Chapitre 9 - Où elle attend sous la pluie ✓
Le lendemain, Shiloh arrive au poste de très bonne heure.
Le dernier concert a lieu le soir même. Dunn a refusé qu'elle y passe la journée, mais elle compte bien s'y rendre de sa propre initiative, une fois son boulot du jour au commissariat terminé.
Comme promis, elle a amené Savane avec elle et au moment de la laisser en compagnie de Wyatt, elle lui glisse :
— Ça t'embêterait de la garder cette nuit ? J'ai pas prévu de repasser chez moi avant d'aller au concert, ce soir.
— Aucun soucis. Tu sais que tu peux me la laisser n'importe quand. Et il ajoute, s'adressant immédiatement au lapin : on se fera un plateau-télé-crudité, hein ma Savane ?
Comme pour lui répondre, l'animal pose sa tête dans la main de l'homme et ferme les yeux. Shiloh grimace et s'éloigne, dégoûtée. Est-ce qu'un jour la lapine recommencera à l'aimer ? Rien n'est moins sûr si on s'en tient à son comportement de ces derniers temps.
Une fois son ordinateur en marche, l'inspectrice vérifie l'adresse mail que l'administratrice du groupe de fans lui a demandé de créer. La petite annonce a bien été passée le jour précédent, et de nombreuses photos et vidéos à analyser viennent s'ajouter toutes les heures à celles déjà en sa possession. Elle les compile, pose son casque sur ses oreilles et entame le long travail de visionnage.
Au bout de trois heures, elle a entendu la nouvelle chanson 14 fois dans des qualités d'enregistrement variables, a vu les artistes monter sur scène 17 fois, a profité des moments chauds beaucoup trop de fois pour être comptés, a pu vérifier une fois encore, la douceur unique des gestes et des regards d'Elijah envers Jared, ce qui n'a pas manqué de raviver son chagrin et sa honte, et a pu observer la foule, généralement de façon floue. Beaucoup. Trop. De fois.
Quand elle enlève ses écouteurs et s'étend douloureusement sur sa chaise, c'est dans l'intention d'aller courir une demi-heure sur l'un des tapis de course mis à la disposition du personnel, qui se trouvent dans la salle de sport aménagée au sous-sol.
Il est 10 h 30 et elle n'a pas assez couru au matin parce qu'elle voulait commencer aussi tôt que possible. Elle a mal au dos, aux yeux et aux oreilles à cause des enregistrements de basse qualité, et il est plus que temps qu'elle prenne une pause. Elle va se lever de son siège quand un type du service informatique débarque dans le bureau. Il la repère, verrouille sa cible et marche sur elle sans l'ombre d'une hésitation.
— Shiloh Delauney ?
Arrêtée net alors qu'elle entamait le mouvement de se lever, Shiloh se fige dans une position ridicule et inconfortable.
— Euh, oui.
L'homme se présente et elle oublie immédiatement son nom, hypnotisée par la suite de ses paroles et la clé USB qu'il tient dans la main droite.
— J'ai fait dire à la machine de Victoria Evans tout ce qu'elle savait. C'est pas grand-chose au final, mais tout est ici.
Il pose la clé sur le bureau et fait demi-tour, ne laissant même pas le temps à Shiloh d'ajouter quoi que ce soit.
— Merci, lui crie-t-elle alors que, déjà, il passe la porte qui conduit dans son département.
On lui avait dit que les informaticiens de la police étaient parfois un peu bizarre, en ce qui concerne celui-là, au moins, ça se confirme.
En tripotant la clé, elle se tâte. Elle a vraiment envie d'aller courir, de relâcher la pression accumulée depuis le matin, depuis le soir précédant, en fait. Mais elle a aussi très envie de savoir ce que cachait Victoria.
Avec un soupir, elle se laisse retomber sur sa chaise et connecte le périphérique.
Dans plusieurs dossiers, triées en fonction de l'endroit où elles ont été trouvées, elle découvre des photos et des copies de lettres envoyées à certaines des personnes présentes sur les photos.
Sortant son petit carnet de la poche de sa veste, posée sur le dossier de sa chaise, elle s'empresse de prendre note des noms, et des adresses quand elles sont disponibles, des personnes concernées.
Quelques recherches sur Facebook et Linkedin plus tard, elle a identifié la majorité des personnes photographiées. Elle imprime toutes les informations ainsi obtenues, et glisse le tout dans le dossier qui traîne sur un coin de son bureau. Il faudra qu'elle aille interroger tous ces gens, mais pas aujourd'hui, son programme est déjà très chargé. Elle est sur le point de fermer, quand une miniature attire son regard. Elle l'ouvre en grand et découvre un cliché représentant Jared allongé sur le ventre dans un lit. Nu, de toute évidence endormi, et à moitié enroulé dans un drap blanc éclatant.
Elle a déjà vu cette photo passer sur des sites de fans, mais elle ignorait jusqu'alors qu'il s'agissait d'une photo prise par Victoria. Probablement la fameuse photo qu'elle menaçait de vendre aux journaux et qui n'a, effectivement, rien de compromettant.
Une recherche inversée sur Google, lui permet de remonter au site où la photo a été publiée pour la première fois. Le blog de Victoria. Un vrai blog de peste à en croire les quelques articles que Shiloh survole. Dans celui où la jeune femme a posté la photo de Jared, elle explique qu'elle a passé la nuit avec lui, qu'il est plutôt doué de ses mains, mais assez égoïste. Qu'en plus, il s'est endormi très vite une fois les festivités terminées. Elle ajoute encore quelques détails intimes et conclu qu'elle a hâte de comparer ses performances avec celles du second leader des DK.
Shiloh ajoute l'existence du site au dossier, envoie un mail à Grant pour lui faire part de ses dernières avancées, et ferme tout.
Il est 14 h, elle n'a pas pu courir, mais elle a l'impression d'avoir fait un bond de géant dans son enquête. Non seulement, elle tient la preuve que Victoria faisait chanter un paquet de monde, mais elle sait aussi que la jeune femme ne cachait pas ses conquêtes sur le net. Et si Richard Barlow l'a appris, il n'est pas insensé de se dire qu'il ait pu très mal le prendre. Elle songe au fait que c'est une excellente raison de le faire revenir pour quelques questions supplémentaires, mais estime préférable de ne pas en parler à Grant tout de suite, au risque de perdre son après-midi de libre.
***
Une heure et demie plus tard, Shiloh arrive en gare de Paddington à Londres et une notification retentit dans sa poche juste avant qu'elle ne s'engage dans les sous-terrains du métro.
« On te voit ce soir ? Si oui, entre par l'arrière, ton nom est sur la liste. Jed »
Ainsi, elle est attendue ?
Cette constatation lui fait plaisir. Elle n'aura même pas à sortir son badge, cette fois. Son nom est sur la liste. Pas en tant que flic, mais en tant qu'amie. Son cœur se gonfle d'une reconnaissance idiote alors qu'elle descend les marches qui l'entraînent dans la ville souterraine.
Et puis elle se rappelle la soirée précédente.
Son enthousiasme baisse d'un coup. Elle n'est pas spéciale à leurs yeux. Et Elijah s'est servi d'elle.
Mais l'a-t-il vraiment fait ? Il a juste été gentil, c'était certainement sans arrières-pensées. Elle ne peut quand même pas leur en vouloir pour la relation qu'ils entretiennent ensemble. Surtout qu'elle ne les connaît que depuis quelques jours. Choisissant d'oublier ses sentiments de la veille, ou au moins d'essayer, elle monte dans le wagon qui l'emmène vers une nouvelle soirée dont elle espère se rappeler longtemps.
La salle se trouve à 10 minutes à peine de la bouche de métro. En quittant la protection des sous-terrain, Shiloh découvre que le temps a tourné et qu'un fin crachin s'épanche sur la ville. Peu après 16 h, elle arrive en courant à l'arrière de la salle. Les bus sont bien garés devant l'entrée, mais le portail qui mène à l'intérieur du bâtiment est fermé à clef et elle ne voit d'interphone nulle-part. S'abritant comme elle le peut sous le porche de la maison voisine, elle envoie une réponse à Jed.
« Suis devant l'entrée arrière mais il n'y a personne pour ouvrir »
La pluie se fait plus agressive et Shiloh commence à se demander si elle ne devrait pas faire le tour et tenter de rentrer par la porte principale, quand la porte du bus le plus éloigné d'elle s'ouvre et laisse passer une silhouette qui regarde à droite puis à gauche, avant de la trouver enfin.
— Shiloh ?
Elle bondit du porche et se précipite vers l'ouverture.
— Viens, l'invite Jed en s'effaçant pour lui laisser la place, entre.
En dehors de lui, le bus est vide. Quoi de plus normal, se fait-elle la réflexion, à cette heure, ils doivent être en train de vérifier les installations et de répéter.
— Tu tombes bien, je n'allais pas tarder à entrer. Une bière
— Non merci.
— Toujours en service, hein ?
— Pas officiellement, mais c'est le dernier concert et je veux pouvoir réagir efficacement en cas de besoin.
Il hoche la tête en signe d'assentiment, et décapsule une bouteille pour lui-même.
— Tu es passée au Velvet, hier, assène-t-il en s'asseyant d'une seule fesse sur un coffre occupant l'espace entre les banquettes.
— Tu m'as vue ?
Il confirme d'un mouvement de tête.
— Quand tu nous croises là-bas, tu peux venir nous parler, tu sais.
Elle hausse une épaule d'un air qu'elle veut désinvolte.
— Vous aviez l'air occupé. Je ne voulais pas déranger.
— C'est vrai, on l'était. On a pas mal bossé hier soir, Elijah débordait d'idées. D'après lui, c'est la soirée d'avant-hier qui l'a inspiré. Tu as une idée de ce qui a pu lui arriver ce soir-là ?
Cette annonce imprévue lui fait un choc qu'elle essaie de cacher de son mieux. C'est de la soirée qu'il a passée avec elle dont Jared parle ? Impossible.
Déjà, l'homme se relève et s'approche d'elle. Près. Beaucoup trop près. Dans un souffle houblonné, il murmure à son oreille :
— Il est inaccessible. Tu le sais?!
Shiloh recule d'un pas et, pour la première fois, lance un regard glacial à Jed. Est-ce qu'il insinue qu'elle n'est pas assez bien pour lui ? En même temps, il a raison, elle ne joue pas dans la même catégorie. Mais quand même, c'est vexant.
— Je n'ai jamais pensé qu'il l'était, tranche-t-elle.
Jed grimace. Ou peut-être est-ce un sourire ? Et il se retourne, termine sa bouteille en une gorgée et la dépose dans l'évier.
— Je ne parle pas que pour toi, note bien. Il est et restera inaccessible pour le commun des mortels. J'ignore comment Swann est parvenue à le capturer, mais elle a réussi un coup de maître ce jour-là. Je ne l'ai jamais vu s'attacher à quelqu'un aussi vite. Viens, il est temps qu'on y aille.
Toujours un peu vexée, mais plus tant que ça, Shiloh n'étant pas de nature rancunière, elle l'accompagne jusque sur la scène où elle retrouve le staff et les autres membres du groupe. Assez étrangement, tout le monde l'accueille avec bienveillance, et elle se sent un peu mal de continuer à tous les soupçonner.
Il ne lui a pas échappé non plus que, pour la première fois, Jared s'est adressé à elle sans trace aucune de cette voix mielleuse qu'il utilise d'ordinaire pour charmer ses interlocutrices.
Elle a remarqué qu'il n'use jamais de ce ton avec Nora et les femmes de l'équipe. Peut-être voit-il enfin en elle autre chose qu'une petite fan idiote.
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