Où de nouvelles attaques ont lieu ✓
Il leur faut quinze minutes pour semer les six jeunes et, quand ils se retrouvent devant le bar où ils ont rendez-vous, ils s'y engouffrent bien qu'ils aient une bonne demi-heure d'avance.
À l'heure prévue, Liam Gwynfor fait son entrée. Shiloh attire son attention d'un signe de la main et le voit froncer les sourcils en découvrant qu'il y a quelqu'un d'autre avec elle. Elijah faisant dos à l'entrée, il ne le reconnaît qu'au moment où il s'assied avec eux. Il a l'air surpris, mais ne fait aucun commentaire.
— Mr Gwynfor, comme je vous l'ai dit, je suis Shiloh Delauney et je m'occupe de l'enquête concernant le meurtre de Victoria Evans. Mon ami, Mr Eilacin est ici en tant que consultant externe. Si ça ne vous dérange pas, il restera avec nous durant notre conversation.
C'est la première fois qu'elle fait référence à lui en tant qu'ami, et non seulement Elijah ne l'a pas détrompée, ce qui est assez logique en même temps, car ça n'aurait pas mis le jeune homme en confiance, mais en plus, il a approuvé du chef pendant qu'elle récitait ses salades de consultant. Elle est aux anges, si bien qu'elle note à peine l'approbation de Liam Gwynfor, qui semble tout de même étonné.
Elijah, de son côté, est heureux que le garçon n'ait pas demandé plus de détails sur sa prétendue expertise, parce qu'il n'a, de son côté, rien prévu, et il doute que Shiloh ait davantage à raconter à ce sujet que lui.
— Bien, Mr Gwynfor,-
— Liam. S'il vous plaît, la coupe-t-il presque timidement.
— Comme vous voulez. Liam, d'après ce que nous en savons vous avez entretenu une relation amoureuse avec Victoria Evans pendant six mois environ, qui s'est terminée... elle vérifie dans son carnet, il y a cinq mois ?
— Oui.
— Pourquoi avez-vous rompu ?
Le garçon détourne le regard, semble chercher de l'aide à travers le bar, mais ne la trouve pas et revient vers Shiloh.
— Parce que je suis venu habiter à Londres..?
— Londres ne se trouve qu'à une heure et demie de Tregarta, ce n'est pas comme si vous étiez parti vivre en Australie ou au fin fond de l'Oural.
Liam se dandine sur sa chaise. Malgré les poils drus qui couvrent ses joues, il ressemble à un petit garçon pris en train de mentir, s'en serrait presque attendrissant s'il n'était pas un suspect sérieux dans cette affaire.
— Liam, nous savons que votre père ne voyait pas cette relation d'un très bon œil...
Il grimace à ce souvenir, mais se remet à parler.
— C'est le moins qu'on peut dire... Plusieurs fois, il a voulu m'interdire de la voir, mais j'étais majeur, il ne pouvait rien faire, et je savais qu'il ne m'aurait pas fichu à la porte. En fait, aujourd'hui, je crois que je comprends pourquoi il ne voulait pas qu'on soit ensemble. Mais ça n'a aucun sens...
Shiloh et Elijah échangent un bref regard puis reportent leur attention sur le garçon d'un même mouvement.
— Racontez-nous quand même.
Il soupire sans se départir de son air triste, boit une gorgée du thé glacé qu'une serveuse vient de lui apporter et se lance.
— Quand j'ai commencé à sortir avec Vic, tout était merveilleux. Elle était grande gueule et pas très disciplinée, elle trouvait toujours un moyen pour contourner les règlements, entrer à l'œil dans des soirées où on avait même pas été invités, et même au cinéma quelques fois. Et moi, je trouvais ça génial. Qu'une fille aussi intelligente et belle s'intéresse à moi, c'était juste fou. Tous les potes m'enviaient. Je savais qu'elle était du genre à draguer à tout-va, c'est en partie grâce à ça qu'on profitait de tous ces trucs gratuits, mais ça me dérangeait pas, tant que ça allait pas plus loin.
Il fait une pause, reprend une gorgée de thé et continue, lentement, en fixant son verre.
— Seulement, plus les semaines passaient et plus j'avais l'impression que ça allait plus loin, justement. Très vite, je me suis persuadé qu'elle me trompait dès qu'on n'était pas ensemble et on a commencé à se disputer de plus en plus souvent. Presque jamais en privé, cela dit, mais toujours quand il y avait du monde.
Des rumeurs ont commencé à courir, certains disaient que je la battais, d'autres que je la forçais à draguer des mecs friqués pour qu'ils lui offrent des trucs et que je puisse les revendre... C'était faux ! Mais j'ai perdu des amis.
C'est aussi le moment où mon père m'a fait une offre que je ne pouvais pas refuser.
Je commençais à sentir que quelque chose n'allait pas. J'étais tout le temps tendu et en colère, ça ne me ressemblait pas. Je voulais venir étudier au London College depuis mes quinze ans, mais mon père n'était pas assez riche pour me payer une telle université, alors je m'étais mis à bosser dans le but d'accumuler assez de fric pour me payer mes études moi-même. Mais, bon, vous savez comment c'est... Il y a toujours de nouvelles choses à payer et les économies se dépensent plus vite qu'elles ne s'amassent.
Enfin, il m'a annoncé qu'il paierait cette année et toutes les suivantes si je quittais Vic et que je venais vivre à Londres.
C'était inespéré. Et pourtant, j'ai hésité. Après avoir pris trois jours pour réfléchir, j'ai compris que le simple fait que j'y réfléchisse démontrait qu'il y avait un problème.
Il fait une pause et son regard vert transperce ses interlocuteurs. Remuer le passé, ce passé, lui coûte, mais il est résolu à aller au bout. Il y a trop longtemps qu'il s'interdit de penser à Victoria, or, il voit là l'occasion d'extérioriser ce qui le ronge depuis trop de mois.
— Cette université, c'est mon rêve, vous comprenez ? Le lendemain, on avait rendez-vous pour visiter un appartement près du campus. Deux jours après, j'avais déménagé. J'ai largué Vic par SMS. C'est nul, je sais, mais ça n'a pas eu l'air de l'attrister plus que ça vu qu'elle m'a juste répondu « OK ». Puis j'ai intégré une prépa, ça faisait quand même trois ans que j'étais plus à l'école, j'avais besoin de me remettre dans le bain, et un pote m'a parlé de ce boulot au Fruit Cake. C'est pas trop mal payé et les pourboires sont généreux, ça me permet de ne pas dépendre de mon père pour une partie du loyer, la bouffe et les sorties. Je sais que ça doit être dur pour lui de payer l'école, mais qu'il n'a trouvé que ça pour me sortir de cette relation de merde, alors j'essaie de le soulager comme je peux.
Il redresse la tête, apparaissant plus sûr de lui que durant son monologue.
— Je sais ce que vous vous dites. Que je ne suis qu'un connard violent qui essaie de faire passer sa copine pour une salope. Et je comprends... Je me dirais sûrement la même chose à votre place... Mais c'est faux. Je ne comprends pas ce qui s'est passé à cette époque. J'ai eu des copines avant et j'en ai eu après, mais jamais je ne me suis comporté comme ça avec quelqu'un d'autre. Peut-être que Vic était capable de révéler ce qu'il y a de plus sombre en chacun de nous ? Ça expliquerait son meurtre horrible...
Aussi insensé que ça puisse paraître, Shiloh a envie de le croire, et après quelques questions supplémentaires, elle le laisse repartir, pas bien plus avancée.
Le garçon a déclaré avoir travaillé toute la soirée du meurtre, et cet alibi est confirmé par son patron et un autre employé présent ce soir-là. En sortant du bar, pour la seconde fois aujourd'hui, elle soupire.
— Bon, moi j'ai ce qu'il me faut, annonce-t-elle à Elijah en rangeant son petit carnet dans sa poche. Je vais avoir du mal à justifier une journée de plus ici, alors je vais rentrer et voir comment ce que j'ai appris se compile. Merci pour la nuit. C'était bon ce qu'on a fait hier, ajoute-t-elle en faisant référence au double concert, bien que la formulation puisse prêter à confusion.
— Et je le ferais encore, soutient-il avec un sourire amusé.
Le retour en train est monotone. Elijah a choisi de rester quelques jours à Londres et Shiloh se retrouve, une fois encore, à faire le voyage seule. Elle revoit une fois de plus ses nombreuses notes, tente d'en déduire quelque chose, mais cale. Bien sûr, le témoignage de l'ex est étrange et elle ne croit pas qu'il soit possible que la victime ait été une sorte d'horcruxe capable de rendre les gens évoluant autour d'elle méchants. Malgré tout, au vu des nombreux témoignages allant dans ce sens, elle ne doute plus beaucoup que Victoria ait été une peste insupportable aux trop nombreux ennemis.
Il est 17 h passées quand son train la dépose à Tregarta.
Trop tard pour rendre visite au père Gwynfor, décrète-t-elle en se dirigeant vers le commissariat.
Avant même s'y entrer, elle sent l'animation anormale qui remue le poste et ses occupants. Les déplacements incessants, les groupes qui se forment et se défont pour discuter et visible depuis les baies vitrées, tout cela cache quelque chose d'étrange.
Une fois à l'intérieur, personne ne lui porte la moindre attention et elle a le déplaisir de découvrir que l'accueil est tenu par une policière aux cheveux gras et au regard bovin. Sans Wyatt dans les parages, elle risque de ne pas être mise au courant de la raison de cette effervescence.
N'y tenant pas, elle s'approche néanmoins de trois policiers qui discutent de façon animée. Elle ne les connaît que de vue et ne se souvient pas les avoir vus ou entendus se plaindre d'elle.
L'un d'eux est un grand noir dans la trentaine du nom de Marcus quelque chose. La femme, courtaude mais aux yeux bleu-vert hypnotisants, se fait appeler Beth et est à quelques années de la retraite. La troisième personne, un homme de plus ou moins son âge, est un parfait inconnu.
— Que se passe-t-il ? demande-t-elle en se glissant entre Beth et Marcus.
Les trois policiers s'arrêtent de parler pour la regarder et elle croit un instant qu'ils vont s'éloigner pour aller continuer leur conversation plus loin. Mais Beth reprend, à mi-voix.
— Les attaques ont repris de plus belle. Grant est furieux que les responsables n'aient pas encore été arrêtés. Il a mis quatre agents de plus sur le coup.
Les attaques dont Dustin s'occupe, pense Shiloh.
— Il y a eu du nouveau ?
— Pas vraiment, reprend Marcus, les victimes semblent toujours n'avoir aucun point commun si ce n'est qu'elles étaient dehors de nuit. Elles se font généralement agresser en rentrant chez elles. Elles présentent peu de blessures, mais ont presque été vidées de leur sang.
— Sauf qu'il n'y a pas de sang à l'endroit où elles sont retrouvées, donc elles ont été déplacées, ajoute le policier que Shiloh ne connaît pas.
— Et, bien sûr, aucune ne se souvient de rien, termine Beth.
— Si les collègues sur l'affaire ne trouvent pas rapidement, le grand patron risque de faire débarquer des équipes d'ailleurs pour s'en occuper, et Grant ne veut surtout pas que ça arrive.
— Ce serait une insulte directe, approuve Marcus.
Ainsi donc, alors qu'elle court après un meurtrier invisible en frayant avec ses stars préférées, il se passe une toute autre sorte de mystère en ville. Quel flair elle a eu en se faisant muter à Tregarta.
— Dites, ça arrive souvent des affaires comme celle-ci dans le coin ?
— Mais non, justement, s'emballe l'inconnu. C'est plutôt calme comme patelin, en temps normal.
Dommage, se surprend-elle à penser. Si c'était arrivé plus tard, j'aurais pu demander à être mise sur l'affaire et tâcher de briller, mais là, j'ai un meurtre à résoudre.
Au bout de quelques minutes, elle quitte ses collègues et retourne bosser à son bureau. Ces attaques sont, effectivement, surprenantes, mais n'ont rien à voir avec Victoria, donc avec elle.
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