Chapitre 14 : Les liens du sang

En entendant le nom complet de Farca, Ahmés, Finora et Anor comprirent la situation. Une déplaisante réunion de famille avait lieu sous leurs yeux. La sang-mêlée regarda sa fratrie en essayant de garder son calme.

– Vous êtes bien loin de la mine... commenta-t-elle d'une voix tremblante. Vous avez du sacrément vous perdre si vous avez fini sur le mauvais continent...

– Contrairement à toi, nous savons ce que nous faisons... cracha Galran avec dédain. Nous avons décidé d'étendre notre sphère d'influence. Simplement vendre notre minerai à Griganar et ses voisins ne nous suffit plus. Alors quand comte Gladur est venu nous proposer de nous ouvrir au marché de Legenia, nous avons vu une opportunité de faire des profits...

– Une bien curieuse décision... remarqua Sieg. Le continent a déjà plusieurs fournisseurs locaux, pourquoi perdrions nous notre temps à importer des minerais de l'étranger à prix d'or ?

Galran fixa le bretteur en silence avant de s'adresser à Farca en nain.

– Dis à ton humain d'apprendre à se mêler de ses affaires... Sa race est bien trop stupide pour comprendre...

– ... que vous comptez profiter des guerres intestines naines locales pour racheter les mines de Legenia sous leur nez ? En ce moment, les grandes familles portent bien plus d'intérêt à leur honneur qu'à leur commerce... En jouant bien vos cartes, vous pourriez au moins contrôler la moité du commerce minier du continent.

Ah, il ne l'a pas vue venir, le coup de l'humain qui parle le nain !

Sieg se retint de sourire en voyant les yeux de Galran s'élargirent sous ses sourcils broussailleux, tant surpris par la maîtrise de la langue naine du bretteur que par la facilité avec laquelle il avait percé à jour ses plans.

– Ce n'était pas bien dur à comprendre... exposa l'épéiste en continuant dans la langue natale de son interlocuteur. Votre peuple aime les choix rationnels et efficaces. Pourquoi investir d'importants moyens dans l'acheminement des ressources à travers la mer si elles sont déjà disponibles sur place. Et ne parlons même pas des autels de voyage, leur conception est complètement inadaptée aux échanges commerciaux...Et vu que le marché des minerais ici est en train de s'effondrer à cause du conflit actuel, vous n'aurez qu'à attendre le bon moment pour tout racheter à bas prix. Fières comme elles le sont, les familles naines préféreraient vendre leurs mines à des congénères d'un autre pays que les perdre à leurs ennemis...

Galran examina l'humain un moment, comme il l'aurait fait une pioche dans un magasin, avant de se tourner vers Farca.

– Tu t'es trouvée un bon maître, à ce que je vois... cracha-t-il. Il doit être bien généreux, d'avoir accepté une incapable rêveuse comme toi...

Farca détourna le regard en grimaçant. N'en tenant plus, Finora se racla la gorge et fit un pas en avant.

– Qu'elle soit de votre famille ou non, je vous prierais de ne pas manquer de respect à mon escorte. Moi qui pensait que les grandes familles de l'ouest étaient honorables...

Agacé, Galran dévisagea à présent la princesse et retint le commentaire cinglant qui remontait sa gorge. Avec un regard, il avait évalué que la jeune femme aux allures royales était le genre de personne qu'il valait mieux ne pas insulter ouvertement.

– Et vous êtes ? demanda-t-il.

Elle fit une révérence plus basse que d'ordinaire.

– Princesse Finora, héritière du trône de Danatal. C'est un plaisir de faire votre connaissance...

Reconnaissant l'un des noms que le comte lui avait conseillé de garder en tête, Galran comprit qu'il s'adressait à l'une des rares humaines dont l'autorité pourrait impacter sa capacité à faire affaires sur Legenia. Il fit complètement face à la princesse pour s'incliner.

– Tout le plaisir est pour moi, princesse. Galran Acieroux, je suis à la tête de la famille Acieroux et de ses affaires. J'espère que nous pourrons bientôt entretenir de solides liens commerciaux...

– Quoi ? explosa Farca. Comment ça, tu... Et Père, alors ?

Irrité, le nain foudroya l'insolente qui osait l'interrompre du regard. Treize ans à devoir subir ce traitement fit trembler le corps de la sang-mêlée sans qu'elle puisse se contrôler. Un des deux autres nains à la chevelure orange prit la parole.

– Si tu ne t'étais pas enfuie pour vadrouiller sans but, nous aurions pu t'apprendre la mort de Père il y a trois ans... Enfin, pour toi, la famille n'est importante que si elle est... humaine...

Lui, je sens que je ne vais pas l'aimer...

Il cracha le dernier mot comme s'il lui brûlait la langue, se délectant tout de même de l'expression horrifiée de Farca.

– Allons, ne soit pas trop dur avec elle, Caldar... soupira le troisième rouquin. Nous ne pouvons pas la blâmer pour son sang dilué... La pauvre n'avait aucune chance dès la...

Le nain qui parlait se tut soudainement en sentant sa gorge se dessécher. Une sensation étrange, comme si une ombre glissait sur son dos, lui donna des frissons. Il eut l'impression que des doigts osseux se posaient un à un sur ses épaules. Un murmure à peine audible parvint à ses oreilles, lui soufflant des mots imperceptibles mais qui semblaient venir d'un monde glacial et sombre.

– Baldar ? s'inquiéta Galran en voyant le visage de son frère se décomposer. Qu'est-ce qu'il y a ?

Farca regarda Baldar bafouiller, le regard fou. Elle devina aisément ce qui se passait et décida d'y metrre un terme avant que la situation ne dérape.

– T'en mêles pas, Ahmés... murmura l'alchimiste en taouyen.

L'aura oppressante que ressentait Baldar s'évanouit et il tomba à genoux, haletant et transpirant. Sieg se força à ne pas regarder autour de lui. Il avait lui aussi deviné que le musicien avait été poussé à bout par les propos de la famille de leur amie et comprenait son envie d'intervenir. Cependant, il avait pris un risque bien trop grand.

Bien que j'aurais voulu voir Ahmés lui réduire le cerveau en bouillie, je suis bien contente que Farca lui a dis de se retirer...

L'escorte des Acieroux se porta au secours de Baldar. Il fut ignoré par Galran qui reprit la parole.

– Veuillez excuser mon frère, il semblerait que la cuisine locale n'est pas à son goût... Bien trop riche pour son délicat estomac...

Caldar jeta un regard noir à Farca. Il l'avait entendue dire quelque chose sans le comprendre et se doutait qu'elle avait quelque chose à voir avec ce qui venais de se passer. Cependant, faute de preuve, il se retint de l'accuser.

– Les calamités semblent te suivre partout... se contenta-t-il de dire. Tout comme la traînée qui a fait perdre la tête à Père... Heureusement, elle n'a pas vécu assez longtemps pour complètement lui empoisonner l'esprit avec ses délires... Toi, par contre...

Chaque muscle de Bélial hurlèrent de douleur, enchaînés sur place alors qu'ils voulaient faire ravaler aux trois nains chacune de leurs paroles. Mais elle ignora son instinct belliqueux, respectant le choix de son amie de mener son combat seule, même si elle refusait de répliquer.

– Il suffit, Caldar... intervint Galran. Laisse cet échec gâcher sa vie à chasser des chimères, ça ne nous concerne pas. Ce fut un honneur de vous rencontrer, princesse, mais si vous voulez mon avis...

Le chef de la faille Acieroux posa un dernier regard condescendant sur Farca qui fixait résolument le sol en serrant les pans de sa robe avant de se détourner d'elle.

– ... faites plus attention à la compagnie que vous gardez... Pour réussir, il faut sentourer du meilleur, pas du pire...

Les nains s'éloignèrent du groupe en commençant à rire d'une blague qui fit danser des flammes autour des doigts de l'épéiste.

– Si nous n'étions pas en publique...

– Ne perds pas ton temps... lui souffla la sang-mêlée d'une voix faible. Ça ne changerait rien... Il en reste encore sept comme lui à la maison, et je n'ai pas envie que tu brûle toute ma famille juste pour qu'ils se taisent...

Bélial s'agenouilla et serra la naine dans ses bras. Farca ne la chassa pas, appréciant loe réconfort que lui apportait ce geste.

– Je savais pas qu'ils étaient aussi horrible avec toi... Je veux pas imaginer...

– N'essaye pas... C'est le passé, pas la peine d'y penser... Je suis partie pour échapper à leurs brimades, et après demain, je n'aurais plus jamais à les entendre...

Finora posa une main sur l'épaule de l'alchimiste.

– Si vous le désirez, vous pourrez rester à l'ambassade demain soir... Je comprendrais si...

Farca chassa la main de la princesse et se libéra de l'étreinte de la barbare en faisant un pas en avant.

– Pas question... J'apprécie l'offre, mais si je fais ça, s'ils voient que je n'ai pas le courage de me monter en sachant qu'ils sont là, j'aurais l'impression de leur donner raison... Ce serait comme admettre que je suis inutile... S'ils savaient un quart des choses que j'ai accompli...

Putain, j'avais oublié à quel point elle était têtue... Mais c'est pour ça que je l'aime bien...

– Question : Pourquoi Ne Pas Le Leur Dire ?

Farca ricana et adressa à Adam un regard triste.

– Parce que tu crois qu'ils me croiraient ? Et même si ça venait de quelqu'un d'autre... Ils ont vécu leurs vies avec des certitudes inébranlables, et l'une d'elles est que je suis défaillante, juste parce que du sang humain coule en moi...

– Ta différence ne fait pas de toi un monstre...

Le murmure d'Ahmés arracha un sourire à Farca. Elle se retourna et fixa ses trois compagnons visibles. Les quatre personnes qui voyageaient avec elles n'avaient pas leur place dans ce monde. Tous étaient une anomalie, une pièce en trop dans une complexe horlogerie. Mais ils s'étaient trouvés, et ensemble, ils se sentaient normaux.

– De toute façon, je sais qui je dois écouter pour savoir qui je suis...

Sieg sourit à son tour et ouvrit la bouche.

– Duc Donian de Lasénia !

Les paupières du bretteur s'ouvrirent en grand. Les poils sur sa nuque se dressèrent. Sans un mot, il dirigea son attention vers l'entrée de la salle de bal. Le duc et sa femme marchaient vers eux, mais il les ignora complètement. Seul l'homme grand de deux mètres l'intéressait.

Artra vit Sieg et fronça les sourcils. Les deux hommes se dévisagèrent en silence, ignorant la foule bruyante autour d'eux.

Finora se plaça devant Sieg et interpella les nobles.

– Duc Donian ! Duchesse Maria ! Quel plaisir de vous revoir ! Je ne vous avais plus vu depuis la naissance de votre fils !

Les représentants de Lasénia reconnurent la princesse et furent heureux de la voir.

– Princesse Finora ! J'avais presque oublié que vous seriez ici ! Ce sera votre première soirée, n'est-ce pas ?

– Oui, et je suis ravie que vous soyez ici ! Mais dîtes moi, qui est votre mystérieux ami ?

– Où sont mes manières ? s'exclama le duc en s'écartant. Je vous présente Père Artra, de l'Ordre de la Première Vérité ! Nous lui devons beaucoup, alors quand nous avons su que nous pouvions inviter quelqu'un...

Artra délaissa Sieg pour faire preuve de politesse envers la princesse et déglutit en voyant ses yeux. Si le reste de son visage était calme et avenant, une colère sourde brillait dans ses pupilles.

– Enchantée, Père Artra... J'ai beaucoup entendu parlé de vous de la part de mes amis... J'ai presque l'impression de vous connaître...

– Ah oui... souffla Artra en dévisageant l'épéiste. Je me souviens de Sieg... Saviez vous qu'il s'est imposé dans une affaire de l'Ordre ? En plus de nous avoir privé d'un objet religieux que nous convoitions, il m'a laissé un souvenir indélébile...

– Comment ? s'indigna le duc. Votre compagnon a...

– Oui, mais ce n'est pas ce qui importe ici... clama Finora en faisant un pas de côté. Plutôt que Sieg, il y a une autre personne à qui vous devriez parler...

Perplexe, Artra balaya du regard le reste de l'escorte de la princesse. Ce fut en cet instant qu'une femme de grande taille sortit de l'ombre d'Adam. Son regard émeraude pétrifia le prêtre qui eut l'impression de revenir onze ans en arrière.

La barbare se planta devant son père, levant son visage furieux vers le sien. Artra tituba, sidéré par ces retrouvailles inatendues.

– C'est impossible... Navia ? Non, tu es trop jeune... Bélial ?

Ayant eut les yeux rivés vers les visages des deux démons camouflés, le duc et la duchesse ne virent pas le coup de Bélial. À part les compagnons de la jeune femme, personne ne comprenait posait un genoux à terre en gémissant, les mains sur son entre-jambe. La barbare se pencha en avant et tira les cheveux de son père pour l'obliger à la regarder droit dans les yeux.

– Ça, c'est pour toutes les nuits que M'man a pleuré pour toi quand elle pensait que je dormais, fils de pute... cracha Bélial en griganien. Et c'est qu'un début...

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