Où il lui tombe dessus ✓

Par chance, la douleur s'estompe assez vite alors qu'elle se frictionne l'arrière du crâne d'une main énergique. Mais, à son grand désarroi, et maintenant que l'adrénaline retombe, Shiloh reconnaît l'homme qui se tient si près d'elle qu'elle pourrait l'embrasser si l'envie lui en prenait. Il a fermé les yeux quand le choc semblait inévitable et il les rouvre seulement, alors qu'il se détache d'elle en se massant le bras à l'endroit où elle l'a agrippé.

— Ouah ! Faut pas faire des trucs comme ça. Un peu plus et je pouvais pas jouer ce soir... Oh ! Mais c'est notre petite paparazzi ! Avec Eli, ça fait des heures qu'on se demande qui t'as fait entrer et- Oh ! Mais c'est mon inspectrice préférée ! Ça alors, j'ai failli pas te reconnaître.

Sa couverture a quand même duré tout l'après-midi, c'est plutôt pas mal. Et il était évident qu'à bout portant, il la reconnaîtrait.

Malgré tout, c'est rageant, surtout qu'il n'arrête pas de parler.
Elle a beau essayer de lui répondre, il ne se tait pas une seule seconde, l'empêche d'en placer une. Elle ne l'a encore jamais vu si volubile, et l'idée de quand même l'embrasser pour, qu'enfin, il se taise quelques minutes, la séduit de plus en plus.
Car, bien entendu, aucune autre raison ne pourrait lui donner envie de faire une chose pareille.

— Oh ! Mais si tu veux prendre des photos, il y a un endroit où tu dois impérativement te rendre. C'est justement là que j'allais. Viens.

Il l'attrape par le bras et reprend sa course folle, l'entraînant dans son sillage vers les étages supérieurs.

— Mr Abberline, s'il vous plaît...
— Jed. Appelle-moi Jed. Vraiment.
— Il serait préférable qu'on continue à se vouvoyer, Mr Abberline...

L'escalier s'arrête enfin, aboutissant dans un cul-de-sac d'environ six mètres sur deux. Une vitre donnant sur le hall d'entrée de la salle occupe la moitié du mur de droite et, devant la vitre, observant les premiers fans entrer et se précipiter sur le stand d'objets promotionnels, se tient Elijah.

Sa vue fait toujours le même effet à la jeune femme. Elle sent ses jambes devenir cotonneuses, sa bouche sèche et son âme quitter son enveloppe corporelle. Il est si beau. Mais ce n'est pas juste ça. Ce ne peut pas être juste ça, elle n'est pas si superficielle. Enfin, elle ne pense pas l'être. Non, vraiment, elle ne l'est pas, c'est ce que dégage Elijah qui la subjugue autant, pas uniquement sa gueule d'ange.

— Tu as raté l'ouverture des portes, énonce-t-il avant de se retourner dans leur direction.

En voyant que Jed est venu accompagné, il plisse le front, mais n'a pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, car Jared s'arrête à un mètre de lui et tire Shiloh, qu'il tient toujours par le poignet à côté de lui.

— C'est la photographe. Tu la reconnais ?
— Elle a passé l'après-midi à nous mitrailler, alors oui. Vous-
— Mais non. Regarde la mieux. Tu la reconnais pas ?

Elijah lui glisse un regard plus appuyé et elle lui répond par un sourire réellement intimidé cette fois. Elle voit ses sourcils se rapprocher et ses yeux s'étrécir avant qu'il ne les rouvre grands, surpris.

— Ça alors ! Mais vous êtes l'inspectrice De, Dés...
— Delauney, complète Shiloh en récupérant son poignet.
— C'est ça. On nous a dit que vous deviez venir, je m'étonnais que vous ne soyez pas encore arrivée.
— Shiloh est experte en déguisements. C'est plutôt utile quand on est flic, s'amuse Jed.
— Shiloh ?
— Mr Abberline, encore une fois, il vaudrait mieux en rester à un vouvoiement professionnel.

L'homme secoue la tête, un sourire allant d'une oreille à l'autre collé au visage.

— C'est inutile, répond Elijah à sa place. Maintenant qu'il a commencé, il ne reviendra pas en arrière.

Shiloh soupire, espérant que ça ne remonte pas aux oreilles de ses collègues ou de Grant.

— En revanche, ce serait injuste qu'il profite d'une telle familiarité et que nous restions des étrangers. Shiloh, c'est ça ?

Elijah lui tend la main. Comme s'ils se rencontraient pour la première fois. Comme s'il voulait reprendre à zéro, repartir sur un pied d'égalité. Comme si elle n'était pas qu'une simple petite flic et lui l'une des premières stars au sujet de qui elle avait fait des rêves dont elle n'avait parlé à personne.
Pendant un temps infini, elle se voit avancer la main vers celle qu'il lui tend. Une main tremblante d'émotions, d'excitation.
Quand elles entrent en contact et que le temps reprend sa vitesse normale, elle bafouille.

— Oui. C'est ça. E-Eli-jah ?

Il lui sourit. Il lui sourit ! À elle. Et son sourire est si doux. Leurs mains ne se quittent plus. Elle sent que la sienne commence à suer. Ça ne va pas tarder à devenir malaisant. Elle doit mettre fin à cette poignée de main avant qu'il ne trouve ça dégoûtant. Mais elle ne peut pas rompre le contact elle-même, ce serait un sacrilège.

— C'est joli comme nom, Shiloh.
— Mes parents étaient des hippies.
Quoi ? Mais pourquoi tu dis ça ? Tais-toi.
— Enfin, ils le sont toujours. Ils ne sont pas morts.
Mais ferme-la, donc ! À quoi tu joues ?

Elle a un rire un peu forcé, très mal à l'aise. Et puis leurs mains se détachent. Elle en est soulagée. Et en même temps, elle regrette de ne pas en avoir profité davantage. Elle aurait pu... Elle aurait dû... Elle ne sait pas quoi, exactement, mais elle aurait dû le faire, le ressentir, le vivre à 200 %. Au lieu de quoi, elle lui a parlé de ses parents. De ses parents ! Deux hippies défoncés qu'elle n'a plus vus depuis des années et auxquels elle ne pense jamais. Sauf quand on lui fait une remarque sur son prénom. Ou qu'elle voit des caravanes. Des gens habillés en pattes d'eph. Ou des types un peu crasseux avec des dreads. Voir des plaids mandala. Ou des fleurs en pot accrochées au plafond par des paniers en macramé.
Autant dire jamais.

Jared les a contournés et a passé ses bras autour du cou d'Elijah. Il l'embrasse sur la joue puis se penche vers la vitre. Son front la rencontre un peu trop violemment et Elijah fait un pas en arrière, l'entraînant avec lui, pour éviter que ça se reproduise. Sur le carreau jadis immaculé, il y a désormais une trace grasse de front qui luit sous le faible éclairage.

Dans le hall d'entrée, un jeune fan lève les yeux et aperçoit ses deux idoles en train d'observer la pièce de théâtre improvisée dans laquelle, non seulement il joue, mais où il vient de décrocher un rôle de première importance. Ses yeux s'exorbitent sous la surprise, il crie et les montre du doigt. Aussitôt, des dizaines de visages se tournent vers les cieux et d'autres cris ne tardent pas à se joindre au sien.

« Hello. Je t'aime. Ho hé, les gars ! Bonjouuuuur ! »

Toutes et tous y vont de leur petit message et Shiloh recule jusqu'au mur opposé, préférant se maintenir hors de leur vue. Stupidement, elle a d'abord pensé qu'il s'agissait d'un miroir sans tain. Déformation professionnelle, sans doute.

Au bout de 10 minutes passées à faire signe aux fans de plus en plus nombreux, Elijah décrète qu'il est temps de redescendre. Les garçons font leurs au revoir à ceux toujours de passage dans le hall et ils reprennent, avec Shiloh, la discussion à peine commencée et souvent interrompue.

— Au sujet de ce meurtre horrible, tu as déjà des suspects ?
— Quelques-uns, oui. Mais je ne suis pas autorisée à en parler avec des gens aussi proches de l'enquête...
— Oh. Bien sûr. Mais... Jed ! Tu vas me faire tomber !

Alors que Shiloh et Elijah descendent sans se presser les marches de l'escalier qui court autour de la salle, Jared bondit de l'une à l'autre, visiblement très heureux d'avoir pu saluer ses fans. Régulièrement, il s'agrippe aux épaules d'Elijah et manque de les faire tomber tous les deux. Heureusement, l'homme, habitué aux excentricités de son ami, se tient sur ses gardes et ne trébuche au final que quelques rares fois avant de poser le pied sur la terre ferme.

Au moment de la laisser, avant de rentrer en loge, Elijah se tourne une dernière fois vers Shiloh.

— Tu pars pour Édimbourg avec nous, demain ?
— Je ne sais pas encore, bafouille-t-elle en regardant le sol. J'attends une confirmation de mon boss. Mais oui, soit je vous accompagne, soit je vous y retrouverai.
— Autant que tu viennes avec nous. J'en parlerais à Richard.

Shiloh relève les yeux vers lui, reconnaissante. Jared, qui est entré en premier dans la pièce, en ressort avec deux bouteilles de bière. Il en tend une à chacun puis passe à nouveau un bras autour du cou d'Elijah et pose amoureusement sa joue contre son crâne.

— Viens boire un verre avec nous après le concert. Toute l'équipe sera là, tu pourras poser toutes les questions que tu veux. Pas vrai, Eli ?
— Hum, oui. Pourquoi pas, approuve celui-ci en tâchant de faire bonne figure.

Shiloh est subjuguée par leur façon d'évoluer ensemble. Jared est beaucoup plus tactile et beaucoup plus joyeux que trois jours plus tôt. En même temps, les circonstances sont bien moins tragiques. Mais quand même. Elle, qui les trouvaient déjà très fusionnels sur scène, se rend compte qu'ils le sont encore plus en dehors. Hypnotisée par cette vision, elle met plusieurs secondes à comprendre qu'ils attendent une réponse.

— Ah, euh. Oui... Oui, c'est une bonne idée. Ce sera avec plaisir.

De sa main libre, Jed reprend la bière des mains d'Elijah et la tend vers la jeune femme. Elle lève alors sa propre bouteille et trinque avec lui.

— C'est décidé, alors.

Il avale une gorgée, rend la bouteille à son acolyte et s'en retourne en coulisses.
Quelques politesses supplémentaires et Shiloh se retrouve seule dans le couloir, une bière à la main, à se demander si ses deux idoles sont en couple ou non.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top