Chapitre 42 : Flammes et volonté

Même en s'enveloppant de vent pour gagner en vitesse, Sieg manqua plus d'une fois de perdre de vue Lorelya qui traversait le village à toute vitesse. À mesure qu'ils avançaient, l'écarlate vit que les gens qu'ils croisaient étaient d'abord surpris de les voir courir, puis inquiétés par quelque chose, et enfin paniqués. Quoi qu'il se passait, ils s'en approchaient rapidement.

Les narines du bretteur lui donnèrent un premier indice de ce qui se passait tellement clair que les autres ne firent que confirmer ses craintes. En levant les yeux, il distingua à peine une épaisse fumée noire à travers les branches. Sous les hurlements qui devenaient de plus en plus forts, il entendit un crépitement loin de lui être inconnu. Un goût de cendre envahit sa bouche. Quand enfin il fut face à la source de tout ce tumulte, sa peau sembla prête à s'embraser.

Un des arbres du village brûlait, se recroquevillant sur lui même. Le reste de la végétation semblait s'être éloignée de lui, mais les branches au-dessus de leurs têtes s'écartant autant que possible d'arbre incandescent. Sieg eut l'impression que la forêt elle même essayait de se protéger du cataclysme qui pourrait tout ravager s'il s'étendait.

Autour de l'incendie, des elfes formaient des chaînes pour lancer des sceaux d'eau sur les braises qui essayaient de s'étendre. Ils avaient perdu l'espoir de sauver l'arbre qui se consumait trop vite.

Sieg repéra Lorelya qui fixait les flammes les bras ballants. Ses pouvoirs étaient grands, ils avaient leurs limites, et les flammes en étaient leur plus grande. Quoi qu'elle puisse tenter de faire pousser, ses créations s'embraseraient vite et risqueraient de propager le feu. Sieg s'approcha d'elle et se retint de poser sa main sur son épaule, redoutant sa réaction.

– Tu n'as pas à t'en vouloir. Personne est omnipotent, il y aura...

– Il y a une enfant coincée...

Malgré l'intense chaleur qui l'agressait, l'écarlate sentit son sang se glacer. Il fixa l'incendie avec horreur avant de scruter la foule. Il aperçut une femme qui regardait autour d'elle, paniquée. Le bretteur dévisagea autant que possible la verdoyante. Si elle ne portait pas son masque, il savait qu'il pourrait lire sur ses traits la honte et l'impuissance, mais aussi une indescriptible terreur. Ce n'était pas la première fois qu'elle assistait à une telle scène, et une fois encore, elle était incapable d'agir.

Sieg serra les dents et demanda où était l'enfant exactement. Troublée, l'archère lui indiqua le dernier étage.

– Évidement, elle ne pouvait pas être juste à côté de la porte d'entrée... grommela Sieg. Elle est encore en vie ?

Lorelya hocha la tête. L'écarlate se recouvrit d'une armure de vent et d'eau qui repousserait les flammes et la fumée et se rua à travers l'entrée de l'arbre sous les regards incrédules des elfes. L'archère n'avait pas eut le temps ou même la force de retenir son ancêtre, pétrifiée par les démons de son enfance. Une fois de plus, un membre de sa famille se jetait dans les flammes pour sauver autrui, et elle redoutait que le passé soit condamné de se répéter.

Elle put suivre les mouvements du bretteur un temps, le voyant se frayer un passage à travers les décombres et grimpa au premier étage avant que la dernière étincelle de vie de l'arbre ne le quitte. À la mort de celui-ci, elle perdit la capacité de ressentir ce qui se passait à l'intérieur.

– Flotille ? cria la femme qu'avait remarqué Sieg en regardant autour d'elle. Flotille, où es-tu ? Réponds moi !

Les autres elfes autour d'elle se mirent à chercher l'enfant aussi mais Lorelya se tut. La verdoyante ne voulait pas donner de faux espoirs à cette mère désemparée, mais surtout, elle savait ce qu'ils attendraient d'elle. Bien que ses pouvoirs ne pouvaient rien contre les flammes, ils insisteraient pour qu'elle intervienne, la blâmant du sort de l'enfant si elle refusait d'agir ou si elle échouerait. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était...

Croire en un humain.

Pour la première fois depuis des siècles, elle ne se sentait pas révulsée d'avoir eut une telle pensée. Les humains n'avaient fait que trahir ses attentes, lui prouver qu'ils ne méritaient pas d'être traités avec respect, et pourtant, celui qui avait joué un si grand rôle dans la chute de leur race risquait tout pour une enfant elfique qu'il ne connaissait pas.

– Dis moi où elle est !

Lorelya quitta l'incendie du regard et vit qu'elle était fixée par la femme qui éclatait en sanglots. Ses yeux étaient un mélange de rage et de désespoir. Elle avait appris que quelqu'un s'était jeté dans les flammes et ne doutait pas de la raison. Elle cherchait chez la verdoyante des réponse et une solution qu'elle ne pourrait pas apporter.

– Elle est encore à l'intérieur, c'est ça ? Pourquoi tu ne fais rien ? Tu es supposée être notre protectrice, et pourtant, quand on a besoin de toi, tu n'essayes même pas de faire la seule chose que l'on attends d'une erreur comme toi ! Mais à quoi tu sers, bon sang ?

– Je... balbutia Lorelya en reculant.

– Elle a raison !

– Nous ne tolérons ta présence que pour cette raison, et tu n'essaye même pas ?

– Je savais qu'on ne pouvait pas lui faire confiance !

Où que l'archère posait le regard, elle ne voyait que haine et déception. Personne essayait de la comprendre. Personne voyait sa détresse. Personne ne voulait d'elle. Comme elle l'avait craint, elle devint le défouloir du village qui était paniqué et ne savait pas comment régler le problème. La verdoyante était encerclée par une foule qui la démonisait et lui reprochait tous les mots.

Après tous les efforts qu'elle avait fournit. Après tous les combats qu'elle avait mené. Après tous ces humains qu'elle avait tué pour protéger les siens. Voilà ce qu'elle gagnait en retour. À croire qu'elle avait lutté pour rien pendant des siècles.

Une faible toux attira l'attention de la foule. Enveloppée de la même armure que Sieg, une fillette sortait de l'arbre en titubant, pleurant toutes les larmes de son corps. Sa mère se jeta sur elle et la porta loin des flammes sous les acclamations du village.

– Flotille ! Si tu savais combien j'étais inquiète ! Je suis si heureuse que...

– Le monsieur tout rouge... Il est coincé...

Lorelya écarquilla les yeux et les posa sur la fillette qui essayait en vainc d'essuyer les larmes qui ne cessaient pas de couler.

– C'est lui qui m'a trouvée et m'a portée jusqu'en bas... Mais le plafond est tombé et il m'a lancé en me donnant son armure... Il m'a dis de sortir aussi vite que possible...

L'archère chancela. Quelle que soit l'époque, ses cauchemars étaient-ils condamnés à se répéter ? Devait elle perdre toute sa famille dans les flammes.

– Au moins, cet humain aura su se rendre utile avant de mourir...

– C'est clair, qu'il se sente honoré que sa misérable vie a au moins pu sauver une des nôtres...

La verdoyante sentit son poil se hérisser à mesure que les murmures gagnaient en intensité. Les elfes venaient d'assister à un acte de bravoure qu'ils n'avaient pas eux même envisagé accomplir, et voilà les seuls remerciements qu'ils lui donnaient. Humain ou non, un tel sort était intolérable.

– Et le plus pitoyable, c'est qu'un minable comme lui a accompli bien plus que notre soi-disant protectrice... railla un homme en approchant d'elle. Tu devrais avoir honte ! Tu es en partie elfique, et pourtant, un humain complet a été plus...

Lorelya ne réalisa ce qu'elle avait fait que quand elle entendit l'homme s'effondrer au sol. Il la fixait avec stupeur en se tenant le nez qu'elle venait d'écraser d'un coup de poing. Choquée par ce qui venait de se passer, la verdoyante ne sentit aucune honte. Au contraire, elle avait les idées claires soudainement et savait ce qu'elle devait faire.

– Oui, tu as raison... grinça l'archère en secouant la tête. Tant de pouvoir, et je n'essaye même pas de sauver une seule vie...

Des racines poussèrent et s'entortillèrent autour du corps de Lorelya, lui créant une armure végétale. Ignorant les remontrances des elfes, elle se dépêcha de s'engouffrer dans l'arbre en feu. De ce qu'elle avait entendu, Sieg ne devait pas être loin, elle n'aurait donc pas besoin de le chercher longtemps.

La chaleur des flammes lui donnèrent l'impression de brûler mais elle ne ralentit pas, bravant le danger. Son armure se désagrégeait rapidement, mais à chaque pas qu'elle faisait, de nouvelles racines glissèrent entre son corps et les anciennes, renouvelant sa protection.

La fumée restait un danger pour elle, mais les leçons qu'elle avait tiré de son combat contre Bélial lui furent utiles. Elle cessa de respirer avec la bouche et son nez, laissant quelques plantes glisser sous ses vêtement pour se planter dans sa peau. Contrairement à sa protection, ces plantes étaient connectées aux racines des arbres non loin d'elle, siphonnant une partie de leur oxygène pour l'injecter directement dans son corps. L'archère se sentit mal à l'aise quand ses poumons s'arrêtèrent de travailler, mais elle ne perdit pas ses forces en continuant d'être approvisionnée en air pur.

Les deux techniques étaient loin d'être parfaite, mais elles suffisaient pour le moment.

En arrivant dans le salon, elle découvrit Sieg, dépassant à peine des décombres. Lorelya s'approcha de lui et vit qu'il était inconscient. Elle le recouvrit d'une armure végétale comme la sienne mais ne se risqua pas à lui donner de l'oxygène via des plantes. Elle avait risqué cette approche sur elle même parce qu'elle était en partie dryade, mais elle avait peur qu'un corps qui n'avait rien de végétal ne supporte pas ce traitement.

L'archère tenta de soulever les décombres mais parvint à peine à les remuer. Ne se laissant pas décourager, elle commença à faire pousser des arbres en dessous et perdit l'équilibre. Sa tête tournait, mais elle savait que la chaleur et la fumée n'étaient pas coupables. Quoi que l'on puisse clamer, ses pouvoirs avaient des limites. Comme toute autre action, contrôler la nature l'épuisait, et les efforts qu'elle fournissait maintenant n'étaient pas à être sous-estimés. La verdoyante savait qu'elle approchait ses limites mais elle les ignora. En grognant sous l'effort, elle força les arbres à pousser et soulever les décombres. Lorelya tira l'écarlate hors de danger et laissa retomber les décombres.

Elle soutint le corps du bretteur en lui tenant la taille et sa main après avoir fait passer son bras derrière ses épaules. La distance qui les séparaient de la sortie semblait interminable, la fatigue lui sapant ses dernières forces. Elle se força tout de même à marcher, chassant ses pensées défaitistes. Chaque pas était un supplice, mais elle ne faiblit pas.

Après ce qui lui avait semblé être une éternité, elle arriva à la sortie de l'arbre et s'effondra au sol. Lorelya savait qu'ils étaient pas encore en sûreté, mais elle n'en pouvait plus. Elle n'espérait même pas que les elfes prennent le risque de les tirer en sûreté, se doutant qu'ils préféreraient les laisser brûler que se mettre en danger. L'archère fixa le bretteur, sentant qu'il n'était pas encore mort à travers les racines qui le recouvraient, mais cela ne durerait pas. Même en donnant tout ce qu'elle avait, elle n'allait pas réussir à le sauver.

Des mains se posèrent sur son corps et la tirèrent hors des flammes. Lorelya distingua à peine la forme de Bélial qui se penchait sur le corps de son partenaire pour le prendre dans ses bras.

Une fois tirée de danger, la verdoyante vit qu'elle était portée par Adam qui la posa doucement au sol. Son armure se brisa et elle inspira sa première bouffée d'air depuis plusieurs minutes. Ses poumons semblaient être en feu quand de l'oxygène les remplirent enfin. En toussant, l'archère se roula sur le côté pour voir ce qui se passait du côté de Sieg.

En pleurs, Bélial regardait Farca ausculter le bretteur avant de soupirer et lever son pouce. Une joie qu'elle n'avait plus ressentie depuis si longtemps enveloppa l'archère en sachant que ses efforts n'avaient pas été inutiles.

La barbare caressa tendrement le visage de son amant avant de regarder la verdoyante. Elle rampa jusqu'à elle et la prit dans ses bras, la serrant si fort que Lorelya craignait de finir brisée en deux.

– Merci ! Je... Putain, merci ! Je ne sais pas ce que j'aurais fait si tu... tu...

La douleur que Lorelya avait ressenti jusqu'ici semblait s'être évanouie. Bien qu'elle venait de sortir d'un véritable enfer, elle sentait une chaleur encore plus intense l'embraser, mais elle était douce et apaisante. L'archère était baignée dans une aura de compassion et d'amour qui dissipa ses craintes. Alors que les membres de son clan ne la féliciterait jamais, encore moins pour le sauvetage d'un humain, cette femme faisait preuve d'une reconnaissance sans limite.

Bercée par la bienveillance qui inondait son cœur aride, Lorelya ferma les yeux et s'endormit, l'esprit apaisé.

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