Où il parle de sa nuit avec elle ✓
Assise sur la chaise de bureau, un bloc de feuilles devant elle et un enregistreur posé au centre de la table, Shiloh se prépare à reprendre l'interrogatoire des DK de façon plus formelle. Le stylo dans la main gauche, elle prend le temps de regarder ses quatre interlocuteurs dans les yeux avant de poser sa première question.
— Pour commencer, je vais avoir besoin de vos noms, prénoms et liens avec la victime.
Le silence s'installe quelques secondes. Nora Mac Duff, assise à moitié sur l'accoudoir du fauteuil où est assis Feargus Forbes, soupire tout en laissant son regard errer dans la pièce. Jared Abberline, installé à l'opposé, pose ses longs bras sur les accoudoirs sans se départir d'un sourire inconvenant au vu de la situation. Confirmant son statut de porte-parole et leader, c'est finalement Elijah Eilacin qui prend la parole. Après avoir jeté un œil sur ses collaborateurs de part et d'autre de son propre fauteuil, il se penche en avant, pose ses avant-bras sur ses cuisses et commente très simplement.
— Elijah Eilacin, aucun lien particulier. La fille a commencé à travailler avec nous au début de la tournée, mais je n'ai jamais eu l'occasion de discuter sérieusement avec elle.
— Avant ce soir, connaissiez-vous son nom, Mr Eilacin ?
— Juste son prénom.
Shiloh prend quelques notes puis regarde alternativement les trois autres. Elle voit Nora fulminer alors qu'elle lutte visiblement pour rester en place.
— Et vous, Miss Mac Duff ?
La femme ancre son regard sombre dans les yeux de l'inspectrice qui ne cille pas, puis soupire et se laisse aller contre le dossier du fauteuil et l'épaule gauche de Feargus. Elle passe un bras sur le haut du dossier et croise ses longues jambes nues.
— Victoria Evans. Bien sûr que je connaissais son nom, une vraie salope si vous voulez mon avis.
Dustin se penche à son tour en avant et pose ses bras qu'il vient de décroiser sur la table.
— Qu'est-ce qui vous fait dire ça, Miss ?
Nora ricane en portant son attention sur le second flic.
— Cette petite pute essaye, enfin, essayait, de se taper tous les mecs qui passent, enfin, qui passaient, près d'elle.
Elle fait une pause et ni Shiloh ni Dustin ne l'interrompt, attendant simplement qu'elle leur lâche ce qu'elle a de toute évidence envie de dire.
Elle penche la tête sur le côté, enroule une mèche de ses cheveux autour de son index, visiblement dans l'attente que les autres enchaînent. Après une minute, comme personne n'a encore ouvert la bouche, elle soupire, laisse retomber sa mèche et se penche à son tour vers la table.
— Elle s'est tapée la moitié de l'équipe. Ça, à la limite, je m'en balance, voyez, mais il y a 15 jours, elle a commencé à faire du rentre-dedans à mon mec. Je l'ai prise entre quatre yeux et je croyais avoir mis les choses au clair avec elle, mais hier, elle s'est débrouillée pour se retrouver seule avec lui dans une remise fermée à clef. Et à poils. Regardant alternativement les deux flics qui, de son point de vue, ne saisissent pas l'ampleur de la situation, elle explose. Qui se retrouve enfermé à poils dans une remise, sérieusement ? Alors, juste avant le concert, je l'ai chopée et je lui ai dit qu'elle était virée.
— Vous avez le droit de renvoyer les employés ? s'étonne Shiloh.
Nora hausse les épaules et se recale dans le fauteuil.
— Nope. Mais je comptais en parler à Richard après le concert.
Les deux policiers échangent un regard. S'ils ne trouvent personne ayant vu la victime en vie après le début du concert, Nora Mac Duff sera propulsée au rang de suspecte numéro un. Cela réjouit Ashford qui espère ainsi boucler cette enquête au plus vite, mais désespère Shiloh qui ne veut pas que la batteuse de son groupe préféré soit une meurtrière.
Alors qu'elle termine de prendre quelques notes, elle entend son coéquipier interroger l'homme aux cheveux rouges assis à côté de Nora.
— Et vous, Mr ?
— Forbes. Fergus, répond celui-ci avec le flegme qu'elle lui connaît en interview. J'ai eu l'occasion de discuter avec elle quelques fois, mais le courant n'est jamais passé. Elle m'a invité à dîner une ou deux fois, mais j'ai refusé. Après ça j'ai juste tâché de l'éviter un moment et elle n'a pas insisté.
— Pourquoi avoir refusé ses invitations ? Elle était mignonne.
— Je vous l'ai dit, le courant ne passait pas. Et je suis marié.
— Sauf votre respect, elle ne souhaitait peut-être de votre part qu'une simple amitié.
Tout en observant le policier en cherchant à savoir si celui-ci se moque de lui ou non, Feargus laisse s'écouler quelques secondes avant de répondre.
— Honnêtement, inspecteur, ça m'étonnerait.
Dustin renifle, décidément, ces rock-stars se prennent pour le centre du monde et il ne les aime pas. Shiloh décrit l'échange en quelques mots sur sa feuille puis se tourne vers le seul témoin qui n'a pas encore ouvert la bouche. Elle capte son regard, et de son air le plus professionnel, elle se lance.
— Mr ?
Il lui sourit, se met plus à l'aise encore dans son fauteuil et répond.
— Jared Abberline. Mais vous le savez déjà, n'est-ce pas ?
Choisissant d'ignorer cette dernière remarque, elle enchaîne.
— Votre relation avec la victime, Mr Abberline ?
Il hausse les épaules avec désinvolture.
— On a couché ensemble, une fois.
Du coin de l'œil, Shiloh remarque qu'Elijah roule des yeux et secoue légèrement la tête de droite à gauche.
— Ça aurait dû en rester là, je veux dire, elle ne m'intéressait pas vraiment, et c'est elle qui s'est rapprochée de moi, pas l'inverse, mais le lendemain elle est revenue à la charge. Soit disant qu'elle avait des photos de cette nuit et qu'elle allait les vendre à la presse.
Shiloh fronce les sourcils, la victime était-elle coutumière de ce genre de chantage ?
Dustin, qui se fait la même réflexion et voit ainsi s'éloigner la résolution facile de l'enquête, s'intègre à la discussion.
— Qu'avez-vous fait, alors ?
Jared détache son regard de Shiloh et le déplace lentement jusqu'au policier enrobé. Il lui sourit en coin et hausse imperceptiblement les sourcils.
— Absolument rien.
— Vous ne craigniez pas les répercussions que ces photos auraient pu avoir ?
— Les magazines people ont bien pire à mon sujet, inspecteur, s'amuse Abberline. Je ne suis ni marié ni pudique. Et plus important encore, j'étais présent lors de cette soirée. Si elle a eu le temps de prendre des photos sans que je la voie faire, elles ne devaient pas être très croustillantes.
— Elle aurait pu fouiller vos affaires alors que vous dormiez, insiste Dustin.
— Peu probable. Je ne suis pas stupide, j'avais remarqué ses tentatives de rapprochement auprès des hommes de l'équipe.
— C'est-à-dire ?
— Je l'ai emmenée à l'hôtel. Mes seules affaires personnelles dans la pièce étaient celles que je portais sur moi ce jour-là. Au pire, elle aura pris une photo de mon permis de conduire ou aura volé ma carte de bibliothèque. Franchement, je doute que ça intéresse qui que ce soit, et encore moins la presse.
Shiloh termine de retranscrire la déclaration de Jared dans les grandes lignes et reporte son attention sur Nora.
— Miss Mac Duff, vous nous avez dit que vous aviez retrouvé la victime et votre fiancé nus dans une remise. Que s'est-il passé ensuite ?
— Je ne vous ai pas dit que nous étions fiancés.
— Je l'ai supposé.
— Ou vous l'avez lu dans un tabloïd, inspectrice.
La jeune musicienne met juste assez d'impertinences dans ces réponses pour faire tiquer les policiers, mais Shiloh reste très calme, nullement dérangée par l'échange somme toute assez conventionnel si l'on omet le statut de son interlocutrice.
— C'est mon métier de faire des déductions, Miss Mac Duff. Pourriez-vous répondre à ma question, maintenant ?
Nora détourne le regard, un demi-sourire accroché aux lèvres.
— Il n'y a qu'elle qui était à poil. Elle l'a appelé, soit disant pour lui demander de l'aide, et quand il est entré, la porte a mystérieusement claqué et s'est verrouillée. Elle roule des yeux en racontant l'anecdote, signifiant par là son scepticisme. Du coup, il a retiré son pull et lui a dit de s'habiller avec. Oui, un pull en plein mois d'août, ajoute-t-elle en levant les yeux au ciel avant que la question ne soit posée. Il est assez frileux. Puis il m'a appelée sur mon portable. J'étais en pleine répétition et j'ai mis 20 minutes à voir son message. Quand je suis arrivée avec un technicien qui avait un double des clefs, cette grognasse portait son pull par-dessus ses épaules et minaudait devant lui, elle ne l'avait même pas enfilé pour se cacher, vous n'allez pas me dire que c'était pas fait exprès ? J'ai eu envie de la tuer à ce moment-là.
Elle s'interrompt soudain, les regarde en fronçant les sourcils et reprend plus calmement.
— Bien sûr, je ne l'ai pas fait. La preuve, elle était encore en vie quand je suis montée sur scène, ce soir.
Allant dans son sens, Shiloh opine du chef alors que sa main continue de courir sur le papier.
— Votre fiancé se trouve-t-il ici ce soir ?
— Non.
Surprenant Elijah et Feargus alors qu'ils se retournent vers la batteuse, peut-être pas entièrement d'accord avec sa version des faits, elle insiste.
— Vous en êtes sûre ?
— Évidemment. Il était là ce matin, mais il a dû partir.
Shiloh pose son stylo en soupirant d'une façon qu'elle espère convaincante, singeant la lassitude qu'elle devrait ressentir à devoir tirer les vers du nez à la musicienne, alors qu'elle souhaite que cet échange ne s'arrête jamais
— Et si vous nous racontiez tout en une fois plutôt que d'attendre que je vous interroge sur chaque minute de votre journée.
— Mais je vous raconte tout, s'emballe Nora en se redressant. Après l'épisode de la remise, il est resté sur scène avec moi, au soir, on a dormi à l'hôtel puis ce matin, on est revenu ici, on a fini de tout préparer et, vers 15 h, il est parti. Il est repassé à l'hôtel chercher ses affaires, puis est monté dans un taxi jusqu'à Heathrow où il a pris un avion pour Tokyo parce qu'il a un concert là-bas demain. Ça vous va comme ça ? C'est assez détaillé ?
— Ah ben ça l'est beaucoup plus, oui, commente Dustin. Comme quoi, vous aviez encore quelques petites choses à nous dire.
— À quelle heure était son avion ? questionne Shiloh.
— 23 h, je dirais. Dans ces eaux-là.
Les deux policiers échangent un regard. Dustin, surtout, a l'air dégoûté.
— Nous aurions pu l'empêcher de le prendre si vous nous l'aviez dit directement.
— Pour quoi faire si ce n'est l'empêcher de jouer et de faire son boulot ?
— Parce qu'il fait partie des suspects, Miss Mac Duff.
La femme saute sur ses pieds, furieuse.
— Mais vous êtes bouchés ? Je vous dis qu'il est parti à 15 h, comment est-ce qu'il aurait pu tuer l'autre pute une heure avant de prendre son vol ?
— Calmez-vous, tempère Shiloh. Nous allons nous assurer qu'il l'a effectivement bien pris.
Après avoir ajouté les coordonnées des quatre musiciens dans leur dossier, Shiloh et Dustin les laissent s'en aller.
Alors qu'elle lui serre la main en guise d'au revoir, Jared lui glisse à mi-voix :
— Si vous avez d'autres questions... Ou que vous voulez juste aller boire un verre, appelez-moi.
Un peu déçue par le côté Don Juan de son idole, elle lui répond un peu sèchement avant de retourner s'asseoir à la table.
— Je n'y manquerai pas.
Shiloh ne croit pas en la culpabilité du fiancé et quelques coups de fil passés par Dustin confirment que l'homme, chanteur dans un groupe ska pas très connu a bien pris son avion et était présent dans l'aéroport londonien plusieurs heures avant le meurtre. A priori, il n'a bien rien à voir avec cette histoire, en déduisent-ils avant d'accueillir une nouvelle personne à interroger.
***
Hello les gens !
J'espère que ce chapitre vous plaît.
Je suis en plein Nano Camp (le Nanowrimo de juillet, en gros) et ça se passe très très bien. Il est très probable qu'à partir d'août, je commence à publier 2 chapitres par semaine au lieu d'un seul, car avec l'avance que j'ai déjà, on est parti pour plusieurs mois, là, et ce n'est peut-être pas la peine d'étaler cette publication sur plus d'un an, non plus.
Voilà, voilà. Je commence enfin à connaître un peu mes personnages et je peux vous assurer qu'ils ont beaucoup de choses à vous dire.
À mercredi prochain.
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