Où elle était en fait il ✓

En arrivant au poste, le lendemain, Shiloh se sent particulièrement en forme.
Après avoir parlé au père Gwynfor, elle a fait un détour jusque chez Aaron Evans, mais a trouvé l'appartement vide. Malgré tout, elle a remarqué que le prénom de l'adolescent a remplacé celui de sa sœur sur la sonnette, ce qui veut dire qu'il habite toujours bien là.

Elle s'est rappelée lui avoir promis de lui trouver un job qui lui permettrait de ne pas avoir à retourner vivre chez son père, et s'est rendue compte au même instant qu'elle n'avait encore fait aucune démarche dans ce sens. Elle s'est donc rendue au Velvet Catfish après sa journée et a discuté avec la vieille Maria, qui a accepté de le prendre à l'essai. Elle y retournera donc ce soir, en espérant le trouver chez lui, car dans deux jours, ils ont rendez-vous au bar pour une première prise de contact.

En s'asseyant à son bureau pour reprendre l'analyse des photos du soir du meurtre, elle remarque que, contrairement à leur habitude, les quatre membres du groupe ne sont pas entrés sur scène en même temps. Sur près d'une dizaine de photos, seuls Elijah et Nora sont présents, et seulement 17 secondes plus tard, on peut apercevoir Jed et Feargus les rejoindre. Si elle peut se permettre une telle précision grâce aux propriétés des clichés, elle ne comprend pas comment elle a pu ne pas remarquer ça plus tôt. Peut-être parce qu'elle se focalisait davantage sur l'arrière-plan que sur les musiciens ? Mais, en même temps, cette information a-t-elle vraiment de l'importance ? Elle en prend note rapidement dans un coin puis reprend son analyse à la recherche de choses plus intéressantes.

Vers 11 h, elle reçoit une clé USB de la part du service informatique, avec de nouveaux rushs provenant des caméras de surveillance des rues aboutissants à la salle. Si l'ensemble des données a déjà été vérifié par un autre agent, elle se doit d'en faire de même au moins une ou deux fois. Personne d'autre qu'elle ne connaissant aussi bien les faits et les personnes impliquées, elle reste la mieux placée pour repérer une chose qui échapperait à tous les autres.

Dix minutes, à peine, se sont écoulées, qu'une ombre la recouvre soudain. Elle lève les yeux et tombe sur Grant Dunn, la surplombant de toute sa hauteur, devant son bureau.

— Éteins ton PC et viens avec moi, lâche-t-il d'un air sombre avant de s'éloigner vers l'accueil.
— Qu'est-ce qui se passe ? bafouille-t-elle avant d'obtempérer en quatrième vitesse en voyant qu'il ne daigne même pas se retourner.

Quatre minutes plus tard, assise sur le siège passager de la voiture personnelle de Dunn qui s'insère dans la circulation, Shiloh se racle la gorge pour meubler le silence qui devient oppressant.
Au bout de trois minutes de plus, Grant prend enfin la parole.

— Je t'ai demandé de m'accompagner parce que ça pourrait avoir un rapport avec ton enquête.

Tassée sur son siège, Shiloh se tait, attendant la suite en regardant son chef attentivement.

— Tu sais où je t'emmène, n'est-ce pas ?
— En fait, pas du tout, répond-elle honnêtement.

Il lui décoche un coup d'œil rapide avant de se concentrer à nouveau sur la route.

— Le fils Barlow a été agressé cette nuit.
— C'est Dustin qui s'occupe des agressions qui-
— Non, la coupe-t-il. Cette agression n'a rien à voir avec celles qui occupent Dustin. La direction pense que la personne qui a essayé de le tuer est la même qui a liquidé Victoria Evans.

Pas sûre de suivre son résonnement, Shiloh fronce les sourcils alors qu'elle tente d'assembler des pièces qui semblent ne pas provenir du même puzzle.

— Je vais avoir besoin de plus d'infos, là, parce que je ne vois pas le rapport.
— Tu les auras. On arrive.

Grant tourne sur la gauche et, au bout de 300 mètres, Shiloh voit se découper une façade d'un blanc crémeux sur le ciel bleu.

L'hôpital de Tregarta, bien qu'assez petit en superficie, impressionne par sa hauteur. Avec ses sept étages, il est le plus haut édifice de la petite ville.

Une fois la voiture garée et les policiers montés jusqu'au quatrième, Shiloh commence à comprendre pourquoi son patron lui a demandé de ne pas se mettre Barlow à dos. Dés leur sortie de l'ascenseur, elle remarque deux flics en uniformes montant la garde. Accoudé au comptoir des infirmières, un autre discute activement avec un homme en costard, et devant la chambre, ce sont deux officiers de plus qui montent la garde.

Quelle que soit l'attaque dont le gamin a été victime, il faut bien l'appui du maire pour occuper cinq agents à sa protection alors qu'un taré agresse une nouvelle victime presque toutes les nuits et que le chef de la police regrette de ne pas avoir assez d'hommes à mettre sur l'affaire.

Après avoir vérifié leurs identités, les deux flics à la porte les laissèrent rentrer dans la chambre. Jarvis est étendu sur son lit d'hôpital, une perfusion reliée à sa main gauche, le crâne bandé, la jambe droite dans le plâtre et des hématomes violacés s'épanouissant sur son autre jambe et son joli visage.
Il a les yeux fermés, mais les ouvre en les entendant s'approcher. Quand leurs regards se croisent, Shiloh comprend d'où elle connaissait l'adolescente qui prenait des photos lors de la soirée où elle a dansé avec le fiancé de Nora.

— C'était toi, le soir du dernier concert.

Il lui sourit d'un air moqueur, puis grimace, car le mouvement le fait souffrir.

— Vous ne me reconnaissez que maintenant, inspectrice ? Pas aussi perspicace qu'on le croit, l'élite de la police.
— Ton déguisement était convainquant, répond-elle, vexée.
— C'était le but. Habillé en fille, on s'approche beaucoup plus facilement des stars. Vous devriez essayer.
— S'il vous plaît, les interrompt Grant. Jarvis, j'aimerais que tu nous racontes tout ce dont tu te souviens au sujet de la soirée d'hier.
— J'ai déjà tout raconté à deux types en uniformes, se plaint l'ado.
— Je sais, mais j'aimerais entendre ce récit de ta bouche, pas de la leur.

Jarvis soupire, moins fort et moins longtemps qu'il ne le souhaite, car cette action élance toute sa mâchoire, puis il se redresse dans son lit. Grant l'aide en arrangeant ses coussins et les deux flics s'asseyent finalement pour l'écouter parler.

— J'ai passé toute la matinée d'hier avec mon prof de piano puis j'ai mangé à la maison, annone le garçon, las d'avoir à répéter. Vers 13 h, je suis parti en scooter et j'ai rejoint des amis sur la plage de Tregarta. On a passé l'après-midi là-bas, à boire des coups et à rigoler.
— Tu n'as pas l'âge pour boire, l'interrompt Shiloh, et encore moins en public.
— Arrêtez-moi, alors, s'amuse-t-il.

Shiloh se fait la réflexion que sans sa mère dans les parages, il ressemble bien plus à un adolescent normal. Quand Grant pose une main sur son avant-bras, elle comprend, au regard qu'il lui lance, qu'il veut qu'elle laisse tomber.

— Continue, intime-t-il au garçon.
— Vers 20 h on a été manger au Poulpo. C'est un resto de fruits de mer sur la digue. Et, après ça, on s'est quittés.
— Quelle heure était-il ?
— Pas loin de 22 h, je dirais.

Grant hoche la tête et l'invite à continuer.

— J'ai encore traîné un peu sur la plage, mais pas longtemps, puis je suis retourné à mon scooter et j'ai repris le chemin de la maison. À peine sorti de la ville, j'ai vu une voiture arrêtée sur le bas-coté, 200 mètres devant moi, ses feux de détresse clignotaient. Quand il m'a entendu arriver, le type à côté de la voiture s'est mis au milieu de la route et m'a fait signe de m'arrêter. D'habitude, je fais attention, et je crois qu'en journée je me serais pas arrêté, mais là, le type devait être en panne, et on croise quasi jamais personne sur cette route après 21 h. Je le sais, puisque je la prends souvent. Le type aurait pu attendre encore des heures. Peut-être jusqu'au matin. J'ai eu pitié. Et j'ai freiné.

— Et ? interroge Grant alors que Jarvis a suspendu son récit depuis quelques secondes.
— Et rien. Je me souviens de rien après. Mon souvenir suivant, c'est quand je me suis réveillé dans cette chambre, vers midi.
— Bon, tranche Grant, reprenons. Et cette fois, essaye de te rappeler des gens que vous avez croisés avec tes amis.

Le garçon le regarde avec dépit, mais recommence son histoire, en s'attardant davantage sur les gens qu'il a croisé au cours de la journée et dont il se souvient.

Après trois répétitions et avoir dicté le nom de tous ses amis présents sur la plage, il semble vraiment fatigué et les policiers s'apprêtent à prendre congé. Avant cela, Shiloh lui pose pourtant une dernière question.

— Cette personne qui t'a agressé, elle t'a volé quelque chose ?
— Je ne crois pas. Ma mère m'a détaillé tout ce qui a été retrouvé près de moi et il ne manque rien.
— Ta mère, murmure Shiloh. Où est-elle ? Elle ne devrait pas être auprès de toi ?
— Je lui ai demandé d'aller me chercher mon appareil photo.

Prise d'un soupçon, Shiloh se penche sur le lit.

— Pourquoi ? Qu'as-tu pris en photo alors que tu étais à Londres ?

Jarvis esquisse un mouvement des épaules.

— Je prends toujours plein de photos intéressantes.

À ce moment, la porte de la chambre s'ouvre et Mrs Barlow entre, aussi élégante et distinguée que lorsque Shiloh l'a rencontrée au manoir.

— Eh bien, que de monde, note-t-elle avec un air pincé.

Grant fait deux pas vers elle, la main droite tendue dans sa direction.

— Mrs Barlow, Chief Superintendent Grant Dunn, enchanté. Et voici l'inspectrice Delauney. Nous aurions quelques questions à vous poser, si vous le permettez.
— Je connais l'inspectrice Delauney, répond-elle en leur serrant la main. Mon fils a l'air épuisé. Allons parler dehors.
— Je pourrais avoir mon appareil photo, avant ? réclame celui-ci.

Sa mère le tire de son sac à main et veut le lui tendre, mais Shiloh s'interpose et le récupère à sa place.

— Nous allons débord vérifier les photos, si ça ne te fait rien.

Au vu de son air, ça ne lui plaît pas vraiment, mais sa mère ne s'y oppose pas et il sait que faire un scandale n'y changerait rien.

Une fois tout le monde dehors, alors que Shiloh va refermer la porte derrière elle, il l'interpelle et elle passe la tête par l'entrebâillement.

— Inspectrice, ne venez pas pleurer si ce que vous y trouvez ne vous plaît pas.

Sur ce, il ferme les yeux et se laisse couler dans ses coussins. Shiloh ferme la porte, l'appareil en main et une crainte naissante au creux de l'estomac.

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