Chapitre 12 : Les amants larmoyants
Le carrosse de la princesse s'arrêta devant l'ambassade, libérant ses passagères dont une qui avait hâte de se dégourdir les jambes.
– Une vraie gamine... soupira Farca en regardant Bélial gambader joyeusement.
– Elle doit bien égayer vos voyages ! musa Finora en s'approchant de l'entrée. Suivez-moi, nous devrions...
Une explosion retentit soudainement, mettant tout le monde sur ses gardes. Les soldats encerclèrent la princesse en surveillant les environs.
– Ça venait de derrière l'ambassade ! hurla Bélial en se mettant à courir ! Vous, vous veillez sur la princesse pendant que je vais vérifier ça !
La démone entra le manoir et le traversa pour rejoindre le jardin à l'arrière. Elle s'arrêta en découvrant qu'ils n'étaient pas attaqués, mais ne comprenait pas ce qui se passait.
Sieg était en train d'attaquer Adam, enchaînant des attaques toutes plus dévastatrices les unes que les autres. Son style de combat agile et gracieux avait été remplacé par un déferlement d'attaques sauvages et brutales avec pour seul but de causer le plus de destruction possible.
– Mais qu'est-ce que vous foutez ? cria la barbare en se précipitant vers eux. Sieg, pourquoi...
Un bras tendu lui bloqua le passage. Bélial tourna son attention vers Ahmés qui ne croisa pas son regard.
– N'approches pas si tu ne veux pas être blessée. Sieg a besoin de se défouler, et Adam s'est porté volontaire pour l'y aider. Ils devraient vite en avoir fini...
Je ne flippe pas facilement, mais si quelque chose est arrivé à faire sortir Sieg de ses gonds...
– Je vais prévenir le reste des troupes que tout va bien... déclara Anoro en rentrant dans le manoir. On ne voudrait pas que tout le monde se mette à paniquer...
Le soldat croisa la route de Farca qui écarquilla les yeux en voyant un membre de son équipe essayer de mettre un autre en pièces.
– C'est quoi ce foutoir encore ? On peut pas vous laisser seuls cinq minutes sans que ce soit la merde ?
– Tu vas nous dire ce qui se passe ? s'inquiéta Bélial en forçant le musicien à la regarder.
– Ce n'est pas à moi de vous le dire... dit-il pour toute réponse. Tu devras le demander à Sieg directement...
L'affrontement arriva à son terme juste avant que la princesse n'arrive à son tour. Elle découvrit Sieg, à bout de souffle, prenant appui sur ses genoux. En voyant qu'il s'était calmé, Adam se pencha pour lui parler. La démone fit un pas en avant, incertaine.
– Sieg ?
L'écarlate tourna son regard vers la jeune femme qui fut transie d'effroi. Les yeux de son partenaire n'étaient que noirceur, une haine indéfinissable brûlant à en consumer même les astres. Bélial ne reconnaissait pas l'homme qu'elle aimait, elle dévisageait un monstre sans pitié qui voulait voir le monde brûler.
Sieg vit la terreur sur le visage de sa bien-aimée, une vague de honte étouffant sa rage assez longtemps pour qu'il reprenne le contrôle de lui même. L'écarlate se redressa en tournant le dos à la barbare qui n'osait plus bouger.
– Je ne voulais pas te faire peur, pardonne moi... C'est juste... Juste que...
La démone vit le poing de l'épéiste trembler alors qu'un vent anormal tourbillonnait autour de lui. Elle savait que sa magie pouvait s'emballer lorsqu'il était hors de lui, le rendant dangereux. Ce qui voulait aussi dire qu'il souffrait atrocement cet instant.
S'en voulant d'être restée immobile ne serait-ce qu'une seconde, Bélila s'avança vers Sieg et l'enlaça par derrière, posant son front contre sa tête.
– T'as jamais à t'excuser avec moi... Je serais toujours là pour toi... Les bons jours comme les mauvais, je veux être ta force... Alors quand t'as mal, me tourne pas le dos...
Elle sentit l'écarlate s'effondrer entre ses bras. Elle l'accompagna doucement jusqu'au sol, s'agenouillant avec lui sans le relâcher.
– Je suis vraiment minable...
– Dis pas ça...
– Si je le suis... Je suis là, brisé à cause de mon précédant amour, t'obligeant à recoller les morceaux pour moi...
Bélial aurait menti si elle avait dis que cette phrase ne lui avait pas fait mal. Mais elle accepta la douleur. La barbare savait que peu de choses pouvaient abattre l'épéiste, et Alice était l'une d'elles. Elle avait beau avoir disparu, elle resterait toujours importante aux yeux de Sieg, mais la barbare l'acceptait. Après tout, si elle ne le faisait pas, comment pourrait-elle demander aux autres d'accepter sa peine pour ceux qu'elle avait perdu.
– T'en fais pas, c'est normal que ça fait mal... Tu peux pleurer pour elle autant que tu veux, je détesterais aucun de vous... Elle t'a rendu heureux, alors elle est importante pour moi aussi...
Bélial sentit la main de Sieg lui serrer le bras.
– Il est ici... Son tueur...
L'étreinte de la jeune femme se fit plus ferme sur le corps de son amant, l'enveloppant encore plus de sa chaleur réconfortante.
– Tu l'as tué ?
– J'ai failli... Les autres m'en ont empêché... Ils avaient raison de le faire, j'allais faire une connerie monumentale... Mais j'ai toujours la hargne... Elle ne veut pas s'en aller...
– Je sais...
Deux mots. Voilà tout ce qui fallut apaiser le cœur du bretteur. Deux mots qui n'avaient pas été dis sans raison. Deux mots qui auraient été vides de sens si prononcés par une autre. Deux mots qui partageaient la colère, la tristesse et l'amour de celle qui ressentait la même chose que lui et ne le lâcherai jamais.
– Merci...
Farca fit signe à tout le monde de rentrer. Personne ne trouva de raison de rester, comprenant que cet instant était pour eux deux et nul autre.
Les secondes s'égrenèrent inlassablement, se changeant en minutes sans que l'en ne s'en rendre compte. Presque une heure s'était écoulée quand Sieg eut enfin la force de se relever. Bélial passa son bras autour de ses épaules pour le serrer contre elle, lui prouvait qu'elle serait toujours là pour lui servir de pilier.
Ils retournèrent au manoir, retrouvant Farca, Adam, Ahmés, Anoro et Finora dans un salon. La princesse se leva et leur saisit à chacun un bras avec inquiétude.
– Ouais, t'en fais pas... lui répondit la barbare d'une voix douce. Il en avait besoin...
Finora hocha la tête avant de les guider vers le seul fauteuil disponible. Malgré les protestations de l'écarlate, la démone le força à s'y asseoir. Elle resta debout derrière lui, se penchant en avant pour l'enlacer de nouveau.
– Nous discutions de ce que nous allons faire... résuma Anoro. Si l'Ordre sera présent ce soir en tant qu'invité, nous devrons les garder à l'œil... Et si nous revoyons le même homme que cet après-midi...
Tous les regards se posèrent sur l'épéiste qui comprenait leur inquiétude.
– Si je le revois ce soir, vous avez ma permission de m'assommer si je n'arrive pas à me retenir... Par contre, je ne ferais pas semblant de ne rien ressentir...
– Tu sais que tu ne nous rassures pas en disant ça ? s'énerva Farca. Comment on doit te faire confiance si...
– Il sait que je suis ici... Et s'il comprend que je le hais toujours, ça joue à notre avantage...
Farca fronça les sourcils, ne comprenant pas ce que voulait dire Sieg qui développa ses propos.
– Si je lui fais croire que je vais m'en prendre à lui d'un moment à l'autre, il pourrait s'inquiéter pour le plan de l'Ordre. Enlever plusieurs nobles et royaux alors qu'un élément instable traque un des leurs sera périlleux, ce qui risque de les faire paniquer... Et quand on panique...
– ... on commet des erreurs... comprit Ahmés en se frottant le menton. Je pense que, pour cette première soirée, je vais rester dans les ombres... J'aurais bien voulu me mettre plus en avant, mais je suis le plus disposé à surveiller les autres invités sans me faire repérer... Et si notre ami de cet après-midi se présente et cherche à s'absenter, je le talonnerais de près pour voir ce qu'il manigancera...
– Excellente idée. Cette première soirée va être formelle, les dignitaires vont principalement parler des affaires actuelles et renforcer leurs alliances. Contrairement à demain, où l'ambiance sera plus festive et donc moins stable, c'est ce soir que nous allons remarquer plus facilement les comportements étranges. Nous sommes peut-être ici pour la protection de la princesse, mais si nous pouvions déjouer le complot entier...
– Ce n'est pas une bonne idée... l'interrompit Finora. Je suis d'accord avec vous, l'idéal serait d'empêcher tout les enlèvements, mais si nous exposons les machinations de l'Ordre devant tout les pays de Legenia...
Sieg se mordit la lèvre, ayant oublié l'aspect politique de leur mission. Les nations alliées à l'Ordre pourraient être accusées d'avoir participé au complot et les dominos tomberaient alors aussi vite que la guerre serait déclarée.
– Mais sinon, vous avez raison, nous devrions garder cet homme à l'œil... avoua la princesse. Pouvez-vous nous le décrire, que nous puissions l'identifier ?
– Je peux faire mieux que ça !
Ahmés siffla, générant un mirage à l'image du membre de l'Ordre. Sieg serra les poings mais resta calme.
– Si mes souvenirs sont bons, il s'appelle Artra. Si nous...
– P'pa ?
Le sang se glaça dans les veines de l'écarlate. Terrorisé par ce qu'il pourrait voir, il leva la tête. Bélial regardait l'image avec des yeux ronds. Il était plus vieux et avait une apparence humaine, mais la jeune femme était certaine de ce qu'elle voyait.
Et Sieg avait même prononcé le nom de son père.
Elle tituba en arrière avant de tomber sur ses fesses. La démone prit sa tête entre ses mains alors que sa respiration devenait saccadée.
– Nan, c'est pas possible... M'man... M'man a dis qu'il est mort... Qu'il est tombé dans un ravin... Mais... Mais ils ont pas trouvé...
Putain, Bel, respires ! Il faut que tu respires !
Tout le monde se leva pour accourir vers la jeune femme, mais elle ne percevait plus ce qui se passait autour d'elle. Leurs voix ne lui parvenaient plus, même celle de Raya, noyées dans sa détresse.
– Onze ans... Onze qu'il est... Et il a pas essayé de rentrer ? Il a foutu quoi pendant tout ce temps ? Au lieu de retrouver sa famille ? Il a préféré...
Bélial eut envie de vomir. Le sang de l'homme qui avait brisé le cœur de celui qu'elle aimait coulait dans ses veines. Elle se sentait hideuse, haïssable. Elle se détestait plus qu'elle n'avait haïs Saga et Tyrian. Rien de ce qu'elle ferait jamais pourrait expier le crime que son père lui imposait par sa parenté. Sieg la verrait comme le monstre qu'elle redoutait qu'elle était. La démone eut envie de disparaître, d'être effacée de ce monde et de la mémoire de tous pour qu'ils n'aient plus à penser à elle avec dégoût.
La barbare sentit des lèvres se presser contre les siennes, les forçant à s'écarter. Elle reconnaissait cette saveur.
Bélial ouvrit les yeux, découvrant Sieg qui l'embrassait. Perdue, son regard se perdit de la contemplation de son visage. Il était au bord des larmes, mais au lieu de la haine il voyait en lui une compassion qu'elle était certaine de ne pas mériter.
– Sieg, je...
L'écarlate colla son front au sien et inspira.
– Je sais...
Enfin, elle comprit.
Bélial pensait qu'elle avait saisi la peine qui avait déchiré Sieg à Port-Écume quand il lui avait tout avoué. Avoué qu'il était le frère du monstre qui avait massacré sa mère et son clan en riant. Avoué qu'il avait décimé des milliers de ses ancêtres des millénaires plus tôt. Avoué qu'il était l'ennemi héréditaire de sa race. Elle avait cru comprendre toute l'étendue de son désespoir en croyant qu'un être cher allait détester son être tout entier sans espoir de rédemption.
Elle s'était trompée.
Mais ce n'était plus le cas.
Bélial baissa la tête jusqu'à la poser contre le torse de son partenaire et hurla en sanglotant.
– Je suis désolée !
Sieg embrassa la nuque de la démone et la caressa. Il la prit dans ses bras, la laissant pleurer toutes les larmes de son corps qui lui sembla soudainement bien fragile.
Après une minute, Bélial redressa la tête en reniflant. Sieg ne voyait son désespoir. Il avait laissé place à une détermination que même ses larmes pouvaient pas atténuer. À ses yeux, elle irradiait d'une force qui lui redonna courage.
– Mieux ? Demanda-t-il.
– Un peu... avoua-t-elle. Mais là, j'ai vraiment envie de cogner mon connard de père !
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