Chapitre 1 : Retrouvailles pluvieuses
La pluie se moque de ce qui se passe sous elle.
Qu'elle tombe à fines gouttelettes, sentant à peine sa présence être ressentie, ou qu'elle s'abat inlassablement, comme pour ravager la terre, elle ignore ceux qui doivent s'adapter à elle. Pauvres ou riches, faibles ou puissants, malheureux ou joyeux, pour cette force de la nature plus ancienne que le premier mortel, la première plante et même la plupart des dieux, rien de tout cela importait.
La pluie se contente de déferler ses bienfaits et son chaos, sans discrimination, apportant joie où elle est source de vie, et désespoir là où elle fait régner des désastres. Même si certains mages, quelques élémentaires et de rares individus aux dons spéciaux peuvent l'influencer, eux aussi avaient appris à aimer et redouter cette incarnation de l'ordre des choses. Elle est le symbole d'un cycle sans fin, un cycle éternel qui ne prendrait fin qu'à l'extinction du monde.
Voici les pensée de Panaros III, actuel souverain de Danatal, alors qu'il scrutait les rues de la capitale à travers la fenêtre de son bureau. Bien que la pluie n'était pas rare, Syndras n'en connaissait que rarement d'aussi violentes intempéries. Le roi se frotta la barbe en observant les gouttes marteler les toits avant de glisser jusqu'au sol pour former des torrents qui ruisseler le long des routes qui n'étaient qu'à un pas de se changer en rivières.
Pas une âme qui vive s'aventurait dehors, chaque habitant et touriste préférant le confort et la chaleur dune cheminée et d'un duvet bien doux, parfois en bonne compagnie.
Le souverain de cette citée endormie, bercée par le rythme de la pluie, attendait. Bien que la nuit était déjà bien entamée, il lui restait encore bien du travail à faire, mais il n'avait pas la tête à ça. Il n'arrivait pas à se concentrer car il se doutait d'avance qu'une discussion importante allait bientôt accaparer toute son attention, non pas juste pour son côté passionnant, mais aussi pour son importance qui pourrait dépasser même les têtes couronnées.
Le seul bruit qui atteignait les oreilles de Panaros malgré le tumulte hors du palais provenait de la plume de son majordome qui écrivait. Cédric retranscrivait les informations importantes qu'il avait relevé dans un rapport en un résumé qui faciliterait la lecture de son roi. Le monarque jeta un coup d'œil par dessus son épaule pour observer son plus fidèle confident plongé dans son travail, ses yeux perçants analysant des documents à travers ses petites lunettes perchées au bout de son nez. C'était un homme d'un sérieux et d'une loyauté que Panaros voyait rarement, lui valant un respect que peu pouvaient se vanter d'avoir.
On frappa à la porte, ce qui stoppa la valse de la plume sur le papier. Cédric détourna le regard de sa tache et chercha silencieusement l'approbation de son souverain qui lui répondit d'un hochement de tête. Le majordome se leva de son bureau et marcha vers la porte qu'il entrouvrit pour entamer une conversation à voix basse. Après cinq secondes, il ouvrit en grand le passage et invita deux personnes à entrer.
La première était un homme aux cheveux dorés attachés en une tresse et aux yeux bleus d'une teinte apaisante. Il était intégralement vêtu de rouge, y compris son chapeau aux bords larges où trônait une plume blanche. De sa ceinture pendait une épée d'excellent facture qui rappelait à tous que sous les airs de gentilhomme de son porteur se cachait un combattant de premier ordre que nul devait prendre à la légère.
Ce qui n'échappait pas à la jeune femme qui le suivait d'un pas lourd. Dépassant son compagnon d'une bonne tête, elle impressionnait toujours ceux qui la rencontraient pour la première fois, et parfois aussi ceux qui la connaissaient déjà. Elle était bien bâtie, comme tous les représentants de son peuple de barbares. Ses muscles souples mais puissants dépassaient des endroits où le tissu de son chemisier et son pantalon ne couvraient pas sa peau brune. Elle écarta une mèche rousse rebelle de devant ses yeux émeraude et la rabattit en arrière dans sa chevelure indomptable. Elle baissa la tête vers Cédric et lui adressa un sourire.
– Merci la fouine ! C'est sympa de te revoir !
En tentant de masquer son agacement en entendant son surnom, le majordome haussa un sourcil en examinant la barbare de haut en bas. Son caractère avait autant changé que sa carrure depuis leur dernière rencontre, mais seul un sot aurait nié que la demoiselle n'avait pas quelque peu changé en deux mois.
L'homme en rouge fit deux pas supplémentaires dans la pièce et s'inclina respectueusement vers Panaros en retirant son chapeau.
– C'est un plaisir de vous revoir, votre majesté...
Le souverain se retourna vers son interlocuteur, ses yeux brillants d'une joie à peine dissimulée en voyant celui qu'il voyait presque comme un fils. Son regard bifurqua vers la jeune femme et il eut du mal à ne pas laisser filtrer son étonnement en constatant un tel changement en elle.
– Et moi donc, Sieg ! s'exclama Panaros. Je suis aussi ravi de vous voir bien portante, Bélial ! Cependant, je ne peux que constater que vous avez... Comment dire...
La barbare fixa le monarque sans comprendre, contrastant la révérence de la posture de son partenaire par une attitude plus désinvolte. Cédric se retint de critiquer la posture de la femme qui faisait face à son roi avec un poing appuyé contre sa hanche.
Je pense qu'il veut parler de ta nouvelle apparence, banane...
Bélial cligna des yeux en entendant une voix douce qui échappait aux oreilles des autres et porta sa main au pendentif attaché autour de son cou.
– Ah ouais, c'est vrai ! ria-t-elle. Je l'ai depuis un moment, alors j'y pensais plus ! C'est Sieg qui me l'a donné pour me déguiser ! Comme ça, les clampins dans la rue ont moins peur en me voyant !
Oui, jusqu'à ce que tu ouvres la bouche ou que tu commences à tout casser...
Panaros redirigea son attention vers Sieg qui se redressait en ajustant son couvre-chef.
– Moi qui pensait qu'Anoro aurait mentionné ce détail dans son rapport... soupira le bretteur. Quoi que, maintenant que j'y pense, il n'a peut-être pas voulu que des regards indiscrets y découvrent des informations qu'ils n'ont pas à découvrir... Il aurait au moins pu vous faire remonter l'information...
– C'est vrai, mais je préfère qu'il fasse preuve d'une discrétion exagérée plutôt que de courir le risque de laisser le secret de Bélial sortir au grand public... marmonna le roi avant d'écarquiller les yeux et de s'adresser à la barbare humblement. Non pas que je pense que...
– Du calme, je comprend ce que tu veux dire... souffla Bélial en haussant les épaules. J'ai bien compris que ce serait la panique si les autres me voyaient vraiment... Comme ça, au moins, j'ai pas à me cacher sous une cape !
– Je vois... commenta Panaros en se détendant. Sachez cependant que vous êtes ici entre amis. Vous êtes libre d'être vous même si vous le désirez.
Bélial échangea un regard avec Sieg qui hocha la tête pour lui donner son aval. La barbare défit la chaîne de son collier et le serra dans son poing. Cédric et Panaros virent sa peau s'assombrir alors que ses cheveux viraient au bleu. Deux courtes cornes se dessinaient sur son front, tout comme la queue noire qui fouettait l'air derrière elle.
– Ça me change pas trop d'être comme ça ou pas, expliqua Bélial, mais j'avoue que c'est sympa de pas avoir à faire semblant d'être humaine ! Oh, mais ça veut pas dire que c'est mal de l'être, hein ?
Sieg soupira en secouant la tête face au manque de respect si naturel dont sa partenaire pouvait faire preuve. Cependant, il se doutait que devoir cacher sa nature démoniaque au reste du monde pouvait la peser, car c'était comme si elle devait se mentir à soit même chaque jour.
– En parlant d'amis, vous semblez avoir égaré deux d'entre vous... releva Cédric en ajustant ses lunettes.
– Trois, techniquement, admit Sieg. Farca a quelque chose à faire avant que nous quittions la ville, et comme nous partons dès demain...
– Déjà ? s'indigna le roi. Mais vous êtes à peine revenus la nuit dernière ! Ne me dîtes pas que vous ne l'avez pas trouvé à Taouy !
Les mines de l'écarlate et de la démone s'assombrirent, laissant deviner la réponse à la question.
– On l'avait... développa Bélial en serrant les poings. On a failli l'avoir, mais Saga nous a échappé... Il a libéré un monstre sur la ville et on a été obligés de le tuer avant qu'il massacre tout le monde...
– Un monstre ? s'étonna Cédric. Mais que voulez-vous dire ?
– Elle veut parler du véritable objectif de Saga, enchaîna Sieg en posant une main sur l'épaule de la démone pour la réconforter. La raison pour laquelle il massacre des gens par milliers pour ouvrir des portes scellées à travers le monde...
Panaros vit Bélial grimacer de douleur et comprit sa peine. Quand ils s'étaient rencontrés, la démone lui avait raconté que le mage qu'elle et Sieg traquaient avait massacré son clan entier pour forcer l'ouverture de la porte situé au centre de son village. L'arcaniste avait été aidé dans sa tâche par un traître qui n'avait pas hésité à exterminer les siens contre la promesse de plus de puissance, ce qui avait porté à deux le nombre de personnes que la barbare voulait tuer de ses mains.
– Je pensais que ces portes cachaient des pierres ? l'interrogea le souverain. Sauf si elles ne cachent pas toutes les mêmes choses...
– Non, c'était bien un caillou... grommela Bélial en repensant à ce qui s'était passé à peine un jour plus tôt. Le problème, c'est ce qu'il y avait dedans...
Panaros fronça les sourcils en cherchant une réponse dans les expressions de ses invités. Sieg décida de tout lui exposer.
– Nous savons maintenant que Saga cherche sept pierres... Et dans ces pierres sont enfermés les sept Déchus...
Cédric laissa échapper un cri de surprise en couvrant la bouche de sa main.
Comme la plupart des personnes instruites, il savait que les Déchus étaient des dieux de l'ère du Chaos, la première époque de ce monde d'où tout était né de sa mana pure et intarissable. Ces sept déité se différenciaient de leurs semblables par leur désir de noyer toutes choses dans le vice et la destruction, corrompant dieux et mortels avec les péchés que chacun d'entre eux incarnaient. Seul le sacrifice des dieux d'or, les cinq premiers êtres à émerger de la mana, avait permis de mettre fin à leur soif de carnage.
D'ordinaire, le majordome aurait rit au nez d'une personne qui aurait osé dire une telle chose sans preuve, mais il connaissait le caractère de l'écarlate. Jamais il ne plaisanterait sur un sujet aussi critique, ce qui attestait de sa véracité.
– Saga veut la puissance divine de chaque Déchu, continua le bretteur. Leur forme physique ne les intéresse pas. Alors, quand nous avons réussi à le blesser, l'obligeant à fuir, il a libéré Narcission en le privant de son essence. Même dénué de pouvoirs, cette monstruosité à ravagé le palais royal de Qalb Alsahra. Elle a d'ailleurs pris la vie du premier prince et ce n'est que par chance que j'ai pu sauvé le second...
– Prince Aram est mort ? s'étrangla Panaros. Cela veut donc dire...
– Oui... La guerre civile va prendre fin avec le couronnement de son frère Koron... Par contre, comme Saga l'a utilisé comme un pion pour aggraver les hostilités et causer plus de morts pour obtenir le pouvoir d'ouvrir la porte...
– Oui, je comprends... soupira le roi. Même s'il est plus ouvert d'esprit que son aîné, Koron ne va probablement pas ouvrir son pays au reste du monde par prudence... Ou du moins, pas autant qu'il l'aurait avant voulu...
– Nous devrions éviter d'ébruiter cette information... ajouta Cédric. Taouy est à trois semaine de bateau de Danatal... Et comme l'autel des voyages là-bas est encore condamné, nous n'aurons aucun moyen d'expliquer comment nous en savons autant...
– Vous avez raison... reconnut le monarque. Gardons le secret pour le moment... J'espère que vos compagnons l'ont eux aussi compris...
Sieg leva un doigt en inspirant pour prendre la parole. Il ne le fit cependant pas, un horrible doute l'ayant pris soudainement.
– Heu... bafouilla l'écarlate
Je me disais bien qu'on avait oublié quelque chose...
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