Chapitre 41 : La souffrance des enchaînés
Les rayons du soleil perçaient difficilement la cime des arbres alors que la nuit s'apprêtait à tomber. La sève des arbres brilla plus fort que durant la journée, éclairant le village d'une douce lueur. Sieg et Bélial retrouvèrent leurs compagnons sur la place publique et partagèrent leurs impressions sur le clan Sylvéria.
– Niveau accueil, j'ai connu mieux dans des campements orques... se plaignit Farca. À part avec le forgeron, j'avais l'impression de ne pas exister...
– Et moi qui croyais que les elfes étaient charmants et élégants... soupira Ahmés. Rarement j'ai été traité avec autant de mépris, même dans les pires bars... Et croyez moi, j'en ai connu des bien sordides quand je débutais...
– Analyse Terminée : La Coopération S'Annonce Compliquée.
– Rien que nous n'avons pas prévu, en sommes... résuma l'écarlate avec lassitude. Nous ferions mieux de rentrer, je ne pense pas...
– Mais tu vas arrêter de traîner espèce d'incapable ? J'aimerais retrouver ma famille avant demain matin !
Interpellés, le groupe observa une sordide scène. À plusieurs mètres d'eux, une humaine était effondrée au sol, respirant difficilement. Près d'elle, un elfe décrochait un fouet de sa ceinture et lui hurlait dessus sans le moindre respect.
– J'en ai rien à faire que tu me fasses une crise, je ne vais pas perdre du temps à aller te chercher ton médicament ! Si tu le veux, tu iras le trouver chez toi, mais d'abord, debout ! Je refuse d'attendre que tu rampes jusque là !
L'humaine tenta de se relever mais ne parvint pas à rassembler la force nécessaire. Avec un regard mauvais, l'elfe leva son bras.
– Hé ! s'énerva Bélial en faisant un pas vers la scène. Quoi, t'es trop con pour comprendre qu'elle va pas y arriver seule ? Même moi, je sais que la fouetter, ça va pas l'aider des masses !
Je partage ton sentiment, mais je pense que nous avons déjà assez d'ennuis comme ça...
L'elfe fixa la démone avec stupeur. Elle vit qu'il était à deux doigts de la frapper à la place mais il se retint juste à temps. Il venait de se souvenir que cette bande ne devait pas être traités comme des esclaves, mais rien le forçait à les respecter.
– Mêle toi de tes affaires, étrangère ! Si je ne montre pas aux autres le prix de la paresse, ils vont croire qu'ils...
– Paresse ? hurla Farca, surpassant même la barbare sur le plan de la colère. Non mais regardez là ! Elle fait une putain de crise, elle peut à peine respirer ! Et vous savez bien que c'est une maladie, vous parliez de son remède à l'instant !
– Oui, et les traitements se méritent ! rétorqua l'elfe en désignant les autres esclaves. Ils méritent à peine qu'on les nourrisse, c'est déjà un miracle que l'on soigne celle là ! Si elle continue de me faire perdre mon temps, je vais lui prendre son médicament et le revendre à des elfes qui en ont plus besoin ! Ce sera la compensation pour...
L'alchimiste cria une insanité en Nain qui fit suer le bretteur. Si les elfes avaient compris de quoi elle venait de les traiter, ils l'auraient écorchée vivante sur la place publique, peu importe les ordres de la reine. La sang-mêlée marcha vers l'esclavagiste troublé, mais elle l'ignora complètement. Toute son attention était portée sur la malade à la respiration rauque. Elle analysait ses symptômes, cherchant à déterminer la cause exacte de son état.
– Qui t'a autorisée à approcher, gamine ? Restes où tu es et mêles toi de tes affaires ! Ne crois pas que la protection de la reine te protégeras si tu me donnes une bonne raison de te corriger !
Pour montrer toute l'étendue de sa peur, Farca ne leva même pas le regard vers lui et s'agenouilla près de sa nouvelle patient, lui levant la tête pour l'ausculter.
– Avez-vous des problèmes à respirer en permanence, ou seulement durant un effort intense ? Des problèmes de vue ?
– Je... toussa l'humaine.
L'elfe se pencha sur la sang-mêlée et posa sa main sur son épaule.
– Tu es sourde ou quoi ? Je t'ai ordonné de...
Sans prêter la moindre attention à ce qu'il disait, l'alchimiste sortit un flacon de son sac et le déboucha juste devant son visage. Une fumée jaune vint lui enflammer les yeux, le nez et la gorge. En poussant un cri de souffrance, il recula en laissant tomber son fouet pour se couvrir le visage.
Et c'est pour ça que tu ne dois jamais lui avouer que c'est toi qui a mangé son dessert favori qu'elle avait mis de côté...
– Bon, maintenant que nous avons un peu de calme, reprenons... J'ai besoin que vous me répondiez si vous voulez que je vous aide.
Sidérée, l'esclave fixa son tortionnaire qui gémissait en posant un genoux à terre. Farca attira son attention en claquant des doigts devant ses yeux.
– Ho, c'est par ici que ça se passe ! Ignorez le bouffon, c'est moi qui vous parle là ! Des réponses, maintenant !
– C'est quoi ce foutoir encore ?
Magnifique... Quand il n'y en a plus, il y en a encore...
Farca ne détourna pas le regard une seule seconde quand un groupe d'elfes approcha, portant le même uniforme que l'esclavagiste. Entre deux râles de douleur, il désigna la naine.
– Je peux savoir ce que tu viens de faire à mon frère ? rugit une elfe en prenant son fouet. Tu pense que je vais...
Elle fit un pas en avant mais se cogna contre une barrière. En se frottant le nain, elle vit un colosse en armure marcher vers eux en leur parlant.
– Protocole D'Excuses Enclenché ! Veuillez Patienter Le Temps Qu'Elle Ait Fini De Soigner Cette Femme. Tout Refus De Coopérer Vous Coûtera La Capacité D'Un Jour Manger Une Salade ! Conclusion : Veuillez Circuler !
Ce sera avant, ou après leur avoir brisé les rotules ?
– Non mais ça va bien ? grogna un elfe. Nous sommes responsables de cette loque au sol, vous ne pouvez pas la toucher sans notre...
– Sérieusement, ce n'est que la caratone ? s'exclama Farca. Je pensais que c'était plus grave ! Ça se soigne en une nuit avec les bons médicaments !
– Comme si nous allions gâcher de bons remèdes sur une simple esclave ! On lui donne juste ce dont elle a besoin pour travailler, et si elle ne tient pas le coup, ce n'est pas les remplaçants qui manquent ! Maintenant, fini de jouer, écartes toi d'elle !
Pour la première fois, l'alchimiste croisa le regard d'un des esclavagistes qui ne put s'empêcher de sursauter. Au delà de la condescendance qui brillait dans son regard comme un soleil, il avait l'impression qu'elle le dissuadait d'en rajouter s'il ne désirait pas contracter une maladie inconnue qui le ferait agoniser des semaines durant. La naine grommela quelque chose dans sa langue natale et fouilla dans son sac pour les médicaments dont elle avait besoin.
Les elfes bougèrent, mais un pas de la part du gardien les mit en garde contre toute action inconsidérée. Le duo fut vite rejoins par leurs trois compagnons qui dévisageaient les elfes. Bien que Sieg comptait remonter les brettelles de la sang-mêlée une fois l'incident clos, il était plus que disposé à lui montrer son soutien en cet instant.
Bélial guetta le premier mouvement suspect des esclavagistes en faisant craquer son poing.
Un jour, je sais qu'on réussira à aller quelque part sans que ça ne risque de partir en guerre générale... Bon, il faudra aller dans un village abandonné où il n'y a plus personne, mais même là, je sens que les fantômes nous poseraient des problèmes...
Farca soigna sa patiente dont la respiration était plus calme. Elle fit signe à Adam de la prendre dans ses bras et toisa les elfes.
– Elle ira mieux dès demain, mais vu votre approche de la médecine plus barbare que la sauvage derrière qui n'a même pas pris dix bains depuis sa naissance, je sais qu'elle est encore trop faible pour marcher. Comme vous êtes clairement trop empotés pour le faire vous même, nous allons la porter jusqu'à chez elle. Vous avez un problème avec ça ?
Les deux groupes se dévisagèrent dans un silence pesant. Les passants autour d'eux gardaient leurs distances en murmurant, peu enclins à intervenir.
– Pourquoi je ne suis pas surprise...
Lorelya s'approcha en soupirant avant de s'adresser aux esclavagistes.
– Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ?
– Ces sales intrus ont débarqué et ont commencé à nous menacer alors que l'on escortait les esclaves jusqu'à chez eux ! Et je ne sais même pas ce qu'ils ont fait à celle là !
– On appelle ça prodiguer des soins, clarifia Farca avec humeur. Ce décérébré en train d'agoniser au sol pensait que le meilleur traitement pour une crise de caratone était le fouet. Je n'ai fais qu'apporter mon point de vue de professionnelle et j'ai su me montrer plus convaincante que lui. Malheureusement, ses copains sont plus longs à la détente.
– Tu vas la boucler espèce de...
– Stop ! l'interrompit l'archère en levant la main. Vos conneries sont en train de me donner la migraine. Ils ne sont pas en train de l'enlever, pas vrai ? Ils l'ont même soignée sans rien demander en retour, non ? Alors arrêtez de perdre du temps et raccompagnez ces esclaves à leurs niches ! Et s'ils veulent se fatiguer à raccompagner celle-là eux même, je ne vois pas pourquoi en faire tout un putain de cirque !
Les esclavagistes serrèrent les dents, se retenant de cracher leur bile. Lorelya savait qu'ils aimaient autant l'entendre leur donner des ordres que de devoir tolérer des humains libres dans leur village, mais elle s'en moquait. Elle représentait la volonté de la reine et ils devaient s'y tenir. Une femme fit signe aux autres de se remettre au travail, mettant fin au débat.
La verdoyante marcha vers son aïeul et frappa son épaule en refoulant un cri de rage.
– Vous pensez que j'ai rien de mieux à faire que régler vos petits problèmes ? Je ne sais pas ce qui m'a retenue de juste vous flanquer tous les cinq dans la prison pour la nuit pour vous remettre les idées en place ! Franchement, tout ça pour une putain d'esclave, vous êtes sérieux ?
– Ce n'est pas comme si... commença l'écarlate en prenant le bras de sa descendante.
Lorelya lâcha un cri de douleur et recula en se massant le bras. Sieg fronça les sourcils. Il n'avait pas mis assez de force pour obtenir une telle réaction de la part de l'archère. Il vit des gouttes vertes tomber de sa manche et s'inquiéta.
– Mais tu es blessée ! Farca, vois ce que tu...
– Ne me touchez pas ! hurla la verdoyante en reculant encore. Vous ne croyez pas que j'ai assez souffert à cause de vous ? Vous me filez la nausée, alors rendez-moi service pour une fois, ne m'approchez plus !
– On va raccompagner cette femme chez elle... déclara en tirant la démone par la manche et en faisant signe au gardien. Nous ne devrions pas nous mêler à des histoires de famille...
– Quelle famille ? hurla Lorelya à l'encontre des quatre personnes qui s'éloignaient. Cette vermine n'est rien pour...
– Qui t'a fait du mal ?
Lorelya fixa Sieg avec étonnement avant de se détourner de lui.
– Mais qu'est-ce que tu racontes encore ? Comme si quelqu'un pouvait me faire du mal ! Je suis la meilleure...
Lassé de son discours, l'écarlate prit la main de l'archère, ignorant son gémissement et ses plaintes et la tira loin des regards indiscrets. Une fois dans l'ombre d'un bouleau près de la sortie du village, il la lâcha. Elle voulait l'incendier pour ce qu'il venait de faire mais resta clouée sur place sous l'intensité de son regard.
– C'est le reste de ta famille qui te fait ça ? réponds moi sérieusement.
– Mais arrêtes, il n'y a...
L'écarlate caressa doucement le bras de la verdoyante qui frémit en grognant de douleur.
– Ne va pas me dire que ça te vient de ton combat contre Bélial, elle ne t'a pas fait assez mal pour ça. Alors dis moi qui.
– Et qu'est-ce qui te fait croire que quelqu'un...
– L'expérience.
Lorelya se tut et dévisagea l'écarlate. Un sourde souffrance étincelait dans ses yeux et elle repensa à ce qu'elle avait appris à son sujet. Il ne connaissait que trop bien la souffrance de ceux qui étaient torturés sans avoir le courage de riposter ou même en parler. Bien qu'elle était masquée, l'archère eut l'impression que le bretteur lisait en elle comme dans un livre ouvert. De plus d'une façon, le membre le plus détesté de sa famille lui ressemblait bien plus que tout les autres réunis.
– Non, ces connards ne m'ont jamais touchée... Ils pensent que je n'en vaux même pas la peine...
Sieg la fixa un instant et vit qu'elle ne lui mentait pas. Cela laissait une option qu'il redoutait.
– Mais ce n'est pas le cas de ta mère, n'est-ce pas ?
Lorelya se retourna en frissonnant, se sentant comme mise à nue devant Sieg qui perçait sans mal ses secrets.
– Je dois être la meilleure fille possible... Je n'ai que ma mère, les autres m'abandonneraient dès qu'ils en auraient la chance... Alors quand je fais une erreur...
– C'est là que commence la discipline ? souffla Sieg. Pour que le souvenir de la douleur te serve de rappel pour la prochaine fois ? Que même la mort serait un moins grand péché que simplement échouer ?
L'archère se tourna d'un quart vers l'écarlate, sentant les larmes lui monter aux yeux.
– Saga ?
Pour toute réponse, Sieg hocha la tête. Tout comme elle, il avait grandis en s'accrochant à la seule personne qui avait toujours était là pour lui. Lui plaire et ne jamais le décevoir passait avant tout, même ses propres envies. Ils avaient beau leur souffler des mots réconfortants par moment, ce n'était au final qu'un outil parmi tant d'autres pour les garder sous leurs contrôle. Lorelya le savait, et pourtant, elle n'arrivait pas à se libérer des chaînes qui la clouaient au sol.
Le bretteur leva une main vers le visage de l'elfe quand elle sursauta et fixa une autre direction. Un arbre souffrait atrocement et ça n'avait rien de naturel. Elle ignora les appels de l'épéiste et se mit à courir, ne pouvant pas ignorer les appels à l'aide qui résonnaient dans sa tête.
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