Chapitre 22 : Mourir difficilement

Attention!

Ce chapitre contient une scène particulièrement violente, les âmes sensibles sont prévenues!

***

Sachant que le temps lui était compté, Farca se dépêchait de finir ses préparatifs. Faisant de son mieux pour ne pas être repérée ou que son travail soit découvert, l'alchimiste travaillait prudemment, marmonnant régulièrement quelque chose à voix basse. Elle savait que son coup devait être parfait, la moindre erreur serait fatale pour trop de personnes.

Passant d'une pièce à une autre, la sang-mêlée réglait les derniers détails. Quand elle entendait quelqu'un approcher, elle se cachait où elle le pouvait, laissant les preneurs d'otages passer près d'elle sans même se rendre compte de sa proximité.

Tu m'entends, Nupil ?

L'alchimiste sursauta presque en entendant la voix de Shan. Elle chercha du regard un recoin isolé où elle se dissimula pour répondre sans être entendue. Elle inspira rapidement une nouvelle fois sa mixture et reprit son rôle.

– Yep, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Oh, pas grand chose... Quelqu'un veut juste te parler...

Farca roula les yeux au ciel, se doutant que Radan allait encore la menacer de toute sa réduite créativité.

– Tu peux dire au frangin de Dugland que...

Arrêtes de nous mettre en danger, Farca ! Tu te rends compte de ce que tu fais ?

La naine se statufia. La voix de Baldar eut sur elle l'effet d'un coup de massue, surtout maintenant. S'était-elle trahie d'une quelconque façon ? Où est-ce que son frère avait décidé de sauver sa peau en vendant la sienne ? Trop de questions restaient sans réponse à cause du manque d'information dont elle souffrait. Farca sentait son corps trembler de peur, craignant que ses compagnons puissent être en danger. Avait-il parlé d'eux, ou seulement de son lien de parenté avec elle ?

Bien trop tard, la sang-mêlée réalisa qu'elle avait attendu trop longtemps pour répondre. Ils ne la croiraient pas si elle essayait de démentir les propos de Baldar. Cependant, elle eut tout de même une idée qu'elle voulut essayer. Elle inspira longuement pour calmer ses nerfs en pelote.

– Désolée, un de tes gars passait, je ne pouvais pas répondre... Tu disais quoi ? Tu parlais d'un... Sarba ? C'est quoi, ça ?

Cesse immédiatement tes enfantillages, petite sotte ! Tu peux changer ta voix autant que tu veux avec tes potions minables, je sais que c'est toi ! Tu es la seule capable de causer une pagaille pareille ! Je suis à deux doigts de nous sortir de ce guêpier, alors pour une fois, pense à ta famille et fais quelque chose d'utile ! Rends leur ce que tu leur a pris et l'avenir de la famille Acieroux sera sauf !

Une seule seconde, la sang-mêlée fut tentée de lui dire d'aller au diable. De lui cracher au visage toute la rancune qu'elle avait accumulée pendant des années, étouffée par son instinct de survie. Elle voulait les maudire, lui et toute sa famille, les condamner à subir toutes les sévices de cemonde, comme ils ont tenté de lui faire.

La seconde passa. Farca retint sa rage par ses chaînes et la traîna de nouveau dans les profondeurs de son cœur. Elle refusait de perdre la famille à laquelle elle tenait à cause de celle qu'elle maudissait.

– Je ne sais pas qui tu es, mais il faut vraiment que tu arrêtes de forcer sur la boisson, mon pote. Je connais personne ici, je veux juste me remplir les poches et me barrer ! J'en ai rien à carrer de tes problèmes de famille à la noix !

Sur le balcon de la salle de bal, Baldar risqua un regard inquiet vers Shan et Radan qui le regardaient avec insistance. Le nain savait qu'ils n'étaient pas convaincus de son histoire. Bien qu'ils ne doutaient pas que sa sœur était réelle et avait bien échappé à leur vigilance, l'imaginer capable de tuer seule Daran alors qu'elle n'avait vraisemblablement aucun talent guerrier leur était difficile. Baldar se devait de trouver un moyen de prouver qu'il avait raison, sinon il savait qu'il ne ferait pas long feu.

– Tu sais, ils ont compris que c'était un accident... tenta-t-il en s'humectant les lèvres. Toi, tuer quelqu'un ? À part avec une expérience raté, j'ai du mal à l'imaginer... Il a glissé, c'est ça ? Je suis sûr que tu n'étais même pas près de lui quand c'est arrivé. À tout les coups, tu l'as jute trouvé mort, je ne sais pas comment, et tu as été assez stupide pour le dépouiller. Tu as toujours eut la fâcheuse manie de prendre ce qui n'était pas à toi... Si tu viens expliquer le malentendu et rendre ce que tu leur a volé, ils vont...

Les pensées noires de Farca remontèrent à la surface. Après toutes les insultes, les brimades et les traumatismes dont il était la cause, il avait l'audace de la prendre pour une enfant ? Pire, pour une demeurée ? Il croyait vraiment lui faire gober qu'il allait tout arranger pour elle ?

Contrairement à avant, Farca n'essaya pas de contenir sa haine. Au contraire, elle voyait comment la contrôler, l'affûter, la manier tel un scalpel pour enfin faire payer à un de ses tortionnaires ses années de supplices. Et ce, sans que ses compagnons aient à souffrir.

– Putain, mais t'es un vrai comique, toi ! Tu crois quoi ? Qu'on peut si facilement se briser la nuque avec une petite chute ? Nan, j'ai pris mon pied à taper cette lopette de Dugland ! Tu l'aurais entendu chouiner comme une fillette, ce merdeux ! Et lui plus drôle, c'est qu'il est vraiment mort en merde ! Il est tombé et s'est cogné contre une table ! Sérieusement, il se prenait pour un vrai guerrier, mais au final, il a eu une mort digne du minable qu'il était !

Arrêtes de...

Radan n'en pouvait plus. Sa colère n'avait fait que croître à mesure que Farca insultait son frère. Bouillonnant, il attrapa Baldar par le col et le traîna jusqu'au bord du balcon. Des otages crièrent en voyant ce que le guerrier s'apprêtait à faire. Réalisant à peine ce qui se passait, le nain jeta un regard vers le bas et vit qu'il était suspendu par dessus la balustrade. Le sol, lui semblait bien lointain, comme s'il pourrait chuter pour l'éternité sans jamais le rejoindre. Shan se contenta de regarder le spectacle, les bras croisés. Quelle que soit l'issue de cette scène, il jugeait qu'il n'avait rien à perdre. Au contraire, il était même intrigué de voir ce qui allait se passer.

De sa main droite, Radan arracha la pierre des mains fébriles du nain pour hurler dedans.

– Écoutes moi bien, petite merde ! Je m'en fous de qui t'es ! Que tu sois un homme, une femme, un humain, un nain ou un putain de gobelin ! Tu viens de franchir la ligne qu'il ne fallait pas ! Si t'es vraiment la frangine de ce petit con, je vais faire preuve de mon seul acte de générosité à ton égard et te laisser une chance de le sauver ! Viens te livrer que je t'étrangle devant ta famille, sinon je te jure que le nabot va payer pour ton insolence !

Jamais la sang-mêlée avait cru qu'elle pourrait un jour autant jubiler. L'excitation de savoir la vie de son frère entre ses mains, d'avoir le pouvoir de le tuer avec une seule phrase, la plongea dans une euphorie inimaginable. Le sort de Bélial et des autres n'importait plus. La mission ne voulait plus rien dire. Saga pouvait réduire le monde à feu et à sang, elle s'en moquait. Tout ce qu'elle voulait, c'était savourer ce moment.

– Fais ce que tu veux, Glandu. Sauf si t'a encore moins de couilles que Dugland...

Baldar se fit dessus en voyant les yeux veinés de rouge de Radan se poser sur lui. Le sourire dément qui déformait le bas de son visage ne faisait que diaboliser son expression qui n'était que vengeance et haine. L'espace d'un instant, le visage de Farca se superposa à celui du guerrier et sut à qui il devait vraiment le sort qui l'attendait.

Radan éclata d'un rire dément et approcha son visage de celui de Baldar.

– Putain, si t'avais raison pour ta sœur, c'est vraiment une tarée comme je les aime ! Je vais adorer l'envoyer te rejoindre !

Le nain se sentit soudainement incroyablement léger, comme s'il flottait dans les airs. La sensation de vitesse le ramena à la réalité et il hurla. Il agita les bras et les jambes, comme s'il pouvait se sauver en développant soudainement la capacité de voler. Malheureusement pour lui, des millénaires d'évolutions se produisaient rarement en un clin d'œil.

Galran détourna le regard quand son frère heurta le sol. Un bruit de craquement presque spongieux arracha de nouveaux cris de panique des invités.

Baldar cracha du sang. Il voulait hurler de douleur, mais il avait l'impression que l'air refusait de pénétrer ses poumons. À part ses jambes qu'il ne sentait plus, son corps entier le faisait souffrir. Le nain avait l'impression que son dos était martelé inlassablement par des dizaines de gobelins qui se délectaient de le voir agoniser. Il dirigea péniblement son regard vers les autres otages et aperçut son frère qui n'osait même pas le regarder. Baldar tendit la main vers lui, baragouinant une supplication.

Du haut de son perchoir, Radan soupira et prit l'arbalète des mains d'un de ses hommes. Il aligna le tire et abattit le nain d'un carreau en pleine tête. La main de Baldar retomba au sol alors que la salle était remplie de la cacophonie des hurlement de panique des otages. Le demi-orque présenta la pierre aux otages pour que leurs cris soient bien entendus.

– J'espère que tu as bien aimé le spectacle, enfoiré ! Parce que ce n'est rien comparé à ce que te ferais quand je te choperais !

– Mais ouais, c'est ça... Causes toujours, tu m'intéresses...

Farca balança la pierre dans son sac et le referma, la coupant des autres et brisant le contact qui les liait. Elle pencha la tête en arrière jusqu'à ce qu'elle heurte au mur derrière elle. La sang-mêlée glissa le long de celui-ci et s'assit par terre.

Baldar était mort. Elle venait de le tuer.

Ce qui commençait comme un simple ricanement se mua vite en un incontrôlable fou rire qui résonna dans le couloir. Elle rit tant qu'elle en eut les larmes aux yeux. Jamais avait-elle cru sa vengeance possible, et surtout pas d'une façon aussi incroyable. Une joie immense l'envahie alors que la naine imaginait la dernière expression que Baldar avait dû arborer durant ses derniers instants. Ce qu'elle n'aurait pas donné pour le voir en personne.

L'alchimiste hoqueta et l'horreur de la situation lui sauta enfin au visage.

Elle venait de faire tuer son frère.

L'expression joyeuse de l'alchimiste se mua en une grimace de souffrance alors que ses larmes redoublaient. Elle colla ses mains contre son cœur en sentant qu'il allait se déchirer. Un déluge de pensées contradictoires lui retournaient le cerveau, la tiraillant à tel point qu'elle croyait qu'elle allait exploser.

Sans la moindre pitié, Farca avait livré son frère en pâture et elle s'en était réjouie. Elle comprenait à présent ce que Bélial voulait dire quand elle pensait qu'elle se changeait en monstre. Comment les autres pouvaient-ils lui faire confiance si même son propre sang devait la craindre ?

La naine sursauta en entendant du bruis dans le couloir. Quelqu'un approchait.

Elle ne pouvait pas chasser ses doutes, mais elle se devait de les mettre de côté pour le moment. Même si elle risquait de les perdre de toute façon après cette nuit, la sang-mêlée se devait de les sauver. Surtout après avoir été aussi loin.

Farca se gifla aussi fort que possible, grimaçant alors que sa joue la brûlait. Elle ouvrit son sac, en sortit quelques bombes qu'elle fourra dans ses poches et cacha son bien le plus précieux dans une commode près d'elle. L'alchimiste devait le moins possible sembler suspecte.

Elle s'allongea sur le sol et ferma les yeux juste avant que deux hommes ne tournent dans le couloir pour la découvrir. Elle les entendit s'étonner de la trouver là et s'approcher.

– Putain, elle fout quoi là, la gamine ?

– Ho, tu nous entends ?

Farca grogna, feignant l'inconscience.

– Bon, elle est envie. Par contre, je ne pense pas qu'elle va se réveiller de si tôt...

– Ouais... Et vu la marque sur sa joue, elle a du se prendre une sacrée baffe. Peut-être que c'est ça qui l'a assommée...

– C'est peut-être ce connard dont parlent Shan et Daran... Putain, même les gamines, il les passe à tabac !

– Bon, on en fait quoi ? Tu te souviens de ce que le patron a dis : tout le monde doit mourir.

– Ouais, mais bon... T'as envie de l'étrangler dans son sommeil, peut-être ?

Farca résista à la tentation d'attraper une de ses bombes soporifiques. Elle se les était mises de côté au cas où la conversation prendrait cette tournure, optant pour une version contre laquelle elle avait développé une immunité.

– Autant que toi, je dirais... Mais si Shan apprends qu'on la laissée là...

– On a qu'à la ramener avec nous. On a qu'à dire... qu'on voulait attendre qu'elle se réveille toute seule pour lui poser des questions... Genre, est-ce qu'elle est seule ?

– Oh, pas mal, pour nous assurer qu'il n'y a pas d'autres mioches planqués ? Mais tu sais qu'au final...

– Je sais, mais entre la buter moi même et laisser Shan la réduire en cendres en même temps que les autres otages...

– Tu marques un point...

Farca sentit qu'on la portait délicatement et se retint de sourire.

Quatre cent vint-huit, quatre cent vingt-sept...

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