Chapitre 27 : Voyages et troubles
Les plaines de Zirconia. Une vaste étendue qui semblait sans fin en plein centre de Legenia. Seul l'Ornon, l'une des rivières principales du continent, barrait cette région vide d'une cicatrice qui s'étendait de son sud-ouest à son nord-est. Plusieurs villes, du plus humble hameau à la plus noble citadelle, ponctuaient ces terres qui étaient principalement peuplées de peuples nomades. Bêtes sauvages et monstres arpentaient les plaines en traquant quiconque osait braver leurs territoires. Bandits et pillards croisaient souvent le fer avec les clans les plus barbares pour survivre et gagner en puissance.
Chaque année, quatre caravane sur dix n'arrivaient jamais à non port, et seules une poignée étaient jamais retrouvées. Des expéditions religieuses à la recherche de vertu, des caravanes marchandes avides de richesses, des troupes d'aventuriers assoiffées de gloire, des petits nobles en quête de pouvoir... Toutes les motivations, grandes et petites, nobles et infâmes, réalistes et idéales, s'entrecroisaient sans cesse sur ces terres dont on ne disait que moins de la moitié était pleinement cartographiée. Des centaines de kilomètres de territoire pouvaient encore cacher des secrets qui avaient échappé au reste du monde.
Mais une caravane ne se souciait pas de tout cela. Elle aurait pu passer à une lieu de la plus incroyable des croisades, franchir des ruines oubliées depuis des siècles, ou même rouler sur la queue d'un dragon, ses voyageurs ne prêtaient absolument pas attention à ce qui se passait dehors.
Du moins, c'était le cas de la troisième voiture. Deux de ses occupants, installés à des coins opposés, faisaient chacun de leur mieux pour signaler à l'autre qu'ils l'ignoraient, gardant le regard solidement verrouillé dans la direction opposée. La scène aurait fait rire les autres passagers s'ils n'avaient pas peur de finir incinérés par la rage des deux boudeurs.
Farca tentait de lire, mais l'aura de frustration de Bélial assise à côté d'elle l'empêchait de se concentrer. Ahmés n'avait pas joué une seule note, l'attitude furieuse de Sieg à sa gauche l'ayant dissuadé d'essayer d'égayer le voyage. Seul sur sa banquette, Adam suivait le protocole se taire si tu ne veux pas que les deux autres zouaves se remettent à se crier dessus.
Après ce qui s'était passé devant l'autel des voyages, l'écarlate avait cherché à sermonner la démone, lui signalant qu'elle avait la chose la plus stupide possible dans cette situation. La barbare avait rétorqué que là d'où elle venait, ceux qui restaient dans le chemin des gens pressés méritaient des beignes, alors elle certifiait qu'elle aurait pu faire bien plus qu'effrayer les nobles. Le bretteur avait sournoisement souligné que son clan pouvaient plusieurs fois compter les doigts de leurs mains et constamment arriver à des résultats différents. La jeune femme avait rétorqué avec humeur que si les gens civilisés perdaient moins de temps à blablater et plus à régler les problèmes devant eux, la moitié des crises de ce monde pourraient être réglés avant la fin des temps. Les échanges s'envenimèrent quand Bélial répéta à Sieg que Raya avait trouvé puérile sa précédente rhétorique. Leur discussion n'avait fait que perdre en pertinence à partir de ce point là, devenant une dispute comme on en trouvait partout dans tous les âges.
Leurs trois compagnons avaient tenté de calmer le jeu, mais comme ils avaient attendu trop longtemps, la dispute si inhabituelle entre Sieg et Bélial avait atteint le stade où la raison ne pouvait plus rien faire, leurs orgueils leur refusant de concéder le moindre point. Les deux partenaires ne semblaient pas en bonne voie pour se réconcilier quand leur caravane partit pour les forets du nord, trois heures après l'incident qui avait causé cette querelle.
Ayant senti que l'ambiance dans la voiture de ceux qu'ils escortaient ne serait pas des plus apaisantes, Rinorin et Matthias avaient décidé de voyager avec les soldats trois véhicules plus loin pour que l'elfe explique au soldat tout ce qu'il savait. Les deux hommes qui conduisaient la troisième voiture avaient l'impression de transporter une chimère mutante qui pouvait cracher du feu et de l'acide. En sommes, personne n'était rassuré quand on pensait à l'avenir proche.
Après une première journée de voyage, la caravane s'arrêta pour lever le camp. Farca commençait à avoir l'œil dans ce domaine là, après avoir voyagé dans l'ouest de Danatal avec des aventuriers menés par un noble sans humilité et dans les dunes de sable de Taouy avec le peuple du désert. L'alchimiste dû reconnaître que la rigidité et l'entraînement de l'armée facilitait beaucoup l'organisation de bien des choses, notamment la monté d'un camps. Personne ne perdait de temps à demander qui devait trouver du bois, on ne négociait pas la répartition des tâches ingrates et tout le monde savait qui serait de garde à chaque heure et où. Elle avait l'impression d'être dans une colossale horloge où chaque engrenage bougeait parfaitement à l'unisson avec toutes les autres, sans geste superflu.
La sang-mêlée remarqua surtout l'écarlate et la barbare qui semblaient avoir chacun choisi un hémisphère du camp sans se concerter et s'y tenaient résolument. Elle ne voyait pas comment les réconcilier, surtout qu'ils ne s'étaient jamais pris le bec, même avant de tomber amoureux. Ils semblaient si bien se compléter que leur dispute semblait venir de nul part.
Ahmés profita d'avoir un public moins hostile pour enfin laisser son art s'exprimer, ce qui fut apprécié par les troupes lassées par la monotonie du voyage.
À l'heure du repas, deux rations furent envoyées à chaque extrémité du campement, le duo en colère ne s'étant pas donné la peine de rejoindre le feu de camp à son centre. La naine s'était portée volontaire pour aller voir la démone, voulant lui parler en privé.
Elle retrouva la jeune femme en périphérie du camp, admirée par les soldats qui montaient la garde. Ils n'avaient jamais vu quelqu'un faire des pompes avec un tronc d'arbre attaché dans le dos. Farca roula les yeux au ciel en se demandant ce que la démone pourrait inventer pour son prochain entraînement.
– Hé, Béli ! Viens bouffer tant que c'est chaud !
Bélial s'arrêta mi-pompe pour regarder autour de Farca avant de se relever. Elle se débarrassa de son accessoire en le lançant au loin et alla s'asseoir à côté de l'alchimiste pour manger avec elle. La sang-mêlée fixa son écuelle alors que son amie engloutissait la petite marmite qu'on avait mis de côté exprès pour elle.
– Sinon, tu vas encore lui faire gueule longtemps ? demanda platement Farca en prenant sa première bouchée.
Houla, tu t'aventures sur un sujet périlleux...
La cuillère de la démone s'arrêta à mi-chemin vers sa bouche. La barbare soupira et baissa la tête.
– 'Sais pas... Franchement, j'arrive pas à imaginer que ça va aller...
– Dis pas ça, voyons ! s'exclama la naine en donnant une tape amicale dans son épaule. Je suis certaine que ça va bien se passer ! Tu n'as qu'à attendre que l'autre se pointe pour s'excuser, et...
– Comment ça, qu'il s'excuse ?
Perplexe, Farca regarda Bélial qui ne dissimulait pas son incompréhension.
– D'accord, j'ai pas aimé ce qu'il a dis, mais... Putain, j'avais été trop conne ! On m'avait pourtant expliqué que c'est pas parce que je comprend pas les trucs compliqués comme la pouritique que je dois pas faire gaffe ! Si les autres nous avaient vus, Finora aurait été dans la merde à cause de moi ! Je suis pas étonnée que Sieg était en colère, j'aurais dû réfléchir avant de gueuler comme un animal !
Pas ton plus glorieux moment, il faut bien l'avouer...
La sang-mêlée réalisa qu'elle avait mal jaugé la jeune femme. Ce qui passait plus tôt pour de la rage n'était en fait que de la culpabilité qu'elle avait du mal à avouer à Sieg. Elle savait qu'elle avait fauté, mais sa fierté l'avait empêché de le reconnaître, ce qui n'avait fait qu'empirer la situation. Et plus le temps passait, plus s'excuser devenait compliqué.
– Tu peux lui en parler, je suis sûre qu'il comprendra... tenta-t-elle de la rassurer.
– J'ai peur qu'il me dise qu'il en a rien à foutre... se morfondit la démone. Je lui ai craché tellement de conneries au visage...
L'alchimiste se mordit la lèvre, se souvenant qu'il s'agissait de la seule expérience amoureuse de la barbare qui posait sa tête sur ses genoux repliés. Elle ne devait pas sous-estimer ses craintes, même les plus superficielles, car elles tétanisaient Bélial.
– Tu ne le penses pas vraiment, si ? Quand on a appris que ton père a tué Alice, pas un seul instant il t'a blâmé. Et quand on a découvert que Saga était son frère, est-ce que tu l'as détesté ?
– Non... se fit entendre une voix étouffée... Mais ça, c'est...
– C'est beaucoup plus important qu'une petite dispute de pacotille. Tu as vu les parties les plus obscures de son êtres, et il a vu les tiennes. Pourtant, ça ne vous a pas déchirés ! Tout le monde se dispute de temps-en-temps, ça ne veut pas dire que tout est ruiné entre vous ! Aucune relation est parfaite. Je ne vais pas te promettre que ça n'arrivera plus jamais, parce que je suis assez sûre que vous allez encore vous chamailler, mais quelque chose me dis qu'il n'y aura jamais une dernière dispute qui gâchera tout. Tu es la lumière qui le guide dans ses ténèbres, et inversement. Franchement, je suis jalouse de vous deux, c'est rare ce que vous avez.
Farca se leva et posa sa main sur l'épaule de Bélial.
– Je vais te laisser réfléchir à tout ça. Moi, je vais m'assurer que l'autre dégénéré ne s'est pas mis en tête d'organiser une nouvelle orgie...
La sang-mêlée retourna au centre du camp et aperçut Adam qui arrivait depuis la direction opposée. Elle le rejoignit en l'attirant loin des soldats qui acclamaient Ahmés.
– Alors, ça a donné quoi de ton côté ?
– Analyse Terminée ! Sieg Se Sent Coupable. Il Savait Que Bélial Pensait Bien Faire, Mais Il S'Est Emporté Et Est Allé Trop Loin. Il A Conscience Qu'Elle N'Est Pas Habituée Aux Relations Et Craint Qu'Elle Ne Lui Lassera Pas Une chance De S'Excuser.
– Voila qui est familier... grommela Farca en se pinçant l'arrête du nez. Donc, on a le couple de l'année qui risque de se briser parce qu'ils se sentent coupables et ont trop peur de la réaction de l'autre pour faire le premier pas... Putain, si on m'avait dis que sauver le monde passait par la réparation des problèmes de cœurs d'un humain et une démone...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top