Farca poussa un soupir de soulagement en sortant des latrines. Elle maudissait sa robe qui lui avait compliqué la besogne, se demandant comment faisaient les nobles dames.

En arpentant les couloirs, la sang-mêlée entendit soudainement le son d'une explosion, suivi très vite par un tintement cristallin. Alertée, elle pressa l'allure avant de se trouver face à un demi-orque à la mine patibulaire aux vêtements de baroudeur. Le regard de l'alchimiste fut comme collé à l'épée sanglante qu'il tenait d'une main ferme. La brute remarqua Farca et s'approcha d'elle en grognant.

– Hé, toi ! Pourquoi tu...

– Wouah, ne me tuez pas ! Je me suis juste perdue ! cria la naine en faisant monter sa voix encore plus dans les aigus.

Farca se recroquevilla sur elle même, cachant son visage dont les très matures auraient pu trahir son âge. La brute la fixa un instant avant de ricaner.

– Putain, une salle mioche... Bon, suis moi, je vais te ramener à tes parents. Ils sont dans la salle de bal, hein ? Mes potes doivent être en train d'en prendre grand soin...

– Vous leur avez fait du mal ? gémit Farca. Espèce de monstre !

– Mais non... Enfin, ça va dépendre de s'ils savent se tenir... On a juste besoin de tes parents et de tout le reste du gratin pour garder les soldats dehors à distance le temps qu'on finisse ce qu'on a à faire.

– Ce que vous avez à faire ? Mais quoi ?

– Désolé, mais je n'ai pas à dire ça à une mioche qui ne comprendrais pas, trancha l'homme en prenant le bras de la sang-mêlée. Allez, maintenant tu vas...

L'alchimiste profita de sa garde baissée pour souffler la poudre qu'elle avait sorti de son sac sur son visage. Le truand toussa en reculant. Il commençait à chanceler, sentant ses forces le quitter.

– Bon, merci pour ces infos, gros malin ! se moqua Farca. Tu vas faire un petit somme pendant que je sauve les...

L'homme tomba sur le côté et sa tête heurta violemment le coin d'une table avant de rebondir sur le sol. La naine remarqua le sang qui commençait à imprégner le tapis et s'approcha. Elle chercha un pouls mais ne décela rien.

– Oh merde... Pas mon premier macchabée, mais c'est jamais marrant quand ce n'est pas voulu... Bon, voyons ce qu'il a dans les...

Farca se tut en voyant le sac que le mort portait et le lui prit. Elle l'examina sous toute les coutures, avant de le comparer au sien. Curieuse, la sang-mêlée prit un vase sur la table qui avait prit la vie de l'homme et le mit dedans. Elle le referma avant de l'ouvrir à nouveau. Le vase avait disparu.

– Qu'est-ce que tu foutais ici avec ça, toi ? demanda-t-elle au défunt en fronçant les sourcils. C'est avec ça que tu as fait passé vos armes, à toi et à tes... Non, en fait, ça ne colle pas... Tu es sapé comme un bandit, les gardes ne t'auraient pas laissé passé comme ça. Et je ne pense pas que tu aurais pris le temps de changer de tenue juste pour le style. Ça veut dire que tu comptais te barrer d'ici avec quelque chose... Beaucoup de choses...

Manquant d'information, elle fit les poches du défunt. Dans la dernière, elle trouva une pierre qu'elle identifia sans mal.

– Une pierre de communication ? Je crois c'est le modèle où il suffit de penser à quelqu'un qui en a une similaire pour l'activer... Tu gardais le contact avec tes petits potes, alors ? analysa Farca à voix haute.

L'alchimiste décida de plier bagage. Bien que sa victime avait dis que ses alliés étaient occupés à surveiller les invités, il était tout à fait possible que d'autres personnes patrouillaient les couloirs. Doutant que sa ruse ne marche avec un cadavre à côté d'elle, Farca opta pour s'éloigner de la scène de crime.

Allez, réfléchis ma grande... pensa-t-elle en cherchant une porte ouverte ou facile à crocheter. Pour le moment, ils ne savent pas que tu es là, mais ça ne va pas durer. Leurs priorités là, j'imagine que c'est de garder les invités sous contrôle et empêcher les soldats dehors d'entrer. Ils ne vont pas s'attendre à ce quelqu'un sorte, surtout si je fais exp...

Farca se figea dans sa course. Elle s'approcha d'une porte et cogna sa tête dedans aussi fort que possible. Celle-ci s'ouvrit sur une chambre que la naine décida d'investir.

Arrêtes de penser comme ça, merde ! C'est peut-être ce qui t'a gardée en vie avant de rencontrer Bélial et les autres, mais tu n'es plus seule, maintenant! Si j'étais dans la mouise, est-ce que les autres foutraient le camp pour me laisser me démerder ?

Farca se dirigea vers la fenêtre et regarda discrètement au travers. Elle pouvait voir tout un bataillon de soldats qui entourait le palais, les armes au clair. Même un rat ne pourrait pas passer.

L'alchimiste chassa ses chaussures en donnant des coups de pieds vers le lit et jeta son sac dessus. Elle fit de son mieux pour retirer sa robe en grommelant.

Non, ces abrutis remueraient ciel et terre pour moi ! Avec Bélial, pas de secret, elle foncerait dans le tas en gueulant. Ce serait un peu pareil avec Adam, mais lui, il donnerait la priorité à ma sécurité sur la castagne. Ahmés utiliserai sa magie pour tromper ceux qui me retiendraient captive. Et Sieg, lui, il trouverait un plan pour me tirer de là. À eux quatre, ils peuvent faire face à presque tout !

La naine jeta un regard dans un miroir, voyant son maquillage qui était ruiné par ses efforts pour se changer.

Presque tout... Parce qu'on est une équipe de cinq...Moi, je mentirais, tromperais, manipulerais et ferais tout exploser si ça va de travers. Au final, je finis toujours par finir le travail des autres ou rattraper leurs conneries... Et là, j'ai intérêt de sortir le grand jeu !

L'alchimiste chercha dans les plis de sa robe abandonnée et en extirpa la pierre de communication. Elle la fixa un moment avant de chercher dans son sac une fiole verte. La sang-mêlée posa les deux objets sur les draps en souriant avant de sortir une jupe et une chemise qui ne gêneraient pas sa mobilité.

Je sens que quelqu'un va me contacter d'ici peu, soit pour parler à l'autre naze, soit pour savoir qui lui a fait la peau... Dans les deux cas, je ferais mieux de cacher qui je suis, sinon, ils risquent de s'en prendre à Bel et les autres pour m'obliger à sortir. Et je dois en plus trouver une solutions pour...

Qu'est-ce que tu fous, Daran ? Tu t'es pommé ou quoi ?

Farca fixa la pierre. Elle n'avait pas prévu qu'ils la contacte aussi tôt. La naine sortit des bottes de son sac avant de prendre la fiole et la déboucher. Elle inspira les vapeurs et se racla la gorge. En répétant des Aaah, elle vérifia que son timbre de voix était bien devenu plus grave et se saisit de la pierre.

– Alors c'était ça, le nom de ton petit pote... Désolée, mais il n'a pas fait le poids face à moi ! Une petite baffe, et il est mort ! Je n'ai même pas eu besoin de sortir mon arme !

L'alchimiste était assez fière de sa performance. Maintenant, ses ennemis seraient à la recherche d'un homme armé solidement bâti, pas d'une naine qui pourrait se cacher dans des endroits exigus.

... J'espère que j'ai mal entendu... Tu viens de te vanter d'avoir buté mon petit frère ? Espèce de sale... Hein ? Ho, rends moi...

Boucles là, Radan, je gère la situation... Toi, va surveiller les otages, et pas de bêtises !

Farca fronça les sourcils. Son interlocuteur venait soudainement de changer, passant d'un homme clairement hargneux et facilement influençable à un individu capable de le ramener à l'ordre aisément. Sans s'en rendre compte, la sang-mêlée souriait, voyant qu'elle aurait droit à un vrai défi. En enfilant ses bottes, elle décida de titiller le poisson pour voir comment il réagirait.

– On a été obligé de tenir son toutou en laisse ? Ça ne doit pas être facile d'être le maître d'une telle tête brûlée...

Il a ses utilités... Surtout quand je lui dis quel lièvre pourchasser... Mais plus important, à qui ais-je l'honneur ? Daran était peut-être encore plus stupide que son frère, il n'était pas mauvais en combat... Trop doué pour qu'un simple soldat le batte, et vu comment tu nous parles, tu n'as définitivement pas l'attitude d'un officier... Peut-être un garde du corps...

Se retenant de rire, Farca se réjouit de voir la conversation évoluer comme elle l'avait deviné. Et elle avait donc prévu sa réponse qui sortit naturellement.

– Ha, mais bien sûr ! Comme si ces couillons de radins me payeraient ce que je vaux ! Non, j'ai juste décidé de profiter que personne regarderais ailleurs que dans la salle de bal pour piquer deux-trois trucs dans le reste du palais ! Malheureusement... Dugland, c'est ça ?

Une grimace de jubilation déforma les traits de l'alchimiste en entendant Radan hurler au loin dans la pierre.

– Bref, le frangin de l'autre excité à côté de toi a voulu jouer au plus malin puis au plus fort... Un cuisant échec sur les deux fronts...

Je l'imagine sans mal... Et ton nom ?

– Nipul, pour te servir ! Et toi ?

Shan. J'espère que tu ne t'es pas enfui avec son sac. Nous en avons... Besoin...

– Tu m'étonnes ! Vous comptez faire quoi, avec un sac de Vincerent ? Ce n'est pas le genre de jouet qu'on sort juste pour le plaisir !

Ho ? Tu n'es décidément pas un voleur lambda, pour savoir ça...

– Crois-moi, tu n'as jamais rencontré de voleur comme moi ! Alors, c'est quoi ton but ? Vider la trésorerie et t'enfuir après avoir massacré tous les témoins ?

Farca secoua la tête en ricanant, se demandant comment Shan réagirait à une suggestion aussi grotesque.

Encore une fois, tu as vu juste. Tu es bien perspicace, ma parole...

La naine écarquilla les yeux et se mordit la lèvre. Son interlocuteur venait de lui avouer qu'il comptait tuer les invités dans tout les cas. Elle espérait que leur survie était au moins une option dans ses plans, mais ça semblait compromis.

Pour le moment, les otages et les soldats déjà réunis autour du palais pensent que nous voulons juste obtenir la libération des nobles anti-royalistes qui sont emprisonnés. Nous sommes même allés jusqu'à engager un assassin en lui parlant d'une rumeur absurde sur le prince. Après une tentative d'assassinat ratée soit-disant montée par les ennemis de la couronne, ils vont tous gober ce bobard et penser que nous somme là pour faire un coup-d'état.

– Dans ce cas là, ils vont se douter que vous comptez tuer la famille royale, non ? Ils ne vont pas se tourner les pouces en pensant ça...

C'est pour ça qu'on leur a dis qu'on agiterait un membre différent de la famille royale devant une fenêtre toutes les cinq minutes pour montrer notre bonne foi. Tant que nous leur prouvons que nous comptons tenir nos faux engagements, ils vont nous laisser forcer la serrure de la trésorerie sans problème. Le souci, c'est que sans ton sac, nous allons être limités... Nous passons du cambriolage du millénaire à un simple vol bien trop risqué... Et ça, mon employeur ne l'apprécierait pas... Pour que notre plan soit un succès, nous avons besoin de la capacité de stockage illimité que tu as entre tes mains.

– Et tu penses que je vais prendre le risque de marchander avec vous ? J'ai tué Dugland ! Son frangin ne va pas me lâcher avant de m'avoir fais bouffer mes burnes ! Et puis, si je ne te donne pas volontairement le sac, tu vas devoir me tuer pour en devenir le propriétaire ! Je ne vois pas pourquoi je me risquerais à...

Je te promets de tenir Radan à l'œil. Dans le pire des cas, je le tuerais moi-même. Quand à la propriété du sac, comme tu l'as indiqué, il te suffit de me la céder. Et je suis même prêt à te donner la part des deux frères en bonus. J'aime les hommes compétents et intelligents. Nous pourrions travailler ensemble sur le prochain coup de Maître Saga...

La bouche de Farca se dessécha en découvrant à quel point la situation était catastrophique. Si Saga était derrière toute cette opération, non seulement le coup devait être parfaitement monté, mais il avait besoin des richesses de Merona pour ouvrir une porte. Avec autant d'argent, il pourrait sans mal dresser une armée.

– Drôle de nom, ça... commenta la naine en gardant son calme. Et il a quoi en tête, Zaba ?

Saga. Pour faire simple, il a réuni autant de mercenaires que possible pour lancer un petit assaut sur un village elfique. Après ça, j'ai cru comprendre que nous irions à Danatal. C'est pour ça que mon maître m'a envoyé réunir des fonds. Une telle armée coûte cher, vois-tu...

L'alchimiste mordit son poing. Ils avaient vu juste, Saga avait des vues sur la porte du clan Sylvéria. Malheureusement, elle apprenait aussi que le mage savait déjà pour la porte de Danatal. Il avait déjà trois pierres sur les sept, ce qui voulait dire que s'ils n'arrivaient pas à l'arrêter chez les elfes ou à Danatal, ils ne pourraient plus rien faire. Ils seraient impuissants face à la flotte qui partait pour la porte sous-marine, et la dernière pierre restait introuvable. Si ce vol était l'une des clés de la réussite de l'arcaniste, elle ne pouvait en aucun cas laisser Shan et les autres réussir.

Farca se gifla pour se remettre les idées en place. Les enjeux du lendemain n'étaient pas importants. Il fallait avant tout survivre à la menace devant elle.

– Vous aurez besoin de combien de temps pour ouvrir la trésorerie ? C'est juste que je voudrais réfléchir avant de partir en guerre...

Je comprends parfaitement. Tu as une heure devant toi. Passé ce délais, j'espère que tu seras décidé à travailler avec nous. Oh, et n'espères pas pouvoir t'enfuir. En plus des hommes qui surveillent les soldats dehors, ces derniers risquent de ne pas faire la différence entre nous et un civil...

– Oh, ne t'en fais pas, je n'ai pas l'intention de partir... Mais au fait, tu comptes t'échapper comment, avec tout les soldats autour de nous ?

Oh, crois moi, mon Maître a tout prévu... Après tout, comment penses-tu que nous sommes entrés ?