindre allié dans cette foret... Après ce qu'on vient de leur faire, les waldiens vont nous tenir à l'œil...

– Et tout ça pourquoi ? demanda la reine en croisant les bras. Pour une sang-mêlée qui méprise les humains ? Une erreur de la nature condamnée par un peuple entier ? Penses-tu vraiment pouvoir la protéger de nous ? De protéger tes alliés de notre juste rétribution ? Vous venez juste de cracher sur la clémence que j'ai eu du mal à vous offrir, qu'est-ce qui vous fait croire que partirez d'ici vivants ?

De plus en plus de soldats encerclèrent le bretteur et la verdoyante qui se mordait la lèvre. Lorelya maudissait son destin qui condamnait aussi les seuls fous qui tenteraient de la sauver. Si elle avait su le danger qui attendait son ancêtre et ses amis, elle aurait prié la foret qu'ils ne risquent pas leur peau pour une elfe qui avait perdu son envie de vivre. Et maintenant, les dernières personnes qui tenaient encore à elle ne ressortiraient pas de ce village.

Sieg planta sa lame dans l'estrade et se reposa sur elle en soupirant, ne masquant pas son exaspération.

– En un sens, tu as raison... Pourquoi risquerions nos vies pour une simple elfe qui n'a pas sa place dans son village ? Pour une femme qui ne nous a offert qu'animosité quand elle nous a rencontré ? Qui n'appartient même plus à la famille royale ? Qui sommes nous pour nous dresser ainsi face à une nation entière ?

Lorelya ne comprenait pas où voulait en venir l'écarlate. À l'entendre, il était évident qu'ils n'avaient aucune raison de revenir pour elle, risquant jusqu'à l'avenir du monde en échouant d'arrêter Saga. Qu'importe dans quel sens elle retournait le problème, l'archère ne saisissait pas ce qui les motivait.

– Oui, nous ne sommes vraiment pas grand chose... continua l'écarlate en redressant lentement la tête. Qu'un héros qui n'appartient pas à cette époque, une démone qui n'appartient pas à ce monde, une naine qui n'appartient pas à sa famille, un gardien qui n'appartient à aucun peuple, un musicien qui n'appartient pas au royaume des vivants... Nous sommes tous des erreurs qui n'auraient jamais dû d'être, ce monde lui même à toutes les raisons de nous rejeter, de nous condamner. Et pourtant, nous sommes encore là. Là parce que nous refusons de laisser la norme nous dicter qui ou quoi a le droit d'exister. Si les dieux eux-même venaient nous dire que nous sommes contre-nature, nous leur rappellerons ce qui est arrivé à la dernière déité qui s'est dressée sur notre chemin.

Sieg empoigna son épée et la pointa vers Larya avec un regard de défis.

– Plus jamais nous ne laisserons quiconque décider de nos sorts ! Nous ne sommes pas des pantins du destin sans contrôle sur nos avenir ! Nous sommes là et nous ne comptons pas nous éclipser sans rappeler au monde notre valeur ! Et il est hors de question de laisser un peuple décadent ôter la vie d'une des nôtres ! Si Lorelya n'a sa place nul part, alors elle nous appartient et nous lui appartenons !

La verdoyante observa le dos de son aïeul, ne pouvant empêcher ses larmes de couler le long de ses joues. Elle avait abandonné tout espoir, mais des êtres contre qui même l'ordre du monde semblait impuissant se tenaient à ses côtés et refusaient de ployer face au destin. Pour la première fois, elle n'était pas celle qui protégeait, elle était celle qu'on abritait des tourments des autres. Enfin, quelqu'un se battait pour elle. Jamais l'archère avait imaginé que ce jour arriverait.

Larya se pinça l'arrête du nez avant se détourner de l'écarlate.

– Un bien beau discours, mais les mots seuls sont impuissants sans la conviction d'aller jusqu'au bout. Peux-tu vraiment clamer avoir la force de ne jamais céder face à l'ennemi, même si vous n'avez plus le moindre allié ?

Sieg ricana en rengainant son épée.

– Si l'ennemi devient trop gros pour nous, il nous reste une option...

Le bretteur sortit de sa poche une sphère et pressa un bouton. Un nuage de fumée s'échappa de l'objet et se propagea, recouvrant toute l'estrade. Surpris, des soldats tirèrent des flèches dans la direction de leurs adversaires. Une forme rouge émergea de la fumée, bondissant au dessus de la foule. Les plus vifs eurent à peine le temps de voir l'écarlate toucher le sol avec grâce, portant sur son épaule Lorelya, avant qu'il ne détale en direction de la foret.

Sur le balcon, Bélial relâcha son otage et activa une autre bombe fumigène. La royauté poussa un cri de panique alors que leur vue était obstruée. Plus bas, les soldats virent la démone sauter du balcon et atterrir lourdement sur ses jambes avant de sprinter après ses compagnons.

Larya se ressaisit vite et cria ses ordres à son peuple désorganisé.

– Rattrapez-les ! Ne les laissez pas nous échapper ! Je me moque que vous soyez un soldat ou un civil, nous ne pouvons pas les laisser nous ridiculiser ainsi !

Motivé par les consignes de sa souveraine, le clan Sylvéria se rua vers l'est à la poursuite de ceux qui avaient osé leur cracher au visage. Les membres de la famille se ruèrent à l'abri, préférant laisser le peuple risquer leur vie à leur place.

Seule la reine ne bougea pas. Vite abandonnée par ses sujets et sa famille, elle s'accouda sur le bord du balcon et soupira. Le nuage de fumée autour d'elle se dissipa, dévoilant Bélial qui était adossée contre la rambarde à côté d'elle.

– T'es sûre que tu ne vas pas avoir de problème ? lui demanda la démone. S'ils apprennent que tu t'es foutu d'eux pour aider Lorelya...

– Justement, qu'est-ce que tu fous encore ici ? grinça la reine en lançant un regard noir sur la démone. Dépêche toi de filer avant qu'on nous voit ensemble et découvre la supercherie...

– Pas de problème ! Reconnais que tu as perdu notre petit jeu et je...

Larya attrapa Bélial par son harnais et la foudroya du regard.

– J'ai perdu mon mari, une de mes filles et une de mes petites-filles ! Ne me cherche pas, démone !

La barbare dévisagea la reine, voyant son masque se fissurer pour dévoiler une vive douleur qui menaçait de lui arracher des larmes à tout moment. La jeune femme baissa les yeux, honteuse d'avoir cru la souveraine insensible.

– Désolée...

Après avoir lâché ce seul mot, Bélial sauta par dessus la rambarde et atterrit sur l'estrade qui grinça sous le choc. En se redressant, elle échangea un regard avec Sieg que la fumée ne masquait plus. Il tenait dans ses bras Lorelya qui fixait son arrière-grand-mère avec de grands yeux surpris. Larya détailla le visage de sa descendante avant de hocher la tête et se retourner.

– Dépêchons-nous avant qu'ils ne se rendent compte qu'ils suivent des illusions d'Ahmés ! ordonna Sieg en tirant la verdoyante vers l'ouest.

Lorelya essaya de garder le rythme, mais des jours d'emprisonnement sans bouger eurent raison d'elle et elle s'effondra au sol. Si elle arrivait encore à marcher, courir était encore compliqué.

L'elfe se sentit pitoyable mais ces sombres pensées furent immédiatement balayées par Bélial qui s'était accroupie pour la prendre dans ses bras et la porter.

– T'en fais pas, je te tiens.

Honteuse de se sentir s'empourprer, Lorely ne croisa pas le regard de la barbare qui emboîta le pas au bretteur. Ils rejoignirent vite l'orée de la foret où Adam et Farca les attendaient.

– Bon, je vois que tout s'est bien passé... soupira la naine avec un sourire de satisfaction. Finalement, nous ne devrons pas retenir de connards vu que personne vous a suivi...

– Et Ahmés ? demanda la verdoyante en regardant tour à tour ses sauveurs. Où est-il ?

– Mais juste ici, belle demoiselle ! déclara le défunt en se matérialisant aux côtés de Sieg. Je suis resté discret jusqu'ici pour intervenir en cas de besoin, mais je me suis tenu à tes côtés dès que tu es sortie de prison.

L'archère dévisagea le musicien, ne s'étant pas un seul douté qu'il avait veillé sur elle depuis e moment là.

– Mais... comment avez-vous su...

– Et si on en parlais plus tard au lieu de rester plantés là comme des poireaux ? la coupa l'alchimiste qui s'éloignaient déjà. Je vous rappelle qu'on ne s'est pas exactement fait des amis ici !

– Le clan Waldia nous attend à une heure de marche d'ici, ils vont nous aider à nous échapper, expliqua Sieg en se tournant vers Lorelya pendant sa course. Si on veut leur éviter des ennuis, nous devons les rejoindre avant que les sylvériens nous retrouvent !

– Les waldiens ? Mais je pensais que vous les aviez...

– Un Mensonge Capital Pour Couvrir Nos Alliés. Si nous Pouvons Fuir, Le Clan Waldia N'Aurait D'Autre Choix Que Partir En Guerre Si Leur Participation Dans Nos Plans Était Connue.

– Mais... Pourquoi prendraient-ils le risque ? S'ils risquent d'entrer en guerre pour ça, ils n'avaient pas de raison de...

– Bah si, ils avaient une raison ! l'interrompit Bélial. On leur a dis qu'on avait besoin d'aider une pote, alors ils nous ont donné un coup de main !

Sidérée, l'archère dévisagea la barbare, s'attendant à ce qu'elle donne une meilleure motivation, mais pour la jeune femme, le débat était clos. Juste pour lui venir en aide, Bélial et ses compagnons avaient réussi à convaincre des elfes qui n'avaient rien à gagner ici à défier indirectement leurs plus grands rivaux. Tant de risques avaient été pris pour la sauver. Pour la verdoyante qui n'avait connu qu'abus et mépris toute sa vie, se savoir épaulée par tant de personne raviva une faible lueur dans son cœur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top