Chapitre 43 : Une lente maturation

Lorelya ouvrit les yeux pour ne pas reconnaître le plafond au-dessus d'elle. Après un bref moment d'incertitude, elle réalisa qu'elle était allongée dans un des lits de l'infirmerie du village. La lumière du jour perçait à travers les fenêtres, éclairant plusieurs lits occupés.

Un ronflement attira son attention et elle tourna la tête son origine. Sieg était en train de dormir dans le lit voisin, mais il n'était pas la source du bruit. À moitié avachie à côté de lui, Bélial bavait sans lâcher la main de son partenaire. Elle était assise sur une chaise, indiquant qu'elle avait tenue à le veiller mais s'était écroulée de fatigue.

La verdoyante ne put s'empêcher de sourire en les voyant ainsi et se redressa sur son lit. Elle vit qu'elle ne portait qu'une large tunique qui lui arrivait presque aux genoux. En scrutant la salle, elle vit son masque en face de son lit, posé sur ses vêtements pliés sur une commode. Elle glissa ses jambes hors du lit, faisant grincer le sol en balançant son poids dessus.

Alertée par ce son, la démone se réveilla en sursaut et agita la tête dans tous les sens, cherchant un potentiel danger. L'archère ricana et fit signe à la jeune femme que tout allait bien.

– Je ne voulais pas te déranger... Je vais y aller, je pense que je n'avais besoin que de sommeil...

– Tu vas laisser une spécialiste décider ça, d'accord ?

Lorelya se tourna d'un quart et vit Farca l'approcher en soupirant.

– Même si j'avoue que te revoir sur tes pieds m'arrangerait, j'aurais besoin de ton aide pour un truc.

– Désolée, mais je dois veiller sur...

Ignorant les commentaires de sa patiente, la sang-mêlée plaqua le dos de sa main sur son front avant de prendre son pouls. L'alchimiste se plaça devant la verdoyante pour la regarder droit dans les yeux avant de lui pincer la bouche pour la faire tirer la langue.

– 'ais 'a'he 'oi...

– Pas avant d'en avoir fini avec mon diagnostique. Tu ne vas pas sortir d'ici tant que je ne serais pas satisfaite que tu sois en bonne santé.

– Et qu'est-ce que ça peut te faire ce qui m'arrive, hein ? Je n'ai rien fait pour que tu te soucies autant pour moi !

– C'est vrai... répondit platement la naine. Rien à part sauver mon chef au péril de ta vie... Ce n'est pas comme si on avait une dette envers toi pour ça...

J'avoue que j'ai du mal à trouver un bon argument contre ça...

Lorelya regarda brièvement le visage assoupi de l'écarlate avant de baisser les yeux.

– Il a failli mourir pour sauver un membre de mon clan, je ne pouvait pas le laisser crever comme ça.

– Et c'est la même logique pour moi. Tu avais peut-être tes raisons de le tirer de là, tu ne peux pas ignorer celles qui me poussent à te soigner. Et puis, je sais qu'il s'en voudrais si tu devais payer le prix de son sauvetage.

À court d'argument, Lorelya laissa Farca finir son analyse. Elle rougit quand la sang-mêlée colla sa tête contre sa poitrine et garda ses distances après ça.

– Bon, je m'inquiétais pour rien... conclut l'alchimiste. Évite juste de foncer dans des arbres en feu à l'avenir...

Dommage, ça a l'air marrant comme activité...

– Ne t'en fais pas, je ne compte pas en faire une habitude... lâcha Lorelya en sortant de son lit.

– Je l'espère bien...

L'archère dévia son regard vers la porte et vit Isya l'approcher en posant sur elle un regard dur.

– Je suis heureuse de te voir debout, ma fille.

– Je suis désolée de vous avoir inquiété, Mé...

La gifle siffla dans l'air avant de percuter la joue de la verdoyante. Choquée pendant une seconde, elle comprit vite la raison de son geste.

– Tu es pathétique. Tu as le devoir de veiller à la sécurité de la forêt, surtout par les temps qui courent. Et toi, que fais-tu ? Tu te mets en danger de façon inconsciente ! Et je ne fais pas allusion au fait que c'est un humain que tu as sauvé, je te dirais la même chose si c'était l'enfant que tu avais tiré des flammes !

– Vous ne pouvez pas penser...

– Oh si je le peux ! gronda Isya en faisant trembler sa fille. Tu es spéciale, unique ! Tu es le véritable avenir de notre clan... Non de notre race toute entière ! Tu es destinée à de grandes choses ! Affronter de faibles humains pour protéger les autres ne me dérange absolument pas, mais te jeter ainsi dans un brasier ? Pour une seule vie ? Même s'ils étaient une centaine dans cet arbre, ton sacrifice aurait était le plus absurde des sacrifices ! Ta vie vaut bien plus que celle des autres, y compris la mienne !

Ce serait la mère de l'année si elle savait faire la différence entre discipline et crimes de guerre...

– OK, on va peut-être se calmer, les autres patients ont besoin de...

Isya adressa à Farca un regard noir qui la dissuada de continuer.

– Bien que je vous sois reconnaissante d'avoir veillé sur la santé de ma fille, ceci est une histoire de famille, alors je vous prierais de ne pas vous mêler de ça.

– Parfait, parce que ça veut dire que j'ai mon mot à dire....

Les femmes fixèrent Sieg qui se redressait péniblement dans sa couche. Bélial essaya de l'en dissuader, mais elle reconnut la lueur dans ses yeux et l'aida à la place.

– Nous sommes peut-être du même sang, cela ne fait pas de nous une vraie famille... critiqua Isya en toisant le bretteur.

– On voit bien que je n'étais pas impliqué dans ton éducation, sinon tu saurais comment t'adresser à tes anciens... répondit l'écarlate. Ce n'est pas une façon de parler à ton grand-père, même si tu ne le connais pas...

– Et à qui la faute si je ne te connais pas ? demanda Isya en se détournant de sa fille. Qui a abandonné ma grand-mère et mon père pour aller se prélasser aux côtés des dieux ?

Sieg serra les dents et croisa le regard de sa arrière petite-fille. Dans sa tête, débattre ne servirait à rien, sa mère aurait infailliblement raison. Le regard de l'écarlate bascula sur les bandages de l'archère et devina sans mal que les blessures qu'ils couvraient ne venaient pas de l'incendie. Sa rage bouillonnant dans son ventre, Il se leva et dévisagea froidement Isya.

– Je commence à en avoir marre que vous me sortiez cette excuse à deux balles ! Moi, vous abandonner ? Comment fuir ce qu'on ne sait existe ? Et tu dis ça comme si j'avais eu le choix à l'époque ! J'étais à l'agonie et aux portes de la mort, je délirais tellement que si un rat m'était apparu et m'avait dis qu'il pourrait me sauver si je le servais, je n'aurais pas hésité une seule seconde ! Mais manque de chance, c'est une déesse qui m'a enfermé avec huit autres personnes qui ont lentement perdu la raison et leur honneur ! Si les elfes sont capables d'endurer le passage des siècles, l'esprit humain n'a jamais été prévu pour ça !

Isya fit un pas en arrière, intimidée par l'élan de rage de cet humain qu'elle avait cru trop faible d'esprit pour se dresser contre elle de cette façon. Bélial remarqua l'étincelle qui commençait à briller dans les yeux de Lorelya et comprit ce que son partenaire cherchait vraiment à faire.

– Alors quoi ? Juste parce que des personnes qui ne m'ont jamais rencontré, n'ont jamais essayé de savoir quel genre d'homme j'étais, ont décidé que je n'étais qu'un salaud pour qui le mot famille ne veut rien dire, ça devient la vérité ? Non, et si tu es assez ignorante pour penser ça, il semblerait que mon intellect a sauté ta génération ! Au moins, elle n'a pas ignoré la suivante !

Ah, elle ne l'a pas volée, celle là...

Outrée, Isya ouvrit la bouche mais Sieg lui tourna le dos en prenant la main de Lorelya et s'éloigna avec elle.

– J'ai bien compris ce que tu as fait à ta propre chair, et crois moi...

– Ça suffit ! cria Lorelya en se libérant de l'emprise de l'écarlate. Je n'ai pas besoin que tu me sauves !

– Exactement, se gaussa Isya en posant sa main sur l'épaule de sa fille. Tu n'as pas...

La verdoyante s'agita et fit face à sa mère.

– Et vous, je vous interdis de me juger sur ce que j'ai fait hier ! Vous m'avez enseigné que mon pouvoir ne pouvait sauver les elfes qu'en écrasant mes ennemis, mais hier, je n'ai pas eu besoin de faire souffrir qui que ce soit pour venir en aide à quelqu'un ! Sauver une vie quand on en a le pouvoir n'est jamais un crime ! Même si...

Lorelya se figea, se mordant presque la langue. Isya vit la faille dans la rébellion de sa fille et profita de l'ouverture.

– Même si quoi ? Alors ? Tu ne peux même pas...

– Même s'ils sont humains...

Isya fronça les sourcils. Même si c'était faible, elle ne s'attendait pas à ce que sa fille ose lui répondre. Elle fit un pas vers elle et lui prit sèchement le menton, la forçant à la regarder droit dans les yeux.

– Même si quoi ?

L'archère sentit sa bouche s'assécher. Elle n'avait que rarement vu sa mère autant énervée. Son masque de calme ne la trompait pas, elle était furieuse. Quand elle était comme ça, la verdoyante perdrait toujours ses moyens.

Mais pas aujourd'hui.

Elle approcha son visage de celui de sa mère, ne détournant pas le regard un seul instant.

– Même s'ils sont humains. Chaque vie se valent, c'est de cette façon que l'équilibre de la nature est maintenu. Rien n'est au-dessus de ça, et ceux qui osent croire le contraire finissent toujours par être dévorés. Punissez-moi autant que vous voulez, vous ne pourrez jamais changer ça !

Isya examina sa fille avec un regard froid. Elle pouvait lire la terreur en elle, lui tenir tête demander toute sa volonté et elle risquait de flancher à tout moment. Isya se retint de rire et repoussa sa fille.

– Soit, il est inutile de punir une personne qui ne reconnaîtra jamais qu'elle a eu tort... Mais la prochaine fois que tu fais quelque chose d'aussi stupide...

Une ombre couvrit Lorelya, menant sa mère à lever les yeux. Bélial la regardait sévèrement.

– Tu ferais quoi ? Et me sors pas la réplique de la famille, parce qu'elle a sauvé l'homme que j'aime. D'après les règles de mon clan, ça fait d'elle ma sœur. Et si t'es pas contente, on peut en discuter ensemble dehors. Je serais très contente de te présenter d'autres coutumes de mon peuple...

La menace peu subtile resta en suspens. Isya défia du regard la barbare, mais elle réalisa vite que la jeune femme ne comptait pas flancher.

– Ce qui ferais presque de toi ma fille... pesta-t-elle. Je serais presque en droit de t'éduquer, vu que ça n'a jamais été fait...

Bélial grogna alors qu'Isya tournait les talons pour sortir.

– J'ai bien trop à faire pour perdre mon temps avec ces bêtises. Et vous aussi. Au cas où vous l'auriez oublié, nous sommes en guerre.

Quand Isya ferma la porte derrière elle, Lorelya tomba à genoux, n'en revenant pas de ce qu'elle avait osé faire. Bélial s'accroupit et lui demanda si elle allait bien. L'elfe baissa la tête en serrant les pans de sa tunique.

– ... C'était des histoires, pas vrai ? Le truc sur les sœurs...

– Quoi, ça ? Bah non, c'est du sérieux, ça ! Mais bon... T'es la descendante de mon homme, ça ferait bizarre si je t'appelais ma sœur...

C'est clair que votre arbre généalogique serait catastrophique...

– Et tu es beaucoup trop jeune pour être mon ancêtre, alors au final, nous ne sommes rien, toi et moi. Tu n'as pas à...

– Ah ben si, on est quelque chose ! On est potes, au minimum !

Lorelya écarquilla les yeux et se retourna vers la démone qui lui souriait, rayonnant comme un soleil. Toute sa vie, on l'avait au mieux ignorée, au pire fait souffrir, personne n'avait voulu d'elle. Et pourtant, quelqu'un venait de lui dire qu'elle voulait son amitié. Elle s'empourpra et se leva pour prendre ses affaires. Bélial la regarda sortir sans comprendre avant de se tourner vers Farca qui soupirait en se pinçant l'arrêtes du nez.

– Bah quoi ? J'ai dis un truc qu'il fallait pas ?

Disons juste que ton tact est à revoir...

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