Chapitre 15 : Le prêtre démoniaque
Devant un duc sidéré, Bélila aida son père à se redresser en lui tirant les cheveux jusqu'à ce qu'il soit debout. Elle le lâcha et fit un pas en arrière en croisant les bras.
– Parle.
Artra regarda sa fille avec un mélange de tristesse et de douceur mais ne reçut en retour que de la colère et de la déception. Le prêtre tendit la main vers son visage, mais un froncement de sourcil le dissuada d'aller jusqu'au bout de son geste. Il la rétracta en serrant son poing, dépité.
– Je ne peux pas te blâmer de me détester... Même libre, je n'ai pas essayé de revenir au village...
– Libre ?
Artra grimaça avec une expression de douleur qui poussa la barbare à faire preuve de compassion.
– Après ma chute dans le ravin, je me suis réveillé dans une cage. J'étais épuisé et enchaîné, je n'avais pas la force de me libérer. Ils gardaient en permanence une bâche sur ma cage, je ne sais pas si c'était plus pour m'empêcher de voir où on allait ou pour me cacher, mais je n'ai pas revu le soleil avant... Honnêtement, je ne sais même plus combien de temps. Ils me glissaient de temps en temps des repas entre les barreaux, mais je n'ai même pas vu les mains de ceux qui me nourrissaient. La bâche était si épaisse que la lumière du jour ne la traversait jamais. Jour et nuit ne voulaient plus rien dire. Je sais qu'ils m'avaient transporté dans un chariot, mais c'est tout...
– Vous ne nous aviez jamais raconté cela ! s'exclama Donian avec horreur. Qui a bien pu vous faire subir un tel calvaire ?
L'expression d'Artra se fit plus dure alors que ses souvenirs ravivaient sa colère.
– Mytian, le roi de Griganar... Un beau jour, j'ai été arraché à l'obscurité et jeté à dans la lumière, aux pieds du roi. Ils me nourrissaient à peine assez pour me garder en vie et je n'avais pas fait d'effort physique important depuis si longtemps que je ne pouvais même pas tenir. Mytian m'a regardé comme une bête de foire avant de me dire qu'il avait de grands projets pour moi...
– Une bête de foire ? répéta Finora en fronçant les sourcils.
Artra se mordit la lèvre. La joie de revoir sa fille et son désir de s'expliquer lui avait fait oublier où ils étaient et qui les entouraient. Il ne pouvait pas se risquait à révéler sa nature démoniaque. Surtout si sa fille devait en pâtir aussi.
– Bélial et son père viennent d'un clan isolé de Griganar, expliqua Sieg d'une voix forte qui tremblait d'une rage sourde. Leur tribus est composée uniquement d'individus incroyablement robustes avec d'étranges pouvoirs et à la peau plus sombre que la moyenne du pays. Il existe des légendes à leurs sujet là-bas, alors ils sont vus comme des êtres spéciaux.
Surpris, le prêtre dévisagea l'épéiste sans comprendre pourquoi il lui venait en aide. Il lui suffit de voir sa fille glisser sa main dans la sienne pour comprendre qu'il ne mentait pas à moitié dans son intérêt à lui. Et cela ne dérangea pas le démon.
– Exactement... C'est pour ça que Mytian a ordonné à ce que l'on fasse des recherches sur moi. C'est là que le vrai calvaire a commencé... Ils m'ont ouvert encore et encore, examinant chaque recoin de mon corps, analysant comment je réagissais sous certaines conditions. Ils m'ont gardé en permanence sous la supervision de plusieurs soigneurs qui avaient pour seul but de me garder en vie, pas soigner mes blessures. Ils ont d'ailleurs voulu vérifier si je pouvais faire repousser un membre...
Artra leva sa main gauche, dévoilant ses quatre doigts et la cicatrice qui ornait la fin de sa main.
– Encore heureux que les plus modérés d'entre eux ont convaincu les plus extrémistes de ne pas m'amputer le bras entier... Même ta mère, avec ses pouvoirs, ne l'aurait pas pu, et tu sais combien elle peut vite guérir...
– Parle encore d'elle et je te rappelle que tu as des rotules, grinça Bélial en faisant craquer son poing. S'ils ont fait des expériences sur toi, comment ça se fait que t'es là ? Me dis pas qu'ils t'ont libéré ?
– Ha ! Si seulement ça avait été aussi simple ! Non, ils ne comptaient pas me relâcher comme ça. Et ils me gardaient trop bien pour je trouve une ouverture pour fuir... Je ne savais même pas où je me trouvais exactement. À quoi bon sortir d'une cage si c'est pour me retrouver coincé dans une forteresse ?
Vu comme ça...
– Mais un jour, elle s'est présentée à moins... raconta Artra avec une lueur de joie dans le regard qui dégoûta sa fille. Sa sainteté, Dame Zadia... Elle est apparue dans ma cellule un soir, je ne sais pas comment et m'a pris dans ses bras. C'était le premier acte de bonté dont on me faisait preuve depuis peut-être des années... Elle m'a alors murmuré dans l'oreille une simple question qui a changé ma vie.
– Sérieusement ? demanda Farca en haussant un sourcil dubitatif. Et c'était quoi, cette question magique ?
– Veux-tu libérer le pouvoir qui te rendra le temps perdu ?
Artra ricana en voyant l'incompréhension régner.
– Non, moi non plus, je n'avais pas compris ce qu'elle voulait dire... Mais j'ai tout de même accepté. Honnêtement, dans mon état, je pense que j'aurais dis oui à me faire enduire de miel et jeter dans un nid de fourmis géantes... Ma santé mentale... Disons qu'elle ne tenait qu'à un fil... Elle a disparu et je me suis endormi. À mon réveil, j'étais allongé dans un lit. La chambre était peut-être simple, mais après ce que j'avais vécu, j'avais l'impression d'être dans une suite royale.
– Question : Comment Vous Ont-Ils Fait Sortir ?
Artra dévisagea Adam dont la voix artificielle l'avait surpris avant de reprendre.
– Je l'ignore, et encore à ce jour, ils refusent de me le dire... Tout ce que l'on me répond, c'est que l'important, c'était que j'étais sauvé. Et franchement, ça me suffit... Après mon réveil, j'ai revu Dame Zadia qui m'a expliqué en quoi consisté l'Ordre de la Première Vérité. Bon, elle a du aussi m'expliquer ce qu'étaient la religion et les dieux, mais passons...
Sieg serra les dents. Pendant deux ans, il s'était demandé pour quelle raison Artra et ses hommes les avaient pourchassés, lui et Alice. Il savait désormais qu'ils voulaient la déesse d'or de la lumière qui sommeillait en elle, mais il savait que ce n'était qu'une partie de l'histoire. Être à deux doigts d'en apprendre plus lui laissait une étrange sensation, entre satisfaction et colère.
– L'Ordre cherche à ramener l'état naturel des choses... Le monde n'a fait que s'embourber dans des conflits causés par des mortels avides de puissance, de richesses... Pour faire simple, nous sommes tous corrompus par la malédiction des sept Déchus ! La seule façon de nous défaire de ces chaînes est de libérer les dieux d'or ! Leur sacrifice aurait dû commencer une ère de prospérité, mais ce n'est que la décadence qui nous a tendu les bras ! Et nous nous sommes fourvoyés sur la voie des péchés, abandonnant la vérité ! Celle que nous n'aurions jamais dû oublier ! Ce monde ne peut-être complet qu'avec le retour des premiers dieux ! Qu'avec le règne d'Or ! Que l'on revienne à l'état d'origine de ce monde !
S'étant lancé dans un véritable sermon, le prêtre avait élevé la voix, captant l'attention d'une partie de la salle. Sieg et les autres examinèrent la foule et réalisèrent que plus de la moitié écoutaient avec le sourire ou en priant. Le reste de l'assistance se contentait d'observer la scène, intrigué. Il ne fallut pas d'autre preuve que l'Ordre de la Première Vérité avait déjà étendu son influence sur une grande partie de Legenia. Et peut-être même plus loin encore, car Artra avait été sauvé sur Seralin, de l'autre côté de la mer.
Le prêtre présenta sa main à sa fille qui recula, troublée.
– Viens avec moi, Bélial... Ta place est à nos côtés... Ensemble, nous pouvons réunir les dieux d'or et sauver ce monde ! Je me suis trop longtemps détourné de notre village, pensant que je ne pouvais pas y retourner avant d'avoir aidé à forger un monde plus juste, mais je me trompais ! Nos retrouvailles sont la preuve que j'aurais dû vous inviter à rejoindre l'Ordre ! Ensemble, avec nos pouvoirs, nous...
Le coup de poing de Bélial résonna dans toute la salle de bal. Plusieurs personnes ne comprirent ce qui s'était passé que quand le prêtre s'écrasa au sol après un vol de trois mètres. Des cris de stupeur furent poussés alors que la barbare s'avançait vers son père qui se redressait en secouant la tête. Elle s'agenouilla au dessus de lui et lui agrippa le col pour lui hurler au visage, des larmes de rage coulant le long de son visage.
– C'est pour ces conneries que t'étais pas là ? Pas là quand j'avais besoin de toi ? Que le clan devait se battre ? Survivre à l'hiver ? Et M'man, t'as pensé à elle ? Elle m'a élevée seule, sans aide ! Elle t'a jamais oublié, je suis sûr qu'une partie d'elle espérait que tu reviendrais ! Mais toi, rien à foutre ! Tu voulais juste jouer avec tes nouveaux potes ! Reforger le monde, ou je sais pas quoi ! Moi, tout ce que je vois, c'est un gros naze qui aurait pu être là quand le clan s'est fait massacré, mais est resté loin de ceux qui avaient besoin de lui !
Artra écarquilla les yeux, fixant la jeune femme avec horreur.
– C'est vrai?
– Tu crois que je mentirais là dessus ? Il reste que moi et ce traître de Tyrian ! Et maintenant, j'apprends que tu es aussi...
– Ne t'en fais pas... Nous allons les ramener...
Bélial se figea. L'expression de on père avait changé, passant de la peur à une quiétude sinistre. Son sourire ne faisait qu'accentuer son regard vide qui donnait à la barbare l'impression qu'elle pouvait tomber dedans et chuter pour l'éternité.
– Quand les dieux d'or reviendront, ils pourront tout réparer... Finalis est le dieu du temps. Il pourra le remonter et sauver tout le monde. Même ta mère. Si nous œuvrons à son retour, il nous récompensera...
Ne l'écoutes pas ! À l'époque, on se moquait du sort des mortels ! Même moi, je me moquais de savoir s'ils survivraient ou pas ! Quand vous nous aviez sacrifiés pour votre propre survie, je vous ai tous maudits, et je suis sûre que c'est le cas des autres ! J'ai peut-être fini par m'attacher à vous, rien ne dis que c'est le cas des autres ! Si Finalis est libéré, il pourrait tous aussi bien accélérer le court du temps du monde entier pour effacer toute forme de vie !
La démone lâcha son père et recula, révulsée par ce qu'elle venait d'entendre.
– T'as complètement perdu la tête... T'es...
Bélial serra les dents et se retourna, marchant vers la sortie. Sieg essaya de la retenir mais elle le repoussa sans même le regarder.
– J'ai besoin d'être seule...Je vais prendre l'air...
Le bretteur la regarda s'éloigner sans oser parler. Dépité, il s'adressa à ses ompagnons encore présents.
– Bon écoutez, nous devons...
– Je peux savoir ce que tu fous encore là ?
Surpris, Sieg baissa les yeux et fixa Farca qui bouillonnait de rage. Sans rien ajouter, elle se contenta de pointer la sortie.
– Quoi ? Mais nous devons...
– Laisses Nous Nous Charger De Veiller Sur La Princesse. Tu As Un Nouvel Objectif Prioritaire !
– Vous les avez entendus... lui souffla Finora. Et Anoro sera là aussi, je ne crains rien... Allez auprès d'elle. Elle dit vouloir être seule, mais elle a besoin de vous.
Sieg dévisagea la princesse avant de hocher la tête et se mettre à courir. Il se moquait que la nobilité et la royauté du continent le regardait, ce qu'ils pensaient de lui n'avait aucune valeur en ce moment. Il quitta la salle de bal et parcouru les couloirs.
Debout, Artra avait regardé la scène en se frottant la joue. La dernière fois qu'il avait reçu un coup comme ça, sa femme en avait été la cause.
– Comment vous sentez vous, mon Père ? s'inquiéta Donian.
– Je vais bien. Je n'ai jamais cru que mes retrouvailles avec ma fille puissent se dérouler ainsi...
– Nous sommes vraiment désolés pour votre clan... sympathisa Maria. Vous avez...
Artra la coupa en posant sa main sur son épaule en lui souriant.
– Ne vous en faîtes pas... Comme je l'ai dis, quand les dieux d'or nous reviendront, nous serons réunis avec ceux que nous avons perdu. Et cela en va de même pour votre fille...
La duchesse ferma les yeux, réconfortée par les mots du prêtre.
– Oui, vous avez raison... Dans le monde idéal, il n'y a plus de vie ou de mort...
– Absolument. Mais si vous voulez bien m'excuser, je vais m'absenter un moment. J'ai besoin de réfléchir à ce que je viens d'apprendre...
– Prenez tout votre temps...
Le prêtre s'inclina et sortit à son tour. Une fois dans le couloir, il sortit une pierre de sa poche et la porta à son oreille.
– C'est moi. Non, l'opération semble se dérouler correctement, mais... Oui, je sais que je ne devais vous contacter que pour une urgence, mais il y a une complication. Vous vous...
Artra se retourna subitement. L'espace d'une seconde, il avait cru voir un reflet dans un miroir accroché au mur et pensait qu'on le suivait. Cependant, il était absolument seul. Il vérifia de nouveau la glace avant de soupirer.
– Non, rien, j'ai juste cru... Ce n'est pas important... Je vous parlais de Sieg qui nous avait déjà mis des bâtons dans les roues. Oui, et il n'est pas seul...
Artra se remit à marcher. Dans le miroir, le reflet d'un homme portant un costume à plume se releva en soupirant.
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