Où elle hume son parfum ✓

— C'est pas vrai. Mais c'est pas vrai ! Non, mais tu te rends compte ?

C'est une boule de nerfs dont les traits font vaguement penser à ceux de Shiloh, qui arpente le salon de long en large depuis qu'elle est rentrée de sa petite expédition à Dawn Manor.

— J'en reviens pas. Comment c'est possible des choses comme ça ? Comment un maire à la con peut-il faire sa loi de façon aussi évidente ? T'imagines ? Son garde du corps n'a pas hésité à me menacer. Son garde du corps ! Mais je représente la police, merde !
— Oui, oui, je...
— Non, mais c'est hallucinant !

L'homme aimerait compatir, il aimerait la réconforter ou la calmer, mais il n'a pas encore pu en placer une depuis que Shiloh est de retour.

Au fils des mois, Elijah a pourtant appris à la connaître. Il sait qu'elle n'est pas tellement timide, même si elle semblait très impressionnée par leur statut au tout début de leur relation. Elle est du genre à foncer tête baisée et à réfléchir après. Elle prétend aimer l'ordre et avoir de la considération pour les règles, mais elle est capable de vivre des mois au milieu des cartons sans péter un câble et n'a jamais prêté beaucoup d'attention au respect des conventions.

C'est d'ailleurs comme ça qu'elle s'est mise Barlow à dos et le groupe en poche dés leur rencontre. Il la sait pleine de contradictions, capable d'une compassion extrême, désireuse de faire le bien, il se reconnaît dans son envie de faire ses preuves, d'être reconnue et utile.

Mais il sait aussi qu'il ignore encore beaucoup de choses à son sujet. Et cette capacité à faire une crise de nerfs aussi fulgurante en faisait encore partie une heure plus tôt.

D'un côté, ça commence à l'ennuyer, mais d'un autre, il trouve ça touchant de naïveté. Bien sûr qu'un homme en place en politique depuis plus de vingt ans a de l'influence. Évidemment qu'aller voir son fils sur son territoire et sans avoir rien préparé était une idée stupide. Mais comment le lui dire sans la vexer ?

— Shiloh ? Oh, Shiloh ! Ça suffit, tu te fais du mal. Allons boire un verre au Velvet.
— Quoi ?
— C'est ce que je fais quand je suis contrarié, s'explique-t-il. Ressasser cette histoire ne la fera pas s'arranger. Allons boire, plutôt.

Shiloh grimace, elle se souvient très bien que tenter de régler ses problèmes par l'alcool ne lui a pas réussi la dernière fois, mais en même temps elle n'a pas envie de passer la soirée seule et se changer les idées lui ferait du bien, alors elle met de côté son énervement pour un temps et l'accompagne jusqu'au bar où Jared les attend déjà.

Quelques pintes plus tard, c'est Wyatt qui les rejoint. Se déplaçant d'abord d'un air hagard, il finit par repérer Shiloh et fonce droit sur sa table. Il se laisse tomber sur la banquette à côté d'elle et la jeune femme remarque immédiatement à son air que quelque chose ne va pas.

— Juste avant que je quitte mon poste, on nous a rapporté quatre nouvelles attaques... répond-il quand elle l'interroge.
— Quatre ? À cette heure-ci ? Mais il n'est même pas encore minuit. Elles ont lieu entre une et six heures du matin en général.
— Je sais, marmonne l'agent. Et cette fois, les quatre sont dans un état grave, elles ont perdu vraiment beaucoup de sang...

Bien que la nouvelle soit désagréable à apprendre, elle ne devrait pas autant atteindre le policier. Shiloh échange un regard hésitant avec les garçons assis sur la banquette d'en face et prend son courage à deux mains pour poser à Wyatt la question qui les taraude tous.

— Ce n'est pas tout, pas vrai ?

Dans les yeux du policier, des larmes se forment, mais ne coulent pas.

— Ma... ma mère... il déglutit avec difficulté. Ma mère fait partie des victimes.
— Wyatt ! s'écrie Shiloh en lui agrippant le bras. On ne peut pas rester là à attendre ! Je t'accompagne à l'hôpital.

Elle est déjà en train de se lever quand il l'arrête d'un geste.

— J'en reviens. Le médecin m'a demandé de partir, ça ne sert à rien de rester là à attendre, qu'à encombrer les couloirs. Ils ne sont pas en train de l'opérer, elle est aux soins intensifs. Demain matin, ils sauront si... si...


Shiloh passe un bras autour des épaules de son ami et l'attire contre elle. Il se laisse faire, ferme les yeux quand elle lui caresse le crâne.

— Et ton père ? se renseigne-t-elle.
— Il passe la nuit chez ma tante.

Elle est tentée de lui demander pourquoi il n'est pas resté avec eux, mais s'abstient, supposant que si ça avait été possible, il l'aurait fait.

— Tu va dormir à la maison, murmure-t-elle, et demain on prendra de ses nouvelles ensemble.


D'un accort commun, ils décident de mettre fin à leur petite soirée plus tôt que prévu. Ainsi, Elijah, Shiloh et Wyatt rentrent à la maison dans la voiture de ce dernier tandis que Jed se commande un taxi.

Alors qu'elle dispose coussins et couvertures sur le canapé après avoir annihilé toutes protestations de la part de Wyatt au moment de lui laisser son lit, Shiloh voit Elijah passer la porte du salon en caleçon et t-shirt, sa tenue de nuit.

— Tu ne vas pas dormir là ?
— Ce ne sera pas la première fois.
— Alors tu sais que tu te lèveras avec un mal de dos terrible.

Pour s'y être endormie plus souvent qu'elle ne l'aurait dû, elle ne peut nier et répond par une grimace d'approbation.

— On peut dormir ensemble. Ça non plus ce ne sera pas une première.

Un ange passe. Shiloh, prise au dépourvu, marmonne.

— J'avais fini par croire que tu l'avais oublié.
— Quoi ?
— Non, rien. Oublie.

Ayant parfaitement compris, alors qu'il a voulu faire croire le contraire, Elijah se balance d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Au bout d'un moment, pourtant, il tend le bras vers Shiloh, lui prend la main et l'attire plus près de lui. Assez pour l'envelopper dans le nuage aux relents ambré qui flotte autour de lui depuis sa sortie de la salle de bain.

— Je vois ce que tu veux dire, enfin, je crois, souffle-t-il en détournant le regard. Mais on est amis, non ? On peut partager un lit sans ambiguïté.

Il relève la tête en disant cela, ses yeux bleus reflétant une innocence presque absurde au vu de son âge.

Comment veux-tu qu'il n'y ait aucune ambiguïté quand tu me regardes comme ça ? voudrait lui crier Shiloh. Quand tu me tiens la main en le disant ?
Tachant tant bien que mal de camoufler son trouble, elle lui sourit pourtant et approuve.

— Bien sûr. Allons-y, alors.

En montant les marches, il ne lui lâche pas la main. En franchissant la porte non plus, et elle en vient à se demander s'il compte passer la nuit ainsi quand, enfin, elle sent ses doigts s'écarter et relâcher leur prise. Encore une fois, elle a le malheur de croiser son regard et elle se sent défaillir. Comment Jed fait-il pour le toucher et se coller à lui si souvent ? C'est si frustrant s'il ne se passe rien ensuite. Elle n'a fait que lui tenir la main quelques minutes et, déjà, elle serait prête à tout accepter de sa part.
Mais, en même temps, elle ne part pas vierge de tout sentiment à son égard.

Il se glisse sous les draps, arrange ses coussins, et elle se rend alors compte qu'ils ont franchi une ligne. La première fois, ils se sont endormis côte à côte presque par erreur, ils ne devaient normalement que parler. Mais cette nuit, c'est prévu, et ils seront tous les deux sous les draps.

Alors qu'elle s'installe à côté de lui, sa jambe effleure celle d'Elijah et elle sent tous ses poils se hérisser. Non seulement, elle n'a plus partagé un lit avec qui que ce soit depuis des mois, mais jamais, de sa vie, elle ne l'a fait avec quelqu'un au sujet de qui ses sentiments étaient si embrouillés.

Il se retourne vers elle et elle frémit en imaginant qu'il a remarqué son trouble.

— Tu le lèves tôt demain, je suppose.

Elle approuve d'un hochement de tête, incapable d'émettre le moindre son qui ne sonnerait ridicule.

— Alors on ferait mieux de dormir tout de suite. Bonne nuit.

Il s'approche d'elle, dépose un baiser sur sa joue.
Elle a l'impression qu'il s'attarde, qu'elle sent son souffle près de son oreille de longues secondes durant, puis il s'éloigne et elle a juste le temps de remarquer son petit sourire avant qu'il n'éteigne la lumière.


Si un réveil sur le canapé lui aurait valu quelques courbatures, il aurait au moins signifié qu'elle avait dormi. Or, en quittant la chambre d'Elijah à cinq heures, Shiloh se sent moins en forme que jamais. Entre sa propre imagination boostée au maximum par l'excitation et le corps d'Elijah qui n'a eu de cesse de l'effleurer des heures durant, l'homme étant du genre à beaucoup remuer dans son sommeil, elle n'a pas fermé l'œil de la nuit.

Après un rapide tour par la salle de bain, elle laisse un mot pour Wyatt sur le comptoir de la cuisine et sort dans l'air frais de décembre. Ça fait un mois qu'elle ne court plus beaucoup dehors, préférant les installations chauffées dans le sous-sol du commissariat au vent et à la pluie qui ne quittent plus que rarement la côte.

Mais aujourd'hui elle sent qu'elle a besoin de grands espaces et de solitude. Reprenant son trajet fétiche, elle descend l'escalier qui mène à la plage et a le plaisir de découvrir qu'elle est la première ce matin à fouler le sable. En même temps, le ciel est encore noir, la mer ressemble à un gouffre terrifiant et la seule lumière qui lui parvient, en plus de celle de la lune déjà bien basse sur l'horizon, vient des lampadaires de la route quelque cent ou deux cents mètres plus haut.

Elle se fait la réflexion qu'il lui faudra se procurer une lampe frontale si elle veut continuer à courir si tôt sur la plage quand une masse plus sombre et grosse que les autres, qui ne sont que rochers et monticules d'algues échouées, attire son regard quelques dizaines de mètres devant elle.

Prudemment, elle s'en approche, hésitant entre un animal mort, un sac de détritus ou bien... un homme. Quand son cerveau admet enfin que la chose vers laquelle elle approche à pas de loup est une personne inanimée, Shiloh se met à courir plus vite dans sa direction.

Le corps est celui d'un homme d'une vingtaine d'années. Pâle comme un linge, il n'est pas gonflé, ce qui indique qu'il n'a pas passé trop de temps dans l'eau bien que la marée vienne lui chatouiller les cuisses.

En approchant son visage pour tâter son pouls, Shiloh est soudain affolée par l'odeur qui se dégage de lui. Sous celles d'algues, de sang, de peur et de transpiration, elle détecte un relent familier. Une odeur qui imprègne sa maison depuis plusieurs mois et qu'elle a encore fortement dans le nez après avoir passé la nuit auprès d'Elijah.

Alors que son cœur se serre, et bien qu'elle ait déjà vu le visage de l'homme, elle ne peut s'empêcher de le regarder à nouveau. Non, il ne s'agit pas du chanteur. Son rythme cardiaque ralenti et elle se sent stupide. Elle vient de le quitter, comment pourrait-il se trouver sur cette plage, dans cet état, quinze minutes après qu'elle l'ait vu se retourner dans son lit. L'odeur qu'elle a sentie vient de son après-rasage ou de son parfum, et il n'y a rien d'exceptionnel à ce qu'il ne soit pas le seul en ville à l'utiliser.

Reprenant son sang-froid, elle tente alors de découvrir un pouls et, à son grand étonnement y parvient. Il est faible, mais présent et aussitôt la jeune femme contacte une ambulance. En l'attendant, et voyant les vagues remonter de plus en plus haut sur la plage, elle tire la victime au sec et remarque se faisant, les deux déchirures rougeoyantes dans son cou. Seules parties de son corps qui ne soient pas plus blanches que la lune elle-même.

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