Chapitre 44 : Quand les roues du destin tournent
Les jours qui suivirent furent le théâtre de bien des changements dans le clan Sylvéria.
Les citoyens avaient été évacués vers d'autres villages alliés pour leur sécurité. Larya avait d'abord été réticente à aller aussi loin, mais les détails des plans de Saga jusqu'à présent pour ouvrir les portes lui avait fait réaliser que garder de larges populations autour de celles-ci ne faisaient que servir ses desseins. Même garder les soldats dans les environs était risqué, mais eux au moins avaient la possibilité de se défendre.
Quand Farca mentionna qu'elle pouvait produire de larges quantités de gaz soporifique avec de l'aide, principalement celle de Lorelya, un laboratoire fut improvisé. On y travaillait sans relâche, créant des fioles à briser pour neutraliser l'ennemi sans prendre leur vie, déjouant un des potentiels plans de secours de l'arcaniste. Certains notables critiquèrent l'utilisation d'alchimie mais furent ignorés dans l'urgence de la situation.
Des troupes envoyées par d'autres tribus elfiques rejoignirent le village petit-à-petit, créant une vaste armée qui fut éparpillée aux quatre coins de a forêt. Cette formation étendue permettait de surveiller le plus de territoires possibles et réduisait le nombre de soldats au-dessus de la porte. Les échanges entre le village et chaque bataillon furent assurés par le déploiement de plus de cents messagers qui se relayaient sans cesse pour que les ordres et les informations.
Toutes les forges et ateliers du village tournaient à toutes les heures de la journée, produisant flèches, armes et armures à foison. Un réseau de ravitaillement fut organisé en prévision d'un combat prolongé.
Dans l'après-midi du quatrième jour, la surprise fut totale quand une division de cinquante archers du clan Waldia entra dans le village avec en tête le général Paliarin, frère du roi et père de Rinorin. Bien que Sylvéria avait demandé de l'aide à ses rivaux, personne pensait qu'ils répondraient aussi favorablement. La reine en personne vint recevoir cette délégation inattendue. Elle rencontra le général qui s'inclina respectueusement.
– Mes Hommages, reine Larya. Je suis ici sous les ordres de mon frère, le roi de Waldia, pour mettre nos arcs à votre service.
– Nous vous sommes reconnaissants pour votre soutien, général Paliarin, répondit Larya en s'inclinant à son tour. Pour tout vous dire, nous ne pensions pas que Waldia serait réceptive à notre demande d'aide.
– En toute franchise, nous n'aurions pas cru votre message si nous n'avions pas reçu un message du roi de Danatal à peine un jour avant.
– De Danatal ? s'étonna Sieg en approchant du général. Que voulez-vous dire ?
Paliarin détailla Sieg avant de sourire et le saluer.
– Vous devez être Maître Sieg. Roi Panaros m'a envoyé une lettre le jour où vous êtes partis pour Hydralia pour m'expliquer qu'il avait confié à mon fils la tache de vous servir de guide à Sylvéria. J'ai été surpris de lire ça, mais je connais Panaros, il ne prendrait pas une telle décision si la situation était de la plus haute importance.
– Vous n'imaginez pas à quel point, père.
Le sourire de Paliarin s'élargit en voyant son fils approcher et l'étreignit.
– Veuillez m'excuser. Vous m'aviez chargé de rester au service de Danatal mais...
– Et c'est ce que tu as fait, je ne te faute pas mon fils. De plus, ta présence ici a suffit à dissiper mes doutes concernant la véracité de ce qui se passe ici. Tu dis que ce qui se passe ici est plus grave que ce que je pense ?
– Nous ferions mieux d'en discuter à l'intérieur, déclara Larya. La place publique n'est pas un lieu avisé pour parler de sujets sensibles.
Le général et ses plus proches lieutenants furent guidés dans la principale salle de réunion du palais. Autour d'une gigantesque table circulaire qui poussait au milieu de la salle se réunissaient les principaux acteurs de la situation. Les seuls qui n'étaient pas présents furent Farca et Lorelya, chargées de produire plus de munitions, ainsi que Bélial qui était dans la forêt avec des soldats pour apprendre les particularités du combat en milieu forestier.
Paliarin fut surpris de voir un lieutenant de l'armée de Menora, Matthias, avoir droit à un siège à cette réunion. En tant qu'humain, le général aurait cru que les sylvériens l'auraient laissé à la porte, mais Rinorin avait su convaincre la reine de l'utilité d'inclure le représentant d'une nation humaine qui partageait une si large frontière avec la forêt des elfes.
Quand tous furent installés, plusieurs personnes se relayèrent pour exposer les faits aux soldats de Waldia qui furent déstabilisés par les révélations faites. La véritable identité de l'ennemi, son objectif, le secret de Sieg... Toutes les informations qui étaient connues par les sylvériens furent divulgués sans hésitation, plongeant le général dans une grande perplexité.
– Les Déchus, rien que ça... grommela Paliarin. Et si vous dîtes vrai, ce, n'est pas n'importe qui que nous avons en face.
Le waldien dévisagea l'écarlate qui le regardait avec un franchise et résolution. Aussi incroyable que cela semblait, il arrivait à croire qu'il avait devant lui un héros des temps anciens devant lui. Il ne douta donc pas que leur guerre était contre le mage le plus puissant de toute l'histoire. Même les meilleurs magiciens et druides elfiques ne lui arrivaient pas à la cheville.
– Avons nous la moindre idée de quand ils seront là ? demanda Paliarin.
– Aucune, avoua le bretteur. Cependant, étant donné la localisation des deux autres portes que nous connaissons, il y a de fortes chances qu'il attaque celle-ci prochainement.
– Ce n'est pas très précis, ça... reprocha Carin. Prochainement, ça peut être demain ou dans un mois ! Nous ne pouvons pas...
– Saga est pressé, il ne peut pas se permettre de trop traîner.
Les elfes dévisagèrent Ahmés qui se levait pour prendre la parole.
– Quand nous étions à Taouy, Sieg a absorbé une partie du pouvoir divin que Saga a encore en lui. Vu sa réaction, non seulement il en a besoin, mais il n'a pas de moyen de moyen de s'en procurer plus. Et comme mon ami pourra vous en attester, le pouvoir divin est une force qui peut vite être épuisée quand on ne fait pas attention. Plus il attendra, plus il prendra le risque de ne plus avoir assez d'énergie pour mener à bien son projet qu'il fomente depuis potentiellement des millénaires.
– En effet, enchaîna l'écarlate. Dans une situation ordinaire, attendre le meilleur moment pour frapper serait aviser, mais nous ne sommes pas les seuls ennemis du temps. Je pense qu'il s'est donné un temps limité pour accomplir chacun des ses objectifs, car c'est toujours comme ça qu'il a procédé. Surtout que maintenant, il commence à être connu des gouvernements de ce monde. Avant Taouy, il pouvait se vanter d'être d'agir dans l'anonymat, mais ce n'est plus le cas. Plus il attirera l'attention, plus il aura de fronts à couvrir à l'avenir. Aussi puissant soit-il, ce n'est qu'un homme. Certes, il s'est trouvé des alliés, mais il ne se risquera pas à entrer en guerre avec un continent entier.
L'explication donnée convainquit Carin, bien qu'il refusait de l'admettre. Il se contenta de détourner le regard et ne rien dire de plus.
La reine demanda au général de poster ses hommes dans le village. Le clan Waldia était réputé pour ses archers hors-pairs, faisant d'eux un appuis inestimables pour le combat à venir.
L'assemblée s'apprêtait à se disperser quand Lorelya fit irruption dans la salle. Elle était en nage et reprenait difficilement sa respiration.
– Que se passe-t-il ? lui demanda avec sévérité Isya. Tu devrais être...
– Une véritable armée vient de pénétrer la forêt depuis le sud d'ici ! toussa l'archère quand elle eut repris son souffle. Pour le moment, j'en compte huit... Non, neuf cent ! Et leur nombre ne cesse de grimper !
La reine écarquilla les yeux et s'approcha de la verdoyante.
– Tu en es sûre ?
– Oui ma reine ! Et ils ne sont pas juste humains ! Des orques, des nains... Il y a même des elfes dans leurs rangs !
– Vous vous foutez de nous ? explosa Carin. Pourquoi des elfes...
– Nous n'avons pas que des alliés parmi les autres clans... rappela Larya. Sans oublier les autres tribus qui ne vivent pas dans notre forêt. Pas tous les elfes sont toujours nos alliés.
– Combien sont-ils maintenant ? demanda Matthias.
– J'ai de plus en plus de mal à le dire... souffla Lorelya. Nous avons facilement dépassé le millier et...
Soudainement, l'archère hurla de douleur et tomba à genoux en se tenant la tête. Sa mère s'agenouilla à ses côtés et la prit dans ses bras. Elle l'appela mais sa fille ne répondit pas alors elle lui retira son masque. Les personnes qui ne l'avaient pas encore vue sans s'étonnèrent de sa couleur, mais ce qui frappa les autres était son regard vitreux alors qu'elle pleurait.
– Ils ont tous peur... Les arbres, les fleurs, tous... Ils savent qu'ils vont être éradiqués, ça a déjà commencé... Tant de terreur et de souffrance... Je les entends agoniser...
– Quoi, l'ennemi est en train de brûler la forêt ? paniqua un sylvérien. Ils veulent nous...
– Non... le contredit Lorelya. À l'est... Quelque chose approche... C'est gigantesque... Comment quelque chose peut-être aussi... Aaaah ! Les plantes souffrent !
Voyant que sa descendance souffrait, Sieg se précipita vers elle et la prit par les épaules.
– Respire, Lorelya ! Tu dois garder ton calme ! À quoi ressemble ce qui arrive de l'est ?
La verdoyante désigna le sol où des racines prirent la forme d'une créature à huit pattes. D'étranges protrusions dépassaient de son dos. En voyant ça, Sieg fixa Larya qui venait elle aussi de blêmir. Les autres elfes qui avaient combattus durant la guerre du crépuscule poussèrent des cris de stupeur.
– Mais qu'est-ce que c'est que ça ? demanda Ahmés qui nageait en pleine incompréhension.
– Lorelya ! s'écria l'écarlate. Nous avons besoin de le voir de nous même !
L'archère ferma les yeux et se concentra. Le plafond s'ouvrit alors que le sol s'élevait. La pièce fut changée en une plate-forme qui grimpa loin au dessus de la cime des arbres. Après le bref moment de panique qui avait accompagné ce soudain changement, tout les regards se reportèrent vers l'est et tous restèrent muets face à ce qu'ils découvraient.
Le bord de la forêt regroupait des arbres de plus de cinq mètres. Comparés à ce qui se profilait à l'horizon, ils ressemblaient à de l'herbe haute.
Une monstruosité de métal à huit pattes marchait dans leur direction, piétinant une dizaine de mètres-carré de foret à chacun de ses pas. Une brume sombre s'échappait des cheminées sur son dos. Tout ce que touchait cette fumée dépérissait, aussi bien les arbres que les animaux.
La réaction de Lorelya à l'approche de cet engin de guerre prit tout son sens. Aux yeux de la forêt, l'incarnation de la mort et de la destruction venait de sonner le glas.
– Non... murmura Sieg. Non, Saga... Même toi... Tu n'irais pas aussi loin...
– Tout est perdu... souffla la reine en tombant à genoux, le regard blafard. Nous n'avons aucun moyen de lutter contre ça...
– Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ? réclama le musicien qui prenait peur en voyant la noble reine se laisser aller ainsi.
– Le Néfaste... grommela Sieg en serrant les poings. De toutes les armes mises au point par les démons durant la guerre du Crépuscule, elle était la plus meurtrière. Elle produit un gaz nocif pour tout ce qui ne vient pas du monde des Ténèbres. Impossible de l'approcher sans mourir en quelques secondes. Le vrai problème, c'est qu'il a aussi un champ de force qui repousse tout ce qui n'est pas démoniaque. Quand ils l'ont déployée, elle a fait à elle seule des milliers de morts en quelques heures. Nous n'avons pu l'arrêter qu'en l'isolant des démons qui lui fournissaient de l'énergie assez longtemps pour qu'elle s'épuise. Et même après ça, nous n'avions pas osé la démanteler de peur de libérer tout le gaz stocké. Le Néfaste a été gardé sous étroite surveillance pendant tout le reste de la guerre, nous ne pouvions pas risquer de le laisser tomber entre les mains de l'ennemi de nouveau. Après, j'ignore ce qu'il en est advenu. Par contre, comme l'endroit où nous l'avons arrêté se trouve justement là-bas...
– Nous pensions que plus personne pourrait le réactiver, alors il a été abandonné sur place... révéla Carin. Comment Saga...
– Tyrian... lâcha Ahmés en se désolant de ce qui se passait. Saga a un démon à ses côtés, il a utilisé ses pouvoirs pour réveiller cette monstruosité
– Vous plaisantez ? s'insurgea Carin. Trop, c'est trop ! Les démons ont disparus à la fin de...
– Il en reste trois.
Sidéré, le roi se tourna vers Sieg pour lui hurler dessus. L'écarlate claqua ses doigts juste devant son visage et leva un index pour lui demander de se taire. L'acte déstabilisa assez longtemps Carin pour qu'il se rende compte que le bretteur était plongé dans ses pensées. Sieg scruta l'horizon en se frottant le menton avant de fixer Lorelya. L'archère lui rendit un regard rempli d'incompréhension alors que l'écarlate semblait la juger.
– Sais-tu où est Bélial ?
La question troubla l'auditoire, à l'exception d'Adam, Ahmés et Larya qui comprirent instantanément où il voulait en venir.
– Bélial ? Elle... Elle est quelque part au sud, entre nous et les soldats...
– Qui ont été aussi envoyés pour nous empêcher de nous concentrer sur un problème à la fois... exposa Sieg. Ils ne doivent même pas savoir qu'une arme de destruction massive marche dans la même direction qu'eux...
– Divisons nos troupes ! suggéra Isya. Nous devons...
– En aucun cas nous n'enverrons des soldats se sacrifier inutilement sur le Néfaste ! la contredit Sieg. Toutes nos forces doivent se concentrer sur l'armée au sud, c'est là que tout se jouera !
– Vous avez perdu la tête ? cria Paliarin. Nous ne pouvons juste l'ignorer pendant qu'il détruit la forêt !
– Non, mais comme la seule personne qui a une chance d'arrêter cette horreur est au sud, nous devons la rejoindre au plus vite !
Le waldien dévisagea Larya qui venait de reprendre sa contenance.
– Bélial est une démone, exposa-t-elle. De ce fait, elle seule peut passer la barrière. Cependant, comme je ne pense pas qu'elle puisse faire grand chose seule, j'imagine que ton plan va bien plus loin que juste l'envoyer au front...
– Exactement ! En fait, nous n'aurons besoin que de deux personnes pour arrêter le Néfaste ! Elle et Lorelya !
– Moi ? s'inquiéta l'intéressée ? Mais... Tout meurs au contact de cette chose ! Mes pouvoirs sont...
Sieg s'agenouilla devant l'archère et lui caressa la joue. L'elfe sursauta, peu habituée à de tels actes de bienveillance.
– Tu as reçula bénédiction des dryades pour une bonne raison. Je refuse que c'est pour juste semer la mort, ton pouvoir vient d'êtres qui vivent pour la création. Ta force n'est pas un glaive, mais un bouclier. Je sais que quand tu te dresseras en ultime rempart contre les forces de la destruction, la forêt répondra à ton appel. Si Bélial peut percer la barrière, ce sera à toi de déployer la puissance requise pour anéantir ce cauchemar une bonne fois pour toutes. Je sais qu'ensemble, vous pouvez le faire.
Bercée par les paroles encourageantes de son ancêtre, Lorelya sentit sa peur et ses doutes s'envoler. Même si elle continuait d'entendre les plaintes de la forêt, elle percevait maintenant autre chose. Des millions de petites voix qui s'unissaient en un seul rugissement qu'elle comprit sans mal. La nature elle même réclamait la destruction du Néfaste et comptait sur la verdoyante pour exprimer sa volonté.
L'archère inspira et plongea son regard dans celui de l'épéiste. Il y vit une résolution infaillible qui la pousserait jusqu'à ses derniers retranchements pour atteindre son but.
– Tu veux que je fasse quoi ?
– Je t'expliquerais en chemin ! déclara l'écarlate en l'aidant à se lever. Nous partons tous au sud, mais seul le gros de l'armée affrontera les forces ennemis ! Une troupe d'élite doit localiser Bélial et vous protéger jusqu'à ce que vous éliminiez le Néfaste !
– Nous devrions laisser une cinquantaine d'hommes ici pour veiller sur la porte ! ajouta Ahmés. Saga devra s'y rendre directement s'il veut l'ouvrir, et comme il est capable de se téléporter sans aide...
– Moi et mes troupes resteront ici pour veiller sur la famille royale ! déclara Isya. Moi vivante, il ne leur fera aucun mal !
– Envoyez un message à toutes nos troupes ! ordonna Larya. Ils doivent ignorer le Néfaste, ils ne pourraient même pas le ralentir ! Que toutes nos forces se pressent au sud, car l'heure du combat à sonné !
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