Chapitre 24 : Savoir sa place

Voyant qu'aucun membre de la famille royale n'avait été présenté comme promis, les soldats qui encerclaient le palais l'investirent. Ils tombèrent sur des guerriers paniqués qui n'offrirent qu'une faible résistance.

En débouchant sur la salle de bal, les soldats furent étonnés de voir l'ennemi à terre et les otages armés. La vue de la famille royale effondrée sur la scène leur insuffla une certaine panique, mais Sieg les approcha et leur déclara avec autorité que le roi et les siens étaient saufs et ne faisaient que dormir. Se servant des informations que lui avait transmis l'alchimiste, l'écarlate ordonna à la moitié des soldats de se diriger vers la trésorerie pour neutraliser les derniers preneurs d'otage. Le reste devait rester avec les invités et les aider à évacuer les lieux.

Alors que l'armée prenait le relais pour eux, Farca indiqua qu'elle devait retourner chercher son sac. Bélial insista pour l'accompagner, affirmant qu'elle pourrait encore tomber sur un ennemi alors qu'elle n'avait plus de moyen de se défendre. Sieg proposa d'y aller aussi, mais sa partenaire l'en dissuada, lui rappelant que la princesse comptait sur eux pour la protéger. Comprenant que la démone voulait en fait être seule avec la naine, le bretteur acquiesça.

Les demoiselles partirent dans les couloirs en silence. Farca sentait que Bélial attendait qu'elle fasse le premier pas, mais la démone masquait mal son inquiétude, lui adressant régulièrement des coups d'œil inquiets. À un couloir de leur but, la sang-mêlée n'en pouvait plus et céda.

– T'as bien compris ce que j'ai fais, non ?

La barbare hocha la tête.

– J'avais le choix... J'aurais pu la jouer fine, essayer de sauver Baldar. J'aurais même pu avouer qui j'étais à Shan et Radan quand mon frère m'a vendue. Je ne vais pas sortir l'excuse que je n'aurais pas pu vous parler du plan s'ils m'avaient choppé comme ça, ou que la famille royale aurait été en danger si je ne t'avais pas passé mes bombes. En toute honnêteté, quand j'ai réalisé que la vie de Baldar était dans mes mains, j'étais... euphorique...

En tournant dans le couloir, Farca s'appuya contre le mur et soupira. La soirée avait certes été courte, la valse des émotions qu'elle avait eu à supporter lui avait sapé la plupart de ses forces. Bélial se pencha vers elle pour lui prêter secours, mais la naine lui indiquait qu'elle allait bien, sans grande conviction.

– J'avais le pouvoir de vie et de mort sur l'une des personnes qui avaient fait de mon enfance un enfer... Un des bourreaux qui avait pris un malin plaisir à me briser, me convaincre que j'étais une moins que rien... J'en avais plus rien à faire, de la mission, de Saga... Franchement, je vous avais même oubliés, toi et les autres... Tout ce que je voulais, c'était faire payer Baldar... Je voulais juste que mon propre frère meurt...

Farca s'accroupit devant une commode et l'ouvrit pour dévoiler son sac. Elle le regarda un moment avant de le prendre et le tenir dans ses mains.

– Là dedans, il a un autre sac de Vincerent. C'est à cause de ce truc, parce que je l'ai pris, que j'ai tué son propriétaire, que tout est parti de travers... D'accord, j'aurais eu du mal à comprendre ce qui se passait autrement, mais...

L'alchimiste serra son sac contre sa poitrine, retenant difficilement ses larmes.

– Je ne me fais plus confiance... Si je n'ai même pas hésité à sacrifier... Non, à tuer mon frère, qu'est-ce qui me prouve que tu ne seras pas la prochaine, Beli ? Sieg ? Ahmés ? Adam ? J'ai l'impression que ce n'est qu'une question de temps avant que je ne vous abandonne à votre tour... Que...

– Ça arrivera pas.

La sang mêlée se retourna pour demander à la barbare comment elle pouvait en être aussi sûre. Elle fut coupée dans son élan par la jeune femme qui s'était accroupie et venait de la prendre dans ses bras. Un main réconfortante lui caressait le dos alors que l'autre en faisait de même avec sa tête.

– T'aurais pu te barrer, t'es assez futée pour ça. T'aurais pu juste sauver ta peau, nous abandonner, mais tu t'es mise en danger pour nous... Alors que t'étais seule contre un tas d'ennemis qui auraient pas hésité à te tuer, tu t'es battue de toutes tes forces pour nous... Tu te comportes comme si t'as pas de courage, mais quand on a besoin de toi, tu te caches pas, t'es là pour nous... Baldar était peut-être ton sang, mais c'était pas ton cœur...

– Tu dis ça, mais ça ne change rien... répondit Farca d'une voix faible. Même si je le détestait, c'était mon frère et...

– J'étais heureuse quand Sieg m'a dis qu'il allait tuer mon père...

L'alchimiste écarquilla les yeux. L'aveu de son amie était tellement horrible, tellement monstrueux qu'elle avait du mal à la croire. Elle ne fut persuadée de sa sincérité que parce que la démone n'avait jamais été capable de mentir de façon crédible.

– J'aimais mon père... Il était toujours sympa avec moi, il m'avait appris un tas de trucs... Mais il est devenu un monstre, le type que j'adorais existe plus... Il a fait trop de mal, et pas juste à Sieg... On sait qu'il est là pour faire un truc pas cool... Mais... Même si je sais qu'on doit l'arrêter un jour... Je peux pas... Une partie de moi le voit encore comme avant, le gentil P'pa qui prenait soin de moi... Alors quand Sieg m'a promis qu'il...

Bel...

Bélial secoua la tête et se recula de Farca pour la regarder droit dans les yeux. L'alchimiste vit qu'elle pleurait mais lui souriait quand même.

– Quand on y pense, je suis pire que toi... Je veux que l'homme que j'aime tue mon père que je n'arrive pas à détester...

– Hein ? Mais... C'est différent, ça ! s'exclama Farca. Sieg ne veut pas le tuer pour toi ! Il le fait pour se venger ! Pour ce que ton père...

La naine se tut, voyant ce que la démone essayait de lui dire. Elle baissa la tête, étonnée.

– Comme toi avec Saga et Tyrian... Et moi ce soir... Et si Ahmés avait Kiaron devant lui, je pense que ce ne serait pas beau à voir... Nous avons tous notre noirceur...

– Mais on a aussi notre lumière...

La jeune femme prit le menton de la sang-mêlée et lui redressa la tête.

– Tu te souviens de quand j'ai appris comment Alice était morte ? Que c'était à cause de Raya qu'elle était en danger ? Que ce qui avait fait autant de mal à Sieg était en moi ? Je me suis détesté, mais tu m'as remise sur le bon chemin... Tu as vu le bon en moi et tu me l'a montré... Parce c'est qui tu es. Tu aides les gens autour de toi, surtout quand ils sont importants à tes yeux. Tu crois que c'est ce que ferais un monstre ? Que quelqu'un comme ça pourrait faire du mal à ceux qu'elle aime ? Parce que moi non. Si quelqu'un comme moi, qui a fait souffrir des centaines d'innocents, a le droit à une seconde chance, tu peux bien t'en donner une aussi, non ?

Bouleversée, Farca éclata en sanglots et serra Bélial dans ses bras qui lui rendit son étreinte. Elle qui pensait qu'elle avait perdu la seule place dans ce monde qu'elle avait pu trouver, elle s'était lourdement trompée.

Tu as beaucoup grandis... Je suis fière de toi...

L'alchimiste entrouvrit un œil. Elle sursauta en voyant la tête d'Adam qui dépassait du couloir et les fixait.

– Hein ? Mais qu'est-ce que tu fous là, toi ? Et la princesse ?

– J'Assures Toujours Sa Sécurité !

Redoutant ce qu'elle allait voir, Farca se leva et regarda dans le couloir. Sieg était adossé au mur, le chapeau penché sur l'avant pour cacher son air d'embarras. Ahmés faisait semblant d'admirer une peinture. Anoro était au garde à vous mais refusait de croiser le regard de la naine. Seule Finora fixait la sang-mêlée, les larmes aux yeux et les mains sur la bouche.

Gênant...

– C'est pas vrai... souffla Farca en devenant rouge de honte. Vous êtes là depuis...

– La princesse a vu que nous nous inquiétions pour toi et a avoué en faire de même... expliqua Sieg. Nous avons donc décidé de venir te soutenir, mais il semblerait que Bélial avait la situation sous contrôle...

– C'est pas vrai... lâcha l'alchimiste qui voulait trouver un trou dans lequel se cacher.

– C'est génial ça, non ? intervint la barbare en claquant le dos de son amie. Tout le monde tient assez à toi pour venir voir si tu vas bien ! Tu crois vraiment qu'on a peur que tu vas nous trahir ?

Bien que toujours embarrassée, Farca fut touchée par l'attention de ses compagnons et essuya ses larmes. Elle était à sa place.

***

Dans un carrosse près des grilles du palais, Artra observait les soldats évacuer les invités qui regagnaient leurs véhicules pour retourner à leurs ambassades respectives. Le prêtre ne doutait pas que les retombées diplomatiques de cet incident seraient limitées, mais la fête de l'année prochaine risquait d'être moins populaire. L'honneur de Menora venait d'en prendre un coup et mettrait du temps à s'en remettre.

– Heureusement que nous soyons partis en retard... soupira le duc en face de lui. Je n'ose pas m'imaginer dans une situation aussi stressante...

Le démon partagea son avis. Il ne savait pas ce qui s'était passé exactement, mais il se doutait que, dans un tel chaos, Sieg aurait trouvé un moyen de l'éliminer sans que l'on puisse le suspecter. Il vit en son retard un signe des dieux d'or qui ne voulaient pas le voir périr avant qu'il ne les ait libérés.

– Nous sommes chanceux, en effet... commenta Artra. Bien chanceux...

***

Bélial était en ébullition. Après que Farca lui avait raconté que Shan était sous les ordres de Saga, la démone avait quitté en trombe le palais et cherchait le pyromancien. Les soldats et invités qu'elle croisait reculaient à son approche, sa démarche sauvage et résolue les impressionnant bien moins que la fureur qui étincelait dans ses yeux.

La démone aperçut le mage, allongé dans le chariot, et marcha vers lui d'un pas lourd. Le reste du groupe fit de son mieux pour la rattraper mais elle atteignit sa cible avant.

La barbare attrapa Shan par le col, le souleva et lui colla une beigne digne de son clan. Les soldats alentours et les criminels encore conscients ne purent que regarder la brute secouer sa victime qui avait la bouche en sang.

– Debout ! gronda-t-elle. On doit causer, toi et moi !

– Et si tu me laissais le réveiller au lieu de lui péter les mâchoire ? intervint Farca en sortant une fiole de sa poche. C'est moi qui l'a endormi, il faudrait au moins que tu lui casses le bras pour qu'il...

Sans la moindre hésitation, Bélial empoigna le bras droit de Shan et le brisa. Le mage se réveilla et hurla de douleur.

Pas vraiment ce qu'elle voulait dire, mais le résultat est là...

La démone colla son visage dans celui du mage terrifié et lui grogna dessus.

– T'as encore un bras et deux jambes ! Si t'as toujours pas envie de parler de Saga, je peux te convaincre !

– Et si on lui donnait au moins l'illusion qu'il a une chance de survivre à l'interrogatoire ? suggéra Ahmés en tentant de calmer Bélial.

– Mais qu'est-ce que vous foutez, vous ? cria un lieutenant en voyant ce qui se passait. Lâchez tout de...

Sieg s'interposa, se mettant en travers du chemin du soldat.

– Nous ne vous demandons quelques minutes avec lui. Il possède des informations sur l'homme qui a organisé cette prise d'otage et qui n'est pas encore dans nos filets. Nous sommes déjà sur ses traces, alors nous...

Toujours aussi violente, à ce que je vois...

L'écarlate et ses compagnons se figèrent. La voix qui venait de se faire entendre ne leur était pas inconnus. Farca fourra sa main dans la poche de Shan et en extirpa une pierre bien familière. Bélial arracha l'objet d'entre les doigts de l'alchimiste et la fixa avec haine.

– Saga !

Oui, et je dois admettre que je commence à en avoir assez que tu mettes ton nez dans mes affaires...

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