Où elle devient méconnaissable ✓
Pendant 20 minutes, Shiloh patiente sur la scène, échangeant quelques mots avec certains roadies, observant attentivement tout ce qui se passe, laissant traîner ses oreilles aussi loin qu'il lui est possible de le faire. Quand, finalement, un jeune homme blond très musclé portant un t-shirt noir où se découpe en lettres rouges sur fond blanc le mot « sécurité », lui apporte un badge autocollant qu'elle s'empresse de fixer sur sa chemise à manches trop longues pour la saison.
Alors qu'elle veut quitter la scène pour aller fureter plus loin, le même homme lui fait remarquer que, police ou non, il ne peut la laisser se promener dans le bâtiment avec le gros sac qu'elle transporte en bandoulière.
— Il y a un endroit où je pourrais le laisser ?
— Il y a des casiers dans l'entrée.
— Pas super pratique si je dois le récupérer quand la salle sera pleine.
L'homme étire les coins de sa bouche en une moue d'impuissance, rêvant de lui dire qu'il se fiche de la difficulté qu'elle aura à le récupérer et qu'il ne peut simplement pas la laisser se promener dans le bâtiment avec un sac de cette taille sans risquer de se faire remonter les bretelles.
— Je pourrais peut-être utiliser un casier réservé au personnel, tente Shiloh, mais il secoue la tête.
— Impossible, m'dame. Ils sont tous occupés, et il faut un badge spécial pour entrer dans les vestiaires.
Agacée, Shiloh soupire et plante son regard le plus professionnel dans les yeux du garde. Elle a déjà perdu bien assez de temps comme ça.
— Écoute-moi bien, soit tu me trouves un endroit pour déposer mon sac avec la certitude de pouvoir le récupérer dans quelques heures, soit tu le fouilles une bonne fois et tu me laisses le garder sur moi. Mais à un moment, va falloir que tu parviennes à faire ton boulot sans m'empêcher de faire le mien.
Se renfrognant, l'homme lui propose de le suivre dans les coulisses où il lui déverrouille une porte menant sur une petite remise quasiment vide. Elle y dépose ses affaires et il lui tend la clef.
— Pensez juste à me la rendre avant de partir.
L'occasion est trop belle.
Elle n'a rien obtenu en restant assise auprès des roadies, pas plus qu'en leur posant quelques questions d'ailleurs. Mais là, elle peut tenter quelque chose de différent. S'enfermant dans la remise, elle se déshabille rapidement, fourre ses vêtements de travail dans son sac et en sort un t-shirt simple et un short plus adapté à la chaleur qui règne dans le bâtiment que son jean foncé. Elle détache aussi ses cheveux et enfile la paire de lunettes rondes qu'elle ne porte qu'en de très rares occasions. Pour parfaire son déguisement, elle récupère un appareil photo antédiluvien du fond de son sac et en passe la bandoulière autour de son cou. Elle savait, en achetant ce reflex d'occasion, il y a des années, qu'il finirait par lui servir.
Ainsi vêtue, elle ressemble à une touriste.
Précautionneusement, elle retire le badge autocollant de sa chemise et le recolle sur son t-shirt. Cette fois, elle peut aisément passer pour une photographe amateure ayant obtenu l'autorisation de documenter le passage du groupe dans la salle. Le déguisement idéal pour passer inaperçue.
Elle sort du réduit, verrouille rapidement la porte en mesurant sa chance de trouver le couloir vide, et s'éloigne en quatrième vitesse.
Quand elle rejoint la salle, les musiciens ont fait leur apparition sur scène. Gardant l'œil dans le viseur, elle prend quelques clichés tout en tachant de se fondre dans le décor. Mais quand ils se mettent à répéter, elle commence à oublier pourquoi elle est là.
Se balançant d'un pied sur l'autre, elle profite de ce concert privé depuis le côté de la scène, appuyant parfois sur le déclencheur sans s'inquiéter vraiment de prendre de bonnes photos. Elle se dandine au rythme des musiques qu'elle aime, le visage de moins en moins caché par l'appareil photo, quand un roadie lui adresse la parole.
— Tu bosses pour la salle ?
— Euh, oui. Dans un sens.
— C'est rare d'avoir des photographes pendant les répéts. Même les nôtres sont parfois interdits par les salles. Alors hésite pas à mitrailler. Et pense à faire passer, si t'en as de vraiment bonnes.
L'homme lui fait un clin d'œil et commence à s'éloigner, mais se rappelant pourquoi elle est là, Shiloh le retient.
— Je suis là depuis un moment mais je n'ai pas encore vu Richard Barlow. Il n'assiste pas aux répétitions ?
— D'habitude si, mais cette fois il n'a pas fait le trajet avec nous et il n'est pas encore arrivé. Enfin, il ne devrait plus tarder, il n'a jamais manqué un concert. En même temps, vu ce qu'il se fait payer, il a plutôt intérêt. Bon, faut vraiment que j'y aille, j'ai du boulot avant que ça commence, mais si tu veux, on se boit un verre après le concert ?
— Ahem, oui, pourquoi pas.
Shiloh lui sourit d'un air qu'elle espère un peu timide, puis plonge le regard sur l'écran de contrôle de son appareil photo, bien qu'elle ne sache l'utiliser qu'en full automatique. Pas qu'elle aie quelque chose de prévu après le concert, mais il aurait été dommage de se fermer des portes aussi vite. Si elle trouvait le moyen de passer la soirée avec plusieurs roadies, elle aurait plus de chance d'apprendre quelque chose qu'avec un seul.
Reprenant son activité photographique, elle descend dans la salle et shoot quelques minutes en prenant garde à ne jamais montrer son visage. Ensuite, elle remarque plusieurs personnes au balcon et décide d'aller les rejoindre. De là, elle prend encore quelques photos, bien que le groupe ait arrêté de jouer et soit désormais occupé à parler loin des micros, puis elle s'approche de deux filles en train de régler les projecteurs.
Elle les vise avec l'objectif.
— Salut !
Elles se retournent et elle déclenche.
L'une des filles la fusille du regard, l'autre lui rend son salut. Shiloh se souvient les avoir interrogées trois jours plus tôt. Toutes deux ayant indiqué n'avoir rien vu, rien entendu, elles sont ressorties aussi vite qu'elles sont entrées.
— Vous bossez pour le groupe ou pour la salle ?
— Pour le groupe, répond la souriante. Et toi ?
— Marnie ! On l'a jamais vue, tu crois vraiment qu'elle bosse avec nous ? Réfléchis un peu, la rabroue l'autre.
— En fait ni l'un ni l'autre, ajuste Shiloh. Mais j'ai le droit de faire ce que je fais, ajoute-t-elle en agitant la main dans laquelle elle tient l'appareil photo. C'est terrible ce qui est arrivé à cette fille, dans l'autre ville, reprend-elle sur le ton de la confidence. Vous la connaissiez ?
— Pas très bien. Faut dire qu'elle passait peu de temps avec les filles-
— Marnie !
La souriante Marnie se fait sermonner une fois de plus et reporte son attention sur ses réglages en se détournant de Shiloh, la tête basse. Tant que le chien de garde est auprès d'elle, il est inutile d'insister reconnaît l'inspectrice en battant en retraite. Soit cette fille m'a reconnue, soit elle a quelque chose à se reprocher. Mais, dans tous les cas, elle empêchera sa copine de parler. Autant laisser tomber pour l'instant.
En faisant le tour du balcon, Shiloh prend une poignée de nouveaux clichés de la scène, puis elle redescend et passe aux coulisses. Pendant les quatre heures qui suivent, elle furette parfois, tend l'oreille aux ragots qui circulent, prend des centaines de photos et s'isole, aux toilettes ou au balcon, quand elle souhaite prendre des notes.
Alors qu'elle redescend justement de ces derniers, elle avise une porte qu'elle n'a pas encore pu ouvrir car restée jusque-là fermée à clef. Pour la première fois, celle-ci est maintenue entrouverte par un cale-porte posé au sol. Shiloh s'assure qu'elle est seule et se précipite. De l'autre côté, elle découvre un simple escalier qui serpente le long du mur. Elle commence à peine à monter, quand elle entend la porte se refermer. Grinçant des dents, elle redescend en courant, pose la main sur la clinche et, alors qu'elle la sent s'ouvrir, constatant par la même, comme elle l'espérait, qu'il s'agit d'une porte qui ne nécessite une clef pour être ouverte que d'un côté, elle se heurte, ou plutôt se fait heurter, par une personne qui monte en courant. Le mur de la salle étant incurvé, et l'escalier serpentant autour d'elle l'étant aussi, aucun d'eux n'a pu voir l'autre avant la collision.
Sous le choc, Shiloh lâche la clinche, et la porte, qui avait à peine commencé à s'ouvrir, se referme lourdement. L'homme, quant à lui, perd l'équilibre et bascule soudain vers l'arrière, trébuchant sur une marche en essayant de retrouver son équilibre. Voulant lui éviter une chute, potentiellement jusque dans les tréfonds du bâtiment, Shiloh ignorant à quel étage commencent ces escaliers, elle lui attrape le bras et le tire dans sa direction. La force de son mouvement, additionnée au poids de l'homme, désormais projeté dans sa direction, la cloue dos au mur. Et alors que le maladroit s'y retient in-extremis, d'une main plaquée au niveau de sa tête pour ne pas l'écraser, son crâne ricoche contre la paroi et une douleur sourde l'envahi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top