Chapitre 33 : Le poids de la paternité
Devant la porte du salle du trône, bien des regards incendièrent Sieg qui ne savait pas comment réagir. Deux personnes dans la foule étaient allées jusqu'à lui adresser la parole. Les deux qui le mettaient le plus mal à l'aise.
– Honnêtement, je me demande ce que ma grand-mère a pu voir en un simple humain comme toi... cracha Isya, les bras croisés.
– La pitié, sûrement... se moqua Lorelya. Votre peuple vit à peine un instant, surtout en temps de guerre... Elle a dû vouloir lui laisser un dernier bon souvenir avant de mourir.
Sieg avait au début cherché du renfort auprès de ses compagnons, mais ils avaient tous décidé de ne pas se mêler à ces histoires de famille. Surtout quand la politique d'un peuple elfique y était si étroitement liée.
– Je ne comprends pas pourquoi tu as quitté le domaine des dieux... soupira Isya. Toi et les tiens avaient eut droit à un honneur qui vous dépassait, le jeter aussi facilement...
– Quand on comprend que dalle, on se la boucle. Sinon, on perd des dents.
Les elfes se retournèrent avec étonnement pour dévisager Bélial qui venait de sortir de la salle du trône et sentirent leurs cœurs s'arrêter un instant. La démone les toisait d'un regard méprisant d'où les flammes d'une rage intense brûlait. Elle fit les trois pas qui la séparait de la descendance de l'écarlate et posa une main sur leurs épaules. Elles gémirent en sentant sa prise se resserrer sur elles, menaçant de briser quelque chose.
– Quatre mille ans. Quatre mille ans qu'il a passé enfermé dans une putain de prison, à se faire torturer par des connards qui traitent leurs potes comme de la merde. Quatre mille ans à pas savoir s'il pourrait jamais s'échapper. S'il pourrait un jour mourir. Parce que oui, il a voulu crever pour échapper à cet enfer. Alors la première que j'entends lui manquer de respect comme ça devra apprendre à tirer un arc avec les pieds, d'accord ?
Ne jamais s'en prendre à l'homme d'une vraie guerrière ! Ne te laisse pas faire !
Furieuse, Lorelya se libéra de l'emprise de la démone et dressa un doigt accusateur sous son nez.
– Si la reine ne nous avait pas ordonné de te traiter avec respect, je t'enverrai immédiatement voir notre dresseur d'esclave pour apprendre à ne pas parler à tes meilleurs comme ça ! Continues, et je suis sûre qu'elle finira par...
– Il suffit, clama Larya en entrant dans le couloir. Pour le moment, nous sommes alliés, alors faisons au moins semblant de bien nous entendre. Il se fait tard, nous ferions tous mieux d'aller nous coucher. Dès demain, nous devrons nous préparer à partir en guerre. Ceci sera peut-être notre dernière nuit calme avant un long moment.
La reine fit signe à une de ses filles de s'approcher et lui ordonna de guider leurs invités vers l'aile est du palais. Des cris de stupeur et des plaintes se firent entendre mais elle les força au silence d'un seul regard.
– Discuteriez-vous mes ordres ? Si vous doutez toujours d'eux, voyez ça comme un bon moyen de les garder à l'œil. En restant dans le palais, ils seront moins libres de leurs mouvements que dans une maison en périphérie du village.
– La place de vulgaires humains n'est pas dans le palais, bon sang ! s'énerva Cariad. Je ne parle pas de les envoyer dans les niches avec les esclaves, mais que va dire le peuple en apprenant...
Larya foudroya son époux du regard, faisant fondre sa colère.
– Pour le moment, ils resteront ici, trancha la monarque plus sèchement qu'elle aurait dû. Ceci n'est pas négociable. Plus tard, nous les logerons dans une maison non loin du palais, mais avant ça, je ne tolérerais pas que l'on discute mes ordres, est-ce bien clair ?
OK, nouvelle consigne, ne plus lui chercher des noises...
Les dents serrées d'indignation, le roi baissa les yeux. La reine fit de nouveau signe à sa fille de guider le groupe vers le quartier des invités royaux avant d'appuyer son ordre par un regard noir adressé à sa cour.
Furibonde, l'elfe chargée d'escorter les invités leur demanda froidement de les suivre. Sieg voulut lui emboîter le pas mais Bélial le retint en lui attrapant le bras.
– Avant ça...
Elle tira le bretteur vers elle et l'embrassa langoureusement devant tout le monde. On s'indigna d'un comportement aussi déplacé, mais la barbare s'en moquait. Du coin de l'œil, elle étudia la réaction de sa rivale et fut satisfaite de voir ses traits tressaillir une seconde. La reine chercha à se donner de la contenance, mais les tremblements de ses poings serrés trahissaient son irritation.
Au moins, le ton est donné...
La jeune femme sortit sa langue de la bouche de l'écarlate qui la fixait avec effarement. Il n'eut pas le temps de lui demander ce qui lui passait par la tête car elle le tira après elle en direction de leur guide qui avait assisté à la scène avec des yeux ronds comme des assiettes.
– Allez, on se dépêche ! s'exclama Bélial avec enthousiasme. Je sens qu'on va passer une très bonne soirée, toi et moi !
Elle ne prit pas le temps de se retourner pour détailler le comportement de Larya mais fut ravie de l'entendre siffler entre ses dents.
Farca, Adam et Ahmés se regardèrent sans comprendre quelle mouche venait de piquer leur compagnon. Le tact n'avait jamais été son fort, mais ils avaient l'impression que quelque chose d'autre se cachait derrière son attitude inhabituelle.
Ils marchèrent d'un pas rapide vers leurs appartements, l'allure de la barbare ne ralentissant pas. Leur guide leur indiqua cinq portes dans un couloir et Bélial enfonça presque la première, traînant toujours son partenaire après elle. La démone ne prit pas le temps de détailler le salon au mobilier élégant qui poussait à même le sol et le mur et ouvrit une seconde porte. Son sourire s'étira en découvrant un large lit aux draps feuillus. Elle jeta Sieg sur celui-ci avant de se tourner vers les autre qui regardaient à travers l'encadrement de la première porte avec stupeur.
– Bon, on a eu une longue journée, alors on va vous laisser vous reposer, hein ? Bonne nuit et à demain !
Elle referma la porte et refit face à Sieg qui se redressait sur les coudes.
Toi, je sens que tu vas avoir du mal à te lever demain...
– Bon, maintenant que nous sommes seuls, peux-tu m'expliquer ce qui te prends tout d'un coup ? Je sais que tu es entreprenante, mais là...
– Bah quoi ? demanda Bélial en s'approchant, ses mains défaisant la boucle de sa ceinture. Je veux juste passer du temps avec le gars que j'aime ! Il te faut une raison de plus ?
L'écarlate s'assit avant que la démone lui prenne son chapeau et le jeta dans un coin de la salle. Elle le força à s'allonger en plaquant sa main contre sa poitrine et le maintint dans cette position. La jeune femme chevaucha le bretteur en retirant sa ceinture et plongea son regard passionné dans le sien. Elle se pencha vers lui et lui mordilla l'oreille.
– Si tu savais comment j'ai envie de toi... susurra-t-elle.
– Que t'a-t-elle dis ?
Bélial se figea. Elle se redressa et réalisa que Sieg était inquiet pour elle. Elle pouvait lire dans son regard qu'il savait qu'elle ne faisait pas tout cela juste par amour, que quelque chose viciait son désir. La démone se sentit honteuse, ayant failli mêler à un moment si précieux pour eux un sentiment aussi méprisable que la jalousie.
L'épéiste vit qu'il avait raison quand sa partenaire détourna le regard en perdant son entrain. Il se redressa en sentant sa pression faiblir et lui caressa la joue.
– Quoi qu'elle t'ai dis, les insultes qu'elle ait proféré, sache que tu...
– On a fait un pari débile... Je t'ai traité comme un morceau de viande...
Sieg fronça les sourcils. Il prit le menton de Bélial et la contraint à lui faire face. Silencieusement, il l'encouragea à s'expliquer.
– Larya t'aime encore. Elle a proposé un jeu, et comme une cruche, j'ai accepté. Celle qui te charmera pourra te garder, alors que l'autre aura plus le droit de...
Les derniers mots disparurent dans un silence gênant. Bélial se leva de Sieg et s'assit en lui tournant le dos.
– Je fais la fière, mais j'ai peur... Peur qu'elle arrive à te faire tourner la tête et que tu arrêtes de me regarder. Alors j'ai décidé de faire le premier pas, mais au final... On aurait pas dû te faire ça... C'est ta vie, on peut pas décider pour...
– Pff ha ha ha ha !
Choquée, Bélial se retourna vers Sieg qui se tordait de rire en essuyant le coin des yeux.
– Désolé, mais franchement, tu n'as aucune chance de perdre ! Quand j'ai couché avec elle, c'était la veille de la dernière bataille ! Je ne savais pas si j'allais vivre ou mourir le lendemain, alors j'avais bien trop forcé sur l'alcool ! Sérieusement, je ne me souviens pas de tout, mais au réveil, j'ai failli avoir une crise cardiaque en découvrant dans mon lit la femme qui m'énervait le plus à l'époque ! Bien trop imbue de sa personne et aucun de respect pour les autres, même pas sa famille ! Quand elle s'est réveillée, j'ai cru qu'elle allait hurler et ordonner à ce qu'on m'exécute ! Mais au final, il semblerait que j'étais le seul qui était rond comme une barrique quand on est passé à l'acte ! Elle m'a avoué qu'elle me trouvait terriblement séduisant pour un humain et a essayé de m'embrasser ! Sur le moment, j'ai prétexté que j'avais envie de vomir à cause de l'alcool et je me suis enfui ! Pas mon moment le plus glorieux, certes, mais il prouve que je n'ai jamais été attiré par elle !
Pathétique, mais crédible...
Stupéfaite, la barbare s'allongea à côté de Sieg, le sœur léger.
– C'est vrai ? Tu mens pas ?
– Bien sûr que non ! Mais...
L'amusement de l'écarlate se dissipa, laissant place à une morosité dont la source ne surprenait pas la jeune femme.
– Tu penses à ton fils, pas vrai ? Et Isya ? Lorelya ?
Sieg fixa le plafond en silence, comme si les cernes du bois pouvaient lui apporter une révélation divine.
– Moi qui m'étais juré que si j'avais un enfant, je serais toujours là pour lui ou elle... Que je l'élèverais et le protégerais... J'ai eu un fils sans le savoir et il a lui même eu une fille... J'ai été absent de leurs vies, j'ai manqué tant de choses... Je ne sais rien d'eux... Quand Isya et Lorelya m'insultaient, tout ce que je pouvais penser, c'était que je les avais faillis... Que je...
La main de la barbare sur sa joue coupa le bretteur qui se tourna vers elle. Ses yeux brillaient de larmes mais elle souriait sincèrement.
– Tu l'as dis, tu pouvais pas savoir. Juste après ta nuit avec Larya, tu as fini dans le domaine des dieux, t'avais aucun contact avec le monde des mortels. Je te connais, tu es le gars le plus noble et le plus honnête que je connais. Si t'avais pas été enfermé et qu'elle t'avais dis pour votre gamin, je sais tu aurais tout lâché pour lui. Saga, les Sauveurs, l'épée, l'honneur... Tout. Même si ça aurait voulu dire que tu devais passer du temps avec l'autre peste, tu l'aurais supporté pour le bien de ton fils. Tu es quelqu'un de bien qui pense à tes proches et fait tout pour eux. Alors te blâmes pas, parce que moi, je te voudrais toujours. Et un jour...
La jeune femme prit la main de Sieg et la posa sur son torse. Elle la fit glisser vers son bassin et l'arrêta juste au-dessus de son pantalon. La démone s'empourpra et baissa les yeux.
– Quand on aura battu Saga... Peut-être qu'on pourra avoir... Enfin, tu vois...
Mais c'est qu'on pense à autre chose qu'à la baston pour une fois ! Je suis si fière de toi !
Après être resté sans voix presque dix secondes, Sieg se réjouit et embrassa Bélial.
– J'ai envie de ça aussi... murmura-t-il. Avec toi... Je veux qu'on soit une famille un jour.
Au comble du bonheur, la démone fondit en larmes et enlaça Sieg qui la serra contre elle tendrement.
– Oui... souffla la barbare. Un jour, c'est promis... Et tu seras le meilleur des pères...
– Et toi des mères...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top