Où elle est sur une piste ✓

Une semaine à passé durant laquelle les agressions ont continué, mais aujourd'hui, Shiloh a enfin terminé de réunir les informations dont elle a besoin. Après trois jours a compiler des données rapportées par deux autres enquêteurs et par le service informatique, elle tient entre ses mains la somme d'un travail considérable qui, elle l'espère, lui permettra de mettre la main sur le vampire de Tregarta.

Quasiment mise à la porte par Dunn après une énième journée de 14 heures, c'est surexcitée qu'elle rejoint le Velvet Catfish en espérant y trouver les garçons.

— Inspectrice !

À peine a-t-elle franchi la porte, qu'Olga lui tombe dessus. Il faut dire qu'elle a déserté le pub depuis un moment et que la serveuse adepte des ragots doit être en manque d'informations de première main.

— On a un habitué qui s'est fait attaquer il y a deux nuits, lui apprend-elle.
— En sortant d'ici ?

Shiloh n'a rien entendu passer à ce sujet et elle est surprise. Mais, en même temps, toutes les agressions du coin ne sont pas du fait du soit disant vampire sur les traces de qui elle trébuche.

— Non, en sortant de chez sa maîtresse. Mais c'était vraiment pas loin d'ici. On craint de plus en plus pour nos clients. Dites-moi que vous avez du nouveau...

Ses doigts potelés crispés sur le plateau qu'elle tient tout contre sa poitrine généreuse, la volubile Olga est pendue à ses lèvres. Elijah lui a rapporté que la serveuse, craignant de ne pouvoir le protéger contre la menace pesant sur la ville, a envoyé son fils pour un temps indéterminé chez son ex-mari, habitant une bourgade voisine. Et dans ses yeux pâles, Shiloh croit lire bien plus que la simple envie d'avoir quelques informations croustillantes à rapporter à ses clients affamés de ragots.

Posant la main sur son avant-bras, elle lui sourit d'un air qu'elle espère rassurant.

— On y travaille, Olga. Je vous promets qu'on fait de notre mieux pour que cette histoire soit derrière nous aussi vite que possible.

La femme hoche la tête plusieurs fois, comme hypnotisée par ses paroles qu'elle veut apaisantes, puis lui offre un faible sourire et se retourne pour disparaître immédiatement entre deux rangées de tables.

Prenant le chemin de « leur table » située au fond de la salle, dans un renfoncement, Shiloh jette un œil aux clients du jour.

Beaucoup d'habitués, quelques têtes qu'elle n'a jamais vues, et même, oh non ! Berthie Smith, la collègue qui, non-contente de la détester sans raison, à mené une vendetta contre elle quelques mois plus tôt, quand elle a obtenu l'enquête des Kings. Qu'est-ce que cette emmerdeuse fait là ? Elle ne l'a jamais croisée au Velvet avant.

En se glissant sur la banquette du renfoncement après s'être assurée que les deux personnes installées étaient bien Jed et Elijah, Shiloh jette un dernier regard dans sa direction et croise le regard de la flic qui la fusille de ses yeux sombres.

Sortant la tête du box une fraction de seconde, Jared repère Berthie et lui sourit quand celle-ci tourne la tête vers lui.

— Tu la connais ? s'enquiert-il. On dirait qu'elle veut te buter.
— Elle bosse au commissariat. C'est pas exactement la personne que j'appellerais en renfort en cas de besoin, si tu vois ce que je veux dire.

Jared rit, Elijah louche sur le tas de paperasse qu'elle vient de déposer sur la table. Anticipant sa question, elle annonce :

— Il y a du neuf, mais honnêtement, je ne sais pas encore quoi faire de ces infos.

Olga lui apporte une pinte du cidre maison de Maria et elle disperse les feuilles devant eux avant de leur expliquer ce qu'ils sont en train de regarder.

— Le type qu'on a arrêté pour l'assassinat de Victoria, Gwynfor, même s'il semble persuadé que l'agresseur est un vampire, ou un demi-vampire, ou un truc comme ça, il m'a donné une idée.
Vous le savez, on n'a pu établir aucun lien sérieux entre les différentes victimes. Vu leur nombre, certaines sont liées, mais vu la taille de la ville, c'est le contraire qui aurait été surprenant. Ainsi, on a deux frères, agressés à deux semaines d'intervalle, une poignée de cousins plus ou moins éloignés, plusieurs personnes travaillant dans les mêmes grosses entreprises et, évidemment, un paquet de fêtards sortant dans les mêmes endroits. Mais entre ces différents sous-groupes, il a été impossible d'établir un lien sérieux.
On en a alors cherché un autre, plus individuel cette fois, comme un facteur, un médecin, un coiffeur...

— Mais rien.
— Exactement. Jusqu'il y a peu, on privilégiait des attaques spontanées, au hasard, mais ma discussion avec ce vieux fou m'a fait entrapercevoir une autre possibilité.

Baissant d'un ton, elle se penche sur la table et les garçons en font de même. Leurs trois têtes se touchant presque, elle reprend.

— En admettant que l'agresseur, ou les agresseurs, comme nous le verront bientôt, aient un sens ou l'autre particulièrement développé, ne pourrait-on pas supposer qu'une odeur ou un son pourrait déclencher chez eux une forme d'envie irrépressible, réveiller en eux des souvenirs enfouis ou que sais-je d'autre ?

— T'es en train de nous dire que le vampire de Tregarta est La Sentinelle* s'il avait mal tourné ?

Fronçant les sourcils, Shiloh dévisage Jed sans comprendre, mais celui-ci, accusant son soudain coup de vieux en réalisant qu'elle n'a pas la référence pour rire à sa blague, lui fait signe de laisser tomber et l'invite à continuer.

— Ça me paraissait absurde aussi au début, et puis j'ai entendu ça.

Elle sort son téléphone, branche des écouteurs dessus, et en tend un à chacun avant d'activer le son. Sur les deux enregistrements qu'elle fait défiler, deux des victimes parlent un peu puis se mettent à rire. Les inflexions de leurs voix, la façon dont elles inspirent l'air en riant, tout se ressemble beaucoup trop.

— Elles ne se connaissent pas, ne se sont jamais rencontrées, leur apprend-elle. Après ça, j'ai cherché des enregistrements d'autres victimes. Heureusement pour moi, aujourd'hui entre Facebook, Instagram, Tiktok et Youtube, presque tout le monde est présent sur au moins quelques vidéos publiques. Voilà ce que j'ai récolté.

Pendant deux minutes entières, les paroles de dizaines de jeunes femmes défilent dans les oreilles des garçons. Si leur voix ne sont pas toutes semblables, la plupart d'entre elles ont un timbre approchant, un rire aspiré prompt à devenir contagieux.

— Toutes les victimes n'entrent pas dans ce pattern, avoue Shiloh. Mais un nombre aussi important ne peut pas être un hasard. Alors j'ai-
— Victoria riait de la même façon.

Déposant l'écouteur sur le tas de papier devant lui, Jed la coupe et un silence pesant s'installe entre eux alors qu'ils se dévisagent.

— Tu es sûr de toi ? fini par demander Shiloh.
— Tu connais son blog, non ? Il y a des vidéos d'elle dessus. Regarde celle où elle parle de la nuit qu'on a passée ensemble.

Interdite, Shiloh obtempère. Elle récupère les écouteurs, lance la vidéo et attend, inquiète, que la fille commence à rire.

— C'est le même rire, lâche-t-elle au bout de quelques minutes, d'une voix éteinte.

Ses yeux passent de Jed à Elijah sans les voir. De celui qui vient potentiellement de résoudre son enquête à celui qui sait qui le vieux boulanger accuse depuis le début.

— Aaron... murmure-t-elle. C'est impossible.

Elle tourne la tête vers la salle, son regard s'attachant à chaque personne debout.

— Il ne travaille plus ici.

Elle se tourne au ralenti vers Elijah.

— Je sais.

Il se retient de lui dire que, pourtant, elle était en train de le chercher.

Le garçon a arrêté de travailler au Velvet après l'arrestation de Gwynfor. Quand elle est passée chez lui pour avoir des explications, aussi bien concernant sa démission que sa disparition avec une femme plus âgée le jour du guet append, il lui a répondu sèchement qu'il n'avait plus besoin de travailler, car sa mère était revenue et qu'après s'être excusée d'avoir disparu toutes ces années, elle lui avait expliqué pourquoi elle avait dû le faire, et qu'en plus, elle était bien décidée à rattraper le temps perdu et à s'assurer qu'il vive enfin confortablement.

Shiloh avait eu du mal à le croire, persuadée qu'il avait plutôt trouvé une MILF suffisamment aisée pour l'entretenir, et elle songeait sérieusement à faire ouvrir une enquête sur le garçon et la mystérieuse femme qui avait emménagé chez lui. Il avait pourtant suffi à Aaron de la menacer de révéler qu'Elijah l'avait pris en filature pendant des semaines alors qu'il n'était nullement de la police et que ce comportement était pour le moins suspect, pour qu'elle abandonne l'idée.

Elle déteste l'idée qu'elle se fait manipuler, plus encore par un gamin qu'elle souhaite aider de tout son cœur, mais elle sait qu'elle ne pourra jamais se le pardonner si Elijah a des problèmes, en plus aussi graves, par sa faute.
Elle a donc renoncé pour un temps à aider l'adolescent et n'est plus retournée chez lui depuis.

— Je... Je dois y aller, bredouille-t-elle en se levant.

Quand Elijah fait mine de se lever pour l'accompagner, elle l'arrête. Non. J'ai besoin de réfléchir, je retourne au commissariat.

— Shiloh, tente-t-il de la retenir. Tu as oublié quel jour nous sommes ?

L'inspectrice fronce les sourcils en creusant dans sa mémoire, inquiète à l'idée d'avoir oublié une date importante. Mais non, elle jurerait qu'aucun des garçons n'a son anniversaire en décembre.

— Regarde autour de toi, lui conseille Jed avec un sourire.

Elle s'exécute, mais ne remarque d'abord rien de spécial. Il y a certes plus de clients qu'à l'ordinaire et les décorations rouge et blanc installées par le staff semblent d'être multipliées sur les tables et les murs, mais c'est uniquement à cause de la fête qui approche. La fête de...

— Oh... réalise-t-elle soudain. On est déjà le 24 ?

Les garçons approuvent et Elijah tapote le siège qu'elle vient de quitter de la main.

— Joyeux Noël, sourit-il. Si tu t'autorisais une soirée de repos pour fêter ça ?

Shiloh est tentée d'accepter. Après tout, aura-t-elle jamais plus l'occasion de passer Noël en leur compagnie ? Elle comprend aussi mieux pourquoi Grant l'a forcée à quitter le commissariat en lui ordonnant d'aller prendre un peu de bon temps, mais cette information et le risque qu'elle représente... Non, elle ne peut décemment pas faire comme si elle l'ignorait pour encore une douzaine d'heures.

— Je peux pas, bredouille-t-elle, consciente que sa résolution ne tiendra pas longtemps face à l'envie de passer le réveillon avec eux s'ils insistent encore un peu. Je voudrais, vraiment... mais, non... Je... je dois y aller. On organisera un truc pour le 31.

Et, les plantant là, elle décampe aussi vite que ses jambes en coton le lui permettent.

En sortant du pub elle croise une femme magnifique au moment où celle-ci entre. Son visage ovale, ses grands yeux sombres, sa crinière brune, elle la reconnaît immédiatement. C'est la femme sur la photo trouvée dans la chambre de Victoria. Sa mère. Et celle d'Aaron.

Carmen.

Aussi belle et jeune que sur la photo, quand elle était enceinte de son fils.


* Référence de vieux. Série diffusée à la télé française de 1997 à 1999 et où le héros à des sens hyper-développés lui permettant de voir, sentir et entendre de super loin. Vous emmerdez pas à la chercher en streaming, de ce dont je m'en souviens c'était pas franchement ouf.

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