Ayant été les premiers à être interrogés, les membres du groupe ont pu quitter la salle de concert bien plus tôt que le reste du staff.

Sans le meurtre, ils auraient probablement passé la soirée dans un bar du bord de mer à discuter de tout et de rien, à se détendre et peut-être même à jouer deux ou trois morceaux en rab pour les quelques veinards qui auraient été présents. Au lieu de quoi, ils se sont séparé dés leur sortie de la salle. Elijah a annoncé qu'il avait besoin de réfléchir à tout ça et est rentré chez lui, dans une petite villa face à la mer où il vit avec sa femme et ses deux fils. Nora et Feargus sont rentrés à l'hôtel où ils ont bu un dernier verre avant de s'écrouler dans leur chambre respective. Quant à Jared, il a rejoint un pub du centre-ville où il a ses petites habitudes.

Ce samedi matin, il est 14 h passées quand il quitte sa chambre et descend au bar de l'hôtel où il compte commander un petit-déjeuner. Habitant quasiment à l'année dans le petit établissement, il a pris l'habitude de s'y comporter comme s'il était chez lui, et ce, même en dehors de sa chambre. Au fil du temps, le personnel s'est habitué à le voir déambuler dans les couloirs à moitié nu, mais aussi à ce qu'il vienne s'affaler dans le fauteuil faisant face à la cheminée, dans le bar, pour jouer de la guitare à toute heure du jour ou de la nuit. Certains membres du personnel ont bien tenté, ces dernières années, de lui faire comprendre que son comportement n'était pas acceptable, mais ils ont immédiatement été tenus par le patron de l'établissement, un trentenaire iranien extrêmement fan du groupe et très flatté de savoir son auberge plébiscitée ainsi par une star internationale, non seulement de ne plus jamais recommencer, mais surtout de lui faire leurs excuses immédiates.

C'est donc pieds nus et en peignoir de bain bleu ciel que notre homme fait son entrée dans le bar, aujourd'hui. Les effluves qui sillonnent son passage n'ont rien de très emballant, entre la cigarette froide, la bière et la vinasse bon marché, témoins olfactifs de sa nuit un peu trop arrosée et solitaire. Il pose une demi-fesse sur l'un des tabourets face au comptoir et demande un menu du jour à la serveuse rachitique aux cheveux blonds ternes qui lui fait face.

— Tout de suite M'sieu Abberline, marmonne-t-elle en s'éloignant vers les cuisines vides, prête à lui servir le premier truc vaguement comestible qu'elle y trouvera.
Elle, qui travaille depuis quatre ans au Castle on Sand, qui malgré son nom ne donne pas du tout sur la plage, sait que si l'on ne sert normalement pas de nourriture entre 14 et 17 h 30, une exception doit être faite pour ce client-là.

À peine a-t-elle tourné le dos qu'une voix résonne dans le bar pratiquement vide.
— Jared !
L'intéressé se retourne et voit ses trois amis assis autour d'une table dans le coin le plus reculé de la pièce. Abandonnant son tabouret, il les rejoint en traînant des pieds. Il se laisse tomber sur la banquette rembourrée à côté de Nora et croise les bras sur la table.
— Quoi de neuf, les gars ? Bonne soirée ?
— Meilleure que la tienne, on dirait, répond Elijah en l'avisant d'un œil critique.
Jed hausse les épaules mollement, sans relever. Sa soirée était très bien, la preuve : il cuve.

— J'ai pas arrêté de penser à tout ce bordel, avoue Feargus en traçant des formes avec son index sur la condensation s'étant formée sur les parois de son verre. Cette fille, elle était peut-être nympho, mais elle ne méritait pas de finir ainsi.
Nora avale une gorgée de bière glacée et fait la moue.
— Moi je trouve qu'elle a eu ce qu'elle méritait. C'est pas ça qui va m'empêcher de dormir.
— Nora...
— Évite de dire ça face aux flics, intervient Elijah. Vu ce qui s'est passé hier soir, tu dois déjà être dans leur collimateur.
— Tu me prends pour une débile ? Évidemment, que je vais pas leur dire. Mais je vais pas faire semblant de la pleurer non plus, ce serait encore plus suspect.

La serveuse arrive à ce moment-là, et tous se taisent le temps qu'elle dépose une assiette de fish and chips devant Jared qui la remercie avec un grand sourire alors qu'il avise les trois pintes posées devant ses acolytes et s'apprête à en demander une aussi. Hélas pour lui, Elijah le prend de vitesse et lui commande un café bien serré.
Au regard exaspéré que lui lance Jed, il est évident que ce n'est pas du tout ce qu'il souhaitait pour accompagner son repas. Mais gueule de bois + tout juste réveillé = il laisse couler pour cette fois.

Une fois la tasse fumante déposée devant Jared et la serveuse retournée derrière son bar, Elijah se penche au-dessus de la table et, à voix basse, revient sur le sujet qui les rassemble aujourd'hui.
— Parlons sérieusement. Si l'un de nous sait quelque chose, il doit le dire dès maintenant.
— Tu sous-entends quoi, là, Eli ? questionne Nora.
— On est une équipe, on se soutiendra.
— Tu crois qu'un de nous l'a butée ?
— Pas si fort, Nora !

Tous se retournent en direction du bar et des deux tables occupées par une poignée de clients, mais personne ne semble avoir prêté attention à l'exclamation de la jeune femme. Elle reprend, deux tons plus bas.

— T'es barge. Pourquoi on aurait fait ça ? Et de façon aussi bizarre, en plus.
— Toi et Jed vous êtes sur la liste des suspects, Nora, c'est obligé. Et Feargus et moi, on va pas tarder à vous y rejoindre, si ce n'est déjà fait. Si l'un de nous a, ne serait qu'un tout petit truc à voir avec ça, on doit être au courant, pour pouvoir le protéger.
— Mais t'es dingue...
D'un geste de la main, il lui demande de se taire.
— Laisse moi finir. Je ne dis pas que l'un de nous a quelque chose à voir avec ce meurtre, je ne le pense même pas. Mais les flics vont fouiller et ils vont découvrir qu'on avait tous de bonnes raisons de lui en vouloir.
— Pas moi, marmonne Jared, la bouche pleine de frites.
— T'as couché avec elle et elle voulait te faire chanter. Bien sûr qu'à leurs yeux ça sera une bonne raison de la faire taire.

Jed hausse les épaules et boit une gorgée de café, pas vraiment persuadé par cette analyse.
— Ils vont nous tomber dessus à un moment ou à un autre.
— Tu regardes trop de films policiers, tranche Feargus. La flic d'hier nous avait à la bonne, elle va pas faire chier.
Se sentant incompris, Elijah se renferme et bougonne.
— C'est ce qu'on verra. Je suis sûr qu'on n'a pas fini d'entendre parler d'elle.
— C'est quoi, ta bonne raison, à toi ? l'interroge soudain Nora.
— Quoi ?
— T'as dit aux flics que tu ne la connaissais pas, que tu lui avais jamais parlé. Alors, pourquoi est-ce que tu pouvais bien lui en vouloir ?
Tous les yeux se fixent sur lui alors qu'il semble chercher une échappatoire du côté de la fenêtre où ses yeux folâtrent. Même Jared à posé sa fourchette et attend sa réponse.
— Rien de spécial, fini-t-il par lâcher. Elle m'a dragouillé aussi, mais rien de méchant, ce qu'elle faisait avec tout le monde.

Les yeux de Nora s'étrécissent, suspicieux.
— T'as couché avec elle ?
— Évidemment que non, s'emporte Elijah. Je n'ai jamais trompé Swann avec une autre femme.
Elle jurerait avoir entendu sa voix tressauter, mais elle a déjà bien assez à faire avec son propre couple et ne souhaite pas s'embrouiller avec un ami si, lui, a des problèmes dans le sien. Alors elle se recule, les mains écartées devant elle et s'enfonce dans son siège.

— OK, OK, t'énerves pas. Donc, si je résume, J'aurais pu vouloir la tuer parce qu'elle a essayé de sauter mon mec. Mais j'étais sur scène au moment de sa mort, ce qui aurait rendu la tâche compliquée, même pour la déesse du rock que je suis. Jed aurait pu le faire parce qu'elle menaçait de dévoiler des choses compromettantes sur lui après qu'il se la soit tapée. Choses qu'au choix, tout le monde sait déjà, ou qu'elle n'avait probablement pas puisqu'il l'a emmenée à l'hôtel et... Elle se tourne vers lui, soudainement hésitante. Pas CET hôtel, quand même ?
— Bien sûr que non, atteste-t-il en roulant des yeux alors qu'il termine sa dernière frite. Je ne suis pas aussi con.
— Parfait. Donc, il aurait pu, mais il était sur scène au moment du meurtre. Ensuite, Feargus aurait pu la tuer parce que... Il n'aime pas... euh... être le sujet de fantasmes d'une jeune nymphette ? Mais, bien sûr, il était sur scène quand elle a pris un pieu dans le cœur, ce que quelques milliers de péquenots seront prêts à jurer puisqu'ils l'y ont vu. Ne reste donc que toi, Eli, qui l'aurait tuée parce qu'elle t'a dragué. Et comme, en 14 ans de carrière, tu ne t'es jamais retrouvé face à une femme qui en voulait à ta vertu, t'as pas su comment réagir, t'as paniqué et... rien. Vu que tu étais, toi aussi, oh suspense... sur scène, quand elle tirait au flan, planquée en coulisse pour la dernière fois de sa courte et misérable vie de connasse. T'as raison, je crois pas que la police trouvera de coupables plus crédibles que nous.
— Tu prends toute cette histoire trop à la légère, se plaint-il, la main crispée sur son verre presque vide.
— Peut-être. Mais ce que je vois, surtout, c'est qu'on a un concert dans deux jours et que ce serait pas mal qu'on nous autorise à quitter la ville rapidement pour, je sais pas moi, pouvoir faire notre boulot ?

Les quatre amis se dévisagent en silence un instant. Elijah sait que Nora doit être dans le vrai, leurs alibis sont en béton et leurs mobiles ridicules, malgré tout, il sent qu'ils n'ont pas fini d'entendre parler de ce meurtre.

Quatre bruits de notifications retentissent en même temps et Nora, qui est la première à dégainer son téléphone, se lève aussitôt le message ouvert et lu.
— Ah ben voilà ! Vous, je sais pas, mais moi, je vais faire mes valises. Cette ville est super, hein, mais Bristol nous attend !
Jared se pousse pour la laisser passer et se lève à son tour à peine a-t-elle disparu dans le couloir menant à la réception.
— Moi je vais prendre une douche. Les gars, il pose une main sur l'épaule d'Elijah, passez ce soir, on ira boire un coup au Velvet.
— Bonne idée, approuve celui-ci.

Prétextant une course à faire en ville, Feargus quitte aussi l'hôtel et Elijah décide d'aller marcher un peu seul sur la plage, pas plus impatient que ça à l'idée de se retrouver enfermé chez lui avec sa femme et ses deux fils toujours en vacances. Il les adore, mais passer la journée chez lui et dormir dans son lit alors qu'il est censé être en pleine tournée, ce n'est pas normal, ça le sort de l'état d'esprit qu'il aime avoir en tournée et où la seule chose qui compte en dehors de la musique, est la présence de ses coéquipiers.
Dans la rue, il relit encore une fois le SMS qu'ils ont tous reçu. Il avait raison, cette histoire n'est absolument pas terminée.

« Départ demain 9 h depuis votre hôtel. Autorisation police reçue. La flic sera là. »

***

Hey les gens !
Ça y est, j'ai fini de relire une première fois et demi tout ce que j'ai écrit en juillet (Les 50 000 mots du Nanowrimo Camp, oui, c'est bien ça. Celleux qui me suivent sur Instagram le savent déjà, et pour celleux qui voudraient nous y rejoindre, mon ID est le même qu'ici).

Du coup, à partir d'aujourd'hui, je posterai deux chapitres par semaine. Et, même en ne glandant plus rien d'ici là (ce que je ne ferai pas) j'ai de quoi vous approvisionner jusqu'au 12 novembre... Et l'histoire n'est pas du tout terminée. Quand elle le sera, je réfléchirai sûrement à la possibilité de passer à trois chapitres par semaine. Parce que je ne veux pas non plus vous tenir en haleine pendant toute une année. Mais on verra ça à ce moment-là.

En attendant, je vous souhaite de bonnes vacances, (je crois que je ne l'avais pas encore fait) pas trop de vagues de chaud et je vous donne RDV jeudi pour le prochain chapitre (Ah oui, les updates se feront lundi et jeudi).

La bise.