Chapitre 51 : Toucher la victoire du bout des doigts
Saga soupira en se pinçant le nez. Même si son plan ne reposait pas intégralement sur le Néfaste, sa destruction ne l'aidait pas. Non seulement les elfes cesseraient de s'inquiéter à son sujet, ils décideraient fort probablement de regrouper une partie de leurs forces autour du palais, n'arrangeant pas ses affaires. Sans oublier Lorelya, qui percevrait plus facilement ce qui se passait sans autant de bruits parasites.
Le mage toisa son frère du regard alors que celui-ci reculait, affichant un air satisfait.
– Oh, ne fais pas trop le fier... Tes amis n'ont fait qu'arrêter une boite de conserve surdimensionnée, je peux m'en passer... Par contre, j'ai moins de temps devant moi, alors je vais devoir te laisser. Tyrian, je te laisse mes pantins, ils vont t'obéir. Ne tues pas Rotsala, mais je veux quand même que tu le captures.
– Pourquoi tu ne l'as pas fait dès le départ ? l'interrogea le démon sans quitter le bretteur de son regard incendiaire. Vu que c'est lui qui a permis à Bélial et les autres de nous emmerder, tu aurais dû le garder enfermé depuis le début !
Saga serra son poing de frustration, une mana noire dégoulinant de sa paume. Le barbare s'étrangla. L'écarlate vit les traits se déformer alors qu'il posait la main sur son cœur.
– Tu n'as pas à savoir le fonds de ma pensée, démon ! pesta Saga. J'avais simplement besoin qu'il devienne plus fort pour une prochaine étape de mon plan, mais visiblement, il a gagné trop de force avant que je ne sois prêt ! Alors sois un bon petit soldat et obéis à mes ordres !
L'arcaniste relâcha son emprise. Tyrian tituba en haletant, réprimant toutes les injures qu'il connaissait. Saga jeta un dernier regard vers son frère avant de ricaner.
– Comme quoi, peut-être que le prototype est plus réussi que le produit final...
Sieg voulut le charger, mais les armures se dressèrent sur son chemin. Il ne put rien faire pour empêcher le mage se téléporter hors de sa portée. Voyant qu'il ne pouvait rien faire de plus, le bretteur recula, mettant le plus de distance entre lui et ses adversaires.
– Laisse tomber, tu ne vas pas m'échapper ! déclara Tyrian en faisant des moulinets avec sa hache. Je ne sais pas comment tu fais pour deviner mes mouvements, mais ça n'a pas l'air de marcher sur mes petits alliés. À nous six, On va te...
– Soldats, sus à l'ennemi !
Surpris, Sieg et Tyrian virent apparaître des buissons des soldats aux armoiries de Menora. Les combattants se dressèrent contre les armures, accaparant toute leur attention. Matthias se pressa aux côtés de l'écarlate, défiant le démon de sa lame.
– Navré du retard, les elfes nous avaient postés loin du combat.
– Je ne vais pas m'en plaindre... souffla Sieg en faisant un pas en arrière. Sans votre intervention, j'aurais été dans le pétrin. Mais nous devons nous dépêcher d'aller au palais, Saga s'est joué de nous ! Il manigance quelque chose et il vient de s'y téléporter ! Nous ne pouvons pas perdre trop de temps ici !
– Faral et Noron, accompagnez Maître Sieg ! ordonna le lieutenant ! Le reste d'entre nous se chargera de retenir l'ennemi ici ! Ils ne sont que six, mais quelque chose me dis qu'il ne faut en aucun cas les sous-estimer !
– Les armures sont magiques, il n'y a pas d'être vivant dedans ! prévint Sieg en se mettant à courir. Je ne vois que les mettre en pièces pour les arrêter ! Et méfiez vous de Tyrian, c'est un démon modifié par Saga !
– Je regrettes de plus en plus d'avoir accepté cette mission... grommela Matthias en encerclant le barbare avec cinq hommes.
Furieux, Tyrian laissa sa cible s'échapper, ne voyant aucune ouverture dans la formation des soldats. Tout comme lui, les armures devaient chacune affronter une demi-douzaine d'hommes qui ne prenaient aucun risque. Les humains comprenaient que leurs adversaires étaient hors de leur portée, alors aucun d'entre eux se comporta en héros, se contentant de contenir aussi longtemps que possible la menace.
– Au moins, on ne me prends pas à la légère, c'est déjà ça... grommela le démon en faisant rouler ses épaules. Vous comprenez que vous ne faites pas le poids face à moi...
– Vu la réputation de Maître Sieg, nous serions bien sots de ne pas nous méfier d'un péril qui l'a mis sur ses gardes... expliqua Matthias. Et honnêtement, nous n'allons même pas essayer de vous battre. Tout ce qui importe, c'est vous ralentir le plus possible. Si la situation nous échappe, je donnerais l'ordre du repli.
– Ah ! Comme si j'allais épargner ne serait-ce que l'un d'entre vous ! Vous aller payer pour...
Une flèche ricocha contre son casque. La plupart des regards se reportèrent sur le groupe d'elfes qui encerclait la zone de combat, arc bandés.
– Décidément, nous ne pouvons pas confier même une tâche aussi simple à des humains... soupira un commandant sylvérien. Contentez-vous de divertir nos ennemis, nous les abattrons quand nous verrons une faille. Évitez juste de vous jeter sur la trajectoire de nos flèches...
– Et moi qui espérais avoir des renforts... gémit Matthias.
***
Se servant de sa magie pour accélérer sa cadence, Sieg rejoignit aussi vite que possible le village et grimaça en voyant les cadavres joncher les rues. Des soldats elfiques affrontaient les troupes de Saga qui avaient réussi à dépasser leurs lignes, faisant plusieurs victimes contre des adversaires non préparés.
L'écarlate évita autant que possible le combat, ne croisant le fer qu'avec ceux qui se dressaient clairement sur son chemin. Quand il fut en vue du palais, le nombre de victimes au sol ne devint que plus catastrophique. Des dizaines de corps jonchaient le sol, créant un parterre macabre vers les trois arbres les plus importants du village. D'un coup d'œil, le bretteur vit que ceux-ci dépérissaient, comme si leur vie était lentement dévorée. Des feuilles desséchées tombaient de branches qui se brisaient peu à peu sous leur propre poids.
Ignorant les combats qui faisaient rage autour de lui, Sieg se précipita vers l'entrée du palais. À son entrée s'étaient regroupé une petite division elfique, menée par Rinorin. L'homme avait déjà perdu un œil et saignait abondamment, mais il n'avait pas perdu sa volonté de se battre. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres en voyant l'écarlate approcher.
– On dirait que les dieux m'ont entendu, s'ils vous ont envoyé nous aider. Croyez le ou non, Isya vient de trahir sa propre nation, elle a attaqué la famille royale.
– Comment ? s'étrangla Sieg à l'annonce de la trahison de sa propre petite-fille. Vous en êtes sûr ?
– Ah ça, pour en être sûr... Elle a mené une troupe qui a traîné la reine je ne sais où, en compagnie d'humains que je ne connaissais pas. Elle a alors ordonné à certains de ses hommes de nous attaquer. Nous avons perdus plusieurs soldats dans la confrontation, mais nous avons survécu. Le problème, c'est ce qui est arrivé à nos ennemis...
Rinorin désigna un elfe agonisant au sol. Bien qu'aux portes de la mort, il continuait de se déchaîner, devant être maintenu au sol par trois soldats. Sieg distingua ses yeux verts et interrogea son allié à ce sujet.
– Aucune idée, mais ceux qui ont ça sont comme possédés, ils feront tout pour obéir aux ordres qui leur ont été donnés. On ne parle même plus de fanatisme à ce niveau là.
– Je sens que Saga y est pour quelque chose... grinça Sieg en pénétrant dans le palais. Et votre père ?
– Gravement blessé mais en vie. J'ai ordonné à ce qu'on l'escorte au nord du village, là où il y a le moins de combat. Pour le moment, j'ai pris le contrôle de toutes les troupes présentes, waldiennes ou non.
– Alors nous allons en profiter pour pourchasser l'ennemi, annonça Sieg. Je pense avoir deviné ce que Saga a en tête, le temps nous est compté. Savez-vous où s'est échappé Isya ?
– Vers le centre du palais, entre les trois arbres, répondit l'elfe en emboîtant le pas à l'écarlate. Je ne sais pas ce qu'elle...
– Vous avez vu l'état des arbres, non ? le coupa le bretteur. Isya doit-être en train de leur pomper leur énergie pour que Saga ouvre la porte avec ! Ce sont les trois arbres originels, le pouvoir qu'ils referment est immense ! J'aurais dû me douter que Saga aurait des vues sur eux !
Sieg ouvrit la marche vers le centre du palais, fulminant d'avoir été si facilement berné. Connaissant son frère mieux que quiconque, il considérait que c'était son devoir de deviner ses actions et les anticiper. Échouer aussi spectaculairement lui laissait un goût amère en bouche qu'il avait besoin de laver avec le sang de ses ennemis. Même s'ils étaient de sa famille.
Se demandant comment sa propre descendance aurait pu tomber si bas, le bretteur tourna dans un couloir et vit deux larges portes ouvertes sur un escalier qui s'enfonçait sous terre. Se doutant de la direction prise par Isya et ses hommes, il dévala les marches et arriva vite en bas. Un long couloir sombre à peine éclairé par la sève phosphorescente faiblissante menait à un autel au centre duquel poussait un jeune arbre. Isya se tenait à côté de lui, absorbant la vie de la plante dans une sphère rouge. Elle remarqua l'arrivée de son aïeul et lui sourit en levant un doigt.
– J'en ai presque terminé ici, je te prierais donc de patienter un instant. D'ici peu, Saga pourra ouvrir la porte.
– Cesses immédiatement cette folie ! cria Sieg en se précipitant vers elle. Tu n'imagines pas l'ampleur de ce que tu fais !
– Oh que si, je l'imagine même très bien ! Un monde où ceux qui n'ont jamais rien fait pour se montrer dignes de ce qu'ils ont ne crache plus jamais sur les méritants pour de futiles raisons ! Ma fille et moi avons milles fois démontré que nous étions dignes de régner, mais parce que nous ne sommes pas pures, c'est tout juste si nous sommes tolérées !
Sieg remarqua Larya dans un coin de la salle, à genoux et menacée par deux gardes. Il freina sa marche, ne voulant pas qu'elle soit mise plus en danger.
– Voilà une sage décision... ricana Isya. Je leur ai ordonné de tuer la reine si toi où un de tes amis approchaient trop de moi. Même dans une situation aussi désastreuse, tu saisis le poids de perdre si soudainement la reine. Si tu tiens tant à m'empêcher de monter sur le trône, tu as besoin d'elle, car personne d'autre n'est assez fort pour contrôler le clan Sylvéria. Entre les mains d'un incapable, ce ne serait qu'une question de temps avant qu'une guerre elfique ne soit déclenchée. Combien d'innocents périraient ?
L'épéiste regarda la reine droit dans les yeux. Ses iris billaient de tristesse et de désespoir, mais il put lire une rage et une résolution à toute épreuve au-delà de la douleur. Elle n'attendait qu'une seule chose de l'homme avec qui elle avait partagé une nuit des millénaires plus tôt.
– Tu as raison, perdre la reine serait catastrophique...
D'un mouvement vif, Sieg jeta deux dagues qui se plantèrent dans la jugulaire des gardes de la reine. Larya profita de l'ouverture pour se lever et reculer. Les autres possédés se dirigèrent vers elle, mais les hommes de Rinorin leur bloquèrent le passage en investissant la salle.
Voyant que ses pantins étaient tous occupés, Isya serra la mâchoire et pointa la pointe de son épée vers Sieg.
– Tu ne peux pas comprendre ce que moi et Lorelya avons...
L'écarlate bondit sur sa petite fille, laissant sa lame ripé contre les écailles de sa veste. Son poing frappa Isya en pleine face, l'envoyant au sol. Sonnée, elle leva les yeux vers le bretteur qui brisa la sphère qu'elle avait laissé tombé en la piétinant.
– Je commence à en avoir assez qu'on m'annonce ce que je comprend ou pas... Je ne dis pas que tu n'as pas souffert, mais ne viens pas faire la morale à quelqu'un qui a été torturé physiquement et émotionnellement pendant des millénaires, gamine !
Le bois autour d'eux grinça de façon inquiétante. Des lézardes se formèrent dans les murs, menaçant de s'effondrer à tout moment. Isya éclata de rire et se moqua de Sieg.
– De bien grands mots de la part de celui qui est arrivé en retard ! La dernière goutte de vie a déjà quitté les arbres, et Saga m'a avoué qu'il n'en avait besoin que des trois-quarts ! Je n'ai continué à les épuiser que pour te faire croire que tu avais du temps devant toi ! Mais je me doutes que Saga a déjà...
En effet, la partie est terminée.
Isya sortit une pierre de sa poche et la présenta à Sieg avec une expression de vainqueur.
Si on m'avait dis que seule Isya serait infaillible aujourd'hui... Même moi, je n'ai pas été brillant, mais elle... Décidément, elle aurait une grande reine un jour...
Isya fronça les sourcils en fixant la pierre.
– Aurait ? Mais nous pouvons...
Navré, mais maintenant que tu as accompli tout ce que tu pouvais pour moi, il n'y a plus de nous...Tu es libre de continuer ton projet de régner sur les elfes, mais personnellement, ce que tu fais à partir de maintenant ne me fais plus ni chaud ni froid.
La pierre se brisa entre les doigts de l'elfe abasourdie.
– Quoi ? Mais... Nous avions un accord ! Tu devais m'aider à prendre le trône ! Répond moi, sale traître ! Je ne peux pas...
La sensation de la pointe d'une épée plaquée contre son épaule força Isya à relever la tête, plongeant son regard dans les yeux remplis d'un étrange mélange de compassion et déception.
– Bienvenue dans la famille, Isya...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top